2019 commence en fanfare pour le petit monde impérissable et toujours aussi attrayants de François Walthéry. Un gros pavé, le premier d’une collection déjà incontournable, Une vie en dessins, vient de sortir faisant la part belle à ce grand bonhomme du Neuvième Art et de la vie liégeoise. L’occasion de revisiter son oeuvre, de la visiter et mieux la comprendre accompagné du maître, page après page. On en reparlera, avec une interview.
Parallèlement, deux de ses amis et collaborateurs de longue date, Dragan de Lazare et Gilson, livrent une compilation de pastiche et de parodie réunissant pour le plus grand plaisir des lecteurs Rubine et Natacha. Deux héroïnes emblématiques traitées avec respect et emmenées dans différents univers pour profiter de l’occasion pour rendre aussi hommage à quelques autres grands maîtres de cet Art. Hommage Collatéral, un album pour lequel nous avons collaboré à la finition en réalisant une interview des deux auteurs, en fin d’album. En voici des morceaux choisis à lire en intégrale dans l'album si vous le possédez déjà.
Mais avant toute chose, un petit mot d’explication sur le cadre dans lequel paraît cet album. Derrière cette initiative, on trouve un duo de créatifs, Olivier Ghys et Michèle Lahaye, passés en 2018 par le programme reStart de Beci, qui accompagne les entrepreneurs ayant fait faillite. Né de la solidarité des temps difficiles, le tandem a pensé à un concept simple pour retrouver du travail : un contrat d’emploi via la Smart pour promouvoir les artistes, leurs œuvres et le patrimoine culturel. C’est ainsi qu’est née ABA ASBL, dont la première initiative est donc cet album, « Hommage collatéral », commis par un collectif de dessinateurs dont Walthéry himself, mais surtout Dragan De Lazare et Gilson, pour ne citer qu’eux.
Bonjour à tous les deux. Vous voilà bien accompagnés. Rubine, Natacha, on ne s’en lasse jamais ?
Dragan De Lazare : Non jamais, des belles filles comme ça, on en redemande. Et pas que nous, il n’y a qu’à voir les files d’attente en dédicace.
Gilson : C’est comme manger ou boire, c’est vital (rires).
Cela fait longtemps que vous collaborez avec François Walthéry, comment est-il au travail ? On a souvent l’image de la BD de papa avec des ateliers et des studios d’auteurs stakhanovistes. J’imagine que ce n’est pas le cas avec François ?
Dragan : Du tout. Travailler avec François est un vrai plaisir. Je n’ai malheureusement pas vraiment eu l’occasion d’être à ses côtés, dans son atelier, comme lui à ses débuts dans celui de Peyo, car à l’époque où j’ai commencé Rubine, en 1991, François avait des soucis de santé, notamment un problème avec son pouce à la main droite. Il n’a pas pu dessiner pendant près d’un an. Et surtout j’habitais Paris et lui à Cheratte. Heureusement, la Poste a très bien fait son travail. Je lui envoyais les crayonnés, François corrigeait ce qui n’allait pas puis me renvoyait les planches, et je faisais l’encrage. Il était toujours très, très délicat lorsqu’il fallait corriger quelque chose. C’était fait avec une gentillesse inouïe. La plupart du temps c’était pour ajouter du mouvement, car le fait de travailler avec un si grand maître de la BD, qui a bercé mon enfance, me rendait assez coincé à l’époque, je dois l’avouer.
© Gilson/De Lazare / Walthéry chez Bardaf
Avec ces fausses couvertures, vous réalisez le rêve de beaucoup : une aventure commune de ces deux dames parmi les plus adulées du Neuvième Art. Vous en avez rêvé aussi ?
Dragan : Exactement, je crois que tous les fans de l’univers Walthéry ont rêvé de voir ce magnifique duo de choc ensemble. Il m’est, ma foi, arrivé de glisser Natacha par-ci, par là dans les albums de Rubine, Mais c’était un petit clin d’œil amical c’est tout. Ce que nous avons fait avec Bruno et François dans ce livre est vraiment un vieux fantasme qui se réalise enfin.
