Après une première partie d’entretien consacrée à Green Class, Jérôme Hamon nous raconte ses débuts, nous apprend la genèse de ses différentes séries et nous dévoile ses projets.
Entre des études de commerce et la bande dessinée, tu as travaillé dans le cinéma, les jeux vidéo et la télévision. Qu’as-tu fait dans chacun de ces domaines ?
J'ai commencé à travailler en finance de marché comme analyste financier. Dans le cinéma, dans les jeux vidéos et à la télévision, j'ai à chaque fois travaillé dans le marketing.
Je me suis toujours servi de ce que j'avais appris pendant mes études pour essayer de percer dans ce milieu et pour essayer à chaque fois d'aller un peu plus dans l'aspect artistique. Je me suis toujours servi de ma formation de base.
Quand j'ai travaillé dans le cinéma, je travaillais dans filiale de France Télévisions qui vendait les droits à l’international des films coproduits ou produits par France Télévision. Je m’occupais surtout de la création de plaquettes, de synopsis pour essayer de vendre, de faire connaître à l'international, pour trouver des sociétés qui accepteraient de distribuer des films de France télévision.
Dans les jeux vidéo, j'ai travaillé à l'époque chez Ubisoft, sur Far Cry, dans la création de tout ce qui pouvait accompagner la sortie des jeux. Je m’occupais de la relation avec les journalistes. Je diffusais les informations de façon progressive. En amont, je m’occupais d’études de marché pour savoir comment on pouvait se différencier par rapport à d'autres jeux vidéos.
Ensuite, dans la télévision, j'ai travaillé sur les sites internet France Télévision (France 2, France 3 France 4 et France 5). C'est là, que j'ai fait la passerelle avec la BD, en développant sur France 5 un site internet qui s'appelait “les rencontres de la BD”, avec le constat de base à l’époque, qu'il y avait très peu de choses faites sur la bande-dessinée, que c'était un art qui était finalement, assez peu représenté dans les médias. On a voulu développer un site internet sur lequel on faisait des interview d’auteurs de BD, et qu'on diffusait aux internautes. C'est comme ça que j'ai commencé à rencontrer des dessinateurs, des scénaristes, des éditeurs, et que je me suis vraiment plongé dans ce milieu là .
© Kana
Ton premier album, Yokozuna, se passe au Japon. Entre un début de carrière dans la finance aux Etats-Unis et un retour en Europe, était-ce une volonté de faire un grand écart ?
Quand j'ai commencé à créer des projets, ce qui m'intéressait, c'était de parler de choses qui me touchent vraiment. Le Japon m'a toujours attiré, parce que j'ai baigné dans cette culture là quand j'étais enfant. J'ai fait plusieurs années du judo et j’étais de la génération du Club Dorothée. Au lycée, j'ai pris une option japonais en troisième langue. J'ai toujours eu une sorte de fascination pour ce pays. Quand j'ai commencé à faire des histoires, pour la même raison que dans Green Class j'ai parlé de la Louisiane et pas de la France, j'ai voulu créer une histoire au Japon, pour parler de ce pays qui me fascine. Par contre, je me suis rapidement aperçu que j'avais le point de vue de l’occidental. Je n'avais pas vraiment de légitimité pour raconter une histoire qui se passait au Japon entre des Japonais. J'aurais pu faire ça, mais je pense que je serais complètement tombé à côté de la plaque, en faisant une histoire qui aurait parlé peut-être aux Occidentaux, mais qui d'un point de vue Oriental aurait manqué son but. Alors, j'ai commencé à réfléchir et je me suis dit que j'allais parler de la vie d'un occidental qui découvrait la culture japonaise. J’ai découvert l'histoire de Akebono, cet homme au destin absolument incroyable, l’histoire d'un adolescent hawaïen qui ne parle pas un mot de japonais, ne connaît quasiment rien du pays, mais a un rêve, celui de devenir sumotori. Sa vie m'a vraiment parlé car dans mon quotidien de l’époque j’avais cette envie d'aller vers quelque chose que je ne connaissais pas, un domaine dans lequel j’étais totalement néophyte. Je me retrouvais dans ce personnage qui mettait sa volonté au service de la réalisation de son rêve : découvrir une culture, se battre, lutter contre soi et contre les autres pour y arriver. Après cette phase de découverte du personnage essayant de devenir sumotori (moi essayant de rentrer dans le domaine de la bande dessinée), Akebono va atteindre le plus grade et devenir le premier étranger à devenir Yokozuna. Au Japon, ils ont l’aura des demi-dieux. A cette époque-là où le Japon a des rapports très conflictuels avec les Etats-Unis, le destin d’Akebono était exceptionnel. Ça faisait écho à ce que j’avais vécu à New-York. J’étais bien établi dans un milieu. Je me suis demandé ce que je retirais de cela. Après un accident, Akebono va être opéré des genoux. Il va être persuadé que sa carrière est finie, et se rendre compte que le plus important n’est pas la destination mais le cheminement. Une fois devenu Yokozuna, Akebono porte un regard amer sur ce succès. Ces deux penchants du personnage correspondaient à deux facettes de moi.
© Kana
Nils est une fable écologique. Nils fait en quelque sorte une quête initiatique accompagné par son père. Est-ce que Nils serait un peu Jérôme accompagné de son père spirituel Miyazaki ?
Je n'avais pas vraiment vu ça comme ça mais oui probablement. Nils pour moi, c'était un peu le constat que dans ma vie, je m'étais laissé happé par notre société de consommation dans laquelle on consomme facilement des produits. Quand j'étais gamin, je lisais beaucoup de BD, j'adorais les jeux vidéos, les films. Finalement, en tant qu'être sensible, je ne me suis intéressé que très tard à ce que je pouvais faire. J'ai découvert assez tard qu'on pouvait prendre une place dans la vie et s’investir.
L’histoire de Nils c'est la quête cathartique de ce jeune homme, qui va avoir un choix à faire, rester spectateur de sa vie ou essayer d’y prendre part.
© Soleil
L’écologie, la mémoire, l’équilibre sont les principaux thèmes du triptyque et sont des thèmes que l’on retrouvera dans Green Class.
Oui. Je suis sensible à tout ce qui se passe en ce moment, à la destruction de la planète qui a lieu et à celle d’espèces vivantes.
Quand on voit que la vie a mis des milliards d'années pour arriver à la diversité écologique que l'on connaît aujourd'hui et que l'homme en l'espace de quelques dizaines d'années est en train de faire tout simplement disparaître ces codes génétiques.
On arrive à concevoir des vaches laitières qui vont vont produire beaucoup plus de lait. On peut transformer des pastèques pour qu’elles soient carrées et tiennent dans des caisses. Mais tout ça, c’est du bidouillage. On est incapable de créer de nouvelles espèces animales en mixant une girafe avec une gazelle ou un éléphant.
On constate que l'homme, pour des fins économiques, n'a aucun scrupule à détruire la planète. Le problème est le même avec la culture des OGM. On créée des graines stériles pour balancer des pesticides et avoir des récoltes plus facilement. Je trouve ça complètement effroyable. Cela me parle de traiter ce sujet et d’exposer pourquoi la situation est dramatique. L’âme de la nature est la source de la vie.
© Soleil
Comment deux auteurs quasi-inconnus se retrouvent dans un collectif sur le Marsupilami chez Dupuis ?
Dupuis nous a contacté quand il y a eu cette histoire de Marsupilami pour savoir si ça pouvait nous intéresser d'y participer. Bien sûr, on a dit oui. Déjà à l'époque, on était en train de travailler sur Green class. Ça nous a vraiment plu de parler du Marsupilami avec l’état d'esprit qu'on avait sur notre nouvelle série, c'est-à-dire faire un traitement assez réaliste des choses. Notre postulat de base partait du fait qu’on fait du Marsupilami un être évidemment très rigolo. qui est juste une force de la nature, l'espèce la plus haut placé dans la hiérarchie, dans la pyramide alimentaire. En fin de compte, on s'est intéressé au passé. On s’est demandé comment la vie avait pu arriver à cet être, pourquoi était-il aussi fort. Et si les Marsupilamis étaient simplement des supers guerriers hyper puissants ? On a inventé ce passé à ce personnage-là, un passé qui le rattrape qui nous a amené à parler du cycle très triste de la guerre où deux peuples, deux clans, deux ethnies peuvent être amené à se combattre de générations en générations. On devient déconnecté de la réalité et on entre dans un cycle de la haine.
© Dupuis
On doit être dans la peau d’un gamin à qui on a prêté un jouet et qui prend garde à ne pas l'abîmer.
Oui bien sûr évidemment. Notre éditrice Laurence Van Tricht nous a fait vraiment confiance, elle nous a laissé libre de raconter l'histoire comme on voulait. C'était vraiment génial. On a eu toute la latitude pour le faire. On n’a jamais été censurés et il y a eu validation du scénario par Dupuis.
© Dupuis
Emma et Capucine est ton projet le plus féminin. Le public des jeunes filles est plus difficile à amener à la bande dessinée que celui des garçons. Comment s’y prend-on ?
Ce qui est important pour moi c'est de parler de choses qui me touchent. En fait, si quelque chose ne me touche pas, j'ai l’impression de n’avoir aucune légitimité à en parler.
Ma fille Anaë qui a 10 ans est passionnée de danse classique depuis qu'elle est toute petite. Elle a commencé vers l'âge de 3 ou 4 ans. Je la voyais le soir enfiler son tutu. Elle se regardait devant le miroir en position de danseuse. Ce qui m'intéressait était de découvrir ce qu'il y avait derrière ce rêve-là, de questionner, du côté des jeunes filles, ce que l'on y associait et que je voyais dans ses yeux avec autant de paillettes d'éclats de rêve. Qu'y avait-il derrière tout ça ?
Et en tant que parents, qu'est-ce qu'on fait quand son enfant est passionné par un rêve ? Pour moi, un rêve, c'est une illusion quelque part. On se projette dans quelque chose sans savoir ce que cela représente.
On parle en fait aux jeunes filles en se parlant à soi de choses qui sont vraies, de l'aspect humain, c'est-à-dire l'aspect transgénérationnel où chaque être humain peut se retrouver dans une histoire d’amour, dans un personnage qui a des rêves. Il faut parler des choses de manière universelle pour que les gens puissent s’y retrouver.
© Dargaud
Le monde de la danse ne serait-il pas plus cruel et dangereux que la région infestée de Green Class ?
Il y a beaucoup de jeunes filles qui rêvent de devenir danseuses étoiles. Il y a très peu d'élues. Le milieu de la danse professionnelle est un milieu très dur, comme tous les milieux où les gens font des sacrifices pour y arriver. Avoir des rêves, c’est beau, mais ce n’est peut-être pas toujours l’idéal de les réaliser. Le rêve étant une projection, une illusion, lorsque l’illusion devient réalité, qu’est-ce ? Les jeunes filles qui rêvent de devenir danseuses en auraient-elles toujours envie si elles s’apercevaient des réalités du métier ?
J’ai passé beaucoup de temps à l’école de danse de l’opéra de Paris pour rencontrer ces jeunes danseurs, voir leurs vies, leurs parcours.
© Dargaud
Ambiance conte Steampunk avec Dreams Factory. C’est un peu comme si Jules Verne pénétrait dans l’univers d’Andersen ou vice versa. En 2019, peut-on écrire de nouveaux contes traditionnels ?
C’est la question qu’on s’est posée. À la base, on a voulu partir d’Hansel et Gretel. A l'époque, quand des familles ne pouvaient plus nourrir leur progéniture, il y avait des enfants qu’on abandonnait, qu’on plaçait, des enfants à qui on disait qu’il était maintenant temps de voler de leurs propres ailes. Toutes ces histoires où les enfants se retrouvaient seuls abandonnés étaient des récits qui pouvaient leur parler parce que c’était dans l'air du temps, ça parlait de quelque chose de réel. Aujourd'hui, clairement, ce genre de récit n'a pas de résonance, sauf si on veut aller voir en profondeur. J'ai l'impression que ça parle moins aux enfants. J'ai voulu voir comment on pouvait transposer ces contes aujourd'hui.
Il y avait deux thématiques qui s’opposent complètement. La première est la société de consommation : les enfants sont des consommateurs. Le fondement même de notre société repose sur la consommation. On y prend du plaisir, mais de façon souvent passive. La deuxième thématique est le fait qu’à l'autre bout du monde, il y a des enfants qui participent à ça. Le travail des enfants a quelque chose de commun. Des gamins vont passer leur jeunesse à trimer dans des mauvaises conditions, à devoir travailler pour que leurs familles survivent, pour survivre eux-mêmes. C'est un système de vases communicants. Des enfants vont donner leur jeunesse pour que d'autres aient des paillettes dans les yeux en consommant les jouets qu’ils ont fabriqués.
J’ai voulu parler du travail des enfants. Dans notre société, dans les fermes, ils travaillaient il n’y a pas si longtemps que ça. Mon histoire n’est pas une critique de ces systèmes-là, ni de leurs parents qui les laissent travailler. C’est un constat.
J’ai aussi souhaité revisiter l’archétype de la sorcière, avec le personnage de Cathleen Sachs qui a certains côtés de la sorcière classique mais avec un enrobage assez lisse, un charisme que l’on met en avant dans notre société, où avec des beaux sourires et des belles manières on arrive à faire des choses assez horribles.
© Soleil
Dreams Factory est prévu pour être un diptyque. Pourquoi l’album n’a-t-il pas été publié sous forme de one shot ?
Non, on a toujours voulu en faire un diptyque. On s’est donné les moyens d'écrire une histoire et de pouvoir la raconter bien, dans un laps de temps donné. Le dessinateur ne voulait pas avoir l’impression de s’investir pendant trop d’années dans un projet. On l’a conçue comme un diptyque en fonction de ça aussi.
© Soleil
Quelles sont les nouveautés signées Hamon qui sont en préparation ?
Je souhaite vraiment m'investir dans la suite de Green class, bien développer les personnages sur le long terme. Pareil pour Emma et Capucine dont j'ai vraiment envie de développer l'univers. J'ai aussi la suite de Dreams Factory, avec Suheb Zako et une histoire sur la thématique du Skateboard, avec Matteo Simonacci. Ensuite, j'ai quelques histoires qui sont en parallèle que j'essaie de monter doucement, mais rien de définitif et concret pour l’instant.
Merci Jérôme.
Entretien réalisé par Laurent Lafourcade
Une nouvelle génération de scénaristes débarque depuis quelques années sur la planète BD. Entre autres, Carbone, Kid Toussaint ou Thierry Gloris développent des univers divers et variés. Dans ce nouveau souffle, il y a le très prometteur Jérôme Hamon dont la nouvelle série Green Class est un des événements de ce début d’année 2019. BD-Best l’a rencontré pour vous.
Bonjour Jérôme, alors comme ça, on est parti en classe verte quand on était petit et on n’en garde pas que des bons souvenirs ?
Même pas. Je n'en ai que des bons souvenirs. C'est plutôt mon cerveau qui a fonctionné en se disant : “ Et si ça s'était mal passé ? “.
Green Class raconte l’histoire de six adolescents canadiens coincés en Louisiane à cause d’un virus mortel transformant les humains en monstres végétaux. Pourquoi la Louisiane et pourquoi un « Survival » ?
