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Tronchet a retrouvé Violine et elle est ado : « Ce serait désolant de connaître les moindres secrets de la vie de nos héros »

Au fil des pages du journal Spirou, on avait plongé dans son regard violet. Puis, dans un dernier clin d’oeil, les aventures de Violine s’étaient arrêtées net. Avec un goût de trop peu. D’autres héros l’avaient chassée de nos esprits mais son souvenir revenait à rythme régulier, culte oserait-on dire. À bon escient puisqu’elle comptait revenir, sous une autre forme graphique qui n’a en rien étouffé sa témérité. Nous avons rencontré son papa, Didier Tronchet qui anime désormais le destin de sa protégée toujours en danger avec le Baron Brumaire dans une série qui n’est plus éponyme mais porte le nom on ne peut plus équivoque : Le troisième Oeil. Allez, hop, on part en voyages.

 

 

 

 

 

 

© Tronchet/Brumaire chez Casterman

 

Bonjour Didier, c’est une sacrée surprise que vous nous faites là, on ne s’y attendait pas à ce retour de Violine, quasiment dix ans après le dernier épisode.

C’est difficile de résumer ce long chemin. J’étais parti avec Dupuis sur une série pour enfants. Chemin faisant, j’ai connu tous les aléas qu’on peut connaître en tant que scénariste d’une série. Le premier dessinateur s’est démotivé et a quitté le projet, il a fallu deux-trois ans pour qu’un nouvel album paraisse avec Krings aux commandes, dans son élément. Même si le temps était un ennemi, le principe fonctionnait et l’accueil était bon. Mes enfants mais aussi ceux de mes amis adoraient. Mais, alors que nous préparions le sixième album, Le Sommeil empoisonné, notre éditeur a décidé de stopper la série.

 

 

 

 

© Tronchet/Krings chez Dupuis

 

 

 

 

© Tronchet/Baron Brumaire chez Casterman

 

Et dix ans sont passés. Pourquoi teniez-vous tant à la faire renaître, différente tout de même car désormais adolescente, votre héroïne.

C’était mon engagement dans le monde du récit jeunesse. Moi, je ne suis pas réputé pour ça, on me définit plus volontiers comme corrosif, cynique, dans la dérision. La BD jeunesse, c’est un espace d’expression détaché de tout second degré, avec un public intéressant à toucher, un public encore en devenir, auquel on peut poser des questions, semer des petites choses pour favoriser un terreau d’ouverture d’esprit. Si la base est fun, nous avons une responsabilité en tant qu’auteurs. Les centres d’intérêt ont beau être volatiles, on peut concentrer les choses. La fiction rend le réel plus digeste en passant par l’émotionnel, le ludique aussi.

 

 

 

 

© Tronchet/Brumaire chez Casterman

 

Je pense notamment aux migrants dans nos pays. Si on en parle de manière dramatique avec des statistiques, de l’économie, comme le font les journaux, comment voulez-vous que les gens comprennent. Mais si on suit un migrant sur sa route, avec une capacité importante à s’y identifier, ça rend cela plus humain. Plus que de les voir de loin à la télé. Je crois beaucoup en ce mode de récit, en sa faculté à ne pas relâcher le lecteur indemne de sa lecture. Je suis atterré des outils scolaires déployés, par contre. Je ne comprends pas comment on peut raconter le mode avec des outils aussi datés.

 

 

 

 

© Tronchet/Brumaire chez Casterman

 

Alors, je tente que ça soit plus fructueux avec mes outils de narration. Modestement, hein, il faut se méfier des mots, des intentions. Je pense que chaque auteur a sa petite part de boulot mais si chacun réussit son coup…

Mais, si dix ans ont passé, n’avez-vous pas eu le réflexe, en écrivant cette suite, de revenir à la petite Violine des cinq premiers albums ?

Disons que ça m’a aidé d’avoir eu des enfants qui sont passé par cette phase. Comme ma fille qui a trente ans, aujourd’hui. Je voyais comme l’adolescence fonctionnait, je m’aide beaucoup de ma vie personnelle. Si je préfère l’imaginaire, je n’ai pas de souci à ce qu’il s’appuie sur des éléments concrets. À chaque fois que j’ai un doute, je me recentre sur ce que je vis, mon ressenti.

 

 

 

 

© Tronchet/Brumaire chez Casterman

 

Violine demeure votre seule série jeunesse, pourquoi ne pas lui avoir donné un frère ou une soeur, d’autres séries dirigées vers ce public ?

C’était compliqué, il y a déjà tellement de séries jeunesse. Puis, surtout, j’ai mis toute mon énergie dans le premier cycle, et maintenant le deuxième, de mon héroïne.

Cette fois, changement radical de style, mais, dites-moi, vous n’avez jamais pensé à la dessiner, Violine ?

J’en suis incapable, mon dessin n’est pas adapté, ni plaisant ni rassurant pour le public auquel Violine est consacrée. Il fallait un plus grand dépaysement et j’aurais été incapable de dessiner les décors indiens. Moi, je suis plus statique, il fallait qu’un autre dessinateur s’empare du sujet.

 

 

 

 

© Tronchet/Brumaire

 

Du coup, c’est le Baron Brumaire qui prête vie et traits à Violine.