Au fond, y’a-t-il une bible Walthéry qui dit ce qu’on peut faire ou pas ? Déshabiller mais pas trop ses héroïnes ?
Dragan : Non ça n’existe pas, mais le respect des personnages tels qu’ils sont dans les album nous oblige à rester dans une limite disons « tout public » avec, bien sûr, un peu plus de liberté quand même… mais sans jamais dépasser celle du bon goût et surtout pas sortir du cadre de la beauté. On les aime trop.
© Gilson/De Lazare / Walthéry chez Bardaf
À quoi faut-il penser quand on fait une couverture, qu’elle soit fausse ou réelle ?
Dragan : À se faire plaisir surtout. Ce plaisir déteint sur les lecteurs. Et croyez-moi c’était le cas avec chacune d’entre elles. Nous avons tous lu beaucoup de bandes dessinées étant enfants et ces histoires ont aidé à développer notre imaginaire. Une fois arrivé dans le métier, on a su et enfin pu dessiner ses rêves d’enfant, entre autres, des couvertures qui n’ont jamais existé, sauf dans notre imagination, mais dont certaines aurait pu réellement exister. Elles sont tellement poignantes qu’en les voyant on regrette presque qu’il n’y ait pas un livre derrière certaines d’entre elles, tellement on aimerait l’ouvrir et plonger dans l’histoire.
Gilson : Une couverture est une invitation lancée au lecteur. La vitrine de ce qu’il va découvrir à l’intérieur de l’album. Elle évoque l’histoire dans laquelle il se plongera au fil des pages. Dans le cas de figure qui nous intéresse ici, nous allons plus loin en lui proposant quelque chose de totalement imaginaire comme le dit Dragan. Car bien entendu, le contenu n’existe pas. Et quoi de plus grisant du susciter l’imagination collective.
Pour les albums classiques, les auteurs ont l’habitude de faire beaucoup de tests et croquis pour arriver à la « bonne » couverture qui va attirer le regard. Quand on se lance dans la parodie, c’est aussi le cas ?
Dragan : Absolument, tout le travail est pareil. Le but, justement, est de réussir à créer une couverture qui donne envie, une couverture qui déjà nous plaît à nous, en la faisant et qui réveillera des sentiments chez tous ces nostalgiques de la bonne bédé classique qu’on dévorait, enfants, dans nos journaux favoris. Bien sûr, lorsqu’on s’inspire d’une couverture existante certains éléments sont déjà en place, de ce point de vue-là, la tâche est plus simple. Mais d’un point de vue technique, le travail est identique à celui fourni pour une vraie couverture d’album. Une fois qu’on a l’idée il faut faire des croquis puis le dessin définitif, l’encrage et enfin la couleur.
Gilson : Et je dirais même plus : c’est un travail encore plus pointu car l’erreur, je dirais, n’est pas permise. Un hommage ou un pastiche se doit d’être respectueux des personnages originaux. C’est aussi un travail de recherches et de documentation souvent fastidieux mais ô combien passionnant tout de même.
D’ailleurs, dans cet album, on trouve aussi des couvertures inédites, non-retenues pour des albums de Rubine. Pourquoi, Dragan ?
Dragan : Pour la simple raison qu’à l’époque, Yves Sente, le rédac-chef aux éditions du Lombard, me demandait de créer trois proposition de couvertures différentes pour chaque nouvel album. Il ne s’agissait bien sûr pas de dessin définitifs, mais plutôt de mise en place et de crayonnés plus ou moins poussés. Comme je m’investissais vraiment dans l’idée de chacune d’entre elles, mais que les trois ne pouvant être choisies, il m’en restait forcément deux jamais réalisées dans les fardes. Et bien là, j’en ai profité et certaines sont enfin devenues de vrais couverture alternative de mes albums parus il y a 25-30 ans.
C’est important de ne pas verser dans le too much, non ?