Les spécificités du lieu nous parlent beaucoup, avec les mangroves entre autres. Mais il y a d'autres raisons que l'on découvrira au tome 2. Quand j'écris des histoires, j'aime bien voyager et sortir de mon quotidien. J'habite en Bretagne, j'adore la Bretagne, mais j'aurais eu moins cette impression de dépaysement. En la projetant aux États-Unis, c'est une façon de rêver. Si j'arrive à me laisser transporter par l'histoire, il y a des chances que le lecteur aussi.
Chacun des 6 élèves du groupe a un caractère bien déterminé. Noah, infecté par le virus, est un Quasimodo qui essaye de maîtriser sa condition de monstre.
Comme tout le monde, quand on a une attaque extérieure, on essaie de rétablir l'équilibre. Avant de maîtriser quoi que ce soit, il essaye de ne pas souffrir, de rester lui.
Sa sœur Naïa se découvre une âme de leader. Elle va prendre les choses en main et endosser un rôle à la Rick Grimes (The Walking Dead).
Oui. Ce qui nous paraissait intéressant, c'était de ne pas aller vers les personnages trop caricaturaux, trop manichéen, de ne pas tomber dans le cliché. On a essayé de garder un côté hyper réaliste dans les personnages. Quand j'étais adolescent, tous les gamins réagissaient un peu pareil. Si on avait vu un zombie sortir d'un cimetière, on se serait tous barrés en courant. Personne n’aurait osé l'affronter.
Comme dans beaucoup de groupes, il y a les leaders nés et ceux qui le deviennent. On s’est demandé tout au long de l'histoire pourquoi et comment les gens changent, quel impact ça sur eux, et quel impact ça a sur les autres.
© Hamon, Tako – Le Lombard
Linda reste par amour. Mais est-elle pour autant une ingénue ?
Quand on a créé nos personnages, on avait un attachement particulier à chacun d'entre eux. Ils nous étaient tous vraiment chers. Pour certains d'entre, et notamment Linda, on s'est aperçu que les gens à qui on faisait lire la BD, et en particulier nos éditeurs, n'avaient pas la même vision que nous du personnage. Ça m'a choqué. C'est vrai qu'au début c'était la plus caricaturale, un peu précieuse, la fille mignonne, superficielle. Mais nous, on savait qu'on ne voulait pas rester sur cette vision là. Ça nous a fait nous poser beaucoup de questions. Et c'est là qu'on a commencé à faire changer le personnage.
On ne pouvait pas mettre tous les personnages en avant au début. Chaque fois que l'on mettait l'un des personnages en avant, il tirait la couverture à lui. On a dû à chaque fois rééquilibrer les choses en réorientant l’histoire. C'était ainsi que les personnages se sont enrichis les uns les autres, au fur et à mesure des réécritures. C’est ainsi que dans l'une des dernières réécritures Linda a pris les choses en mains. Il fallait qu'elle ait une vraie raison pour le faire.En tant que scénariste, il est toujours intéressant d'avoir cette liberté de pouvoir faire évoluer les choses et de se surprendre soi-même. Il est toujours important de ne jamais se contenter de ce que l'on a.
Sato & Lucas forment le duo Action & Réflexion. Si le premier est un fonceur, l’autre, au QI de 145, est plus cérébral.
Oui. Encore une fois, on a voulu leur donner à tous les deux des caractéristiques communes et leur donner des petites subtilités. L’un est vraiment intellectuel, l'autre est beaucoup plus intuitif. Des raisons vont faire que, à un moment, l’un va foncer plus que l'autre. Il est vraiment intéressant de voir en quoi ils se différencient.
Ça ne l’empêchera pas d’avoir du mal à se justifier dans une scène où ses camarades retrouvent Lucas un fusil dans les mains face à Noah.
Quand on a des personnages qui ne sont pas caricaturaux, il faut trouver un moyen de casser la dynamique du groupe. On s’est demandé ce qui pourrait créer une vraie rupture au sein du groupe et qui reste crédible. Au début de l'album, ils sont vraiment soudés. Ils restent pour aider leur pote. Qu'est-ce qui peut faire qu'à un moment donné la donne va changer ? Comment va-t-on faire évoluer le groupe qui n'a pas de raison objective de voler en éclats ?
Le plus intéressant n'était pas la rupture du groupe, mais de pousser les personnages dans leurs derniers retranchements, de chercher les raisons intrinsèques pour lesquelles les personnages étaient différents les uns des autres. On a voulu se laisser surprendre par les personnages, créer des personnages les plus riches possible, que le lecteur passe vraiment un bon moment. Pour que eux soient surpris, il fallait que nous on le soit aussi. C'est cela qu'on a cherché à faire en travaillant les personnages, en se demandant comment un personnage d’apparence superficielle comme Linda pouvait prendre les choses en main, ou comment un leader comme Noah peut se retirer.
Beth est plus spectatrice et commentatrice. C’est peut-être celle du groupe à qui le lecteur peut le plus s’assimiler.
Au début de l'histoire, Beth est celle qui paraît la plus ordinaire. Je me sens proche de ce personnage là. On se demande ce qu'on ferait à sa place.
© Hamon, Tako – Le Lombard
Graphiquement, on peut supposer qu’il y a eu plusieurs versions des infectés ayant muté. A quel moment, avec Tako, vous êtes-vous dit : « Là, on y est. On tient leur apparence. » ?
David a rapidement trouvé leur apparence. On le voit dans le cahier graphique en fin d'album. Une des premières recherches qu'il a faite sur les infectés a été la bonne. Quand on a commencé à aller un peu en profondeur dans l'histoire, comment notre histoire se différencie des autres histoires de zombies classique, on est assez rapidement arrivé à cet aspect végétal des choses.
Il y a dans l’album une ellipse de 34 jours. Est-ce que des choses importantes que l’on apprendra par flash-backs se sont passés pendant cette période.
Oui bien sûr. En tant que scénariste, des périodes m'intéressent vraiment, d'autres m'intéressent moins. Plutôt que de diluer les scènes, on a préféré insister sur des moments clés. On a voulu présenter assez rapidement au lecteur une situation figée. On a voulu présenter aux lecteurs un récit assez frais, où ils se sentent surpris. On n'a pas voulu faire comme dans Walking Dead où la pandémie est un postulat de départ.
Au départ, on présente le groupe. Puis, on voit comment la situation dégénère. On a cherché le traitement le plus réaliste possible d'une situation de pandémie.
Dans un univers à la Walking dead, ce qui intéresse les créateurs c'est de présenter les zombies tout de suite. Dans un autre type de récit, l'important n'est pas le zombie en soi mais la contagion, comment elle se répand dans le monde. Les infectés sont juste des gens qui meurent. On a voulu se positionner entre les deux, décrire de façon réaliste comment une sorte de zombie arriverait sur Terre.
La dernière scène est digne d’un grand blockbuster hollywoodien. As-tu conçu ton scénario comme un film ?
Oui. J'aime bien construire chaque tome de mes histoires comme étant une histoire à part entière, avec un début, une fin, et une succession de complications qui font l'histoire.
Le cliffhanger final laisse augurer d’un deuxième épisode dans lequel nos héros seront au cœur du danger.
Dans le tome 1, on a voulu plonger les lecteurs dans la même situation que les protagonistes qui découvrent la pandémie. Quand le tome 2 démarre, la pandémie est installée depuis une quarantaine de jours. Ça va être une autre paire de manches.
© Hamon, Tako – Le Lombard
Comme dans tout « survival », le récit n’est qu’un prétexte à l’analyse des rapports humains. Au fond, on n’est pas loin d’une histoire romantique.
Je suis quelqu'un de très nostalgique. David aussi. Nous sommes dans une histoire où l'humanité est très importante. Nous ne voulions pas d'un récit d'action caricatural. Ce qui nous intéressait, c'était de mettre en avant des personnages et de les faire vivre.
La zone infectée se trouve barricadée par un mur infranchissable. Inévitablement, on pense à Donald Trump. As-tu voulu inscrire délibérément ton récit dans l’Amérique de Trump ?
Oui. Lorsque nous avons eu l'idée de murer les zones, notre éditeur nous a suggéré de rendre cela crédible. Et nous avons implanté notre récit là-dedans.
Evidemment, on a envie de ranger Green Class dans sa bibliothèque à côté de « Seuls ». Cette série fait-elle partie de tes influences ?
Oui, elle fait partie de nos influences, et notamment pour s'en éloigner. En tant qu'auteur, j'ai envie de raconter des choses, mais je n'ai pas envie de raconter des choses qui ont été déjà faites. Évidemment, la série “Seuls” a été une de nos références dans le genre, et nous avons essayé de nous en démarquer. Une fois que nous avons choisi notre thématique et notre univers, nous nous sommes demandés ce qui existait déjà, quelles pourraient être les références du lecteur. On a alors essayé de le surprendre en cherchant ce qu'on avait de nouveau à raconter dans le thème.
Côté littérature, cinéma et télévision, quelles ont été tes sources ?
On a plutôt cherché nos sources en termes de narration et d'écriture. Depuis quelques années, les formes de narration des séries télévisées ont énormément évolué. On a voulu s'inspirer de cela.On a cherché à créer un récit intimiste de grande ampleur avec des moyens de blockbuster. On a voulu rester à une petite échelle, et ne pas lorgner vers les Marvel. On voulait que les lecteurs vivent l'histoire à côté des personnages. On s'est intéressé à la structure du récit, la façon de présenter les choses, de faire évoluer les personnages.
Quand les séries télévisées sont redevenues à la mode, j'étais un peu réticent sur le fait qu'il soit intéressant de suivre des personnages pendant plusieurs saisons et des dizaines d'épisodes. C'est colossal. Mais à partir du moment où les situations sont bien exploitées, ce genre de narration est naturel. On a voulu s'autoriser à faire ça avec Green Class.
Une fois qu'on s’habitue aux séries télés, lorsque l'on regarde un film, on a l'impression de rester sur sa faim.
Lorsque l'on regarde en film l'adaptation d'un livre que l'on a lu, on est déçu, parce qu'au cinéma on est obligé d'être très elliptique.
Les séries permettent de retrouver les bases des histoires, des espaces d'expression assez grands sur lesquels en tant que créateurs on à la place de raconter des choses, comme au temps des feuilletonistes dans les journaux à la fin du 19e siècle.
Aujourd'hui, raconter une histoire en trois tomes est un peu frustrant. Je l'ai fait, mais lorsque l'on développe un univers, c’est (synonyme de frustrant).
© Hamon, Tako – Le Lombard
Il y aurait même un côté enfants perdus de Peter Pan dans Green Class.
Il y a un peu de ça.
On a voulu se laisser happer par ce milieu dans lequel on a grandi sans cacher nos influences. En tant que scénariste, j'ai envie d’écrire des histoires que j'aimerais lire en tant que lecteur.
La couverture et la maquette sont exceptionnelles. Peux-tu nous en raconter la genèse ?
À la base, David s'était lancé dans l'aventure Inktober (mois d’octobre où chaque participant publie un dessin par jour sur Instagram). Il avait développé la panoplie de personnages de Green Class que l'on connaît. À ce moment-là, il avait déjà imaginé cette idée de couverture avec ce crâne et les personnages. Avec le temps, on s’en est lassé. Elle avait perdu son côté novateur. L'éditeur a demandé à David d'essayer autre chose. Il en a fait une autre très réussie mais qui parlait moins que la précédente. David a donc repris le visuel la première couverture. Pour le vernis sélectif et la texture de la couverture, c'est Rébekah Paulovich du Lombard qui a travaillé dessus. Elle a fait un boulot de dingue. Elle a réalisé une maquette incroyable. .
Pour le premier album d’une série, « Pandémie » est long et dense. 64 planches, c’est une générosité assez rare de la part d’un éditeur.
L'éditeur Gautier Van Meerbeeck nous a toujours suivi. Il a fait ce qu'il fallait pour la qualité de la série. On s'est aperçu que l'histoire que l'on voulait raconter dans le premier tome était très dense. On est passé de 46 à 57 planches, puis on a trouvé dommage de ne pas avoir quelques pages de plus encore. On a essayé de trouver des solutions. Puis l'éditeur nous a suivi, pour que le lecteur soit embarqué dans l'histoire.
Le découpage est dynamique. Il n’y a pas de longueur. Le lecteur a de quoi lire. Bien qu’en étant graphiquement éloigné, « Green Class » est la définition du manga adapté au format franco-belge.
C'est exactement ça. On ne se cache pas de l'influence que le manga a eu sur nous. On a voulu raconter une histoire un peu à la façon dont les mangakas écrivent les leurs. Green Class est un hybride. Dans le nombre de pages, on est plus proche du franco-belge. Du point de vue de l'histoire, on a voulu un côté intimiste comme il y a plus souvent dans les mangas que dans les BD de chez nous. On a voulu passer du temps avec nos personnages, rester proche d'eux. On n'a pas voulu écourter les scènes d'actions. On a voulu que les lecteurs vivent l'aventure à côté de nos protagonistes.
© Hamon, Tako – Le Lombard
Pourtant le trait de David serait plus proche du Comics.
On est à la confluence des trois genres. Mais ça n'a jamais été une volonté de notre part. On a pris ce qu'il y avait de meilleur dans nos lectures et nos sources. Quelqu'un comme Sean Murphy dans le Comics dont on admire le travail a apporté sa pierre à l'édifice. Quand on arrive derrière lui ou Urasawa dans le manga, on ne peut pas faire comme si on n’avait pas eu ces influences, comme si on n'avait pas été marqués par ces lectures.
Est-ce que par conséquent vous allez nous proposer un rythme de parution rapide ?
Pour l'instant, on se lance sur un album par an. Le deuxième album fera 54 planches. On voudrait bien aller plus vite mais cela impliquerait une organisation complètement différente.
A suivre dans la deuxième partie de l’interview sur les autres travaux de Jérôme.
Laurent Lafourcade
Hommage Collateral est, comme son titre l'indique déjà, un recueil d'hommages, de parodies et de pastiches réalisé avec un profond respect des personnages originaux Natacha et Rubine. Voici donc la deuxième partie de l'interview consacrée à François Walthery s'attardant quelques-peu sur le sujet.
Bonjour François, Natacha est revenue avec brio, prouvant à quel point les lecteurs aiment toujours autant ce personnage. Tellement qu'on retrouve votre hôtesse de l'air dans beaucoup d'objets dérivés mais aussi des parodies. Aujourd'hui, c'est à travers des fausses-couvertures que vos complices Gilson et Dragan de Lazare repoussent les frontières de genres. Pour emmener Natacha dans diverses aventures qu'elle n'a jamais connue.
C’est exact. Mais ils sont plusieurs. Il y a aussi Daniel Kox et Louis-Michel Carpentier. Le projet a été initié par Dragan de Lazare. J'en ai vu quelques-unes qui m'ont fait beaucoup rire. Le projet est le leur. Il s'agit de parodies et hommages, c'est bien marqué. L'album doit sortir fin mars.
Et puis, des dessins à deux pour rigoler, on en fait toujours. Et pour tout dire, ma collaboration à cet album est très minime, deux ou trois dessins. Dont cette image de Natacha derrière un canon sur un sous-marin. Ils me l'ont subtilisée, celle-là (rires). Pour le reste, je les laisse faire, ils sont plutôt doués. Mais il est important, aux yeux de la loi, que cet album soit bien authentifié comme parodie, comme hommage. J'ai vu quelques-uns de leurs dessins, c'est bien fait, c'est comique. Il ne faut pas jouer en eaux troubles, il faut que l'aspect hommage ou parodie se distingue bien des albums originaux.
