Au fil des pages du journal Spirou, on avait plongé dans son regard violet. Puis, dans un dernier clin d’oeil, les aventures de Violine s’étaient arrêtées net. Avec un goût de trop peu. D’autres héros l’avaient chassée de nos esprits mais son souvenir revenait à rythme régulier, culte oserait-on dire. À bon escient puisqu’elle comptait revenir, sous une autre forme graphique qui n’a en rien étouffé sa témérité. Nous avons rencontré son papa, Didier Tronchet qui anime désormais le destin de sa protégée toujours en danger avec le Baron Brumaire dans une série qui n’est plus éponyme mais porte le nom on ne peut plus équivoque : Le troisième Oeil. Allez, hop, on part en voyages.
© Tronchet/Brumaire chez Casterman
Bonjour Didier, c’est une sacrée surprise que vous nous faites là, on ne s’y attendait pas à ce retour de Violine, quasiment dix ans après le dernier épisode.
C’est difficile de résumer ce long chemin. J’étais parti avec Dupuis sur une série pour enfants. Chemin faisant, j’ai connu tous les aléas qu’on peut connaître en tant que scénariste d’une série. Le premier dessinateur s’est démotivé et a quitté le projet, il a fallu deux-trois ans pour qu’un nouvel album paraisse avec Krings aux commandes, dans son élément. Même si le temps était un ennemi, le principe fonctionnait et l’accueil était bon. Mes enfants mais aussi ceux de mes amis adoraient. Mais, alors que nous préparions le sixième album, Le Sommeil empoisonné, notre éditeur a décidé de stopper la série.
© Tronchet/Krings chez Dupuis
© Tronchet/Baron Brumaire chez Casterman
Et dix ans sont passés. Pourquoi teniez-vous tant à la faire renaître, différente tout de même car désormais adolescente, votre héroïne.
C’était mon engagement dans le monde du récit jeunesse. Moi, je ne suis pas réputé pour ça, on me définit plus volontiers comme corrosif, cynique, dans la dérision. La BD jeunesse, c’est un espace d’expression détaché de tout second degré, avec un public intéressant à toucher, un public encore en devenir, auquel on peut poser des questions, semer des petites choses pour favoriser un terreau d’ouverture d’esprit. Si la base est fun, nous avons une responsabilité en tant qu’auteurs. Les centres d’intérêt ont beau être volatiles, on peut concentrer les choses. La fiction rend le réel plus digeste en passant par l’émotionnel, le ludique aussi.
© Tronchet/Brumaire chez Casterman
Je pense notamment aux migrants dans nos pays. Si on en parle de manière dramatique avec des statistiques, de l’économie, comme le font les journaux, comment voulez-vous que les gens comprennent. Mais si on suit un migrant sur sa route, avec une capacité importante à s’y identifier, ça rend cela plus humain. Plus que de les voir de loin à la télé. Je crois beaucoup en ce mode de récit, en sa faculté à ne pas relâcher le lecteur indemne de sa lecture. Je suis atterré des outils scolaires déployés, par contre. Je ne comprends pas comment on peut raconter le mode avec des outils aussi datés.
© Tronchet/Brumaire chez Casterman
Alors, je tente que ça soit plus fructueux avec mes outils de narration. Modestement, hein, il faut se méfier des mots, des intentions. Je pense que chaque auteur a sa petite part de boulot mais si chacun réussit son coup…
Mais, si dix ans ont passé, n’avez-vous pas eu le réflexe, en écrivant cette suite, de revenir à la petite Violine des cinq premiers albums ?
Disons que ça m’a aidé d’avoir eu des enfants qui sont passé par cette phase. Comme ma fille qui a trente ans, aujourd’hui. Je voyais comme l’adolescence fonctionnait, je m’aide beaucoup de ma vie personnelle. Si je préfère l’imaginaire, je n’ai pas de souci à ce qu’il s’appuie sur des éléments concrets. À chaque fois que j’ai un doute, je me recentre sur ce que je vis, mon ressenti.
© Tronchet/Brumaire chez Casterman
Violine demeure votre seule série jeunesse, pourquoi ne pas lui avoir donné un frère ou une soeur, d’autres séries dirigées vers ce public ?
C’était compliqué, il y a déjà tellement de séries jeunesse. Puis, surtout, j’ai mis toute mon énergie dans le premier cycle, et maintenant le deuxième, de mon héroïne.
Cette fois, changement radical de style, mais, dites-moi, vous n’avez jamais pensé à la dessiner, Violine ?
J’en suis incapable, mon dessin n’est pas adapté, ni plaisant ni rassurant pour le public auquel Violine est consacrée. Il fallait un plus grand dépaysement et j’aurais été incapable de dessiner les décors indiens. Moi, je suis plus statique, il fallait qu’un autre dessinateur s’empare du sujet.
© Tronchet/Brumaire
Du coup, c’est le Baron Brumaire qui prête vie et traits à Violine.
On est très loin de Krings, c’est sûr. Mais c’est voulu, je voulais organiser une rupture par rapport à ce qui aurait pu être une vague reprise. Je voulais montrer qu’elle n’était plus l’enfant qu’elle était quand on l’a laissée en stand-by et arrêter le lien post-Spirou. Le Baron possède un grand dynamisme, une telle modernité, de la vigueur. C’était radical et il s’est imposé. Je l’avais rencontré du temps où j’étais rédacteur en chef de l’Écho des Savanes, je l’avais apprécié. Et quand on a réfléchi au deuxième cycle de Violine, il a fait quelques tests tellement excitants dans des décors indiens.