Dragan : Ah oui, très important. En faire trop est pire que pas assez. Le pas assez laisse encore de la place pour le désir, par contre le too much – donne la nausée.
Gilson : Moi je devrais en faire trop car je n’en fais pas assez (rires).
Une première version non-retenue de Kong Kong le gorille a très bonne mine
Premier essais pour l'album © Gilson
Et de dessiner à la manière de François là où vous avez une large palette de styles différents ?
Dragan : Croyez-moi ce que je fais est LOIN, même très loin du style Walthery. Son style est inégalable. C’est un virtuose qui a une facilité désarmante à faire des choses magnifiques. Chez lui, chaque trait chante, cela bouge de l’intérieur. Je ne me lasserai jamais de regarder encore et encore ces planches incroyables du « 13ème apôtre » de « La mémoire de métal » ou d’ « Un Trône pour Natacha ». Oui j’ai d’autres styles, si on peut dire cela comme ça, c’est un mélange de tout ce que j’ai aimé, de ce que je suis et surtout… de toutes mes imperfections.
Gilson : Je rejoins ce que dit Dragan. Cela dit, il n’y a qu’une personne au monde capable de faire du Walthery et c’est Walthery lui-même. On peut s’approcher du style, oui, mais arriver à confondre non. C’est impossible. Et croyez-moi, pour avoir vu François réaliser devant moi des merveilles à la mine de plomb, il me faudrait bien deux vies pour arriver à une telle maîtrise.
Êtes-vous perfectionnistes ?
Dragan : Ahahahahaha. Je dirais plutôt que je ne suis jamais satisfait de ce qui sort sous ma main. Donc faut gommer, recommencer puis encore re-gommer. Puis lorsque je ne m’y retrouve plus dans tous mes traits, je reprends le dessin à la table lumineuse et hop, c’est reparti…. Lorsque je n’en peux plus… j’abandonne. Et c’est ce que j’ai abandonné que le public voit publié. Mais ça ne veut pas dire que j’en suis content, oh non…
Gilson : Dragan est un Stakanoviste (rires) En fait, je suis paradoxal. Je suis entre guillemets perfectionniste mais doublé d’une indécrottable feignasserie si je puis utiliser ce néologisme. Dès lors il s’agit toujours d’une suite de compromis et de conflits intérieurs. Je dirais qu’être satisfait rapidement de son œuvre est une grosse erreur. Ce que je fais souvent, je laisse « reposer » comme on dit dans le métier. Ensuite quelques jours plus tard je ressors le dessin du tiroir et comment dire ?… je le déchire souvent et recommence en éructant des borborygmes et autre vociférations (rires).
Une première version non-retenue pour un hommage à Tembo Tabou
Scène coupée au montage © Gilson
Il y a le dessin mais aussi les couleurs de Renaud Mangeat qui retrouve les couleurs qui ont tant donné de peps aux albums de ces héroïnes. Lui aussi est passionné ?
Dragan : Oui, et ça se ressent dans ses mises en couleurs. Renaud a fait du très, très beau boulot. Il sent très bien les couleurs, les gammes et il sait créer une ambiance. C’est le plus important pour un coloriste. Il a mis en couleur la couverture principale du livre, les couvertures de François et certaines des couvertures de Bruno Gilson. En ce qui concerne les miennes, je me suis fait le plaisir de tout faire moi-même. Ça m’a beaucoup amusé, alors que d’habitude la mise en couleur ce n’est pas ce que je préfère, c’est très long et surtout fatiguant.
© Dragan de Lazare
Elle vous manque ? Vous aimeriez lui donner une nouvelle aventure ?
Dragan : Rubine? Elle ne me manque pas du tout, je la dessine tous les jours (rires). On m’en demande tout le temps, au point qu’elle ne me laisse jamais chômer. Une nouvelle aventure ? Qui sait ? Je constate surtout que même si la série est arrêtée depuis un moment déjà, la belle Rubine a encore un grand nombre fans. J’ai ouï dire que quelque chose se tramait du côté Mythic – Di Sano…. On attend avec impatience de voir.