Rubine © De Lazare (extrait de l'album Hommage Collateral)
Ça doit faire plaisir d'être parodié de la sorte ?
C’est souriant, c'est marrant. Ils ne sont pas tombés dans le vulgaire.
Aucun doute à avoir ici. Il-y-a-t-il pour autant des limites que vous mettez ?
La parodie, c'est une bonne manière de rigoler avec les personnages. Mais je ne veux pas que ce soit gênant. Pas d'humour pipi-caca. Pas un truc de cul, non plus, encore moins des coucheries entre filles parce que c'est de bon ton. Le cul, l'érotisme, ça a déjà été fait, plutôt bien d'ailleurs. Au temps où c'était une mode. Aujourd'hui, il y a bien d'autres moyens de rigoler. Cela dit, ça me pendait au nez. Comme disait ma mère, si j'avais fait les aventures d'une locomotive, à vapeur je précise, ça ne serait pas arrivé. Mais il y avait aussi un peu de provocation là-dessous. Comme me l'a dit Renaud : Natacha n'a pas fait couler que de l'encre.
On ne voit pas de quoi il pouvait bien parler (rires). Vous apparaissez aussi caricaturé !
Ah oui, si je me moque des autres, je dois me moquer de moi, aussi. J'ai déjà une idée du personnage que j'incarnerai dans le prochain album. Une petite idée de running gag, un gars pas drôle au début mais qui à force de venir emmerder les personnages le devient. Forcément, il sera question de bières.
Parodie et caricature par Gilson pour l'album Hommage Collateral
Natacha et Rubine, deux de vos personnages emblématiques. Vous avez déjà réfléchi à leur donner une aventure commune ?
Ah non ! Ce sont deux univers différents. Quand Le Lombard m'a demandé de leur créer une série - qui allait devenir Rubine -, ça n'avait aucun intérêt de faire une deuxième Natacha. J'ai trouvé le moyen de m'en éloigner en créant cette policière avec Mythic, alias Jean-Claude Smit, et Dragan. Puis Di Sano. Il se remet à faire de la bande dessinée, d'ailleurs, après s'être consacré à la réalisation de cartes postales.
Donc Rubine et Natacha dans un même album, ça n'aurait pas fait sens. Mais rien ne les empêchait de se croiser dans un avion, en guise de clin d’œil, pour la blague.
De ces deux héroïnes, laquelle choisissez-vous ?
Natacha sans hésiter ! C'est à elle que j'ai le plus donné, j'ai fait les décors moi-même, la rythmique.
Pour les albums classiques, les auteurs ont l’habitude de faire beaucoup de tests et croquis pour arriver à la « bonne » couverture qui va attirer le regard.
Je prends énormément de temps à trouver mes couvertures. Impossible d'en créer une en amont de l'album, de l'histoire.
C'est elle qui est centrale. Et, à un moment de l'album, on se dit que telle case, telle ambiance pourrait faire une bonne couverture?
Moi, je n'ai pas d'ordinateur. Je travaille toujours à la plume, à la main, à la gomme. Et au fax !
Extrait de l'album Hommage Collateral © De Lazare
Votre couverture préférée ?
Oh, il y en a quelques-unes. Chaque couverture, au moment où je la réalise, est toujours ma préférée.
Qu'est-ce qui fait l'ADN de Natacha? Elle s'est retrouvée dans plein de genres différents, l'aventure, proche de l'horreur ou de la science-fiction.
Oui, mais il ne faut jamais oublié cet invariable : elle est hôtesse de l'air, sa vie se passe dans les avions et il ne faut pas s'en éloigner. Il faut trouver des prétextes pour l'embarquer dans des aventures. Autre que la sempiternelle machine à remonter le temps dont on amuse un peu trop souvent en BD.
En ce moment, je fais quelque chose d'inédit. Toujours en réadaptant Sirius, je compose le troisième et dernier épisode de la saga de l'Épervier Bleu. Je n'avais jamais été plus loin qu'un diptyque. Mine de rien, un album me prend un an et demi de travail, à raison d'une planche tous les trois-quatre jours. Et entre six heures et douze heures par jour. En moyenne, depuis 56 ans. C'est un métier de chien, mais on est privilégié quand on arrive à en vivre.
Natacha a tout du personnage intemporel. Elle ne vieillit pas et a ce côté vintage vers lequel beaucoup aiment se retrouver.
Le journal de Spirou court peut-être un peu trop après la mode. À coups de hashtags, de tweets et de smartphones. Des choses qui, je pense, passeront très vite de mode. Comme mon copain Jannin qui en a été victime. Avec Germain et nous, le temps des walkmans, etc. a été rapidement dépassé. Patatra. Fred a dû arrêter : ce n'était plus ce que les ados de l'époque voulaient trouver dans Spirou, ça ne leur ressemblait pas.
Bien sûr, je ne m'interdis pas d'utiliser un portable mais je ne vais pas en mettre à tous les coins d'images. Ce n'est pas essentiel.
Tintin, aussi, est très intemporel, ça continue à bien fonctionner. Mais force est de constater que c'est compliqué de rendre un héros intemporel. Ou alors, il faut faire du genre, du western par exemple.
Sans suivre les modes, donc ?
Moi pas, en tout cas. Je suis dans le vintage. Il y a peu, on m'a volé mon vieux vélo, un Peugeot, une vieille bécane que j'enfourchais régulièrement pour me déplacer. Je râlais ! Non, je ne cours pas après cette mode qui veut forcer les gens à acheter, à consommer à outrance. Je suis issu d'une époque où tout n'était pas à portée de main. La première fois que j'ai vu la mer, j'avais 21 ans, j'étais parti à Knokke avec Peyo. Bon, je l'ai revue quelques fois depuis.
Sherlock, une des séries préférées de Walthery en ce moment.
Après, j'ai aussi une partie de matériel moderne et je regarde pas mal la télé. Je suis en quête d'émissions intelligentes par la télé des connards, en début de soirée. Parfois, on tombe sur de très bons films. Jamais de série pour moi. Quoique... Sherlock avec Benedict Cumberbatch. Ils sont arrivés à moderniser tout en restant très fidèle aux récits de Conan Doyle. Puis, il y a eu Six Feet Under, l'histoire de deux croque-morts ! Dans un autre genre, j'adore le Grand Cactus. On me dit qu'il n'y a rien ! Mais si, il y a toujours quelque chose. Il faut chercher. Bon, c'est parfois très tard, je l'accorde. Ça ne me gêne pas, je vis la nuit depuis des années. Une habitude prise avec Peyo. Parce que c'est plus calme. Ainsi, je vais me coucher à 5h du matin.
Mais en BD, si on veut rester un peu, c'est dangereux d'être à la mode. Peyo me l'avait dit.
Vous avez mis un peu plus de temps pour publier votre dernier album, non ?
Non, les planches terminées ont dormi chez Dupuis pendant un an et demi. Ils les avaient oubliées dans une armoire. D'ailleurs, en bas des planches, il est bien indiqué 2016. Ils m'auront tout fait, ceux-là ! (rires)
Y'a-t-il une histoire que vous regrettez de ne pas (encore) avoir fait !
Non, pas de regret. J'ai toujours une histoire de Tillieux dans un tiroir, je la ferai un jour, peut-être. C'est une vieille histoire de Félix, parue dans Héroïc Album. Dans la série des Natacha, il y a eu quelques remakes tout de même: L'ange blond, La mer des rochers... J'avais eu l'accord de Tillieux ou de Peyo pour les faire. Et de sa famille. Franquin m'a un jour raconté certains de ces projets. Il devait avoir la quarantaine et racontait magnifiquement ce qu'il aurait bien aimé faire. Bon, il a eu Spirou, Gaston, certains projets n'ont jamais été concrétisé. C'est comme ça, on ne sait pas tout faire. Tant qu'on ne s'emmerde pas. C'est inhérent, si on n'a pas de projets, un métier pareil, c'est dangereux.
Tirage de tête chez Khani
Gilson, De Lazare reprennent vos personnages. Et vous, un personnage que vous aimeriez reprendre ?
J'en ai déjà fait, des reprises. J'ai repris Benoît Brisefer avec Peyo. Et j'étais sur une liste, parmi une vingtaine d'auteurs, pour reprendre Spirou quand Franquin a voulu passer le flambeau. C'est Fournier qui en a hérité, à sa grande stupéfaction. Franquin m'a barré sur cette liste, il avait vu les premières planches de Natacha et savait que si je reprenais Spirou, je n'aurais jamais le temps de prêter vie à mon hôtesse. Merci saint André ! Bon, j'aurais peut-être pu gagner plus en faisant quelques albums de Spirou. Mais créer mon propre personnage, pour l’ego, c'était mieux. (Il sourit)
Puis, Natacha, c'était mettre une femme au pouvoir ! Ouvrir la voie ?
Ça a permis la féminisation des héros. C'est l'avis des Pissavy-Yvernault et de certains journalistes. Moi, je ne m'en suis pas rendu compte, c'est un hasard. Et si 67-68 était une période de changements, il ne faut pas les voir partout. Moi, je voulais un duo, comme Tif et Tondu, Tintin et Milou. C'est ainsi qu'il y a eu Natacha et Walter. Avant eux, j'avais assisté l'Atelier Peyo, aidé Franquin à la découpe. Je n'ai pas eu que des mauvais profs !
Natacha, je la vois comme un personnage qui revisite l'ancien costume du groom. Son costume d'hôtesse va lui permettre d'avoir un rôle d'ouverture sur le monde, sur l'aventure. Bon, je n'ai pas le même talent que Franquin, il ne faut pas exagérer. Peyo et Tillieux étaient des monstres sacrés et Franquin, encore au-dessus d'eux.
Gilson, De Lazare, ce sont en quelques sortes des héritiers ?
Pourquoi pas ! Ce sont deux bons dessinateurs, il faut qu'ils fassent leurs trucs. Je les aime bien, ce sont des amis.
En parlant des Pissavy-Yvernault, il y a un sacré beau livre - monographie qui sort bientôt !
Une grosse brique, je l'ai vue, ça vaut le coup. Bon, faudra pas la lire au lit, sinon vous allez mourir étouffer !
Extrait de l'album Hommage Collateral © De Lazarre
Et les projets restés sans fin ? Johanna, L'Aviatrice...
Johanna, c'était avec Jean-Claude De La Royère, et c'était pour faire travailler des copains qui n'avaient pas de boulot. Comme George Van Linthout et Bruno Di Sano. Il y a eu quatre tomes. Puis, L'aviatrice aussi est abandonnée, à regret.
Et Rubine ?
On y travaille avec Mythic et Di Sano. On va reprendre la série là où on l'avait laissée. Je ne sais pas où ça paraîtra. Et ils n'ont pas besoin de moi, ils savent y faire.
Propos recueillis par Alexis Seny
Titre : Hommage Collateral
Auteurs : Walthery, De Lazare, Gilson
Auteurs invités : Di Sano, Kox, Carpentier, Bojan Vukic
Nombre de pages : 56 en couleurs
Prix : 20 €
Sortie : le 28 mars 2019
ISBN : 978-2-9600-3939-9
Première partie d'une interview consacrée à François Walthery.
Un beau-livre dédié à l’art de la bande dessinée selon Walthéry et le dernier tome de Natacha paru fin 2018 marquent le retour depuis l'épervier bleu d'un des plus emblématiques auteurs de la maison Dupuis.
Une vie en dessins, ce premier beau-livre dédié à François Walthéry inaugure la collection « Une vie en dessins ». Il présente plus de 200 fac-similés de planches originales scannées et reproduites avec soin.
En vedette, Natacha, mais aussi les Schtroumpfs (Walthéry fut un des premiers collaborateurs de Peyo), Benoît Brisefer, le P’tit Bout d’chique et tous les autres personnages de Walthéry. Le triomphe du dessin via couvertures, séquences légendaires, originaux alternant castagne et mystère et, agrandissements de cases. Parce que Walthéry est devenu un « classique » de la bande dessinée, qu’il a connu tous les « Grands Anciens » et travaillé avec eux, et que son trait, reproduit avec soin, est somptueux. Mais surtout, voici enfin un vrai beau-livre pour mettre en avant le génie de ce baroudeur du dessin. Un nouveau regard sur l’art de Walthery.
La parution de cet imposant recueil de 352 pages et d' "à la poursuite de l'épervier bleu" est l'occasion rêvée en cette première partie d'interview pour notre stakhanoviste de la chronique BD, Laurent Lafourcade (la seconde sera effectuée par Alexis Seny) de partir à la rencontre du maître et de recueillir son regard sur une carrière bien remplie et qui est visiblement loin d'être terminée !
Depuis 2 épisodes, Natacha a effectué son grand retour dans le journal de Spirou. Heureux d’être rentré à la maison ?
Natacha ne l'a jamais vraiment quittée. Marsu Productions était quand même une sous-marque de Dupuis. Mêmes traducteurs, mêmes coloristes, même imprimeur, même distributeur.
L’épervier bleu et sa suite sont l’adaptation d’un scénario de Sirius. Comment cette histoire, déjà dessinée avec d’autres héros dans les années 40, est-elle devenue une aventure de Natacha ?
C'est un excellent scénario. J'étais en vacances chez Max Mayeu, dit Sirius, en 1977 avec Maurice Tillieux. J'avais dit à Max que j'aimerais bien la retransposer. Ça a été assez simple à transformer en scénario de Natacha. Je l'ai réalisé en deux parties au lieu d’une seule car ça aurait fait un album d'une centaine de pages. C'est une aventure qui me plaisait.
© Sirius - Walthery - Dupuis 2018
Il n'y a actuellement plus de scénariste qui font des aventures. On dirait que ça leur casse les pieds ou que c'est trop long. Ils n’y croient plus, c'est dommage. Une bonne histoire est toujours une bonne histoire. Travailler avec quelqu'un comme Sirius était formidable. Les gens comme lui sont de grands raconteurs d'histoires. Ça manque cruellement dans la bande-dessinée de nos jours.
Les histoires ont tendance à être très “mangatisées”. Ça me déplaît souverainement. Je trouve ça moche. En général, il y a une pauvreté de dialogues. Sirius était un intellectuel qui savait écrire des textes off remarquables. Certains appellent ça désuet, moi j'appelle ça formidablement bien écrit. Les personnages parlaient naturellement et se moquaient d’eux-mêmes. Chez Sirius, l'humour est surtout verbal. Ses personnages étaient très réalistes, mais pour de l'humoristique ça convient très bien.
Tout comme Maurice Tillieux ou Peyo, Sirius était un raconteur d'histoires. Il a fait des choses poétiques, comme Bouldaldar, et des récits à la Mark Twain et Jack London avec L'épervier. Il excellait dans tous les sens. Ces trucs-là m'intéressent plus que tout ce qui se fait maintenant, sur des thèmes comme le football ou des âneries du genre.
© Sirius - Walthery - Dupuis 2018
Dans la scène d’ouverture, très drôle, Natacha se retrouve dans les couloirs d’un l’hôtel en tenue d’Eve. Une telle séquence aurait-elle été possible il y a quelques années ?
Oui, à condition de faire toutes les cases en noir. Moi, j'ai fait ça dans l'ombre. C'est une grosse blague. On voit ça, mais on ne voit rien. Dans les années 60, c'était plus difficile à cause de la commission de contrôle. Ils ont fait interdire des albums, comme Gil Jourdan. Ils ont fait changer une case dans Billy-the-Kid de Lucky Luke où Billy, dans son berceau, tête un revolver. Cette commission était une commission de censure française.