On est très loin de Krings, c’est sûr. Mais c’est voulu, je voulais organiser une rupture par rapport à ce qui aurait pu être une vague reprise. Je voulais montrer qu’elle n’était plus l’enfant qu’elle était quand on l’a laissée en stand-by et arrêter le lien post-Spirou. Le Baron possède un grand dynamisme, une telle modernité, de la vigueur. C’était radical et il s’est imposé. Je l’avais rencontré du temps où j’étais rédacteur en chef de l’Écho des Savanes, je l’avais apprécié. Et quand on a réfléchi au deuxième cycle de Violine, il a fait quelques tests tellement excitants dans des décors indiens.

 

 

 

 

© Tronchet/Brumaire

 

Je trouve injuste qu’avec son art si personnel, il n’ait jamais eu vraiment l’espace pour l’exprimer au mieux ! Alors, j’espère que cette série le fera reconnaître.

Là, pour le coup, dans ce premier tome, on n’y est pas encore en Inde.

Attendez, vous allez voir ! Le Baron a un dessin très jeté, une énergie…

 

 

 

 

© Tronchet/Brumaire chez Casterman

 

… à tel point qu’il immerge assez bien le lecteur, c’est à lui de compléter le trait, de faire vivre encore un peu plus les personnages.

Il y a de ça, le trait n’est pas fini, pas léché ni fermé. Il n’est pas référencé comme d’autres auteurs, le Baron a une patte indéniable.

Puis, c’est aussi une façon d’oublier le premier cycle, de repartir à zéro sur ce deuxième. Je ne sais d’ailleurs pas si le lecteur de l’ancienne version sera au rendez-vous. Peut-être sera-ce l’occasion de toucher un autre public ?

 

 

 

 

© Tronchet/Brumaire chez Casterman

 

Dix ans, ça fait une longue ellipse… Vous savez ce que votre personnage a fait durant tout ce temps ?

Éh bien, écoutez, j’aimerais bien le savoir. J’aime à penser que les héros sont autonomes et vivants. Qu’ils n’ont pas toujours besoin de nous. Ce serait même désolant de savoir tout de leur vie, de leurs moindres secrets. Violine, c’est comme une amie qu’on retrouve, qui nous contacte et nous dis : « J’ai plein de choses à te raconter depuis la dernière fois. »

 

 

 

 

© Tronchet/Brumaire chez Casterman

 

Alors, voilà, on l’a retrouvée, elle est « posée » à l’école après son enfance mouvementée, elle n’a pas cessé d’être éruptive. Son don est toujours bien présent et Violine l’utilise lucrativement auprès de ces camarades d’école, en vendant quelques réponses de devoirs ou d’examens. On ne sait pas ce qui s’est passé durant cette longue période d’absence et il y a toujours la place pour que le lecteur invente, investisse avec sa propre imagination.

Vous parliez de cette amie qu’on retrouve, c’est finalement très cinématographique, comme la relation d’un réalisateur à un acteur fétiche. Mais en conviant le lecteur et en étant moins directif que ce que peut l’être un film.

Mais, ce serait pareil au cinéma, si je faisais un film, je pense. Ce que j’aimerais encore (ndlr. Le nouveau Jean-Claude est sorti il y a plus de quinze ans) … mais ça n’a pas souri jusqu’ici.

Après, c’est vrai que la gloire de la BD, c’est de laisser le temps, c’est très participatif.

Le titre de la série a changé (place au Troisième Oeil) mais le titre de ce premier tome, sur trois, est le même que ce qui devait être votre sixième album de Violine, avec Krings.

Avec Krings, je préparais une suite logique, avec les mêmes personnages du cycle africain. Mais on partait dans une vraie nouvelle aventure…

Déjà avec vue sur le continent asiatique ?

Oui, cet élément était déjà présent. Le premier cycle suivait la piste africaine, le deuxième s’accaparait la piste indienne. C’est une destination fascinante et j’aime bien déplacer notre ami le lecteur dans des endroits qu’il croit connaître pour mieux le surprendre. L’idée, c’est de déplacer le point de vue, de visiter la part d’ombre, celle qui ne va pas de soi dans les images qu’on nous rapporte le plus souvent. Tant qu’on ne l’a pas vécue, la réalité est faussée. Regardez nos enfants, à force de vivre dans un monde d’abondance, ils prennent ça pour acquis et même du. Il faut leur dire: « Attendez, les gars, ce n’est pas ça le monde! ».

 

 

 

 

© Tronchet/Brumaire chez Casterman

 

Vous définissez-vous pour autant comme un globe-trotter ?

Non, ou en tout cas d’une façon particulière. Ma façon de voyager n’est pas celle qu’on conçoit comme un tour du monde à cartes postales et toujours en mouvement. Moi, les destinations que je choisis, je veux y rester un long moment, m’imprégner… J’ai ainsi vécu trois ans en Amérique Latine, au Pérou, en Équateur. Je m’y suis fait des amis, ai acquis une façon de vivre, compris le pouvoir politique en place. J’ai l’impression de savoir un peu plus qu’avant de quoi il retourne.

À cela, j’aime l’idée d’avoir un personnage évolutif. Qui, à dix ans, était en Afrique; à 16 en Inde et à l’âge d’être un jeune adulte en Amérique du Sud, pourquoi pas. On verra. Le deuxième tome sera en tout cas vraiment spectaculaire. Le premier tome pose les enjeux, un petit monde très européen pour pouvoir faire plus grand dans la suite. Le Baron met plein d’énergie mais c’est très exigeant. Ce n’est pas du dessin fait sur un coin de table, il faut aller le chercher cet enthousiasme graphique.

 

 

 

 

 

© Tronchet/Brumaire chez Casterman

 

D’autres projets ?