Oui, même si plus aucun album ne sort pour Rubine, le public est toujours là au rendez-vous, aux séances de dédicaces notamment. Un personnage culte, intemporel ? Et pourtant délicieusement vintage ?
Dragan : Vous savez les belles filles c’est intemporel. On en veut toujours, encore et encore, et cela ne s’arrange pas avec l’âge (rires).
Une deuxième scène coupée au montage © Gilson/De Lazare / Walthéry chez Bardaf
Et même si Rubine, et Natacha aussi, ne connaissent plus autant d’aventures que le voudraient les lecteurs, vos couvertures, une seule image par page, n’est-ce pas le meilleur moyen pour raviver l’imaginaire du lecteur et le pousser à créer ses propres histoires ?
Dragan : Certainement. Vous savez, nous aussi ça a commencé comme un petit jeu anodin. On faisait des dessins clins d’œil à notre ami François et ensuite on en a refait pour faire plaisir à des amis, puis ça nous a bien plu et donné d’autres idées… Finalement le battement d’ailes du papillon est devenu ouragan. Et a un moment on s’est dit, pourquoi ne pas les montrer à tout le monde. J’espère que les lecteurs y prendront autant de plaisir que nous.
Un extrait de l'album de Dragan de Lazare
Gilson : C’est vrai, nous nous sommes bien amusés. Réunir ces petites calembredaines en un recueil est en quelque sorte une suite logique. À tel point que nous nous sommes attelés immédiatement à la conception d’un tome 2.
Vintage mais pas nunuche, à l’heure des mouvements metoo et de la révolte des femmes contre le sexisme et un certain paternalisme, Rubine et Natacha pourraient être les égéries de ces mouvements, sexy mais pas folles les guêpes !
Dragan : Je ne veux surtout pas partir dans la politique, mais tous ces mouvements qu’ils soient féministe ou autres m’ennuient profondément. Ils sont le plus souvent imposés aux femmes pour des intérêts de petits groupuscules qui les utilisent pour finalement mieux les exploiter… les hommes comme les femmes… Il est aujourd’hui bien connu que la « libération » de la femme n’est pas apparu pour aider les femmes, mais pour doubler le nombre d’ouvriers sur le marché du travail et donc baisser les salaires, donc pour aider le patronat, pas les pauvres bougres. On a dit à une femme qu’elle est « libre » si elle passe sa journée à trimer pour un patron au lieu de s’occuper de ceux qu’elle aime, de ses enfants, de sa famille. Chaque femme qui réfléchit et qui n’est pas manipulée est consciente de cela. Pour être franc, je ne crois pas que les héroïnes de BD sont des modèles sociaux-culturels. C’est de la détente, une évasion et du plaisir, et ça s’arrête là.
Comment expliquez-vous que ces femmes de papier aient toujours autant de succès, telles des madeleines de Proust ? C’est le génie de François ?
Dragan : Absolument, il a ouvert les portails d’un univers fantastique qui crée un dépaysement, nous fait oublier nos soucis, nous entraîne dans le rêve, l’aventure et la bonne humeur. Lorsque on est amateur de bonne BD, que peut-on demander de plus. Merci monsieur François !
Un ex-libris pour le champagne Vautrain © Gilson/De Lazare / Walthéry chez Bardaf
Et même si Rubine, et Natacha aussi, ne connaissent plus autant d’aventures que le voudraient les lecteurs, vos couvertures, une seule image par page, n’est-ce pas le meilleur moyen pour raviver l’imaginaire du lecteur et le pousser à créer ses propres histoires ?
Dragan : Certainement. Vous savez, nous aussi ça a commencé comme un petit jeu anodin. On faisait des dessins clins d’œil à notre ami François et ensuite on en a refait pour faire plaisir à des amis, puis ça nous a bien plu et donné d’autres idées… Finalement le battement d’ailes du papillon est devenu ouragan. Et a un moment on s’est dit, pourquoi ne pas les montrer à tout le monde. J’espère que les lecteurs y prendront autant de plaisir que nous.