Les éditeurs étrangers belges, suisses ou autres devaient leur présenter des albums imprimés, édités, finis. Et eux décidaient si l'album passerait ou pas. Pour les éditeurs français, ils leur suffisaient de présenter des maquettes. Ça leur faisait moins d'investissements. Cela s'appelait du protectionnisme, ni plus ni moins. Maintenant, c'est toujours d'application. Mais il y a tellement de productions qu'ils ne savent plus où donner de la tête.
Natacha est une hôtesse de l’air. Pourtant nombreux sont les albums avec un décor maritime. Vous semblez prendre plaisir à dessiner la mer.
Oui, pourtant je ne suis pas un grand amateur. Quand on dessine des bateaux, il y a les vagues, les mouettes. Les oiseaux sont intéressants pour faire des avant-plans.
Il est bon de temps en temps de faire voyager Natacha autrement qu'en avion. Mais j'insiste à chaque début d'histoire sur le fait qu'elle est hôtesse.
Spirou est resté habillé en groom et jamais personne ne s'est étonné que Tintin garde son pantalon de golf.
© Walthery
Ça fait plusieurs albums que la grand-mère de Natacha est l’héroïne de l’histoire (L’hôtesse et Mona Lisa, Le grand pari, Les culottes de fer, Le regard du passé). Avez-vous envisagé un moment donné de lancer une série parallèle ?
Non, parce que ça ne sert à rien. Le système du spin-off m'embête plutôt. On ne sait plus où on en est finalement.
C'est la même série. J'adopte le principe de la machine à remonter le temps. Natacha n'ira pas plus loin. La grand-mère n'a pas vécu en 1840. Je ne ferai pas non plus l'arrière-grand-mère et l'arrière arrière-grand-mère.
Vous avez déclaré à un rédacteur en chef de Spirou : « Je dessine vite mais je travaille lentement. » Rassurez-nous, devrons-nous attendre moins de quatre ans pour le prochain Natacha ?
Si on compte bien, le Natacha actuel a pris 3 ans et 2 mois. Quand je signe les planches, je mets toujours l'année où ça a été fait. J'ai commencé en décembre 2014 et j’'ai terminé en janvier 2018. Je ne travaille pas tout le temps. J'ai fait d'autres albums entre-temps. Il y a eu L'aviatrice avec Di sano par exemple.
© Borgers - Walthery -Di Sano - Paquet
Sur quelques planches ou quelques cases, on pense à Vol 714 pour Sydney. Vous êtes issu de l’école de Marcinelle, mais Hergé fait-il aussi partie de vos influences ?
Bien entendu. Hergé, c’est Dieu le Père de la bande dessinée belge, et même internationale. Tandis que Jijé, comme disait Tibet, c'est notre père. La ligne claire de l'école de Bruxelles, c'est un peu ennuyeux pour ceux qui n'aiment pas faire ça. Je préfère l'école dite de Marcinelle de Jijé, Franquin et tous ces gens-là. Aux studios Hergé, il y a eu des gens comme l'excellent Bob de Moor, Jacques Martin, Roger Leloup, ainsi que Jo-El Azara qui n’est pourtant pas de ce style-là.
Aïcha ressemble à une lointaine cousine du P’tit bout d’chique.
Oui, évidemment c'était pour le plaisir de faire ce moutard avec eux. Dans la version de Sirius, il y avait le petit Sheba avec Éric et Larsen. Mêler un enfant à une histoire est toujours bon. Ça rend plus dramatique certaines séquences. Ici, au lieu d'un petit garçon, j'ai fait une petite fille pour ne pas copier Sirius.
Aïcha a des cheveux un peu plus longs que le p’tit bout d’chique. Habillée comme elle l’est, ça passe. De même, Jane ressemble un peu à Rubine.
© Walthery - Marsu Production
Le P’tit bout d’chique est une série qui pourrait un jour revenir ?
Pour l'instant non, mais il est question d'une intégrale chez Dupuis. Il y a une histoire de 46 planches méconnue dessinée par Mittéï du P’tit bout d’chique en vacances. Il est question de la regrouper avec les deux premiers albums. Mais pour l'instant, les éditions Dupuis ont ralenti le rythme de parution des intégrales. Pour des raisons commerciales, ils privilégient les séries qui se vendent à coup sûr. Mais il est certain qu’il y a une intégrale prévue pour Le p’tit bout d’chique.
Y a-t-il déjà eu des projets de dessins animés ou de séries en live avec Natacha ?
Pas de dessins animés. Il y a eu des options au cinéma. Il y a même des contrats audiovisuels qui ont été signés. Le problème dans cette affaire est qu'il faut du temps pour le faire. Il est hors de question que je participe au casting. Et quand on va sur le terrain des gens du cinéma, on les ennuie.
Neuf adaptations sur dix sont des ratages. On l'a vu ces derniers temps, malheureusement. Une adaptation assez réussie est celle des Taxis rouges de Benoît Brisefer. Gérard Jugnot a porté le projet à bout de bras. À part le début pour la présentation des personnages, quand on suit le film avec l'album sur les genoux, l’histoire est respectée. Le scénario est très vif, mais le film est assez lent parce qu’il n'est pas formaté pour le cinéma. Ils auraient pu l'adapter autrement, mais ils ont été honnêtes et ont suivi le scénario.
Lire un nouveau Natacha, c’est comme lire un nouveau Scrameustache, un nouveau Tuniques Bleues, … C’est une délicieuse madeleine qui revient en bouche. Avez-vous conscience, lors de séances de dédicaces par exemple, de l’effet que vous faites sur les lecteurs maintenant quadras ou quinquas ?
Je vois bien les gens qui aiment ça. Je suis allé cette année à Angoulême dans la bulle du Para BD, pas dans la bulle des professionnels avec des bandes de fous qui se battent pour avoir des dédicaces.
J’ai des lecteurs fidèles que je vois un peu partout. Ils viennent de plusieurs pays. Il y a des allemands, des autrichiens, des français, des belges, ... Ils connaissent tout de mon travail, plus que moi. C'est bien d'avoir un contact avec les gens. On peut parler avec eux pendant les séances de signature. Certains auteurs ne parlent pas en dédicaces, moi j'aime bien faire les deux à la fois. C'est plus amusant.
Photo © L. Meynsbrughen
Quand un nouveau Natacha sort, avec ou sans publicité, comme d’autres séries de l’école belgo-française, il y a un public qui saute dessus. Les libraires l'exposent en vitrine. On a la chance d'avoir une terrible longueur dans le métier, ce que malheureusement beaucoup de débutants n'ont pas. Les fidèles achètent, et parfois quelques nouveaux.
Vous avez eu la chance de bénéficier d'une époque où la presse était reine avant les albums, de travailler dans un journal et se faire la main.
La prépublication est toujours essentielle. Ceux qui lisent les journaux ou les revues n'achètent pas forcément les albums. Mais certains les achètent quand ils sortent après la prépublication, ou pendant, ce qui est maintenant souvent le cas.
Walter est fan de jazz. Walthéry aussi ?
Oui, évidemment. C'est souvent prétexte à discussion. Les fanatiques de jazz sont pointilleux. Ils aiment la musique mais pas les trucs que l'on nous impose à coup de matraquage.
On aime la musique. Point.
Walthery à l'harmonica (photo © Jean-Jacques Procureur)
Pourquoi les couvertures de Natacha et le Maharadjah et Un trône pour Natacha ont-elles été refaites ?
J'ai eu l'occasion de les refaire à l'occasion de leur passage en édition cartonnée.
Dans l'édition brochée de Natacha et le Maharadjah, Natacha était aussi grande que le Maharadjah, alors qu'il représente le danger dans l'histoire. En accord avec l'éditeur et Thierry Martens, lors de la réédition cartonnée, j'ai refait la couverture. Le Maharadjah est toujours aussi grand mais Natacha et Walter sont dessinés en tout petit en train de crever de soif dans le désert. C'était beaucoup plus dramatique avec ce personnage beaucoup plus imposant.
Dans le cas du Trône, j'avais commis l'erreur de faire une couverture qui ressemblait un peu trop à la première avec un fond rouge, classique, où Natacha fait son métier. On devine les personnages principaux derrière mais ce n'est pas très important. Les gens pouvaient penser que c'était le premier qu’ils avaient déjà. Les Danois, eux, avaient agrandi une case où l’on voit un revolver à l'avant-plan. J'ai repris cette couverture et l’ai refaite parce que le dessin était trop petit. À l'époque, on ne pouvait pas faire d'arme sur une couverture. Mais les rééditions ne passaient pas devant la commission de censure.
Que feriez-vous aujourd’hui si un de vos camarades de classe ne vous avait pas prêté ce numéro d’Héroïc Albums où vous avez découvert Félix de Tillieux ?
Sûrement le même métier. Je les aurais vues à droite ou à gauche de toute façon. C'était aux Beaux-Arts de Liège. À l'époque, j'ai racheté pour 8000 francs belges, ce qui n'était rien, l'ensemble de la collection Heroic albums venant d’une bibliothèque publique qui évacuait des collections de journaux.
Maurice Tillieux (© photo d'archives Walthery)
Maintenant, les éditions de l'Élan rééditent très proprement Félix. Ils font un beau travail et publient les 67 épisodes dans l'ordre. C'est une œuvre formidable qui était un peu laissée à l'abandon. Il y a eu plusieurs tentatives de rééditions mais le public ne suivait pas. Présenté par les éditions de l'Élan, ça se vend plutôt bien.
Vous avez travaillé avec une multitude de scénaristes. Est-ce un moyen de ne jamais se lasser ?
Oui, ça pourrait être ça. Mais il y a beaucoup de scénaristes aussi qui ont aimé travailler avec moi. Mon idée était de changer d'ambiance à chaque coup pour ne pas se répéter sans arrêt. J'ai quand même travaillé plusieurs fois avec Tillieux, Mitteï, Gos ou Sirius.
Sans faire de jaloux, y en a-t-il avec qui vous vous êtes senti plus en osmose ?
À peu près tous. Mais s'il fallait en choisir un, ce serait Tillieux. Avec Peyo aussi, c’était du beau travail. C’était un raconteur d’histoires aussi.
Mes scénaristes m'ont apporté des aventures avec des points de vue différents. J'ai toujours adapté mon dessin à l’ambiance du scénario. Avec Cauvin, le scénario était plus comique. Chez Sirius, on s'approche d'une forme de réalisme, mais pas trop quand même. J'ai tendance à faire différemment malgré tout.
Franquin, Walthery & Peyo ( © photo d'archives Walthery)
Comment est né l'album “Mambo à Buenos Aires” avec Renaud ?
Il est fan de Natacha. C'est un grand amateur de BD et de planches originales. On le voyait dans les séances de signatures. Il chantait quelque part et on le voyait abouler avec sa clique. On lui a demandé de venir chanter dessus. Il a accepté.
“Mambo à Buenos Aires” était un conte musical. Une BD avec un disque, ça ne se faisait pas à l'époque. Ni les libraires ni les disquaires ne savaient où le ranger. Mais on s'est bien amusé à le faire.
© Notes en Bulles
Il paraît que vous disposez encore dans vos tiroirs d'une troisième grande aventure de l'hôtesse de l'air signée Borgers "African Express".
Comme son nom l'indique, ça se passe en Afrique. C'est un futur scénario probable. C'est un original, ce n'est pas un remake.
Vous avez d'autres cartouches dans vos tiroirs ?
J'ai encore un Tillieux et un double de Dusart aussi. Mais le prochain que je fais est la fin de L'épervier bleu qui est en fait en trois albums. Je suis en train de le mettre en page.
Une monographie intitulée “François Walthéry, une vie en dessins” va paraître en Mars chez Dupuis-Champaka. En quoi cet album va-t-il être différent du Natacha & Co réalisé par Jean-Paul Tibéri en 1987 ?
C'est très différent. Une sélection de planches a été faite par Champaka. C'est un bouquin de près de 400 pages au format Aire Libre. Je vous conseille de ne pas le lire au lit, sinon vous avez mal au bras le lendemain. Ha, ha ! S’il vous tombe dessus, vous avez tout gagné. Ce sont des planches et des dessins chronologiquement classés que je commente, depuis mes débuts jusqu’à nos jours. Ils m'ont fait parler dessus.
Il y a une très belle préface de Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault. Quand je l'ai lue, je les ai appelés pour leur dire que je n'osais plus sortir de mon bureau parce que la porte était trop petite.
© Walthery - Champaka - Dupuis
Les studios IMPS ont participé également en fournissant beaucoup de matériel de ce que j'avais dessiné chez Peyo sur Benoît Brisefer et les Schtroumpf.
C’est un livre très complet où l’on trouve des extraits de tout ce que j'ai fait.
Photo © Réginald Muller
Merci Monsieur Walthéry.
Propos recueillis par Laurent Lafourcade
Une vie en dessin
Genre : Roman graphique
Collection : CHAMPAKA BRUSSELS
Pages : 384 en couleurs
Prix : 55 €
Dimensions : 235 x 320 mm
Sortie le 15 mars 2019
ISBN: 9782390410041
Il y a une vie après la mort. Et quelques monstres sacrés des mots et de la littérature nous le rappellent bien souvent au fil des adaptations qu’ils inspirent. Stefan Wul nous a quittés il y a une quinzaine d’années, pourtant il continue d’être très présent dans l’inconscient collectif et la culture populaire. Et notamment en BD : il y a au sein du label Comix Buro quelques héritiers indéfectibles pour remettre au goût du jour (si besoin était) et à leur mode les mondes que l’écrivain français a imaginé. Nouvelle preuve est donnée avec L’orphelin de Perdide qu’adaptent avec brio et éclat Régis Hautière et Adrián. Un dessinateur espagnol francophile que nous avons rencontré à la Foire du Livre de Bruxelles.
© Hautière/Adrián chez Glénat/Comix Buro
Bonjour Adrián, vous nous revenez avec un double-album de science-fiction, L’Orphelin de Perdide. Un roman de Stefan Wul que vous avez adapté avec Régis Hautière.
Somme toute logique, j’ai commencé par lire cette histoire courte – elle se lit en un jour. Sans doute y’avait-il trop peu de matière pour trois tomes et trop pour un seul. Du coup, on a divisé en deux. On n’en a pas vraiment discuté, ça s’est fait assez naturellement.
© Hautière/Adrián chez Glénat/Comix Buro
Régis Hautière, vous le connaissiez ?
De nom. C’est sur Facebook – où tout le monde est connecté – que nous avons noué contact. Puis, j’ai eu la chance de le rencontrer en Espagne, on a pu discuter, se connaître un peu et voir que le courant passait assez que pour collaborer et passer des heures à lui donner vie.
La BD, vous vous en êtes tenu éloigné pendant quelques années, entre 2014 et 2018. Pourquoi ?
Je savais qu’il y avait eu une interruption mais je ne savais plus dire quand exactement. Cette période correspond à mon boulot d’animation pour Ankama. Je faisais du storyboard mais également plein d’autres choses, du characdesign, de la recherche pour des affiches pour le film Dofus. Puis pour le film Wakfu. Un univers que je connaissais puisque j’avais travaillé sur la série BD Wakfu Heroes. J’avais créé des personnages qui sont revenus en animation. Je me suis vraiment retrouvé chez moi, aux côtés de gens que je ne connaissais pas mais dont j’admirais le travail.