J’ai passé six mois sur une île de Madagascar, avec mon fils, en totale déconnexion, sans internet ni rien, seulement les gens du coin. Un roman est sorti, Robinsons père et fils et je souhaite l’adapter en BD.

 

Propos recueuillis par Alexis Seny

 

Titre : Le troisième oeil

Tome : 1 – Le sommeil empoisonné

Scénario : Didier Tronchet

Dessin et couleurs : Baron Brumaire

Genre : Aventure

Éditeur : Casterman

Nbre de pages : 56

Prix : 11,50€



Publié le 21/03/2018.


Source : Bd-best


Crapule, un huis clos entre l’héroïne et le chat

Crapule est un chat, un vrai. Le genre qui porte bien son nom. Dans son appartement au cœur de la ville, il profite d'une vie paisible - ce qui est moins le cas de sa maîtresse... Missions d'exploration dans les placards, amour fou avec les rideaux et séances de câlins incongrues : tout est garanti "100 % vécu" par les propriétaires félins. Servi par un trait léger et expressif, ce one-shot humoristique signé Jean-Luc Deglin est un cadeau à tous les adorateurs de  machines à ronrons.

Interview du papa de « Crapule », Jean Luc Deglin

D’où vient l’histoire de  «Crapule » ?


C’est une personne, chaleureusement remerciée dans le livre, qui m’a donné cette idée. Le but était de présenter quelque chose de très simple et d’accessible pour les gens qui ne lisent habituellement pas de bande dessinée. Le défi, c’était d’avoir du strip, quelque chose qui soit en dehors et démarqué du cadre habituel de le BD.

Quel est l’accueil du public ?

Je suis content, car en dédicace il y a beaucoup de gens qui me disent : c’est ma première BD, soit des enfants et même des adultes. Il y a des enfants qui apprennent même à lire avec le livre.

 

 

 

 

© Deglin - Dupuis

 

 

 

Avez-vous un chat à la maison ?

Oui, j’en ai un. C’est très inspiré de mon chat, qui identique et s’appelle crapule. Plus on est intime avec sa propre expérience, plus on est universel. Je me suis dit plutôt que dessiner un chat lambda je vais dessiner mon chat. Quand j’ai commencé crapule, je ne savais ni dessiner des chats et à peine dessiner les femmes ! Pour moi c’était aussi cela le défi : dessiner une BD avec ce que je ne sais pas faire. Mais j’ai encore beaucoup de progrès à faire pour dessiner les deux ! Du coup je me suis dit pour dessiner une femme et un chat autant dessiner quelque chose qui soit existant. C’est de cette manière que j’ai débuté et c’est ainsi que je continue.


L’idée de recevoir un chat dans une boite et de l’ouvrir une semaine plus tard ?

C’est un artifice de fiction, ce n’est pas une autobiographie. Il vaut mieux éviter l’expérience car cela se garde moyennement dans le carton !

 

 

 

© Deglin - Dupuis

 

 

 

 


L’histoire est abordable pour un large public ?

Ce qui me fait plaisir, c’est que dans mon public est composé d’enfants de 7 ans et de  personnes âgées de 77 ans confirmant le but de départ. Jamais, je n’aurais imaginé qu’ils y aient autant d’enfants parmi mes lecteurs, cela me fait d’autant plus plaisir.

Des gags en une page ?

On a utilisé le même schéma de gag en quatre cases, pas beaucoup de textes ou alors ils sont très lisibles. Je l’ai testé avec ma nièce qui a bientôt trois ans en lui lisant le soir, elle regarde les images et cela la fait beaucoup rire.

 

 

 

© Deglin - Dupuis

 

 

 

 

Au plus j’avance dans la lecture du livre, au plus je retrouve ma propre « Crapule » ?

Il y a énormément de BD de chat, je ne suis pas le dernier arrivé. « Crapule », cela a commencé il y a quand même dix ans dans Spirou.  J’ai lu aussi tout ce qui est sorti entre- temps avant la sortie de « Crapule ». Il y a quelque chose qui se fait assez peu dans la bande dessinée, c’est représenté un véritable chat. C’est un chat qui ne parle pas, que l’on entend penser et qui se comporte comme un véritable chat. C’est vraiment du visuel, ce qui en fait le succès. C’est vrai que les gens reconnaissent assez facilement les attitudes de leurs chats.

Y a-t-il des éléments que tu voudrais retoucher ?

Plein de choses au début du livre et finalement je me suis dit non, le livre évolue avec mon dessin. Il faut assumer le fait que cela change entre la première et la dernière page. C’est aussi vrai pour les plus grands : si Uderzo dit je ne vais pas refaire mes pages, il faut accepter de laisser partir les planches.

 

 

 

© Deglin - Dupuis

 

 

 

 

Le choix de la bichromie ?

Vu que c’était du strip, il fallait  mettre du décor et se limiter à l’indispensable. Pour la couleur, la seule dont j’ai besoin, c’est le noir du chat qui va me servir à la fois d’ombre et d’ambiance. On  peut aussi prévoir le livre à l’international: à traduire cela ne va pas être trop compliqué, il y a peu de texte et les chats sont des animaux territoriaux.

Peut-on espérer une suite ?

