« - Dans ce wagon, il y avait Ducoroy, conseiller du ministre des travaux publics… Et celui que vous venez de croiser, sur le brancard, c’est Charles Dauger, inspecteur du conseil général des ponts et chaussées. Ils ont été attaqués par un homme qui avait dû se planquer dans le wagon au départ. D’après un ingénieur de la compagnie, il a balancé une grenade sous le plancher, dans les câbles électriques. Ça n’a pas dû être une grosse explosion, mais ça a suffi pour faire dérailler le train.
- Mais… et le terroriste ?
- Il a sauté avant le tunnel. »
(…) tandis qu’à l’horizon sinistre,
Sous des nuages lourds, hagards, couleur de sang,
Chargé de spectres, noir, dans les flots décroissant,
Avec l’enfer pour aube et la mort pour pilote,
On ne sait quel radeau de la Méduse flotte !
Rangé du côté des Communards, Victor Hugo écrit ce poème A ceux qu’on foule aux pieds, en 1872, dans le recueil L’année terrible.
Quelques années plus tard, janvier 1903, le métropolitain parisien est en plein développement. Les cendres de la Commune sont encore chaudes. Il y a trente ans à peine, Paris a presque été détruite. Incendiée, pillée, saccagée, la capitale a failli finir en ruine. La belle s’est relevée mais la vermine ne meurt jamais. Dans un Paris malade de son peuple, le succès de la ligne Nord-Sud de ce que l’on n’appelle pas encore le métro, mais le métropolitain, était inespéré. Mais alors que Dauger, des Ponts et chaussées, et Ducouroy, conseiller du ministre des travaux publics, essayent la ligne, leur wagon est attaqué par un grand échalas à l’écharpe rouge masquant son visage. Laissant une pièce d’or sur les lieux de ses attentats, l’homme sème la terreur dans Paris avec ses complices les Apaches
© Pelaez, Oger - Soleil
Philippe Pelaez fait partie des scénaristes sur qui il faut maintenant compter. Récemment, entre Maudit sois-tu, Le bossu de Montfaucon et maintenant L’enfer pour aube, il réalise un triplé exceptionnel. Avec L’enfer pour aube, il propose un thriller politico-historique passionnant, un des albums remarquables de ce premier trimestre. Le fond historique est précis. La France sort d’une période de troubles internes et ne sait pas que dix ans plus tard ce sera le chaos. Pelaez se sert du métropolitain qui n’a encore que trois ans pour montrer une lutte de classes impitoyable. Des grands magasins luxueux boulevard Barbès aux ruelles boueuses de Charonne, les dames en crinoline n’ont pas vocation à croiser la route des titis aux mains sales. Le personnage à l’écharpe rouge n’est pas un simple truand de grande envergure. Il a la même classe que plus tard Fantômas, mais les fantômes sont en lui et manifestement ils le hantent.
© Pelaez, Oger - Soleil
Tiburce Oger signe son meilleur album. Oger dessinateur fait des merveilles. Oger coloriste reste dans des tons de gris limite sépia sans en être, sauf pour l’écharpe du tueur et quelques autres touches rougeâtres. De fausses couvertures du supplément illustré du Petit Journal, quotidien de l’époque, chapitrent le récit. On court sur les toits avec l’inconnu masqué, on sent la chaleur de l’incendie sur le boulevard, on s’enfuit d’une ruelle avec une victime des apaches de Belleville. Cerise sur le gâteau, la couverture et la maquette de l’album sont magnifiques.
© Pelaez, Oger - Soleil
L’enfer pour aube est de ces albums qu’on ne referme qu’après l’avoir terminé et grâce auquel on peut dire : « Paris 1903, j’y étais ! ». On frise la perfection. Envoûtant, effrayant, passionnant, c’est une petite histoire ancrée dans la grande qui restera l’une des excellentes surprises de l’année.
Laurent Lafourcade
Série : L’enfer pour aube
Tome : 1 - Paris Apache
Genre : Polar
Scénario : Philippe Pelaez
Dessins & Couleurs : Tiburce Oger
Éditeur : Soleil
Nombre de pages : 68
Prix : 15,95 €
ISBN : 9782302094390
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