Ce que vous y avez appris a-t-il servi dans L’Orphelin de Perdide ?
On m’a dit que ça se voyait que je venais de l’animation. Mais si j’ai étudié cette matière, je n’avais jamais vraiment exercé. J’ai appris plein de choses : le dynamisme, le cadrage, la façon de construire une esthétique mais aussi de penser en ambiance à chaque fois. Tout ce que tu apprends dans un domaine sert à l’autre.
Comment avez-vous abordé l’univers de Wul, du coup ?
J’ai appris qu’il y avait un film d’animation, donc je l’ai regardé. Avec des dessins de Moebius. C’était super-fou. Mais, à choisir, le roman m’a mieux plu. Plus profond, plus existentiel.
Faire de la science-fiction, ça vous botte ?
Carrément ! J’ai toujours aimé ce genre même si je me suis plus retrouvé dans la fantasy. Quand j’étais plus jeune, tout ce qui était labellisé s-f, je l’ai dévoré, sans filtre. C’est un genre qui est exigeant avec le lecteur.
© Hautière/Adrián chez Glénat/Comix Buro
Vous avez vu le film Les maîtres du temps, donc. Mine de rien, cela ne met-il pas des images en têtes qui pourraient entraver le pouvoir de création au moment de dessiner la BD ?
Inconsciemment, je crois que j’ai ignoré ce que j’avais vu. Mais comme Moebius est un de mes auteurs favoris, j’ai tendance à vouloir penser comme lui. Sa façon de faire était déjà dans mes gènes. C’est pourquoi j’ai fait plein de characdesign, j’ai créé plein de personnages, j’ai mis beaucoup de temps à trouver. Pour m’apercevoir, une fois cette étape terminée, que le perso et le design que j’avais choisis étaient très semblable à l’affiche du film. Mais, en toutes circonstances, je crois qu’il faut toujours faire son truc à soi !
© Hautière/Adrián chez Glénat/Comix Buro
Comment crée-t-on un héros ?
Olivier Vatine et moi, on le concevait très différemment, justement. Ce fut un combat d’idées, chacun avec ses arguments. Certains ont été validés, d’autres pas. S’il y avait un élément à respecter, c’était les cheveux bleus que portent le personnage principal, Max. Plutôt cool d’ailleurs.
© Adrián
Il y a un peu de Kurt Russel, là dessous, non ?
Oui, mais j’ai aussi pensé à Albator, le pirate de l’espace. Pour le reste, je ne voulais pas qu’il ait la peau blanche. Dans le roman, Max est d’ailleurs décrit comme étant black. Il était hors-de-question que je fasse du white-washing. Du coup, s’il n’était pas possible de le faire noir, je lui ai donné un côté Gipsy. En plus, j’adore la BD de Marini, dure et sexy.
© Adrián
Il y a des animaux, aussi, de science-fiction.
Et, face à eux, c’est le moment d’inventer. Le monde est différent, il faut l’habiter. Du coup, je me suis mis à chercher des insectes que je pouvais combiner, rendre monstrueux. Ce n’était pas très agréable. J’ai détesté ça !
© Hautière/Adrián chez Glénat/Comix Buro
© Hautière/Adrián chez Glénat/Comix Buro
Cela valait bien un petit remontant. Heureusement, il y a l’Incal, le bar rempli de truands, qui a des airs de Cantina de Star Wars.
C’était l’idée de Régis, ça, un bel hommage à Moebius et sa série. Pour le créer, j’ai passé en revue plein de bars futuristes. Puis, comme j’ai beaucoup joué à Starcraft. Ça m’a servi.
Il est question, dans ce diptyque, de voyage dans le temps et l’espace. Et vous, vous iriez où ?
J’y ai beaucoup pensé, j’irais dans le passé, pas trop loin, les années 60-70. Mais le passé peut être très dangereux. Tant pis, j’irais bien aussi visiter l’aube des temps, les dinosaures.
© Hautière/Adrián chez Glénat/Comix Buro
Comment avez-vous élaboré les couvertures ?
Pour le tome 1, c’est une proposition d’Olivier Vatine. Il est super-fort ! On est tombé sur une case du tome 1, c’était la couverture, avec le vaisseau dans le fond. C’est plus contemplatif. Celle du tome 2, est plus dans l’action, dans la tradition pure de la s-f, avec une sensation plus classique.
© Hautière/Adrián chez Glénat/Comix Buro
La fin du tome 2, en une planche, change toute la perception de l’histoire. C’est bluffant. Sans elle, tout chute. Ça met la pression, non ?
La fin est très surprenante, c’est vrai. Mais n’en disons pas plus. C’est vrai que j’ai eu un peu peur. Mais c’est logique, ça a du sens.
Il y a de l’énergie dans votre trait. Comme souvent chez les dessinateurs espagnols.
Je ne sais pas s’il y a des caractéristiques communes. Munuera est devenu un ami. On s’est connu via internet. C’est un maître. Quand j’ai commencé, il m’a proposé de venir chez lui, un jour par semaine, pour m’exercer, apprendre. Je pense que mon trait est tout de même plus manga, plus comics.
Comment se porte la BD en Espagne ?
C’est un marché qui aime les adaptations, acheter les titres qui ont bien fonctionné. Nous produisons très peu, et sommes très mal payé. Certains auteurs très connus peuvent le faire, prendre le risque. Puis, force est de constater que les Espagnols lisent très peu, tant en BD qu’en littérature classique.
© Hautière/Adrián chez Glénat/Comix Buro
Et vous ?
Quand j’étais petit, on lisait beaucoup plus, en Espagne. Notamment, le TBO, une revue qui rassemblait différents séries. Puis il y avait les histoires pour enfants ans les journaux. Les enfants lisaient beaucoup plus, c’était avant la télé, les jeux vidéo, avant What’s App. Moi aussi, je suis depuis tombé dans la technologie, j’en ai un peu honte. C’est sûr que lire, c’est bien plus exigent que de regarder des séries ou d’être sur Facebook.
Puis, il y avait Mickey, Donald, l’univers Disney, un peu partout. Dans les Peliculas qui venaient d’Italie. Un format très gros, avec plein d’histoires, qu’il fallait une semaine pour l’épuiser. Très tôt, j’ai aussi adopté Dragon Ball. Toutes les semaines, je devais l’avoir. Jusqu’à ce qu’il n’arrive pas, une fois. J’en ai été malade. Dans ma maison, il y avait aussi Astérix et Tintin, des albums récoltés et donnés via diverses opérations.
© Hautière/Adrián chez Glénat/Comix Buro
Les années sont passées, j’ai aussi adhéré à Fluide Glacial. J’étais un peu petit mais je finissais toujours mort de rire devant Edika. Dans les années 80, Metal Hurlant arrivait aussi jusqu’à nous. Plus adulte et avec un coup de foudre : Moebius.
Mon père adorait la France, il y avait travaillé, du coup, il en ramenait des BD.
Qu’est-ce qui vous attend, maintenant ?
J’ai différents projets mais n’ai rien signé. Avec d’autres scénaristes. Le projet que je travaille pour le moment me permet de revenir dans la fantasy.
Si, j’ai une autre actualité, une collaboration pour le huitième tome de Magic 7 de Kid Toussaint, aux côtés de Mathieu Reynes, Jose Luis Munuera, Kenny Ruiz et Noiry.
Merci beaucoup Adrián et belle odyssée de l’espace !
propos recueillis par Alexis Seny
Série : L’orphelin de Perdide
D’après le roman de Stefan Wul
Tomes : 1 – Claudi; 2 – Silbad
Statut : Terminé
Scénario : Régis Hautière
Dessin et couleurs : Adrián
Genre : Science-fiction
Éditeur : Glénat/Comix Buro
Nbre de pages : 54
Prix : 14,50€
No War, quelle qu’elle soit, beaucoup en rêvent dans un monde gangrené de violences en tout genre. No War, c’est le nouveau projet d’Anthony Pastor. Une série jeunesse tout en étant adulte, se situant dans un pays fictionnel mais synthétisant bien des phénomènes actuels, sur fond de mythologie et du courage adolescent. Un univers fertile, avec de quoi nourrir bien des tomes. L’auteur nous le présente.
Bonjour Anthony, vous nous revenez avec No War, une oeuvre qui sera déclinée sur le long tout. Ça amène l’espoir mais ça suppose aussi la guerre. Celle qui fleurit un peu partout depuis que le monde est monde.
Oui, il y a de ça. Mais, je voulais voir la guerre dans un ensemble plus large. Ne pas parler que d’armées. Je voulais également explorer la violence de deux parents, ceux de Run, dont les intérêts sont opposés et divergents. Bien sûr, Run préférerait qu’ils s’aiment mais la question est de savoir comment lui va se construire. Cette violence commence là et, symboliquement, elle va se reproduire à une échelle bien plus grande. À l’échelle nationale, un engrenage va se mettre en parallèle aux petites guerres auxquelles chacun est confronté, intimes et personnelles. On explore les strates.
© Anthony Pastor chez Casterman
La guerre, c’est finalement très actuel, à plein de niveau, social, idéologique, militaire, celle que les migrants fuient, celle que mènent les gilets jaunes…
C’est vrai, c’est très en prise avec l’actualité. Probablement, si mon album arrive aujourd’hui, ce n’est pas un hasard, ça découle de ce que nous vivons au quotidien. Il y a une forme d’engagement, ce questionnement d’un pays. À partir de quel moment, celui-ci se réunit-il, dépasse-t-il sa spécificité nationale ? Si les gilets jaunes étaient arrivés avant que je fasse cet album, j’aurai peut-être écrit sur eux, d’ailleurs. Qui sait ?
© Anthony Pastor chez Casterman
Dans les remerciements, il y en a un, précieux, pour votre fils. Il vous a aidé dans la création de cet album ?
Je travaille à la maison, donc ma famille est pas mal impliquée. Et arrive le moment où je viens de finir un projet. C’était la Vallée du diable, la question d’un troisième tome se posait. Je ne l’ai pas fait. J’ai dû chercher un autre projet. Max a onze ans et lit beaucoup et je caressais l’idée d’une série jeunesse. Je l’ai interrogé : que voulait-il lire ? Du contemporain. Et, petit à petit, le Vukland est sorti de terre. Au fil des discussions erratiques, on en est arrivé à établir une intrigue sur des choses très basiques, en pleine vague d’attentats. Une intrigue qui mettrait en opposition ceux qui ont ou pas. La tentation était grande de parler de religion, de djihad mais je m’en suis écarté pour trouver le fond de tout ça. Tout en veillant à ce qu’il y ait de l’action.
Pour l’anecdote, après La vallée du diable, j’ai participé à une réunion avec mon éditeur durant laquelle je présentai mes projets envisageables. J’en ai toujours en stock, j’essaie d’anticiper. J’avais un one-shot polar dans les années 30-40. Moi-même, j’étais moyennement enthousiaste. Jusqu’à ce que je dise : sinon, j’ai No War. Ils m’ont dit de foncer.
© Anthony Pastor chez Casterman
Un album jeunesse, non ?
Justement, si c’était mon idée de départ, je ne veux pas que No War ne soit compris que comme étant du jeunesse, j’espère toucher un large public. Avec de la violence sous-jacente mais aussi des zones plus personnelles. J’aime l’idée de faire voyager, d’être dans le divertissement tout en faisant réfléchir. C’est chouette si mon histoire peut se prolonger dans les têtes, que son décor donne envie de se remuer.
Je n’aime pas les tiroirs, aujourd’hui, il faut se méfier des compartiments dans la littérature. J’ai mis du Akira dans les mains de mon fils. Le roman d’aventure, même à la façon de Tintin, ne compose pas avec un public particulier.
© Anthony Pastor chez Casterman
Ma BD est très connotée, on a beaucoup discuté chez mon éditeur de la façon de le mettre en avant, du produit hors-cadre.
C’est facile ou, justement, difficile, de collaborer avec un enfant ?
Les enfants, ils sont cash, ne mettent pas de gants, ni de pincettes. On peut tester nos idées avec eux mais on risque de se frotter à des « ah non, ça, c’est nul ». Ça arrive. Ce n’est pas mal pour faire des choix.
Très vite, ce début de série est devenu un challenge. Bien sûr, j’avais ce polar en projet, j’avais appris à maîtriser le genre mais ça n’aurait été qu’un bouquin de plus. Avais-je besoin de ça ? Et le public ? Je devais aller à l’essentiel. J’aime me lancer dans des projets ambitieux, avec du sens, du défi. Quelque chose qui me touche et me pousse dans mes retranchements, entre la bonne intensité à trouver et l’exigence.
© Anthony Pastor chez Casterman
Qui s’est matérialisée de quelle manière ?
Je travaille là-dessus depuis deux ans, pour pouvoir sortir deux volumes par an. J’ai crayonné la totalité des trois premiers albums, j’ai refait plein de scène. Je n’ai jamais autant travaillé sur un album. Mais je devais voir où j’allais, trier les infos dans mon écriture et ne pas me louper. Ce sont des bouquins comme ça qu’il faut faire, pas ceux dans lesquels on se plonge en pantoufles, tranquillement.
Pour celui qui passerait de La Vallée du Diable à No War, quel changement de graphisme !
L’importance, c’est le lien, ce que je raconte d’intime dans mon récit, je suis investi à 100%. Mes projets s’étalent dans le temps. En un an et demi, plein de choses s’imposent, l’écriture se met au service du propos. Y compris l’écriture graphique. Regardez Tardi, Pratt.
La vallée du diable © Anthony Pastor chez Casterman
Mon dessin, j’étais arrivé au point où je l’avais simplifié de manière un peu fabriquée. J’avais besoin d’un retour à un dessin plus fouillé, de refaire des gammes, des recherches personnelles. Et même si j’avançais la série sur deux ans, je devais la fonder sur l’urgence, l’intensité, l’énergie, un trait d’immédiateté.
Quant au changement de style, de ceux qui me suivent et me suivront, on fera le compte. Je ne sais pas si on peut dire que j’ai un public, mais toujours est-il qu’il n’est pas énorme, ça me confère la liberté de ne pas me tenir à un style. J’ai du mal à me caler sur un style. Il faut que celui-ci soit cohérent avec ce que je raconte.
© Anthony Pastor chez Casterman
Pourquoi un pays imaginaire ?
Le Vukland, je l’ai créé pour avoir une liberté de propos, dans la façon de mettre mon histoire en scène. Je sortais d’une expérience plus documentée et historique. J’avais besoin de tester les limites, de réaffirmer une fiction forte… mais actuelle, avec une résonance universelle. Avec des combats sociaux, économiques. On n’est pas loin des tendances Trump, Bolsonaro ou de ce qu’il se passe en Hongrie ou en Pologne.
J’ai dû synthétiser. C’est un laboratoire, une scène de théâtre en fait. Une île pour permettre le huis-clos. Il y a une façon symbolique et distanciée de raconter des choses qui me touchent. Il y a de la documentation bien sûr, mais réadaptée.
© Anthony Pastor chez Casterman
Quoi comme documentation ?
L’actu que j’ingurgite quotidiennement mais aussi l’ambiance et la géographie de l’Islande. Bon, je n’y suis pas parti mais j’ai fait des repérages sur… Google Chrome. Sur les caractéristiques ethniques aussi. La capitale du Vulkland est calquée sur Reykjavik. Mon pays, son univers, tout devait être crédible, avoir une assise et des fondations fortes. Même si c’est une fiction, ce fut un travail au long cours.