Effectivement, je travaille déjà  activement à la suite qui devrais sortir pour la fin de cette année.
Avec de nouvelles idées ?
Oui et tout en restant dans l’habitation, l’idée est de conserver un huis clos entre l’héroïne et le chat. Finalement je raconte autant de chose sur l’héroïne que sur le chat, l’idée était d’utiliser le chat pour raconter de l’intime. Ce sont des petits moments de la vie de tous les jours, ces petits moments de rien du tout qui racontent comment on est chez soi lorsque personnes nous observent sauf un chat. Ce dernier est témoin de chose que l’on ne voit jamais, que même une webcam ne montre pas c’est à dire des moments de vie, des moments de rien, des moments où l’on est assis sur un canapé, des moments où l’on a la tête ailleurs. Pour la suite, on va continuer de plus en plus à aller vers l’intime.

Un titre prévu pour le prochain tome ?

Cela va être très simple : « Crapule 2 » quoi que « Le retour de Crapule » où alors pourquoi pas (dans un grand éclat de rire)  « La vengeance de crapule »…

 

Propos recueillis par Alain Haubruge

 

 

Série : Crapule
Tome : 1
Dessins : Deglin
Couleurs : Deglin
Scénario : Deglin
Éditeur : Dupuis
Collection : Tous Publics
Nombre de pages : 128
Prix : 14,50 €
ISBN : 9782800174006



Publié le 19/03/2018.


Source : Bd-best


Flore Balthazar, héritière des Louves : « En tant qu’autrice, c’est important d’affirmer notre version des choses là où on continue encore beaucoup de parler à notre place »

Il y a un petit air de Reggiani qui nous parcourt l’esprit au moment d’ouvrir le nouvel album de Flore Balthazar. Seule aux commandes, la jeune autrice s’est plongée dans ses souvenirs de famille pour retourner dans sa ville, La Louvière, au moment de la Seconde Guerre Mondiale. Et notamment via ce que lui en a raconté sa grand-tante Marcelle. Des souvenirs finalement peut-être pas si douloureux que ce qu’on aurait pu le penser. La famille Balthazar, au-delà des privations, n’a pas eu à faire face à des drames trop insurmontables. Ce qui rend finalement le récit peut-être plus léger mais pas moins intéressant, loin s’en faut. D’autant que c’est la vie de femmes comme les autres que Flore suit à la trace et au crayon. Interview.

 

 

 

 

 

 

© Flore Balthazar chez Dupuis

 

Bonjour Flore. Alors, ça y est, vous avez franchi le pas du scénario aussi. Du moins sur un album d’aussi longue haleine.

Je n’avais pas le choix. Cette histoire, personne d’autre que moi ne pouvait la raconter. Alors, oui, en effet, j’avais déjà scénarisé des histoires dans le Journal de Spirou mais ce n’était jamais plus qu’une dizaine de planches. J’ai eu un peu peur, 184 planches, ça revient à faire un saut quantique.

 

 

 

 

© Flore Balthazar chez Dupuis

 

Chaque bouquin est un défi en soi: les décors, ceci et cela. Sur mon dessin, je n’ai pas toujours été sûre de moi, je ne voulais pas exagérer. Quant au scénario, c’était un saut dans le vide.

Cette histoire, c’était le meilleur moyen de le franchir, alors ?

Disons que c’était latent, au fond de moi, ça faisait partie de mon éducation. C’est l’histoire de Marcelle qu’on tannait pour qu’elle la raconte. On était fascinés.

Mais, dans certaines familles, le devoir de mémoire n’est pas si évident, il y a des silences, des tabous. Ce n’était pas le cas ici ?

Non, José-Louis Bocquet, mon éditeur, était intéressé par les histoires que véhiculait ma famille. Celle d’André Balthazar, mon grand-oncle, qui avait créé la maison d’édition Daily-bul dans les années 50.  José-Louis me tannait. Moi, ça ne me parlait pas des masses. Par contre, s’il y avait une histoire à raconter sur ma famille, c’était celle que j’apprenais entre mes 15 et 20 ans. Cette histoire de famille pendant la guerre, avec des bonnes femmes.

 

 

 

 

© Flore Balthazar chez Dupuis

 

Adolescente, ma grand-tante m’a pas mal éduqué, j’allais chez elle après les cours. Au fil des anecdotes, j’ai compris que les années de guerre ont aussi pu être joyeuses. Même s’il y avait des bombardements, même si certains prisonniers étaient emmenés loin. Il y avait une envie de s’amuser, de vivre. Sans doute n’y a-t-il pas eu de tabou parce que l’issue a été favorable pour notre famille, que tous ont échappé à la mort. Les tabous étaient sur d’autres sujets. Mais dans le quotidien de la guerre, il n’y a pas eu de grande catastrophe. Ce n’était pas la Grande Évasion tous les jours. Il n’y avait pas de moto, de toute façon. Non, l’enjeu, c’était par exemple de trouver des patates au jour le jour.

Alors vous commencez votre album par une phrase de Steinbeck.

C’est mon roman fétiche. John Steinbeck, c’est mon écrivain préféré, parce qu’il arrive à amener un côté « quotidien » dans son oeuvre. Rue de la sardine, Tendre jeudi, ce ne sont pas des grandes épopées mais ça touche.

Et cette citation qui, à l’heure où on sent souvent le besoin de la bande dessinée et de ses lecteurs à trancher entre la fiction et le réel, dit que ce n’est pas parce que ce n’est pas arrivé que ça ne peut pas être vrai.

Clairement. Globalement, tout ce qui est arrivé à ma famille est vrai. J’ai oeuvré avec respect, j’ai pris acte des remarques de ma grand-tante, je ne voulais surtout pas la gêner.