Gilson : Si je ne m’abuse, c’est la première héroine du genre qui à été créée à l’époque. Elle a traversé les âges et se porte très bien pour une femme d’à peu près 49 ans hahaha ! Et puis il n’y a qu’à voir le public toujours aussi émerveillé et ce quelques soit les générations.
Comment expliquez-vous que ces femmes de papier aient toujours autant de succès, telles des madeleines de Proust ? C’est le génie de François ?
Dragan : Absolument, il a ouvert les portails d’un univers fantastique qui crée un dépaysement, nous fait oublier nos soucis, nous entraîne dans le rêve, l’aventure et la bonne humeur. Lorsque on est amateur de bonne BD, que peut-on demander de plus. Merci monsieur François !
© Gilson/De Lazare / Walthéry chez Bardaf
Gilson : Si je ne m’abuse, c’est la première héroine du genre qui à été créée à l’époque. Elle a traversé les âges et se porte très bien pour une femme d’à peu près 49 ans hahaha ! Et puis il n’y a qu’à voir le public toujours aussi émerveillé et ce quelques soit les générations.
Avec vraiment un style qui tranche par rapport aux BD’s d’hommes ? Une woman touch salvatrice dans une BD souvent trop dédiée aux héros masculins et où les femmes sont repoussées aux seconds-rôles ? Walthéry a ouvert la porte à une certaine égalité ?
Dragan : Égalité ? Vous me faites rire. Les femmes ont tellement davantage sur les hommes que je me demande ce qu’elles veulent de plus. Elles sont si belles, charmantes, mignonnes, en un mot : irrésistibles… Une femme attire cent fois plus l’attention qu’un homme. Non mais vraiment… de quelle égalité parlez-vous ? Si dans le temps il n’y avait pas tellement de héroïnes dans les BD, c’est que tout simplement on respectait trop la femme pour la caricaturer. Il a fallu au 9ème art le talent d’un François Walthéry pour enfin montrer que l’on pouvait dire aux femmes qu’on les adore même dessinées, même en papier.
L’efficacité du dessin de François, comment l’expliquez-vous ?
Dragan : Si je pouvais l’expliquer je serais sûrement capable de dessiner comme lui, mais malheureusement cela reste encore un grand mystère pour moi aussi. Voilà 40 ans que je dessine en essayant de comprendre comment ont fait les grands maîtres, et à chaque fois que je crois avoir saisi un petit quelque chose, vite je me rends compte que ce n’était qu’une chimère. Dieu donne a ceux que Lui a choisi.
Gilson : ça ne s’explique pas en fait. Mais…ça reste du travail, grand maître ou pas nous ne sommes pas des androïdes.
Dans l’univers Walthéry, quelle est votre couverture préférée ? Et votre aventure ? Pourquoi ?
Dragan : Ma couverture préférée ce n’est pas celle d’un de ses albums, mais une des premières que j’ai jamais découverte, dans Spirou. D’ailleurs elle apparaît dans ce livre en version Rubine à la place de Natacha avec un revolver sur les toits humides. C’est une couverture du journal Spirou datant de 1973.
Cette couverture m’a fait tant rêver. J’imaginais toute la ville, en bas, les gens dans les immeubles avoisinants qui regardent cette fille magnifique en mini-jupe sur leurs toits… puis cette pluie qui donne une ambiance irréelle. À mon humble avis, c’est une des plus belles couvertures de Spirou de tous les temps. Mes aventures de Natacha préférées sont les albums allant de la « Mémoire de métal » à « L’île d’outre monde », ce sont les plus belles aventures, puis surtout parmi elles, il a celles écrites par Maurice Tillieux…. que dire de plus. Si vous n’avez pas grandi avec ça… il vous manque une CASE! (rires).
Gilson : « Les machines incertaines », Je suis féru de science-fiction et celle-ci me parle plus que les autres par définition. Et puis elle réunit les talents de Walthery et Jidéhem ce qui n’est pas rien.
La parodie, est-ce un art facile ou plutôt difficile, finalement ?