Pour vous faire la main, il y a eu une histoire courte dans Pandora, une sorte de prequel qui se retrouve dans les bonus de ce premier album.
Une manière de faire des petites expériences. L’éditeur me posait des questions sur la cosmogonie. Cet exercice m’a permis de créer une mythologie, un cadre, de creuser cet aspect avec des personnages qui n’apparaissent pas dans l’histoire en tant que telle.
© Anthony Pastor chez Casterman
Sinon, je pense qu’il faut faire l’effort de ne pas tout dire, d’en rester à l’essentielle. Il doit y avoir plus derrière l’intrigue, une certaine densité, de quoi prolonger.
Il y a quand même pas mal de personnages dans cette première partie d’histoire. Comment les avez-vous abordés ? Et leur place dans l’histoire.
Si on en met de trop, on court le risque de passer trop vite sur eux. La question du dosage, du rythme entre en ligne de compte. Il faut trouver le bon tempo. J’aurais pu en éliminer certains mais, à un moment, ils existaient tellement que je ne pouvais plus faire marche arrière. Il me fallait trouver la place pour développer les personnages mais aussi les différentes strates de la société. Les relations entre les parents et les enfants et au-delà de cette sphère.
© Anthony Pastor chez Casterman
À ce niveau, j’ai été fort marqué par The Wire et Baltimore, les récits de David Simon. Je souhaitais arriver à un niveau d’écriture de cette veine. J’ai essayé d’y retrouver une hiérarchie tout en faisant exister ces personnages.
Combien de tomes sont-ils prévus ?
J’ai signé pour trois tomes. Après, j’en prévois trois autres. On verra à quel point le succès ou la pression commerciale se fait plaisir. Peut-être le public trouvera-t-il cela pas assez bien, ou pas assez intéressant. Il sera décisif. Toujours est-il que je devais bien me projeter, d’élaborer un guide. Une fin m’est venue entre-temps. On verra comment la série prend mais quoi qu’il en soit, ce sera cohérent. En tout cas, j’ai jeté les bases jusqu’au tome 9.
© Anthony Pastor chez Casterman
Les tomes 4, 5 et 6 sont bien écrits. Je continue de creuser, tout reste à organiser. L’éditeur est enthousiaste, je ne suis pas tout seul, c’est important.
Il reste beaucoup d’éléments mystérieux en tout cas. Les corbeaux, les pierres…
C’est une alchimie à trouver, il ne faut pas ennuyer mais ne pas en dire trop non plus. Je suis engagé à fond, j’y mets mes tripes.
© Anthony Pastor chez Casterman
Propos recueillis par Alexis Seny
Série : No War
Tome : 1
Scénario, dessin et couleurs : Anthony Pastor
Genre: Thriller
Éditeur: Casterman
Nbre de pages: 130
Prix: 15€
On ne se méfiera jamais assez de ce qu’il y a dans nos assiettes ! Y compris parmi les patates qu’on aime tant déguster en purée, en frites, en croquettes en zo voort, etc. Héroïne pour les enfants comme les adultes, Yasmina va ainsi, bien malgré elle, sauver un monde devenu fou après avoir avaler une nouvelle espèce de patate, modifiée, dangereuse mais néanmoins addictive. Dans un album (qui pourrait être le premier d’une série), Yasmina et les mangeurs de patates, Wauter Mannaert cristallise avec humour, amour et un graphisme (d)étonnant des enjeux importants de notre société de consommation.
© Wauter Mannaert
Bonjour Wauter. C’est la première fois que je vous lis. Quelle énergie.
L’énergie, je pense quelle était déjà présente dans mes précédents albums, Weegee et El Mesias. Il y a peut-être plus d’humour. Disons que ce qui a changé, c’était ma volonté d’aller vers un public plus jeune et de le faire jusqu’au bout. Dans l’humour visuel, notamment. Ma référence reste le dessin animé.
Un album jeunesse, alors ?
Le thème est très actuel, la nourriture. J’ai essayé de ne pas être trop à charge. En tant qu’adulte, je travaille avec des jeunes. J’avais envie de prendre un personnage qui leur ressemble, Yasmina. Mais, je ne voulais pas que ce soit réducteur. Je voulais concevoir un récit dans lequel grands comme petits se retrouvent. Avec du second degré mais aussi du premier degré. Je devais pouvoir me libérer de cette thématique lourde avec de la joie et de l’humour. Je voulais une couverture qui parle tant aux adultes qu’aux enfants et un album à l’image de notre société. Dans lequel tout le monde se retrouvera. Comme le jardin de Marco, l’ami de Yasmina qui aime cultiver propre.
© Wauter Mannaert chez Dargaud
Un album qu’on lit à deux, en fait. Devant lequel parents et enfants peuvent se retrouver à tourner les pages ensemble ?
Il y a un lien, c’est sûr. Un départ pour parler de certains thèmes, de certains choix. Celui de manger ou pas de la viande, par exemple.
Pas de viande, ici, mais des patates.
Je suis parti de mes observations. J’habite Schaerbeek, il y a des jardins partagés, des potages sur les toits, des fermes urbaines. C’est de là que je suis parti pour, au final, ne fait que les évoquer. Je pense qu’il est essentiel que nous reprenions le contrôle sur la nourriture.
© Wauter Mannaert chez Dargaud
Avec la patate, j’avais un légume qui nous concernait tous. C’est tellement belge. Ça nous caractérise tellement bien.
Pas loin de Van Gogh.
Aussi ! Nos grands-parents étaient des mangeurs de patates. La société a changé depuis le temps mais la patate, elle, est restée. Toujours populaire.
De Aardappeleters © Van Gogh
Ce qui marque dans cet album, au premier abord, c’est cet équilibre entre les dialogues et les pages muettes mais tellement expressives.
Il n’y a pas de dialogue dans les premières planches de cet album. J’y tenais. J’ai travaillé très fort sur le rythme, je ne voulais pas que ça paraisse trop lourd. Commencer sans le texte, en laissant l’image raconter, c’est laisser la possibilité au lecteur d’être absorbé. J’ai chassé les gros blocs de texte. Ça m’a forcé à trouver des solutions très originales.
© Wauter Mannaert chez Dargaud
On entend trop souvent des gens qui disent qu’ils ont lu le texte d’une BD sans trop regarder le dessin. Je voulais l’éviter. J’ai caché des détails, j’ai mis des histoires en plus. Ils prendront sans doute sens à la relecture, plus qu’à la première lecture.
Je voulais prendre le temps, montrer un maximum de légumes au tout début mais je ne devais pas oublier d’introduire les personnages, qu’on s’y attache. Il y a mine de rien beaucoup d’informations à placer.
Moi, j’ai été bluffé sur cette succession de planches où vous capter inévitablement notre regard pour permettre une lecture à contre-courant de ce qui se fait d’habitude. Sur la page de gauche, on lit de gauche à droite, en descendant, puis on arrive sur la page de droite par le bas et on remonte en slalom. On remonte un escalier, suivant l’odeur de frites que le papa de Yasmina véhicule en remontant chez lui. Je ne m’en suis pas remis.
Ah, l’escalier. C’était une scène difficile. C’était une manière de présenter le papa mais aussi de montrer différemment, en une seule planche, le milieu dans lequel il vit avec sa fille. En une planche, grâce à l’odeur de frites, on s’introduit dans l’appartement, on le visite, on voit ce qu’il s’y passe. Je voulais forcer le lecteur à lire différemment.
© Wauter Mannaert
Puis, il y a quelques planches où les cases sont démultipliées de plus en plus petites.
Comme dans les films, quand le calendrier tombe les pages. Je voulais montrer le temps qui passe. C’est amusant à faire.
© Wauter Mannaert chez Dargaud
C’est la première fois que vous scénarisez une histoire.
C’est vrai, c’est un thème très personnel. J’aime travailler avec un scénariste, mais, dans ce cas-ci, j’étais obligé de le raconter moi-même. J’ai mis sept ans à le concrétiser.
Cela dit, sur El Mesias, j’avais déjà fait un travail d’adaptation, j’étais parti d’un texte pur et dur. J’avais déjà l’habitude de réécrire.
Pour Yasmina, je n’ai pas écrit de script. Tout est venu en dessinant. Je voulais échapper au texte, éviter le décalage entre le dessin et ce qui est écrit. Pour ce faire, j’ai travaillé au format A5, synthétisant quatre planches sur une feuille. C’était très petit, presque illisible. Ça donnait des petits bonshommes avec du texte tournant autour.
© Wauter Mannaert
Il y a eu beaucoup de changements ?
Non, je suis resté proche de cet effet surprenant. Bon, il y a bien quelques scènes que j’ai retravaillées.
Pour la première fois également, vous signez les couleurs.
C’était un challenge. Et c’est mieux comme ça. Une vraie bataille que je suis content d’avoir engagée. Il y a eu des tests de coloristes mais mon dessin était tellement personnel que ça ne fonctionnait pas. Mon dessin n’est pas fermé, il n’y a pas de case. C’était trop libre pour beaucoup de coloristes. Puis, la couleur fait partie du dessin, je restais dans l’énergie.
© Wauter Mannaert chez Dargaud
Rentrons dans l’histoire. Et une question qu’on ne peut s’empêcher de se poser. Sont-ce les savants qui sont fous… ou le monde qui nous entoure et ses foules ?
C’est un dilemme.
Le savant n’est pas tellement fou, d’ailleurs. Amaryllis pense faire le bien mais son invention est récupérée.
Il était important que le grand méchant soit un ultra-capitaliste, en tout cas. Mais je devais rester nuancé. Poser la question du choix. Nous serons bientôt dix milliards sur Terre, autant à nourrir. Comment va-t-on faire ? Quelle technologie va bien pouvoir nous aider. Amaryllis a bien une idée mais elle lui échappe. La patate OGM, ce n’est pas de sa faute, et ça tourne à la catastrophe.
© Wauter Mannaert
Ça part de bonnes intentions qui font du mal. À l’instar de Zorglub. C’est le méchant le plus vu dans les albums de Spirou et Fantasio et pourtant, c’est surtout un rêveur, doublé d’un gaffeur.
Beaucoup de méchants ont des animaux. Ils sont présents, eux aussi, bien malgré eux.
Chut, il ne faut pas trop en dire. Il me fallait un ingrédient secret. J’étais parti sur un champignon, comme Franquin. J’ai changé ensuite. Je voulais témoigner du fait qu’on mange mais qu’en fait, on ne sait pas exactement ce qui se retrouve dans nos assiettes.
© Wauter Mannaert
Tom de Perre, c’est votre grand méchant. Vous vous êtes inspiré de quelqu’un en particulier ?
Je me suis surtout inspiré de mon environnement direct, de la petite épicerie de ma rue, de la réserve naturelle de Schaerbeek avec les jardins partagés. Marco, c’est un de mes scénaristes, Mark Bellido. C’est important pour moi de m’inspirer de quelque chose qui existe, qui est habité !
Pour Tom de Perre, non. Il a une tête de patate. Pour les autres personnages, il y a des références à des héros de mon enfance, de Franquin, notamment. Mais aussi de Roald Dahl. Mathilda, par exemple. J’ai toujours aimé Gaston Lagaffe, son côté écolo, anti-establishment. Je les ai lus et relus, ça a laissé des traves. Je voulais faire un hommage sans trop de références, non plus. Et garder le mélange de magie. Comme Dahl l’a fait, avec un élément magique qui est souvent une plante. Dans beaucoup de récits, d’ailleurs, regardez Blanche-Neige. La nourriture est métaphorique.
© Wauter Mannaert
À force d’avoir tout à portée de main, a-t-on perdu la magie de l’alimentation ?
Pas tellement. Il y a un retour à ça. Partout autour de moi, en ville, des gens plantent des tomates, entretiennent leur jardin, font des potagers sur leurs terrasses. Bon, j’ai essayé de planter des tomates, il faut du temps et beaucoup d’eau pour très peu de résultats, au début. Mais il y a un renouveau, une redécouverte.
Et vous, d’ailleurs, vous avez changé votre comportement ?
Dès 2010, j’ai changé mes habitudes, je suis devenu végétarien. Je mange local et de saison. Je fais de mon mieux.
© Wauter Mannaert chez Dargaud
Ça m’est venu après un concert de Matthew Herbert, un artiste anglais qui a sorti Plat du jour et One Pig, deux cd’s à l’occasion desquels j’ai vu le chanteur en live. C’était drôle et politique. Poétique aussi. Il faisait des sons avec des ingrédients, en tapant des carottes sur un melon, par exemple. Il racontait la vie d’un cochon d’élevage. Neuf mois avant qu’on les mange. C’était encore plus choquant quand il a fini sur scène en cuisinant des lardons. Ça m’a fait réfléchir.
Yasmina pourrait-elle connaître d’autres aventures ?
Il y a beaucoup à découvrir, c’est un fait, et plein de mystères entourant les personnages. Oui, je pourrais trouver d’autres histoires assimilant d’autres sujets de société. On verra.
En tout cas, sur vos pages montrant votre travail, il y a des illustrations inédites.
Notamment pour une recette illustrée dans un magazine. Il y a la possibilité de s’en servir pour des livres de jardinage. En faisant cet album, j’ai collectionné des bouquins, sur les herbes sauvages, les jardins sur les toits… Je pense qu’il faut voir au-delà de la BD. Les héros peuvent être réutilisés quand bien même il n’y aurait pas de suite.
© Wauter Mannaert chez Dargaud
Un ami est en train de créer un jardin de permaculture, il m’a d’ores et déjà demandé qu’on fasse un décorum avec l’univers de Yasmina. Tant mieux, s’il y a moyen de s’ouvrir à un autre public, pas nécessairement lecteur de bandes dessinées.
Dargaud a mis la machine en route. Vous êtes soutenu !
C’est chouette pour un auteur de voir autant d’investissement. l’équipe était super-enthousiaste, ce qui nourrit beaucoup de possibilités.
Un autre projet en attendant une éventuelle suite ?
Je travaille sur l’écologie, le climat, la nourriture, une histoire humoristique. Rien n’est signé. Mais j’aime bien être inspiré de ce qui m’entoure. J’ai besoin de parler de ça, d’en faire quelque chose. Sinon, je dors mal le soir.
Merci beaucoup Wauter et longue vie à Yasmina.
© Elodie Deceuninck
Propos recueillis par Alexis Seny
Titre : Yasmina et les mangeurs de patates
Récit complet
Scénario, dessin et couleurs : Wauter Mannaert
Genre: Aventure, Humour, Société
Éditeur: Dargaud
Nbre de pages: 144
Prix: 16,50€
« C’est un roc !… C’est un pic !… C’est un cap !… Que dis–je, c’est un cap ?… C’est une péninsule! » C’est surtout un fameux bouquin qui fait de la BD en théâtre et du théâtre en BD que nous a livré Léonard Chemineau en adaptant la pièce d’Alexis Michalik, Edmond. Comme Rostand, le papa de Bergerac. Ou son inspirateur lui-même inspiré et pris à la gorge par des délais intenables et un petit mensonge qui allaient le mener à se faire un nom, en lettres de noblesse théâtrale. Car, parfois, la réalité qui se cache au-delà du rideau est encore plus incroyable et réjouissante que ce qu’il se trame sur les planches. Interview avec cet auteur, passé de l’ombre à la lumière, des coulisses à l’idée lumineuse. Interview avec Léonard qui a trouvé les tons, les décors et l’énergie pour animer cette aventure humaine et traghilarante. Avec du souffle, du panache et du nez pour marquer 2018.
