« Bijou, bijou
Pense à tes rendez-vous
Rappeler le gynéco, passer à la banque prendre des sous
Trouver quelqu’un d’autre
Moi je mets les bouts »
© Bernard/Loustal chez Casterman
Vous connaissez ça ? C’est du Bashung, plaqué or. Et depuis que je connais cette chanson, j’ai du mal à voir le mot bijou apparaître sous mes yeux sans penser à quelques notes de cette chanson. « Bijou, bijou ». Alors, vous imaginez bien que quand le nouveau Loustal, accompagné du toujours surprenant Fred Bernard, est arrivé sous mes doigts… j’ai fredonné. Sans savoir que le duo avait réservé une place de choix à l’Immortel. Interview avec Jacques De Loustal qui se fait plaisir en faisant encore de la BD mais dans une forme peu conventionnelle.
© Jorge Colombo
Bonjour Jacques, c’est avec un bijou dont les feux éclairent les époques que vous nous revenez. Mais, est-ce encore de la BD ?
J’aime changer les formats, c’est vrai. Ici, c’est un retour à ce que je faisais au tout début : des grandes images et des textes off. Je crois que je ne ferai plus que ça. Je me suis amusé sur le story-board, j’avais l’impression de faire mes films. Ce n’est pas pour rien que le cinéma est une influence générale.
En réalité, j’ai de plus en plus de mal à subir les contraintes : les découpages, le fait de devoir dessiner une voiture sous plusieurs angles, de faire intervenir les mêmes personnages qui tournent dans une maison ou des décors. J’ai envie de faire de la BD en en gardant le plaisir. Du coup, je me suis mis à l’affût et j’ai demandé à mon éditrice de me trouver un projet sur lequel je pourrais imaginer deux images par page. Dans la veine de ce que je pouvais faire avec Paringaux dans Métal Hurlant et Rock & Folk. J’aime l’idée d’images fixes, aux proportions d’un écran de cinéma. En adaptant le Colorado de Lehane, je m’étais beaucoup amusé avec des découpages très cinématographiques.
Comment Fred Duval est-il arrivé dans votre univers, du coup ?
Sur proposition de mon éditrice qui m’a présenté son texte. Sans avoir jamais collaboré avec lui, je le connaissais. J’ai lu son histoire et elle me semblait convenir au format que je voulais adopter.
Je ne travaille jamais avec des scénaristes classiques de toute façon. Me dire ce que je dois dessiner, c’est insupportable.
© Bernard/Loustal chez Casterman
Pourtant, Fred Bernard est aussi dessinateur.
Les écrivains sont plus exigeants mais aussi fous de joie de voir naître les images. Par contre, ils refusent de toucher à une virgule. Avec Tonino Benacquista, j’ai compris qu’il ne fallait pas trop plaisanter. D’ailleurs, sur le projet qui nous occupe, je le soupçonne de se venger en me faisant changer mon dessin à certains moments. Mais ce projet me semble insurmontable : ce serait un projet de recueil de micro-fictions, un texte au dos de cartes postales. Je me chargerais du recto, Tonino du verso.
Fred, lui, a accepté que beaucoup de choses changent. Il m’appelait à chaque fois qu’un mot changeait. Nous nous sommes retrouvés à polir ce bijou.
J’imagine qu’il y a eu des ajustements.
Le texte a beaucoup bougé pour adopter ce ton distancié. Comme un film muet avec des textes dans des cartons, des intertitres. Ce sont ces sortes de légendes qui apportent la tension. Moi, je suis incapable de dynamiser. Ça a toujours été comme ça.
© Bernard/Loustal chez Casterman
Comme Lavilliers suivait les aventures d’un billet de banque, vous vous êtes lancé à la poursuite de ce bijou qui a tant fait tourner les têtes.
Vous savez, je collectionne, j’accumule. Des bronzes, des statues, des objets d’art… Je n’ai aucune idée d’où ils étaient avant d’être chez moi. Et après, qui sait. D’autant qu’un bronze, ça dure.
Le procédé que nous utilisons n’est pas nouveau: nous suivons un objet que se refilent des personnages les uns aux autres. Il y avait eu le Violon Rouge, Winchester 73, auparavant.
Ce genre de récit impose des dessins et des lieux différents. D’ailleurs, au début, je me suis fait avoir, j’ai commencé à accumuler de la documentation. La démarche classique, quoi. Sauf que si je devais faire ça pour chaque image, je n’en serais pas sorti.
Comment avez-vous choisi les différents événements abordés ?
Tout est vrai si ce n’est dans les personnages, tous les propriétaires ont été inventés ! Avec une idée d’agenda, de calendrier. J’ai choisi de resituer les jours liés aux événements, mais sans les représenter forcément. J’ai opté pour le contre-champ, souvent. Bon, j’ai dû me forcer pour le naufrage du Titanic. Puis, il y a de l’humour. Il y a plusieurs intertitres nommés L’Homme Volant. Il y a beaucoup de gens qui tombent dans cet album. Le dernier, c’est Gagarine, lors de son tour de la Terre. Nous avons essayé de parcourir tous les grands événements de 1894 à 2005.
© Bernard/Loustal chez Casterman
Sur ce projet, à la relecture, je me suis finalement rendu compte que j’avais mis beaucoup de moi, dans les détails. J’ai aimé aller dans le monde agricole, je me suis souvenu de ma mère et de la maison en Franche-Comté. Au final, c’est un travail plus proche de l’illustration que de la BD mais en empruntant ses codes, le ressort de la vitesse.
De quoi faire le tour de la terre.