Dragan : Les deux, et je m’explique. Avec la parodie on peut très facilement glisser dans le banal, le facile, le vulgaire. Par contre lorsqu’on fait ça vraiment avec amour, passion et tendresse, cela peut donner des résultats magnifiques. Lors de la réalisation de ces couvertures, le fait de sentir l’enfant en moi se réjouir, comme je me réjouissais il y a plus de 40 ans en recevant mon Journal de Spirou hebdomadaire, me rassure que j’ai réussi à y mettre tout mon coeur.
Gilson : comme c’est bien dit (rires). Dans mon cas l’exercice fut certes difficile du point de vue technique. Je n’ai jamais eu l’occasion de travailler sur les personnages de Walthery d’une manière intensive comme on le fait pour un album entier. Il m’a fallu une grande rigueur et pas mal de concentration. Pour le reste, oui c’est le cœur qui s’est exprimé avant tout.
Au fil de vos couvertures, on voit que Rubine comme Natacha sont tout-terrain, elles vont dans l’espace, affrontent des monstres, se retrouvent sur un sous-marin… C’est important de laisser évoluer les personnages dans des milieux où on ne les attend pas forcément ?
Dragan : Oui, c’est le but premier de l’aventure, mais dans ce cas précis, celui de ces couvertures c’est surtout le fait qu’on a voulu rendre hommage à des univers très différent, d’abord à d’autres auteurs et héros de bédé, mais aussi de cinéma et dont le cadre n’est pas toujours forcément lié à l’ambiance dans lesquelles évoluent Natacha et Rubine d’habitude.
© Walthéry chez Dupuis
Y’a-t-il une histoire que vous regrettez que François n’ait pas faite
Dragan : Oh oui ! Une histoire passionnante que j’ai écrite moi-même. (rires)
Gilson : Hmm, un troisième vieux bleu… non je plaisante (rires)
Y compris ailleurs que dans la BD. On ne compte plus les ex-libris, portfolio, objets dérivés auxquels ont donné lieu les albums de Walthéry. Natacha et Rubine ont dépassé leurs albums, sont vraiment devenues des icônes quasi de chair et d’os ?
Dragan : Vous avez raison, et pas uniquement en papier… il n’y a qu’à voir les figurines…. Elles sont de plus en plus grandes. Et là, finalement il y a une Natacha grandeur nature ! Une vrai « petite » perle ! Bon, moi j’attends quand même celle en chair et en os! Vu comment ça évolue, c’est sûrement pour très bientôt.
En tout cas, c’est aussi un jeu de titraille et de textes, trouvez un minimum de bons mots et leurs donner le style des albums, des films auxquels ils font référence. Pas évident ?
Dragan : C’est très facile quand vous êtes inspirés, et surtout amusant, mais des fois ça ne vient pas du tout et je veux justement profiter de cette occasion pour vous dire qu’un grand nombre de titres de ce recueil ont été trouvés par mes amis Dominique Léonard et Bruno Gilson, qui sont de vraies sources d’idées. Je leur dis un grand merci.
Gilson : Pour moi, jouer avec les mots est un pécher mignon, une marotte, quasiment une passion. Il ne se passe pas un jour sans que je détourne quoi que ce soit en une sorte de calembour ou d’à peu près. Mais rassurez-vous je sais quand je dois m’arrêter (rires).
Plus qu’un hommage parodique et bienveillant au monde de Walthéry, vous l’emmenez voir d’autres grands maîtres E.P. Jacobs, Tillieux, Vampirella, du Kox aussi, de la s-f des 50’s et au magazine Spirou, surtout. L’un ne va pas sans les autres ?
Dragan : Bien sûr, c’est un amalgame de bons souvenirs qui a enfanté cet ouvrage. On aurait tant aimé pouvoir dire sans arrêt merci à tous ceux qui nous ont donné tant de bonheur durant notre enfance. Mais la liste est bien longue …nous n’avons que commencé à rendre hommage à certains d’entre eux, mais il y en a tant d’autres. Il nous faut un tome 2 très vite (rires).