Par contre, Marguerite Bervoets, elle n’était pas de La Louvière mais de Tournai. Mais, globalement, les grandes étapes restent les mêmes, classiques. J’ai essayé d’en faire un archétype, une synthèse emblématique des femmes en résistance qui souvent s’occupaient de tâches comme la distribution, la logistique. Forcément, on fait moins attention à la petite-fille qui a l’air inoffensive qu’au grand malabar.

 

 

 

 

© Flore Balthazar chez Dupuis

 

Puis, il y avait la résistance passive, les gens qui étaient obligés de travailler dans la production de charbon. Dès qu’ils le pouvaient, ils tiraient au flanc. Le but pour moi, c’était d’arriver à rappeler les enjeux, c’est bien beau d’écrire une oeuvre, mais je ne pouvais pas ignorer que si on était chopé, ça ne rigolait pas. Il y eut des moments d’occupation plus rigide.

Tout ça me donnait l’espace pour des choses plus intimes: l’avortement, le fait que certaines couchaient avec des Anglais parce que ces temps troublés incitaient à vivre dans l’instant. Certaines femmes faisaient des choses qu’en tant que femmes bien élevées, elles n’auraient jamais faites s’il n’y avait pas eu la crainte de la mort.

 

 

 

 

© Flore Balthazar chez Dupuis

 

J’ai mis la fiction et la réalité côte à côte pour que les deux axes s’entremêlent et se répondent, dans l’idée de faire un catalogue de ce que les femmes pouvaient faire à l’époque: de celle qui tombe sous le charme d’un Allemand à celle qui reste sage et s’occupe de sa famille… La voix des femmes a un intérêt pour moi, ce n’est pas ce qu’on a forcément beaucoup raconté… ou que les hommes racontaient à leur place. En tant qu’autrice, c’est important de donner, d’affirmer notre version des choses, là où on continue encore beaucoup de parler à notre place. Puis, c’est graphiquement plus facile, plus naturel de se diriger vers des personnages qui nous ressemblent.

Alors, avec Les Louves, vous nous emmenez aussi en balade.

C’était la réalité de cette région, campagnarde. Au bout de la rue, on se retrouvait très vite à la campagne.

 

 

 

 

© Flore Balthazar chez Dupuis

 

La Louvière porte-t-elle encore des stigmates de la guerre.

Dans mon enfance, je vivais à un coin de rue du lieu de l’action. Il y avait encore un bout de terrain vague, un trou d’obus. Dans une des maisons familiales, au grenier, caché, on décelait deux types de briques différentes, celle d’avant-guerre et celle d’après-guerre. On devinait qu’il y avait eu reconstruction. Il faut dire que La Louvière était visée par les Américains qui voulaient atteindre un centre industriel proche. Les Louviérois leur en voulaient un petit peu. À raison: ils visaient très mal ; leur précision de bombardement équivalait à un rayon de 100 km. C’était le tapis, et si la cible était dans le tapis, tant mieux.

Paradoxal, non, qu’ils soient du coup accueillis comme des héros ?

Il y avait un rapport ambivalent. S’ils étaient vus comme des héros, ils étaient aussi des extra-terrestres, grands, bien nourris – plus que ceux qui étaient en guerre depuis des années là où les Américains « n’essuieraient » le feu nazi que durant quelques mois – pas totalement humains. « C’est nin des d’gins » comme nos grands-parents disaient.

 

 

 

 

© Archives de la Ville et du CPAS de La Louvière

 

Les Anglais, pour le coup, nous ressemblaient plus, ils mangeaient mal depuis cinq ans. Bon, après, les gens étaient quand même admiratifs, très américanophiles. Mais ils venaient d’on ne sait où.

Tous, quelle que soit leur nationalité, sont à plusieurs moments du livre, représentés comme des loups.

À part les Nazis qui ont les yeux rouges, c’était une manière de les mettre tous à nu. Si ce n’est que certains boivent du thé, que d’autres râlaient… (elle rit).

Et Les Louves ?

Évident quand on parle de La Louvière, mais aussi parce que mon arrière-grand-mère était une mère-louve, repliée sur sa base. Puis, pendant la guerre, difficile de ne pas faire le rapprochement avec les animaux: la quête de nourriture, d’un abri… Les mecs belges ont bien tenté de protéger tout ça, mais ils ont tenu quatorze jours, disons que les Pantzers étaient plus motivés.

 

 

 

 

© Flore Balthazar chez Dupuis

 

Si on parle des occupants, vous faites bien la distinction entre Nazis et Allemands…

Le contre-maître auquel mon arrière-grand-père a eu affaire au stalag était un peu « syndicaliste », par exemple, il défendait les droits des ouvriers, quelle que soit leur provenance.

Il y a ce « ils sont comme nous », aussi.

Oui, certains étaient très endoctrinés, des idéologues forcenés. D’autres étaient contents que l’Allemagne gagne parce que c’était leur pays. D’autres encore ont eu une adhésion forcée aux valeurs nazies, des jeunes avaient été éduqués là-dedans. Un gars de 18 ans en 1940 avait ainsi déjà  baigné dans le nazisme durant sept ans. À l’échelle de sa vie, c’était beaucoup. Sans compter, les faits de groupe, les obligations. Des choses qui, au départ, n’étaient pas forcément désagréables.

 

 

 

 

© Flore Balthazar chez Dupuis

 

Cette figure du père, un peu défaitiste. Pas forcément réconfortante, si ?