Oui, nous nous sommes rendu compte que nous avions fait le tour du monde.
Cet album se serait bien prêté à un format à l’italienne, non ?
La seule fois où j’ai voulu un format à l’italienne, c’était pour Les amours insolentes, des histoires d’amours qui se terminent… bien – ce qui n’est pas évident – à portée universelle. Avec Tonino Benacquista. J’ai remarqué que c’était l’album qui avait le moins bien fonctionné. Si ce n’est en Corée, il n’a été traduit nulle part.
© Benacquista/Lousal chez Casterman
Et les contraintes ?
Elles n’en sont pas. Du moins, celles que je m’impose ne sont pas contraignantes. J’ai fait beaucoup de photos, de peintures, de dessins de voyage. Je maîtrise bien ce format.
Par contre, je ne comprendrai jamais comment les gens qui sont témoins de faits divers font pour filmer verticalement, avec du flou partout. Faut pas faire ça! Pourquoi ? Au début, on disait qu’ils se planquaient. Mais désormais, ils n’ont aucune honte à filmer de cette manière. C’est devenu un genre en soi.
© Bernard/Loustal chez Casterman
Parlons de votre titre !
Je suis retombé sur la mort de Bashung qui a sa place dans le livre ! Et son « Bijou bijou » qui m’a trotté en tête. Nous ne pouvions pas l’utiliser tel quel, problèmes de droit. Du coup, nous avons galéré. Il y avait Ô bijou, mais je le trouvais nul. Je me voyais déjà, à chaque interview, devoir l’expliquer.
Comment l’avez-vous choisi ce bijou ?
Il en fallait un qui soit assez gros. Qui brille. Je ne suis pas connaisseur. Je me suis donc renseigné, sur la manière de tailler aussi, puisqu’il va au long de son périple changer de forme. C’est amusant de trouver tous les docs dont on a besoin sur Google. Cela dit, je ne devais pas oublier que je ne pouvais pas faire de gros plans sur ce bijou. Je devais rester dans le cadre… puis y poser les personnages.
© Bernard/Loustal chez Casterman
Comment avez-vous dessiné cet album ?
J’ai redécouvert le dessin à la plume, puis l’aquarelle rehaussée avec des accents de crayon noir. Avec des raccords à l’encre de chine.
Au début, cet album faisait 24 pages. C’est après que nous avons opté pour deux cases par dates. Mais, il fallait commencer le livre sur une page de gauche, pour coller et avoir une double-page par époque.
© Bernard/Loustal chez Casterman
Ici, c’est un travail que je pouvais interrompre, assez irrégulier. C’est d’ailleurs peut-être ce qui m’a manqué par rapport aux projets classiques que j’ai pu faire : l’attachement au héros, l’empathie. Avec Bijou, j’ai quitté le bouquin mais je n’ai quitté personne. Mais je persiste à dire que la BD, on doit en faire pour s’amuser. Ou alors pour combler un public, qui est un moteur génial. Mais je n’ai jamais trouvé ça.
Enfin, il y a Instagram pour se prouver qu’on a un public. Même Rochette et Juillard s’y sont mis (il rit).
Cela dit, il y a des scènes très BD, comme le Casse du siècle. Dedans, je me suis souvenu du tunnel dans Bobo, le roi de l’évasion.
© Bernard/Loustal chez Casterman
Une exposition est-elle prévue?
Bijou, je pensais que ça intéresserait un galeriste. Rien ! Pour une fois, il y aurait eu des planches en couleurs directes.
L’autre actualité, c’est Simenon.
Alors, oui, une exposition à la Galerie Huberty-Breyne, pour les trente ans de la mort de Simenon. Il y a un moment j’avais signé dix couvertures pour des intégrales de nouvelles. Panoramiques.
J’ai voulu adapter Simenon en bande dessinée, j’avais fait la demande à Futuropolis. Il était impossible d’avoir les droits. Du coup, j’avais fait un Mac Orlan, proche de l’univers que je voulais évoquer, les années 30.
© Loustal
Et, un jour, j’ai reçu un coup de fil : Mylène Demongeot ! Marc Simenon, son mari, était un ami de José-Louis Bocquet et souhaitait illustrer les livres de son père. Marc est mort et John a poursuivi le travail. J’ai ainsi commencé ce travail avec Touristes de bananes. C’était Tahiti. Et comme une chanson d’Aznavour Un SDF paumé qui pense que la misère serait moins visible, plus douces au soleil.
En fait, je me suis leurré. Simenon, c’est un univers dont on découvre la richesse, qu’on apprécie au fur et à mesure qu’on vieillit. Ce n’est pas un auteur pour ado. Et il n’y avait aucun intérêt à adapter Simenon en BD. Ce qui m’importe, c’est son écriture. Je fais cinquante dessins par livre. Pour l’exposition, j’ai rajouté des légendes, des extraits des livres qui m’ont inspiré.
© Loustal
Il y a d’autres personnages que vous souhaiteriez adapter ?
Celui autour duquel j’ai le plus bordé, c’est Tintin. J’en ai fait des illustrations. J’ai hésité à les poster sur Instagram, de peur des représailles.
Merci Jacques et vivement le prochain voyage en BD ou ailleurs. Vous exposez jusqu’au 19 octobre à la Galerie Huberty-Breyne de Bruxelles.
Propos recueuillis par Alexis Seny
Titre: Bijou
Récit complet
Scénario: Fred Bernard
Dessin et couleurs: Loustal
Genre: Chronique sociale, Drame, Humour
Éditeur: Casterman
Nbre de pages: 72
Prix: 19€
©BD-Best v3.5 / 2024 |