© Chemineau
Bonjour Léonard, avec Edmond, vous adaptez non pas la pièce Cyrano de Bergerac mais celle d’Alexis Michalik qui se promenait dans les coulisses incroyables de la création de cette pièce majeure. Mais, vous, connaissiez-vous Cyrano ?
De vue. J’étais novice, en fait. Je n’avais jamais la pièce, ni le film. J’étais, du coup, super-content de la découvrir. Encore plus dans ce qu’elle a de récit fondateur et matriciel, comme L’Avare ou Roméo et Juliette. La problématique est humaine et Edmond me permettait de remonter à la source.
Mon éditeur a joué finement le coup en me disant d’aller voir la pièce avant de me proposer le projet. Je me suis demandé si j’étais bien l’auteur qui convenait. Mais j’ai énormément aimé la pièce de Michalik qui véhiculait la même sensation que celle que j’éprouvais : découvrir une histoire qu’on ne connaissait pas.
Vous l’avez vue, vous, cette pièce ?
Non, malheureusement.
Jusqu’ici, elle n’a pas été montée en Belgique. Mais c’est peut-être pas plus mal, du coup, votre regard posé sur la BD est donc neuf. Je me suis efforcé de réfréner ce que j’avais fait sur les albums précédents, qui baignaient dans un ton plus dramatique ou mystérieux. Avec Edmond, je devais tendre vers l’humoristique, dessiner des gueules.
Il est plus facile de faire pleurer que faire rire, c’est aussi vrai en BD ?
C’est évident. Dans une pièce, tout s’enchaîne, tout est très travaillé. Pour construire cette BD, je devais décortiquer les fils narratifs de cette histoire tragicomique, ma toute première distillant un peu d’humour noir. Mais c’est une histoire positive.
© Chemineau
© Chemineau chez Rue de Sèvres
Vous avez vu Cyrano, depuis ?
Non, toujours pas. Mais je crois qu’Edmond est beaucoup plus joyeux encore que la pièce qu’il a écrite. Plus chevaleresque même, bouffé par la grandeur, le panache, sa fidélité de parole.
Il y a des BD qui font du théâtre (on l’a encore vu récemment avec Le petit théâtre de Spirou). Deux arts faits pour s’entendre ?
En tout cas, Michalik est derrière cette BD, la même personne, les mêmes ressorts. Et ça fonctionne très bien. Alexis a une écriture très cinématographique, qui virevolte, proche finalement des mécanismes des séries avec des personnages qui ne s’arrêtent jamais, qui continuent d’évoluer, d’être virevoltant. Ça fonctionne très bien.
© Chemineau chez Rue de Sèvres
Un film sortira d’ailleurs le 9 janvier.
Vous n’aviez pas vu les précédentes versions de Cyrano, ça vous a donné quartier libre au niveau du casting de votre album ?
Je me suis affranchi des personnages. J’ai été très livre avec un casting comme je le voulais. Pour certains personnages de Cyrano, je suis reparti des grands acteurs qui les ont incarnés. Comme Constant Coquelin. Pour d’autres, j’ai laissé libre cours à mon imagination tout en veillant à bien les marquer. Beaucoup interviennent rapidement, je ne pouvais pas prendre le risque de la confusion. Comme les deux personnages féminins, Rose et Jeanne, une blonde et une brune, pour les distinguer directement.
© Chemineau
Il fallait rester dans l’énergie, dans le mouvement, pourtant, non ?
Dans un théâtre, le spectateur est enfermé dans une salle, contraint par l’espace en quelque sorte. Les personnages parlent les uns avec les autres, ce qui pourrait être d’un mortel ennui en BD. Au théâtre, le fil se déroule sans effort pour le faire avancer. Mais En BD, c’est un effort permanent, qui pourrait être fastidieux, le regard pourrait se décrocher. Il faut donc mettre les moyens et les efforts pour atteindre une narration fluide. J’y ai mis un an, voire un an et demi, et j’ai notamment poussé mon storyboard au maximum, c’était presque un crayonné. Pour être précis. Je me suis beaucoup relu, également.
© Chemineau chez Rue de Sèvres
Les personnages se devaient de bouger en permanence. C’est quelque chose que j’ai appris de Spielberg et Zemeckis dans un entretien que j’avais lu revenant sur le tournage de Retour vers le futur. Vous vous souvenez de cette scène où Doc et Marty sont arrêtés sur le bord d’une route, sans décor. Commence alors une longue discussion. Un dialogue nécessairement long pour que le spectateur comprenne bien ce qu’il se passe. Les personnages auraient pu rester statiques mais, non, Marty court d’un bout à l’autre, fait des allers-retours. Il n’y a aucune raison qu’il coure et pourtant ça maintient le stress du spectateur, la scène reste complètement dynamique. Je n’avais jamais pensé à ça.
© Chemineau chez Rue de Sèvres
Au niveau des cadres, des décors, des vêtements, cette BD devait être beaucoup plus variée et touffue. Parce que là où les personnages restent au théâtre dans le même apparat; ici, ils pouvaient sortir.
C’était l’intérêt de les faire sortir de cette scène carrée sur laquelle la lumière n’est pas réaliste. En BD, je pouvais embaucher autant de figurants que je voulais, faire passer des fiacres et des voitures à cheval. Ce fut un gros boulot de recherche, heureusement aidé par le fait qu’il y a beaucoup de documentation sur cette époque pas si éloignée, beaucoup de sources disponibles et notamment sur la pièce en elle-même. Ce qui me permettait une mise en abîme. J’ai ainsi mis la main sur une chronique de la première. Il n’y avait pas de photos à l’époque, du coup, le dessin l’illustrait déjà, avec une caricature. Pas mal de choses racontées par Alexis Michalik sont réelles forcément, comme Sarah Bernhardt, soutien inconditionnel d’Edmond, qui a précipité son spectacle, le soir de la première, pour arriver à la moitié de la pièce.
© Chemineau
Au niveau de la mise en scène de l’album, au début et à la fin, aux extrémités de l’histoire, les équipes marketing ont créé un beau décorum, avec la quatrième de couverture. Pour nous plonger dans cette ambiance de début de siècle.
© Chemineau chez Rue de Sèvres
La typographie change aussi en fonction des intervenants.
C’est la difficulté, trouver un moyen de retranscrire la modulation de la voix, les intonations que permet le théâtre. Car, je ne vous apprends rien, on n’a pas le son en BD. Il me fallait un moyen de compréhension. La typo reliée permettait d’illustrer la fioriture des textes de théâtre, tandis que la typographie normale illustre les dialogues de BD comme on en a l’habitude.
Reste qu’il fallait trouver une façon de faire mal jouer Jean Coquelin (ndlr. le fils de Constant, celui-ci ayant obligé Edmond à trouver un beau rôle pour son fils). Du coup, j’ai déformé la typographie, j’ai volontairement mal écrit, de façon à ce qu’on comprenne mal ce qu’il dit. J’ai fait ça à la main, comme j’aime le faire, pour que le texte suive le dessin, devienne du dessin.
© Chemineau
Vous-même, vous avez fait du théâtre ?
Du théâtre grec lors de mes études de dessin. Mais, il y a deux ans, je ne m’en souvenais pas, je n’y ai pas tellement pensé en réalisant Edmond. Peut-être mon inconscient ? Notamment, sur le début de la pièce, avec cette impression d’arriver sur scène dans le silence pour déclamer un texte que normalement on connaît alors que la salle toute noire pourrait nous faire perdre nos moyens.
© Chemineau chez Rue de Sèvres
Pour créer les personnages de mes albums, je ne joue que rarement devant le miroir, comme certains le font, mais je joue sur les expressions, de manière à devenir la chose que je suis en train de dessiner. Les expressions n’en sont que plus réalistes, je trouve. Puis, il y a le jeu des corps par rapport aux autres corps. Le dos fier ou le dos voûté, ça ne veut pas dire la même chose et le personnage s’en déplacera différemment. J’imagine ainsi me faufiler dans des endroits, je fais des essais, je positionne les membres par rapport aux autres, étudie les possibilités d’interactions.
Vous avez visité un théâtre, aussi ?
Oui, le théâtre où Cyrano a été joué pour la première fois. Une source documentaire super-importante. Il me fallait capter l’envers du décor pour réaliser cet album. Entre la salle allumée qui s’éteint et les loges, le décor, le timing pour que tout prenne place. Comment ressent-on la vie de derrière ?
© Chemineau
Un de vos personnages dit d’ailleurs: « Mais il est un endroit, un seul, où nous sommes tous côte à côte dans l’ombre… c’est au théâtre. »
Du côté de la salle, il y a pas mal de communion, on est tous assis sans faire de bruit, coincés. De l’autre côté, c’est l’inverse, les pas sont feutrés, mais il y a de la lumière, des acteurs volubiles, un espace plus ouvert. Une certaine euphorie.
Autre passage et deux citations qui fusent dans la bouche des personnages : « Quand Molière vivait, les comédiens étaient enterrés hors des cimetières. Vous êtes en marge de cette société bourgeoise. Vous êtes des artistes, des hors-la-loi. » et « … Mais ce soir, on ne nous oubliera pas. Pour nous autres, acteurs, demain n’existe pas. Nous sommes des artisans de l’éphémère, mon coq. Allons leur montre notre art. »
Ce qu’amène Alexis Michalik, c’est une réflexion profonde sur ce que sont jouer et créer. Et du côté des acteurs, force est de constater qu’on se rappelle très peu d’eux quand les années sont passées. Comme si la lumière était tellement forte, qu’elle nous aveuglait et nous faisait oublier. Coquelin, c’était le Depardieu de l’époque, riche, imposant. Il produisait ses spectacles, possédait un théâtre. Il a oeuvré aussi pour son art et ses pairs en créant des maisons de retraite pour acteurs. Pourtant, il y en a peu pour s’en rappeler, aujourd’hui. Les artistes et les oeuvres n’ont pas le même genre de postérité. Au-delà de l’homme, les récits sont éternels. Et Cyrano récupère des mythes fondateurs qui perdurent constamment, des problématiques fondatrices.
© Chemineau chez Rue de Sèvres
Avec sa pièce et désormais la BD, Michalik montre la création bordélique et accidentelle de cette oeuvre, des circonstances durant lesquelles Edmond Rostand a puisé dans tout son inconscient, qui a rejailli sans faire exprès.
Et, finalement, on a parfois présagé la mort du théâtre face au cinéma, là où d’autres arts se sont affaiblis, le théâtre est resté fier et fort.
Le théâtre, la BD ne mourront jamais, je pense. Quoi qu’on veuille, les histoires sont vitales pour les gens. Le théâtre, c’est un lien impossible qui se crée entre des gens qui sont devant d’autres gens. Le symbole reste, les supports changent depuis l’éternité. À un moment, peut-être qu’on ne sera plus que dans le numérique, mais ça va s’enrichir. On raconte, on écrit, on fixe dans le temps, on divertit. Déjà du temps de l’homme préhistorique. Les modes changent, mais le fondamental reste.
© Chemineau
Il est aussi question de l’importance d’avoir une muse.
J’en ai une ! Ma femme. Mais je ne vous dirai pas ce qu’elle m’a inspiré. Mais elle le sait. Je pense que pour créer, il faut vivre, que si on reste enfermé, on ne peut pas créer le lien. Il faut trouver sa muse et ce qui nous passionne, en permanence, connaître les personnes qui nous entourent. Ça aide à créer plus riche. Cyrano, c’est l’extérieur qui vient le créer, la richesse de la vie.
La suite, pour vous, c’est quoi ?
J’ai signé pour un album avec Lupano chez Dargaud. On partira dans l’Espagne musulmane de l’an mil. Une histoire sur l’amour du livre et la transmission des savoirs.
Propos recueillis par Alexis Seny
Titre : Edmond
Récit complet
D’après la pièce de théâtre d’Alexis Michalik
Scénario, dessin et couleurs : Léonard Chemineau
Genre : Biographie, Comédie dramatique, Théâtre
Éditeur : Rue de Sèvres
Nbre de pages : 120
Prix : 18€
Qui n’a jamais vu/lu une blague de l’ami, Dany ? En album, au détour d’une discussion ou de manière pirate sur les réseaux sociaux, les égéries de l’auteur pas que coquin ont vu du pays et en ont fait voir de belles aux hommes pas toujours à leur avantage dans les histoires racontées par l’auteur liernusien et sa bande. Une sorte d’inventaire mis en petites tenues sexy et qui s’offre un relifting dans une réédition et révision suite au rachat des Éditions Joker par les Éditions Kennes. Interview.
© Dany chez Kennes
Nouvelle couverture pour une série culte depuis un bon moment. Culte… et osée. Trop que pour reparaître à l’identique en 2018 ?
Dany : En effet, on a dépoussiéré et remaquetté ces albums parus entre 1990 et 2010. Mais, force est de constater que, à l’époque, on était beaucoup plus libre. Certes, le politiquement correct a sa raison d’être. Dans des cas comme Weinstein ou tous ces autres salopards qui ont profité un jour ou l’autre de leur position. Mais il y a eu des excès. Balance ton porc… à tort et à travers. C’est ainsi que ce politiquement correct est devenu une nouvelle censure mise en application par un petit nombre dont la virulence sur les réseaux sociaux, notamment, une vision particulière de certaines choses. Tout le monde panique et se demande ce qu’il peut encore exprimer… ou pas.
Et forcément, mes albums sont dans le viseur de certains. Des albums de culs ? Non, de gags !!! C’est fait pour rigoler, pas pour lire d’une seule main. Bon, je reconnais qu’avant, je jouais plus sur un côté aguicheur, en couverture des « Ça vous intéresse ? ». Cette fois, sur les nouvelles couvertures, j’ai voulu accentuer le côté gag plus que le côté sexy.
© Dany chez Kennes
Mais il ne faut pas se tromper de combat. Vous n’imaginez pas le nombre de femmes qui viennent à mes séances de dédicaces. Pourtant, on pourrait croire que mon public est masculin. Mais non, pas que, loin de là. D’ailleurs, comme je vous l’ai déjà dit, dans mes gags, les femmes s’en sortent souvent beaucoup mieux que les hommes qui sont tournés en ridicule.
Reste qu’il faut rester vigilant à ce qu’on dit désormais. J’ai tendance à penser qu’on cherche à éliminer les humoristes anticonformistes. Je ne pense pas qu’un Desproges pourrait faire carrière de nos jours. Pour un mot de travers, ou compris de travers, on risque d’avoir dans la minute toute une série d’associations sur le dos. J’ai une anecdote incroyable à ce propos. Un gag refusé par Amnesty qui avait commandé à divers dessinateurs une planche sur le thème de la violence faite aux femmes. On est d’accord, c’est un sujet pas évident, dramatique et à condamner, mais j’avais pris le parti d’en rire, avec une blague de Tibet.
Ce n’est pas très malin, mais ça me faisait beaucoup rire. D’autant que le benêt dans l’histoire, c’est le mari ! Mais les choses se sont bousculées et l’attachée de presse a prévenu les médias. Qui n’ont pas attendu pour se bousculer sur le pas de ma porte. RTL, la RTBF, France 3. Je n’ai jamais eu autant de journalistes à la maison. D’autant plus qu’à l’époque, il y avait encore des preneurs de son, plein de câbles partout. L’un repartait que l’autre arrivait et on recommençait à déplacer les meubles. La folie pour une planche finalement incomprise.
