Rencontre exclusive avec Marc Jailloux
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Rencontre exclusive avec Marc Jailloux

A l’occasion de la parution de l’album Les Oracles de Marc Jailloux, dans l’esprit de Jacques Martin (Orion T4 Casterman), le scénariste et dessinateur  m’a accordé une interview exclusive. L’album raconte qu’à la fin du Vème siècle avant J.C., la cité d’Athènes est assiégée par l’armée de Sparte que Périclès redoute d’affronter sur la terre ferme. Pour conforter sa stratégie – s’abriter derrière l’enceinte et attaquer par voie maritime -, il envoie son épouse Aspasie recueillir l’avis des dieux. Mais, la mission secrète est surprise par des opposants, en cheville avec l’ennemi. Alors qu’il partait s’engager dans la flotte alliée d’Athènes sur l’île de Corcyre, Orion rencontre Panaïotis, un adolescent qui lui parle du Nécromantion, un lieu sacré où il est possible d’entrer en contact avec les morts. Ils décident d’y aller ensemble, mais ignorent qu’ils vont se retrouver au cœur d’un complot où se joue le sort d’Athènes. Intrigue à suspense autant que jeu de piste à énigmes, cet épisode ancré dans la réalité historique et la mythologie grecque permet aussi de suivre le parcours initiatique du nouveau compagnon d’Orion. Marc Jailloux a su trouver une suite astucieuse aux aventures de ce héros qu’il met en images dans un style fidèle à Jacques Martin. Avec des planches aux détails soignés, il rend hommage à son auteur fétiche, tout en modernisant la narration et la mise en couleurs. Orion représentait l’idéal de Jacques Martin. La tête bien faite dans un corps parfait, cet idéaliste est assoiffé de justice et de liberté. En outre, ce jeune patriote charismatique manie parfaitement le glaive et un arc transformable en fouet. Comme Les Voyages d’Orion et les épisodes précédents, le récit fascine…

Marc Bauloye : Comment vous est venue l’idée de ce récit ?

Marc Jailloux: L’idée de ce récit m’est venue d’une visite en Grèce. Celle d’un sanctuaire en Epyre qui s’appelle le Nécromantion. C’est un sanctuaire que l’on peut encore visiter. Il existe une partie de ce qui devait exister à l’époque. Mais, il y a même une église qui a été bâtie. En fait, c’est un sanctuaire qui est très ancien. Les anciens allaient s’y rendre pour entrer en contact avec les morts. Ce sanctuaire est mentionné par Homère dans l’Odyssée. De cette idée d’entrée en contact avec les morts, j’ai pensé à Orion. Orion a perdu sa femme Hilona et veut seulement la retrouver alors qu’elle est morte dans le Styx. Orion n’a pas vérifié et il ne semble pas trop affecté. Il a été la chercher dans le Styx. Je suis parti de ce tournant personnel. Cet homme qui a perdu sa femme et qui apprend par le jeune homme qu’il va rencontrer dans le sanctuaire où il rentre en contact avec les morts.

MB : Est-ce difficile de respecter l’esprit de Jacques Martin ? Aviez-vous une charte à respecter ?

MJ : Il y une charte à respecter parce que l’on est dans la tradition Jacques Martin. Il a amené un style, une manière de travailler. Il y a un style à respecter, mais, ce n’est pas du tout une contrainte. On sent qu’on a quelque chose à lui apporter. On se sent tellement proche du récit. Par contre, je me suis toujours dit : que ferait Jacques Martin s’il avait mon âge en 2011. Je me suis dit : il ne faut rien s’interdire. Il ne faut pas se priver de faire évoluer le personnage. Que ce soit au niveau des couleurs, au niveau du découpage tout en restant dans l’esprit en fait.

MB : Est-ce compliqué d’être à la fois le scénariste et le dessinateur ?

MJ : C’est compliqué parce qu’on est son propre maître. On est livré à nous même. On est disponible 24 h sur 24. On peut décider le récit. J’ai travaillé énormément le découpage. On ne le dit pas assez : c’est que Martin était un fabuleux raconteur d’histoire. Il savait découper un récit. Il savait nous nous faire rêver. C’est ce que j’ai fait en travaillant mon découpage. Ce qui permet de me rapprocher le plus de son travail. Cela donne un récit dense et équilibré.

MB : Comment faites-vous pour rendre les personnages si attachants ?

MJ : je crois que j’ai l’envie de me projeter. Je suis metteur en scène avec des acteurs. Ceux  avec lesquels j’ai envie de jouer. Je respecte le lecteur. J’essaye de sentir quand l’acteur joue faux. Je travaille dans ce style là. Cela permet de travailler beaucoup de temps sur un album. L’avantage, c’est de prendre du recul. On s’approprie les personnages comme les décors d’ailleurs. On voit quand l’acteur joue faux. Quand l’acteur joue vrai. Les acteurs existent par eux-mêmes.

