Hommage Collateral est, comme son titre l'indique déjà, un recueil d'hommages, de parodies et de pastiches réalisé avec un profond respect des personnages originaux Natacha et Rubine. Voici donc la deuxième partie de l'interview consacrée à François Walthery s'attardant quelques-peu sur le sujet.
Bonjour François, Natacha est revenue avec brio, prouvant à quel point les lecteurs aiment toujours autant ce personnage. Tellement qu'on retrouve votre hôtesse de l'air dans beaucoup d'objets dérivés mais aussi des parodies. Aujourd'hui, c'est à travers des fausses-couvertures que vos complices Gilson et Dragan de Lazare repoussent les frontières de genres. Pour emmener Natacha dans diverses aventures qu'elle n'a jamais connue.
C’est exact. Mais ils sont plusieurs. Il y a aussi Daniel Kox et Louis-Michel Carpentier. Le projet a été initié par Dragan de Lazare. J'en ai vu quelques-unes qui m'ont fait beaucoup rire. Le projet est le leur. Il s'agit de parodies et hommages, c'est bien marqué. L'album doit sortir fin mars.
Et puis, des dessins à deux pour rigoler, on en fait toujours. Et pour tout dire, ma collaboration à cet album est très minime, deux ou trois dessins. Dont cette image de Natacha derrière un canon sur un sous-marin. Ils me l'ont subtilisée, celle-là (rires). Pour le reste, je les laisse faire, ils sont plutôt doués. Mais il est important, aux yeux de la loi, que cet album soit bien authentifié comme parodie, comme hommage. J'ai vu quelques-uns de leurs dessins, c'est bien fait, c'est comique. Il ne faut pas jouer en eaux troubles, il faut que l'aspect hommage ou parodie se distingue bien des albums originaux.
Rubine © De Lazare (extrait de l'album Hommage Collateral)
Ça doit faire plaisir d'être parodié de la sorte ?
C’est souriant, c'est marrant. Ils ne sont pas tombés dans le vulgaire.
Aucun doute à avoir ici. Il-y-a-t-il pour autant des limites que vous mettez ?
La parodie, c'est une bonne manière de rigoler avec les personnages. Mais je ne veux pas que ce soit gênant. Pas d'humour pipi-caca. Pas un truc de cul, non plus, encore moins des coucheries entre filles parce que c'est de bon ton. Le cul, l'érotisme, ça a déjà été fait, plutôt bien d'ailleurs. Au temps où c'était une mode. Aujourd'hui, il y a bien d'autres moyens de rigoler. Cela dit, ça me pendait au nez. Comme disait ma mère, si j'avais fait les aventures d'une locomotive, à vapeur je précise, ça ne serait pas arrivé. Mais il y avait aussi un peu de provocation là-dessous. Comme me l'a dit Renaud : Natacha n'a pas fait couler que de l'encre.
On ne voit pas de quoi il pouvait bien parler (rires). Vous apparaissez aussi caricaturé !
Ah oui, si je me moque des autres, je dois me moquer de moi, aussi. J'ai déjà une idée du personnage que j'incarnerai dans le prochain album. Une petite idée de running gag, un gars pas drôle au début mais qui à force de venir emmerder les personnages le devient. Forcément, il sera question de bières.
Parodie et caricature par Gilson pour l'album Hommage Collateral
Natacha et Rubine, deux de vos personnages emblématiques. Vous avez déjà réfléchi à leur donner une aventure commune ?
Ah non ! Ce sont deux univers différents. Quand Le Lombard m'a demandé de leur créer une série - qui allait devenir Rubine -, ça n'avait aucun intérêt de faire une deuxième Natacha. J'ai trouvé le moyen de m'en éloigner en créant cette policière avec Mythic, alias Jean-Claude Smit, et Dragan. Puis Di Sano. Il se remet à faire de la bande dessinée, d'ailleurs, après s'être consacré à la réalisation de cartes postales.
Donc Rubine et Natacha dans un même album, ça n'aurait pas fait sens. Mais rien ne les empêchait de se croiser dans un avion, en guise de clin d’œil, pour la blague.
De ces deux héroïnes, laquelle choisissez-vous ?
Natacha sans hésiter ! C'est à elle que j'ai le plus donné, j'ai fait les décors moi-même, la rythmique.
Pour les albums classiques, les auteurs ont l’habitude de faire beaucoup de tests et croquis pour arriver à la « bonne » couverture qui va attirer le regard.