Outre ces anciens, dans la jeune génération, certains se réclament de Walthéry ? On le perçoit dans leur style, leur humour ?
Dragan : L’influence est naturelle, tous les grands artistes laissent des traces profondes et marquent les jeunes qui débutent. Certains, comme Franquin, Hergé, Peyo, Macherot, Goscinny, Tillieux, Walthéry et d’autres géants de la BD le feront toujours. Leur héritage est sublime et incontournable. On a une chance énorme de les avoir. On peut y puiser sans arrêt, et je suis sûr que l’on devrait le faire beaucoup plus, s’il y a une crise dans le monde du 9eme art, c’est bien par ce que l’on a un peu oublié ces sources.
Original extrait de l'album © Gilson
Cet album sort chez Bardaf, en auto-édition, si je ne me trompe ? Les maisons d’édition classiques ne sont pas friandes de ce genre d’exercice ?
Dragan : Je laisse Bruno répondre à cette question, car c’est lui qui s’occupe de tout cela.
Gilson : Cette fois il ne s’agit pas d’auto-édition mais d’une véritable structure qu’il serait bien long et complexe à décrire ici. Et en effet les majors ne sont pas friandes de cet exercice. Mais je pense que cela va évoluer. Nombre d’auteurs confirmés issus de grandes maisons se tournent eux-mêmes et de plus en plus vers l’auto-édition. Je pense personnellement que c’est en quelques sorte l’avenir de la BD car cela donne entre autre aux jeunes auteurs, plus de possibilités et de chances d’éditer en album leurs productions via notamment les sites de financement participatifs de plus en plus nombreux sur le web.
Quels sont vos projets ? Encore et toujours du Walthéry ? Cat, pour vous Dragan ? Et un petit indien, Tatanka, pour vous Bruno ? D’autres choses ?
Dragan : (rires) CAT c’est du cyrillique et en Serbe ça se prononce : SAT ce qui veut dire : L’HORLOGE. C’est ma toute dernière BD, mais que je n’ai pas dessiné… eh non… L’Horloge, je l’ai scénarisée. C’est d’ailleurs mon premier scénario publié et je suis fier de dire que c’est un très grand succès en Serbie. Avec mon ami dessinateur de grand talent, Vujadin Radovanovic – Vuja, nous avons reçu le prix de la meilleure BD du Salon du livre de Belgrade cette année. Comme il s’agit de l’histoire de nos arrières grands parents lors de la Grande Guerre, en plus de l’album l’un des plus grands quotidiens Serbes « Vecernje Novosti » a diffusé cette BD a plus de 120.000 exemplaires lors du centenaire de l’Armistice, le 11 novembre dernier. C’est un one shot poignant, une histoire vrai raconté avec émotion, qui a touché au plus profond et a fait pleurer la moitié de mon pays… j’espère que les lecteurs français et belges auront bientôt l’occasion de le découvrir.
Gilson : Tatanka cela veut dire bison en Sioux (rires). Blague à part je vais entamer le tome 2 avec Manuel Tenret (rantanplan). Le format restera à l’italienne en cartonné. Et une intégrale est même prévue avec encore plus de jeux pour les enfants. La date de sortie est normalement prévue pour cette fin d’année 2019 voire courant 2020. Dans le même temps Dragan et moi poursuivrons le travail sur le second tome des hommages et pastiches. Je caresse l’idée d’un recueil de créatures fantastiques mais bon, j’ai déjà pas mal de pain sur la planche pour cette année, nous verrons bien.
Propos recueillis par Alexis Seny
Titre : Hommage collatéral
Recueil de parodies
Auteurs : Walthery, De Lazare, Gilson
Auteurs invités : Di Sano, Kox, Carpentier, Bojan Vukic
Couleurs : Dragan De Lazare, Gilson & Renaud Mangeat
Genre : Hommage, Parodie
Nbre de pages : 56
Prix : 20 €
©BD-Best v3.5 / 2024 |