Il avait été vaincu très vite, au bout de 18 jours. Mon arrière-grand-père était quelqu’un de très bien, très caustique mais pas méchant. Puis, s’il faisait une remarque, les ados se vexaient vite, vous savez. Il y avait autre chose : revenir après deux ans de captivité au Stalag, même s’il était plutôt bien traité, c’était aussi avoir à affronter un monde avait changé, les filles fréquentaient les garçons. Ah, ses précieuses filles.

Sinon, il avait une idée dépassée du fair-play, du combat en uniforme et face-à-face.

Et quand vient la fin de la guerre, les comptes se règlent.

Oui, avec dénonciation, tonte des femmes ayant couché avec des soldats allemands. C’était dégueulasse.

 

 

 

 

© Flore Balthazar chez Dupuis

 

Il faut dire aussi que les Français, les Belges avaient vu leur honneur viril bafoué. Alors, il y avait sans doute là quelque chose d’un réflexe, d’une réaction virilise, de réappropriation du corps de la femme. « Non, vous ne faites pas ce que vous voulez de votre corps. »

Alors que, dans les faits, qu’on couche avec un allemand ou pas, ça ne changeait pas grand-chose, tout juste étaient-ils tous les deux un peu plus détendus, peut-être. (elle rit) Parfois, c’était encore pire que ça, avec des représailles pour des commerçantes qui avaient juste eu le malheur d’être aimables avec l’occupant.

La documentation, où l’avez-vous trouvée ?

J’avais déjà pas mal de documentation familiale, j’ai aussi été rechercher un album photo de La Louvière. Mais, il y a un stade où il faut savoir laisser les choses de côté, se laisser porter. Je ne cherche pas à être précise au numéro près dans une rue.

 

 

 

 

© Flore Balthazar chez Dupuis

 

Et si de La Louvière, je connaissais bien le quartier de ma jeunesse, je ne l’ai pas non plus reconstitué de mémoire, je me suis servi de pas mal de photos. Parfois, on cherche comment représenter un détail, un petit truc flou, ou sous un autre angle… On est bien obligé de bidouiller. D’ailleurs, en discutant avec Thierry Deplancq, l’archiviste qui a rédigé la préface, j’ai vite compris que la gare que j’avais représentée comme celle de La Louvière le chipotait. « Tu es sûre que c’est celle de La Louvière? » Bien sûr que non. Si l’extérieur correspondait, l’intérieur, les quais n’étaient pas documentés. Alors du coup, j’ai fait ceux que je connaissais le mieux, ceux de… Schaerbeek. Je ne suis pas une historienne, je ne vais pas mettre des panneaux dans les cases : « Désolé, je n’ai pas trouvé de photo ».

Puis, il y a cette séquence qui dure presque vingt planches, le gros bombardement. Le rythme s’intensifie.

 

 

 

 

© Flore Balthazar chez Dupuis

 

Quand un obus vous tombait sur le coin de la tête, ça ne rigolait pas. Ce sont des choses qui marquaient, écrites dans les souvenirs de Jacques ou Yvette, dans les archives de Tantelle. Ce genre de chose dont on réchappait avec du bol, en se posant la question de si, en cas d’alerte bombardement, il valait mieux aller dans le jardin ou à la cave. Le jour où il a fallu décider, ils ont choisi la cave. La bombe est tombée dans le jardin ! Il n’y a pas de raison à ça, sinon le coup de bol. Qui a contribué à ce que notre famille n’ait pas été touchée par la tragédie.

D’autres n’ont pas eu cette chance comme le montre l’image la plus gore (et la seule ?) de tout cet album : un malheureux facteur décapité ?

C’est véridique, on l’a vraiment retrouvé dans cet état ce pauvre facteur.

 

 

 

 

© Flore Balthazar chez Dupuis

 

Si on reste à La Louvière mais qu’on prend un aller pour 2018, on peut vous retrouver au Centre Daily Bul & co pour une exposition, jusqu’au 15 avril.

Oui, le public peut y découvrir des planches mais aussi des recherches, les documents dont je me suis servie. Le making-of, quoi !

 

 

 

 

© Clichés Marcelle Balthazar

 

Puis, il y a donc cet album qui arrive chez Aire Libre, collection ô combien estimée qui fête ces trente ans.

Oui, et j’ai un certain nombre de coups de coeur dans cette collection. Le Zoo de Philippe Bonifay et Frank Pé, les albums d’Hausman, Will. Puis Blain, Le réducteur de vitesse ! Quand on m’a annoncé que j’allais intégrer la collection, j’ai été un peu gênée. Oh mon dieu ! Au final, c’est un petit Aire Libre dans le format, donc ça va. Mais, c’est vrai, que du beau monde dans cette collection.

La suite, alors ?

On a un nouveau projet avec Jean-Luc Cornette mais ce n’est pas tout à fait lancé. Puis, bon, je ne suis pas rapide. À long terme, je me dis que je me remettrais bien à scénariser un autre album.

On parle beaucoup désormais, et heureusement, des femmes dans le monde de la BD, mais êtes-vous des auteures ou des autrices ? Je me suis laissé dire que vous sauriez m’aider à trancher.

Chacune décide. Moi, pour le coup, je me suis tourné vers « autrice ». C’est le mot historique, « aimablement » viré par l’Académie Française et ses représentants masculinistes.

Auteure, c’est plus un néologisme, s’il démasculinise le terme, il n’est pas logique pour autant.