 


MB : Orion et Panaïotis, est-ce un peu Alix et Enak ?

MJ : Pas du tout. Je crois me souvenir qu’Alix a 16 ans et Enak 14. Il y a une énorme différence d’âge entre Orion et Panaïotis dans mon album. Il y a une énorme différence d’âge pour mes personnages. Orion est plus adulte et Panaïotis est un adolescent. Panaïotis a une justification scénaristique dans le récit. C’est grâce à la relation par Panaïotis qu’Orion apprend l’existence du Nécromantion quand Orion le rencontre. C’est un enfant qui est en colère. Les dieux lui ont tout pris. Ils ont pris ses parents. Il est orphelin. C’est grâce à Orion qu’il a appris à franchir l’âge adulte. Le récit est un récit initiatique pour Panaïotis. Le voyage, c’est un parcours entre le monde des vivants et le monde des morts. C’est vraiment cela qui donne du corps au livre. Je ne m’interdis pas d’utiliser par la suite Panaïotis. Il a vraiment une justification sur cet album.

MB : La crypte du Nécromantion a-t-elle existé ?

MJ : Elle existe vraiment et je l’ai visitée. En fait, elle se visite. On pense qu’elle peut être d’époque préhistorique au moins mycénienne. On pense effectivement qu’Ulysse, quand il doit rentrer sur son île après avoir été envoyé interroger la magicienne Circé se rend là. C’est Tirésias qui l’envoie là. Il y a une tradition antique ce qui est fabuleux dans la Grèce. On se demande quelle est la part de vérité, quelle est la part de mythologie. J’ai appris au mois d’août de cette année que l’on avait retrouvé  des fondations d’un palais qui pourrait être le palais d’Ulysse.  

MB : Orion va-t-il revoir Hilona ?

MJ : En fait, dans le tome que j’ai réalisé, on voit qu’à la page 3 il dit : J’espère que là où tu te trouves, dans le monde d’Hadès, les dieux te chérissent plus que je n’ai eu le temps de le faire. C’est une façon de remettre en contexte Orion qui a perdu sa femme. Morte dans la caverne du Styx. Elle vit peut-être encore dans le récit. Un prêtre interroge le monde des morts quand il doit descendre avec Orion dans les sous-sols, il dit je cherche, mais je ne la vois pas. Si je ne l’a voit pas, c’est parce qu’elle n’y est pas. Donc forcément, Orion va être amené à la revoir. Elle est vivante !

MB : Comment vous êtes-vous documenté ?

MJ : Je me suis documenté énormément en bibliothèque, par des vidéos, des journaux, des DVD. Ensuite, je me suis rendu en Grèce et j’ai parcouru le chemin que font Orion et Panaïotis A l’exception du voyage que j’ai fait entre l’Epire et Athènes. Je suis allé sur l’île de Corfou. J’ai été passé du temps à Athènes en repérages pour reconstituer l’agora à l’époque  classique. C’était un gros travail. J’ai été me documenter là bas. On trouve des documents à l’école française et américaine d’Athènes ; des photos de végétations, des photos de fondations. De ce qui reste. Parce qu’il ne reste plus grand-chose. Tout cela sert à immerger le lecteur. Cela sonne vrai.

MB : Comment avez-vous procédé pour la partie graphique ?

MJ : En fait pour ce récit, j’ai fait tout l’album en version story board. Des dessins assez sommaire avec tous les textes, en parfait équilibre au niveau des planches et des séquences, au niveau des alternances des climats et des ambiances. Une fois que c’était fait, je suis parti dans le dessin. Je travaille sur les séquences petit à petit. Je dessine mes cases. Je positionne d’abord les textes qui se placent généralement en haut. Ensuite, je commence à faire mes mises en place des personnages. Cela prend une journée. Je fais mes mises en place. Cela peut être tout à fait empirique. Je traite en même temps les décors et les personnages. Je monte ainsi mes planches. Une fois qu’elles sont terminées au crayon, je passe à l’encrage, puis à la plume. Les couleurs sont faites par une amie Corinne Billon. Je suis très content par rapport à son travail. C’est une coloriste de métier et une graphiste. Elle n’était pas du tout familière de l’entourage de Martin. Ce que je voulais faire dans l’esprit Martin, c’était de ne pas se figer à une époque. Où de faire quelque chose qui avait été fait. C’est d’essayer d’imaginer ce que Martin aurait fait.

MB : Quels sont vos projets ?

MJ : Continuer à créer d’autres albums. Je suis en train d’écrire d’autres scénarii pour Orion. J’ai déjà deux histoires en tête que je tends à développer car je voulais un peu intégrer Orion avec les deux suivants dans un cycle qu’on appellerait le cycle d’Hilona. Je me refuse à écrire des scénarii qui tirent sur un suspens en longueur…

Propos recueillis par Marc Bauloye

 



Publié le 15/02/2011.


Source : Graphivore

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