Du coup, à quoi avez-vous veillé avec cette nouvelle sélection ?
J’ai remis à mon éditeur une liste des gags qu’il pouvait utiliser. J’ai porté principalement mon attention sur les gags pouvant avoir une connotation raciste, xénophobe… On se permettait beaucoup de choses à l’époque, tout le monde pouvait en prendre pour son grade. Après, peut-être, a-t-on aussi fait du mal ? Je ne sais pas.
© Dany chez Kennes
J’ai aussi écarté les gags où le sexe était peut-être trop explicite. Notez que des BD’s porno, il y en a, de qualités diverses, souvent moches et pas intéressants. Puis, on n’est jamais que le porno de quelqu’un d’autre. Il y aura toujours des gens que tout choque et qui profitent de la moindre occasion pour vous chercher des noises.
J’ai parmi mes amis, des humoristes. Les Taloche qui ne feraient pas de mal à une mouche. Mais aussi Laurent Gerra. Il me disait un jour: « Moi, je m’en fous, je dis tout, sans limite ». C’était faux, au fil de nos discussions, on s’était aperçu qu’il y avait certains sujets qu’il ne risquait pas d’aborder. On se prend si facilement des procès, désormais. Heureusement, il y a Ferrari. C’est étonnant d’ailleurs qu’on ne cherche pas à l’attaquer.
Certains s’excusent, aussi, après coup.
C’est la grande mode du « désolé si j’ai pu blesser ». Mais, finalement, est-ce que le fait de s’interdire de parler de telle ou telle population ne reviendrait pas à les mettre à l’écart, à les exclure. N’est-il pas là le danger ? Aujourd’hui, la règle est qu’on ne peut pas faire de blagues sur les Juifs sauf si on l’est soi-même. Et, pourtant, ils en ont des très bonnes, trash aussi !
Dans un autre extrême, c’est clair, il y a ceux qui se servent de leur métier pour partir en guerre. Mais quand on vire un présentateur pour une blague, je me demande : « Où va-t-on? »
© Dany chez Kennes
Comment contrecarrer la censure, du coup ?
Oh, vous savez, elle le fait elle-même. Elle a ses effets pervers. Quand j’étais gamin, la censure catholique s’appliquait notamment au cinéma. Avec une classification : Pour tous/ Déconseillé aux enfants/ À proscrire. La liste était bien visible sur les portes de l’église. Croyez-moi bien que la publicité fonctionnait à l’envers et que, forcément, les films des deux dernières catégories nous intéressaient bien plus, mes copains et moi.
© Dany chez Kennes
Vous pourriez aussi en quelque sorte pratiquer une certaine censure quand on voit le nombre de vos dessins et gags qui circulent sur les réseaux sociaux et internet, en général.
Je n’ai jamais pu contrôler ça. Oh, ce n’est pas que j’y vois des sous que je pourrais y récupérer. Mais j’apprécierais que ma signature figure au moins en dessous de ces planches partagées et repartagées. Or, elle est souvent bannie par un malicieux jeu de recadrage. À un moment, des connaissances qui apparemment ne connaissaient pas vraiment mon style m’envoyaient des idées de gag. « Regarde, tu pourrais en faire une histoire. » Sauf qu’ils avaient dégoté mes propres gags ! C’est dommage de ne pas pouvoir obliger à citer la source, l’auteur. C’est incroyable quelle proportion peut prendre un dessin piqué sur le web. Après, dans le meilleur des cas, certains m’envoient un message : « On a adoré ton gag. »
© Dany chez Kennes
Autre problème du web, les fausses-dédicaces. Mais aussi les vraies dédicaces vendues cher et vilain quelques heures seulement après une séance.
Ça m’est beaucoup arrivé. Dans le deuxième cas, ça a pris une proportion telle que certains auteurs refusent désormais de faire des dédicaces. Ou de se faire payer. Marini le fait et, bien sûr, tout le monde se précipite. Mais un auteur inconnu ou méconnu, qui n’a qu’un seul album à son actif ? Je trouve que l’idée du cadeau offert est jolie et j’y tiens.
Puis, il y a les faussaires. Et j’y ai aussi été confronté récemment. Un ami, fan absolu de ce que je fais, m’a un jour envoyé une photo prise quelques heures plus tôt, lors d’un marché dominical. Une photo d’une dédicace qu’un marchand vendait. « C’est bien de toi ? » C’était tellement bien fait que je n’ai pas douté, au début. Puis, j’ai été plus attentif. Les couleurs n’étaient pas celles que j’utilisais en dédicaces, notamment. On s’est arrangé pour prévenir le marchand de sa contrefaçon. Mais, il n’était pas le dessinateur, il refourguait seulement. Le pire, c’est que je suis sûr que le faussaire est un bon dessinateur. C’est ça le plus gênant. Pour le reste, c’est vrai qu’une dédicace, c’est beaucoup plus facile à imiter que si on doit reproduire une planche. D’ailleurs, comme on va vite, il se peut qu’on rate parfois un dessin en dédicaces. Mais, ça reste un business juteux.
Pour contrer ce phénomène, j’ai pris l’habitude de signer mais aussi dater mes dédicaces. J’ai rajouté une sécurité supplémentaire. J’ai dégoté un tampon en Corée avec la traduction de mon nom en coréen. Du coup, je tamponne, une fois le dessin terminé. Une manière d’authentifier tout en apportant une touche exotique.
Propos recueuillis par Alexis Seny
Série : Les blagues de Dany
Réédition – nouvelle mouture
Tome : 1 – Ne pas toucher
Scénario : Collectif
Dessin et couleurs : Dany
Genre: Érotisme, Humour
Éditeur: Kennes
Collection : Joker
Nbre de pages: 48
Prix: 12,90€
Experts, galeristes, commissaires d’exposition, Alain Huberty et Marc Breyne sont les pionniers de la première heure du marché des orignaux de Bande Dessinée. Depuis les années 80, ces deux passionnés ont contribué à la reconnaissance et au rayonnement de cette discipline comme un art à part entière. Au fil du temps, ils ont insufflé une vraie vitalité au marché des planches originales, alors que celui-ci n’en était qu’à ses balbutiements. Longtemps qualifié de mineur et populaire, la bande dessinée a acquis en trois décennies ses lettres de noblesse. Des galeries aux salles de vente en passant par les institutions culturelles, les « Petits Mickey » sont aujourd’hui des stars convoitées.
A l’occasion de l’inauguration de leur nouvel espace Place du Châtelain à Bruxelles, Alain Huberty et Marc Breyne reviennent sur leur parcours et l’évolution du marché dans un entretien croisé :
Alain, Marc comment est née votre association ?
Marc Breyne : J’ai ouvert ma première libraire spécialisée en bande dessinée à Bruxelles en 1983, à l’âge de 22 ans. J’y vendais des albums, des objets et quelques planches. A l’époque il n’y avait pas de galeries où acheter des originaux de bande dessinée. Ce marché n’existait pas. L’intérêt pour cette discipline se limitait à un cercle restreint d’initiés. Un jour Alain Huberty passe la porte de ma boutique, à la recherche de planches de Gaston Lagaffe. Je ne possédais alors pas d’originaux de Gaston.
Alain Huberty : J’étais vraiment décidé à faire l’acquisition d’une planche de Gaston. J’avais rassemblé toutes mes économies soit à l’époque 2 000 Francs belge. Marc n’avait pas de planche de Gaston mais je connaissais quelqu’un qui en vendait deux. Je n’avais pas la somme pour l’ensemble alors j’ai convaincu Marc d’acheter la seconde puis de la revendre. Avec le bénéfice, nous avons investi dans d’autres originaux. C’est comme ça que tout a commencé, un jour de 1988.
D’abord collectionneurs avant de devenir galeristes, comment avez vous fait de votre passion votre profession ?
Alain Huberty : A l’époque j’étais professeur de mathématiques. Je passais tout mon temps libre entre la galerie de Marc et les routes, à la recherche de planches originales. Notre passion nous a conduit à frapper aux portes des plus grands auteurs. A cette époque, tout était disponible et à des prix beaucoup plus accessibles qu’aujourd’hui. On ne cherchait pas à vivre de la revente mais simplement à financer notre collection.
Marc Breyne : J’ai commencé à collectionner des éditions originales quand j’avais 12/13ans puis un peu plus tard les planches. Mon premier dessin était une planche de Felix par TILLEUX vendu 1000 francs belge, soit 25€. A l’époque je n’avais vraiment pas d’argent.
Une fois acheté on m’a proposé de me racheter ce dessin 4 fois son prix. A partir de ce jour, je me suis dit que je pouvais à la fois acheter, vendre et collectionner.
Comment et pourquoi avoir créé votre première galerie ?
Marc Breyne : J’ai organisé ma première exposition en 1987, dans ma boutique, avec des planches d’OUSMAN, HERMANN ou encore TIBET. A l’époque c’était vraiment un marché confidentiel et d’initiés. A peine une petite dizaine de collectionneurs s’y intéressait.
Alain Huberty : La demande tendant à se développer, parallèlement à la librairie de Marc baptisée Petits Papiers, nous avons ouvert une galerie éponyme sur le Boulevard Lemonnier. Un lieu entièrement dédié aux Arts de la bande Dessinée.
Pourquoi avoir choisi d’ouvrir une antenne à Paris?
H&B : L’accueil du public à l’ouverture de notre première galerie à Bruxelles a été un succès ! Ce lieu répondait à une demande qui n’existait pas jusqu’alors que ce soit à Bruxelles ou à Paris.
Aujourd’hui on dénombre beaucoup de galeries d’originaux mais à l’époque c’était une initiative marginale. La bande dessinée n’était absolument par reconnue comme de l’art. Paris étant une place incontournable, il nous paraissait indispensable de pouvoir présenter le travail des artistes avec qui nous collaborions aux collectionneurs parisiens mais également aux étrangers présents à Paris. Nous avons donc décidé d’ouvrir une galerie, rue Saint Honoré en 2009, nous permettant d’exposer à la fois auteurs classiques, jeunes dessinateurs et artistes issus de la Bande dessinée.
En 2012, vous rejoignez le Sablon à Bruxelles, pourquoi ce choix ?
H&B : Face au succès grandissant nous avons fait le pari d’ouvrir un nouvel espace dans le quartier des antiquaires du Sablon pour s’inscrire dans le parcours de galeries et être plus proche des collectionneurs et des amateurs d’art.
Quelles étaient alors vos intentions ?
H&B : En choisissant de nous implanter au Sablon, notre intention était de décloisonner les genres tout en inscrivant la Bande Dessinée comme discipline artistique à part entière, au même titre que la peinture, la sculpture ou encore la photographie. Avec ce nouvel espace de 300 m2 nous souhaitions ouvrir le dialogue entre la Bande Dessinée et la création contemporaine en organisant des expositions croisées Philippe Druillet / Hervé di Rosa – Peter Klasen / Alex Varenne – Ricardo Mosner / Kiloffer – Claude Viallat / François Avril. La même année, nous inaugurions, au couvent des Cordeliers à Paris, l’exposition « Quelques instants plus tard… ». Un projet qui rassemblait des œuvres inédites réalisées à 4 mains par 40 auteurs mythiques de Bande Dessinée et 40 figures majeurs de l’art contemporain.
Quelles ont été les réactions des auteurs de Bande Dessinée lorsque vous avez ouvert au Sablon ?
H&B : Ils étaient très enthousiastes ! Nous étions les premiers à leur proposer un espace d’exposition de 300m2 consacré non pas uniquement à l’exposition de planches originales mais également destiné à accueillir des recherches plus personnelles. Libérés de la contrainte de la case ils pouvaient s’exprimer sur des grands formats, initier des collaborations et envisager des projets artistiques ambitieux en marge de ce qu’offre le monde de l’édition.
Quel fut l’accueil du monde de l’art contemporain ?
H&B : Les artistes d’art contemporains ont également été sensibles à nos propositions. La bande dessinée exerce un pouvoir évocateur qui a nourri l’œuvre de beaucoup d’entre eux. L’univers des collectionneurs quant à lui était plus retissant à cette nouvelle approche. Nous avons observé que les collectionneurs de bande dessinée s’intéressaient à la création contemporaine, là où les collectionneurs d’art contemporain été plus réfractaires. Cependant les lignes sont progressivement en train de bouger.
Pour quelles raisons participez-vous à des foires d’art ?
H&B : En tant que galeristes notre rôle est de soutenir nos artistes en présentant leurs travaux au delà des murs de nos galeries. Des foires comme la Brafa, Art Paris Art Fair ou encore Drawing Now sont pour nous des opportunités de continuer à éveiller de nouvelles sensibilités de collections et d’œuvrer sans relâche à la reconnaissance de la Bande Dessinée comme discipline artistique à part entière.
Vous exercez également en temps qu’experts auprès de maisons de vente aux enchères, comment avez-vous débuté ?
H&B : Nous étions pionniers dans le marché des originaux alors que la spéculation ne s’y intéressait pas encore. Il faut attendre le record en vente publique de la double planche du Sceptre d’Ottokar d’Hergé en 1999 pour voir l’intérêt des maisons de ventes se manifester, booster par hausse des prix de +61% entre 99 et 2001. Dans un tel contexte, les maisons de vente recherchaient des experts, et nous étions très peu à l’époque, capables de répondre à cette nouvelle demande du marché en réalisant des ventes de qualité. Nous avons débuté en 2009 avec la Maison de ventes MILLON. Depuis nous organisons chaque année des ventes courantes et des ventes de prestiges.
Comment analysez-vous ce marché ?
Aujourd’hui, l’engouement pour la bande dessinée est des plus forts, les prix progressent encore mais on sent une régulation du marché. Celui-ci suit la même évolution que la photographie : d’abord une acceptation en tant qu’art ; ensuite une période où tout se vend à des prix déraisonnables et enfin, un marché qui se structure autour des vraies valeurs artistiques. Aujourd’hui les prix les plus élevés concernent les dessinateurs aux réputations bien assises. Les images les plus courues et les plus chères sont celles des grands classiques : HERGÉ, André FRANQUIN, Albert UDERZO, Enki BILAL, MOEBIUS, Milo MANARA, Marcel GOTLIB...
L’ouverture de cet espace, place du Châtelain, marque une nouvelle étape dans votre évolution ? Qu’est ce que cela représente pour vous ?
H&B : L’ouverture de cet espace est l’aboutissement d’une démarche entreprise il y a plus de 30 ans, celle de contribuer au rayonnement de l’art de la Bande Dessinée. Dans cette continuité, il nous semblait important de créer un lieu d’échanges et de rencontres entres les auteurs, les artistes, les collectionneurs, les éditeurs mais aussi les amateurs. Nous avions envie de rejoindre un quartier plus dynamique. Ixelles aujourd’hui est le centre de la vie culturelle de bruxelloise où se pressent étudiants, artistes et intellectuels. Un univers cohérent avec les nouveaux projets que nous souhaitons développer : lancements d’albums, résidence d’artistes, performances ou ventes aux enchères.
Vous conservez néanmoins une présence Place du Sablon?
Oui en effet nous conservons notre « Shop » qui fait face à la galerie Tintin. Cette vitrine sera consacrée aux œuvres sérielles et objets dérivés de bande dessinée.
©BD-Best v3.5 / 2024 |