 

 

 

 

© Flore Balthazar chez Dupuis

 

Au-delà de ça, j’utilise également l’écriture inclusive. Ça reste une proposition, une recommandation, dans un langage de tous les jours qui reste très genré. Même si l’Anglais est plus pratique pour ça, c’est important pour moi. Une langue et la manière de l’écrire, ça change la pensée, ça occulte ou empêche d’occulter. On oublie facilement quand on parle du mouvement ouvrier des années 50 que s’il y avait des hommes dans ses rangs, il y avait aussi des ouvrières. Et si on parle d’un mouvement des ouvriers mais aussi des ouvrières, cela donne une autre signification aux choses.

 

Propos recueillis par Alexis Seny

 

Titre : Les Louves

Récit complet

Scénario, dessin et couleurs : Flore Balthazar

Genre : Guerre, Drame, Chronique familiale

Éditeur : Dupuis

Collection : Aire Libre

Nbre de pages : 200

Prix : 18€



Publié le 15/03/2018.


Source : Bd-best


Jeanne Puchol: « À une époque, les libraires tiraient la sonnette d’alarmes parce que… 700 albums paraissaient par an »

1, 2… 1, 2… test… Vous nous entendez ? Bon, c’est vrai, il est plus facile d’émettre aujourd’hui qu’à l’époque de ces bonnes vieilles radios pirates, vectrices d’une libéralisation des ondes, de la parole (et notamment celle des marginalisés) pas forcément vu d’un bon oeil par ceux qui détiennent le pouvoir et… les bazookas pour éradiquer des mouches. On pourrait croire que c’était il y a des siècles mais non, c’était il y a moins de cinquante ans. Et Laurent Galandon et Jeanne nous font entrer dans ces cases de l’histoire avec l’image mais aussi le son. Interview avec Jeanne Puchol, autour de la radio d’hier et d’aujourd’hui, de Tac au Tac mais aussi de la situation actuelle du monde de la BD.

 

 

 

 

 

 

 

Ex-Libris pour BD Fugue © Galandon/Puchol chez Dargaud

 

Bonjour Jeanne,traiter de la radio mais sans le son, n’est-ce pas étrange ?

Mais il y a du son, des notes de musique, des chansons que les gens vont pouvoir fredonner. Le son, en BD, passe aussi par la forme des bulles. Puis, il y a aussi les bip bip, le brouillage de la TDF pour que le monopole ne soit pas entamé par ces radios pirate.

Mais, justement, cela ne revenait-il pas à utiliser un bazooka pour tuer une mouche ?

C’était en tout cas complètement disproportionné. C’étaient des radios bricolées, qu’on avait un mal fou à capter, qui faisaient 0 bénéf’. Alors pourquoi utiliser des camions de brouillage comme on le faisait lors de la Seconde Guerre Mondiale ?

 

 

 

 

© Galandon/Puchol chez Dargaud

 

Qu’est-ce qui leur faisait peur à ce point ?

Laurent et moi, on n’a pas trouvé la réponse. Après, nous ne sommes pas des historiens. Moi, je pensais que c’était dû à la proximité de Mai 68, il y avait cette peur que ça recommence, que le mouvement s’amplifie et devienne une révolution, que la terreur renaisse de ces sens face à une conception gaulliste du pouvoir pour laquelle l’ORTF était la seule voix acceptable. J’ai aussi été très étonné que Giscard soit aussi sourd sur cette problématique alors qu’il a su être à l’écoute de pas mal de besoins de l’époque, des droits des femmes… Alors qu’en plus, à l’époque, la presse écrite avait une certaine liberté de ton, Libération réapparaissait. Je n’arrive pas à comprendre cette méfiance plus que de raison.

 

 

 

 

© Galandon/Puchol chez Dargaud

 

Qui n’allait pas jusqu’à l’arrestation, tout de même, comme pour votre personnage.

Non, il y avait des saisies, la destruction du matériel mais pas d’incarcération.

Et vous, vous avez vécu cette époque des radios pirates ?

Bien sûr, le vent des radios pirates soufflait, je le savais mais je ne m’y suis pas vraiment intéressée? J’étais à un moment de ma vie où j’avais la tête à autre chose. Je passais plus de disque que ce que j’écoutais la radio.

 

 

 

 

© Galandon/Puchol chez Dargaud

 

Mais, ça m’a rattrapée, quelques années plus tard, lors de la sortie de mon premier album. En tant qu’interviewée. Il y avait Radio Libertaire, Radio Fréquence Gaie et Aligre FM, ce sont ces radios libres, héritières des pirates, qui m’ont permis mes premières interviews. Le micro tenait avec du scotch dans cet appart’ aménagé en studio, c’était de l’impro totale. J’avais 25 ans, j’étais pétrifiée. Sur Fréquence Gaie, je me souviens qu’ils profitaient de la coupure musicale pour préparer ce qui allait suivre, j’étais effarée. Mais ce sont des bons souvenirs.

 

 

 

 

© Galandon/Puchol chez Dargaud

 

Comme avec Laurent avec qui vous collaborez pour la deuxième fois.

Oui, on avait commencé avec Vivre à en mourir, il y a quatre ans. On avait envie de retravailler et ce thème collait tout à fait avec mes préoccupations du moment. J’ai connu cette époque, j’ai le même âge que les protagonistes. Je pouvais donc y investir ce mélange de fougue et de naïveté, de qui j’étais. C’était très tentant de replonger.

 

 

 

 

© Galandon/Puchol chez Dargaud

 

Puis, Laurent, il a cette manière d’aborder la chronique sociale, d’amener une dimension humaine. Puis Interférences, c’est un peu le troisième volet d’une trilogie avec Le contrepied de Foué. C’est aussi une suite indirecte de LIP, qui avait permis à Laurent de découvrir ce monde des radios pirates. Laurent a ainsi appris que les militants enregistraient leurs revendications pour les diffuser ensuite. Ce n’était pas exactement de la radio en tant que telle mais le but était le même. Interférences restant un docu-fiction, une histoire inventée sur un arrière-plan qui restitue toute une époque.