© Tronchet/Brumaire
Je trouve injuste qu’avec son art si personnel, il n’ait jamais eu vraiment l’espace pour l’exprimer au mieux ! Alors, j’espère que cette série le fera reconnaître.
Là, pour le coup, dans ce premier tome, on n’y est pas encore en Inde.
Attendez, vous allez voir ! Le Baron a un dessin très jeté, une énergie…
© Tronchet/Brumaire chez Casterman
… à tel point qu’il immerge assez bien le lecteur, c’est à lui de compléter le trait, de faire vivre encore un peu plus les personnages.
Il y a de ça, le trait n’est pas fini, pas léché ni fermé. Il n’est pas référencé comme d’autres auteurs, le Baron a une patte indéniable.
Puis, c’est aussi une façon d’oublier le premier cycle, de repartir à zéro sur ce deuxième. Je ne sais d’ailleurs pas si le lecteur de l’ancienne version sera au rendez-vous. Peut-être sera-ce l’occasion de toucher un autre public ?
© Tronchet/Brumaire chez Casterman
Dix ans, ça fait une longue ellipse… Vous savez ce que votre personnage a fait durant tout ce temps ?
Éh bien, écoutez, j’aimerais bien le savoir. J’aime à penser que les héros sont autonomes et vivants. Qu’ils n’ont pas toujours besoin de nous. Ce serait même désolant de savoir tout de leur vie, de leurs moindres secrets. Violine, c’est comme une amie qu’on retrouve, qui nous contacte et nous dis : « J’ai plein de choses à te raconter depuis la dernière fois. »
© Tronchet/Brumaire chez Casterman
Alors, voilà, on l’a retrouvée, elle est « posée » à l’école après son enfance mouvementée, elle n’a pas cessé d’être éruptive. Son don est toujours bien présent et Violine l’utilise lucrativement auprès de ces camarades d’école, en vendant quelques réponses de devoirs ou d’examens. On ne sait pas ce qui s’est passé durant cette longue période d’absence et il y a toujours la place pour que le lecteur invente, investisse avec sa propre imagination.
Vous parliez de cette amie qu’on retrouve, c’est finalement très cinématographique, comme la relation d’un réalisateur à un acteur fétiche. Mais en conviant le lecteur et en étant moins directif que ce que peut l’être un film.
Mais, ce serait pareil au cinéma, si je faisais un film, je pense. Ce que j’aimerais encore (ndlr. Le nouveau Jean-Claude est sorti il y a plus de quinze ans) … mais ça n’a pas souri jusqu’ici.
Après, c’est vrai que la gloire de la BD, c’est de laisser le temps, c’est très participatif.
Le titre de la série a changé (place au Troisième Oeil) mais le titre de ce premier tome, sur trois, est le même que ce qui devait être votre sixième album de Violine, avec Krings.
Avec Krings, je préparais une suite logique, avec les mêmes personnages du cycle africain. Mais on partait dans une vraie nouvelle aventure…
Déjà avec vue sur le continent asiatique ?
Oui, cet élément était déjà présent. Le premier cycle suivait la piste africaine, le deuxième s’accaparait la piste indienne. C’est une destination fascinante et j’aime bien déplacer notre ami le lecteur dans des endroits qu’il croit connaître pour mieux le surprendre. L’idée, c’est de déplacer le point de vue, de visiter la part d’ombre, celle qui ne va pas de soi dans les images qu’on nous rapporte le plus souvent. Tant qu’on ne l’a pas vécue, la réalité est faussée. Regardez nos enfants, à force de vivre dans un monde d’abondance, ils prennent ça pour acquis et même du. Il faut leur dire: « Attendez, les gars, ce n’est pas ça le monde! ».
© Tronchet/Brumaire chez Casterman
Vous définissez-vous pour autant comme un globe-trotter ?
Non, ou en tout cas d’une façon particulière. Ma façon de voyager n’est pas celle qu’on conçoit comme un tour du monde à cartes postales et toujours en mouvement. Moi, les destinations que je choisis, je veux y rester un long moment, m’imprégner… J’ai ainsi vécu trois ans en Amérique Latine, au Pérou, en Équateur. Je m’y suis fait des amis, ai acquis une façon de vivre, compris le pouvoir politique en place. J’ai l’impression de savoir un peu plus qu’avant de quoi il retourne.
À cela, j’aime l’idée d’avoir un personnage évolutif. Qui, à dix ans, était en Afrique; à 16 en Inde et à l’âge d’être un jeune adulte en Amérique du Sud, pourquoi pas. On verra. Le deuxième tome sera en tout cas vraiment spectaculaire. Le premier tome pose les enjeux, un petit monde très européen pour pouvoir faire plus grand dans la suite. Le Baron met plein d’énergie mais c’est très exigeant. Ce n’est pas du dessin fait sur un coin de table, il faut aller le chercher cet enthousiasme graphique.
© Tronchet/Brumaire chez Casterman
D’autres projets ?
J’ai passé six mois sur une île de Madagascar, avec mon fils, en totale déconnexion, sans internet ni rien, seulement les gens du coin. Un roman est sorti, Robinsons père et fils et je souhaite l’adapter en BD.
Propos recueuillis par Alexis Seny
Titre : Le troisième oeil
Tome : 1 – Le sommeil empoisonné
Scénario : Didier Tronchet
Dessin et couleurs : Baron Brumaire
Genre : Aventure
Éditeur : Casterman
Nbre de pages : 56
Prix : 11,50€
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