Je prends énormément de temps à trouver mes couvertures. Impossible d'en créer une en amont de l'album, de l'histoire.
C'est elle qui est centrale. Et, à un moment de l'album, on se dit que telle case, telle ambiance pourrait faire une bonne couverture?
Moi, je n'ai pas d'ordinateur. Je travaille toujours à la plume, à la main, à la gomme. Et au fax !
Extrait de l'album Hommage Collateral © De Lazare
Votre couverture préférée ?
Oh, il y en a quelques-unes. Chaque couverture, au moment où je la réalise, est toujours ma préférée.
Qu'est-ce qui fait l'ADN de Natacha? Elle s'est retrouvée dans plein de genres différents, l'aventure, proche de l'horreur ou de la science-fiction.
Oui, mais il ne faut jamais oublié cet invariable : elle est hôtesse de l'air, sa vie se passe dans les avions et il ne faut pas s'en éloigner. Il faut trouver des prétextes pour l'embarquer dans des aventures. Autre que la sempiternelle machine à remonter le temps dont on amuse un peu trop souvent en BD.
En ce moment, je fais quelque chose d'inédit. Toujours en réadaptant Sirius, je compose le troisième et dernier épisode de la saga de l'Épervier Bleu. Je n'avais jamais été plus loin qu'un diptyque. Mine de rien, un album me prend un an et demi de travail, à raison d'une planche tous les trois-quatre jours. Et entre six heures et douze heures par jour. En moyenne, depuis 56 ans. C'est un métier de chien, mais on est privilégié quand on arrive à en vivre.
Natacha a tout du personnage intemporel. Elle ne vieillit pas et a ce côté vintage vers lequel beaucoup aiment se retrouver.
Le journal de Spirou court peut-être un peu trop après la mode. À coups de hashtags, de tweets et de smartphones. Des choses qui, je pense, passeront très vite de mode. Comme mon copain Jannin qui en a été victime. Avec Germain et nous, le temps des walkmans, etc. a été rapidement dépassé. Patatra. Fred a dû arrêter : ce n'était plus ce que les ados de l'époque voulaient trouver dans Spirou, ça ne leur ressemblait pas.
Bien sûr, je ne m'interdis pas d'utiliser un portable mais je ne vais pas en mettre à tous les coins d'images. Ce n'est pas essentiel.
Tintin, aussi, est très intemporel, ça continue à bien fonctionner. Mais force est de constater que c'est compliqué de rendre un héros intemporel. Ou alors, il faut faire du genre, du western par exemple.
Sans suivre les modes, donc ?
Moi pas, en tout cas. Je suis dans le vintage. Il y a peu, on m'a volé mon vieux vélo, un Peugeot, une vieille bécane que j'enfourchais régulièrement pour me déplacer. Je râlais ! Non, je ne cours pas après cette mode qui veut forcer les gens à acheter, à consommer à outrance. Je suis issu d'une époque où tout n'était pas à portée de main. La première fois que j'ai vu la mer, j'avais 21 ans, j'étais parti à Knokke avec Peyo. Bon, je l'ai revue quelques fois depuis.
Sherlock, une des séries préférées de Walthery en ce moment.
Après, j'ai aussi une partie de matériel moderne et je regarde pas mal la télé. Je suis en quête d'émissions intelligentes par la télé des connards, en début de soirée. Parfois, on tombe sur de très bons films. Jamais de série pour moi. Quoique... Sherlock avec Benedict Cumberbatch. Ils sont arrivés à moderniser tout en restant très fidèle aux récits de Conan Doyle. Puis, il y a eu Six Feet Under, l'histoire de deux croque-morts ! Dans un autre genre, j'adore le Grand Cactus. On me dit qu'il n'y a rien ! Mais si, il y a toujours quelque chose. Il faut chercher. Bon, c'est parfois très tard, je l'accorde. Ça ne me gêne pas, je vis la nuit depuis des années. Une habitude prise avec Peyo. Parce que c'est plus calme. Ainsi, je vais me coucher à 5h du matin.
Mais en BD, si on veut rester un peu, c'est dangereux d'être à la mode. Peyo me l'avait dit.
Vous avez mis un peu plus de temps pour publier votre dernier album, non ?
Non, les planches terminées ont dormi chez Dupuis pendant un an et demi. Ils les avaient oubliées dans une armoire. D'ailleurs, en bas des planches, il est bien indiqué 2016. Ils m'auront tout fait, ceux-là ! (rires)
Y'a-t-il une histoire que vous regrettez de ne pas (encore) avoir fait !
Non, pas de regret. J'ai toujours une histoire de Tillieux dans un tiroir, je la ferai un jour, peut-être. C'est une vieille histoire de Félix, parue dans Héroïc Album. Dans la série des Natacha, il y a eu quelques remakes tout de même: L'ange blond, La mer des rochers... J'avais eu l'accord de Tillieux ou de Peyo pour les faire. Et de sa famille. Franquin m'a un jour raconté certains de ces projets. Il devait avoir la quarantaine et racontait magnifiquement ce qu'il aurait bien aimé faire. Bon, il a eu Spirou, Gaston, certains projets n'ont jamais été concrétisé. C'est comme ça, on ne sait pas tout faire. Tant qu'on ne s'emmerde pas. C'est inhérent, si on n'a pas de projets, un métier pareil, c'est dangereux.
Tirage de tête chez Khani
Gilson, De Lazare reprennent vos personnages. Et vous, un personnage que vous aimeriez reprendre ?
J'en ai déjà fait, des reprises. J'ai repris Benoît Brisefer avec Peyo. Et j'étais sur une liste, parmi une vingtaine d'auteurs, pour reprendre Spirou quand Franquin a voulu passer le flambeau. C'est Fournier qui en a hérité, à sa grande stupéfaction. Franquin m'a barré sur cette liste, il avait vu les premières planches de Natacha et savait que si je reprenais Spirou, je n'aurais jamais le temps de prêter vie à mon hôtesse. Merci saint André ! Bon, j'aurais peut-être pu gagner plus en faisant quelques albums de Spirou. Mais créer mon propre personnage, pour l’ego, c'était mieux. (Il sourit)
Puis, Natacha, c'était mettre une femme au pouvoir ! Ouvrir la voie ?
Ça a permis la féminisation des héros. C'est l'avis des Pissavy-Yvernault et de certains journalistes. Moi, je ne m'en suis pas rendu compte, c'est un hasard. Et si 67-68 était une période de changements, il ne faut pas les voir partout. Moi, je voulais un duo, comme Tif et Tondu, Tintin et Milou. C'est ainsi qu'il y a eu Natacha et Walter. Avant eux, j'avais assisté l'Atelier Peyo, aidé Franquin à la découpe. Je n'ai pas eu que des mauvais profs !
Natacha, je la vois comme un personnage qui revisite l'ancien costume du groom. Son costume d'hôtesse va lui permettre d'avoir un rôle d'ouverture sur le monde, sur l'aventure. Bon, je n'ai pas le même talent que Franquin, il ne faut pas exagérer. Peyo et Tillieux étaient des monstres sacrés et Franquin, encore au-dessus d'eux.
Gilson, De Lazare, ce sont en quelques sortes des héritiers ?
Pourquoi pas ! Ce sont deux bons dessinateurs, il faut qu'ils fassent leurs trucs. Je les aime bien, ce sont des amis.
En parlant des Pissavy-Yvernault, il y a un sacré beau livre - monographie qui sort bientôt !
Une grosse brique, je l'ai vue, ça vaut le coup. Bon, faudra pas la lire au lit, sinon vous allez mourir étouffer !
Extrait de l'album Hommage Collateral © De Lazarre
Et les projets restés sans fin ? Johanna, L'Aviatrice...
Johanna, c'était avec Jean-Claude De La Royère, et c'était pour faire travailler des copains qui n'avaient pas de boulot. Comme George Van Linthout et Bruno Di Sano. Il y a eu quatre tomes. Puis, L'aviatrice aussi est abandonnée, à regret.
Et Rubine ?
On y travaille avec Mythic et Di Sano. On va reprendre la série là où on l'avait laissée. Je ne sais pas où ça paraîtra. Et ils n'ont pas besoin de moi, ils savent y faire.
Propos recueillis par Alexis Seny
Titre : Hommage Collateral
Auteurs : Walthery, De Lazare, Gilson
Auteurs invités : Di Sano, Kox, Carpentier, Bojan Vukic
Nombre de pages : 56 en couleurs
Prix : 20 €
Sortie : le 28 mars 2019
ISBN : 978-2-9600-3939-9
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