 

 

 

 

Sur le plateau d’une émission de France Inter © Puchol

 

Laurent était projectionniste de cinéma dans une autre vie, ça se sent ?


Oui, rien que dans la représentation de l’émission de nos deux héros. C’est une longue séquence, quatorze planches de huis-clos, de la folie. Je me suis demandé comment j’allais mettre ça en scène.

Une époque qui démarre sur un formidable coup de bluff.

Sur TF1, Brice Lalonde, du parti écologiste, a fait croire qu’une radio, Radio Verte, émettait en dépit des réglementations. En réalité, au-delà de son petit transistor, il avait un complice dans la même salle qui émettait donc à très courte distance. Mais il a fait croire que  c’était possible, c’était extraordinaire. Le PS, plus tard, allait en faire un argument électoral. En la voyant telle qu’elle était, une nécessité, un moyen d’entendre les gens qui d’ordinaire n’avait pas voix au chapitre.

Sur le tard, l’Italie, elle, n’avait pas attendu autant de temps et fournissait les « pirates ».

En 1976, le pays avait connu la libéralisation des ondes, c’était le pays par excellence où l’on pouvait aller chercher du matériel et des conseils.

 

 

 

 

© Galandon/Puchol chez Dargaud

 

Et comment ne pas évoquer Radio Caroline, mise en scène dans le fabuleux Good Morning England, d’ailleurs, pour tout vous dire, j’avais un peu peur que votre album soit redondant. Loin s’en faut.

C’est toute l’habileté du scénario de faire intervenir ce précurseur qui croisait dans les eaux internationales, dans l’illégalité tout en pouvant faire ce qu’ils voulaient. Et si nos deux héros vont croiser deux anglaises en France qui vont leur permettre de toucher à cette culture, ils vont aussi faire la rencontre déterminante de Douglas. Un ancien technicien de Radio Caroline. Après, c’est un hâbleur, dit-il vrai ou pas, la question est posée. C’est lui qui va les pousser à se lancer dans la radio pirate, ça va faire tilt.

 

 

 

 

© Galandon/Puchol chez Dargaud

 

Pablo et Alban sont vos deux personnages principaux, totalement différents, l’un faisant sa crise de bourgeoisie, l’autre venant d’une famille plus prolétaire. Comment crée-t-on graphiquement des personnages pareils ?

En respectant un BA-ba obligé quand on a affaire à deux personnages constamment à l’écran : il faut les faire les plus différents possible. Pablo est espagnol, plus trapu. Alban, lui, est blanc, blond, très clair. Après, comme on cherchait un binôme, Laurent m’a proposé Starsky et Hutch; moi, je pensais plus à Simon and Garfunkel, j’ai fait ma tambouille sur cette base.

 

 

 

 

© Galandon/Puchol chez Dargaud

 

Et maintenant, la radio, vous l’écoutez plus ?

Plus maintenant qu’à 20 ans, c’est un fait. Après, je dois bien concéder que je suis très service public: RFI, FIP, France Culture. Sans compter que j’ai toujours mes bons vieux disques.

Justement, notre culture musicale serait-elle la même s’il n’y avait pas eu ces radios pirates qui ont amené pas mal de groupes anglo-saxons désormais cultes ?

C’est évident, la bande-son est emblématique. Après, à part Satisfaction des Stones, je dois avouer que je n’étais pas très familière des groupes dont on joue quelques morceaux dans l’album. Je suis plus pop et folk, j’ai découvert des chansons grâce à Interférences.

 

 

 

 

© Galandon/Puchol chez Dargaud

 

Mais, pour représenter les chansons, j’ai dessiné les vraies notes, j’ai recherché les partitions. C’est important d’être précis, crédible face aux lecteurs dont certains sont sans doute musiciens. Bon, je n’ai pas mis les portées…

Puis, je trouve ça bien d’avoir mis en fin d’album, la liste des morceaux auxquels on fait référence. Ainsi, on peut écouter la BO pendant la lecture.

Et tant qu’à rester dans le sonore, il y a aussi une pièce radiophonique.

Exact ! Interférences était en cours de réalisation lorsque Laurent a participé à un stage d’adaptation/écriture radiophonique… Et c’est avec Éric Barral, de la radio libre Radio Méga, que Laurent a discuté. Pour créer la BD puis en vue d’en faire une pièce radiophonique, aidé par quelques moyens techniques de Dargaud. Cette pièce, elle est accessible via un QR code dans l’album. Puis, elle est disponible auprès de radio Méga pour toutes les radios libres qui souhaiteraient l’utiliser. Il doit y en avoir 600 locales/associatives, les petites-filles des radios pirates dont nous parlons.

 

 

 

 

© Galandon/Puchol chez Dargaud

 

Puis, on l’a également diffusée dans un cinéma devant 100 personnes qui ont pu l’écouter dans une qualité sonore optimale, avec du relief. Il y avait le son mais plus les images, sauf pour moi !

Et les couleurs en nuances de gris.

Oui, je voulais rester dans l’idée et l’esthétique de LIP même si mon dessin est différent de celui de Damien Vidal. C’était une occasion de me rapprocher de ce que je faisais à mes débuts en diluant de l’encre de chine mais avec, en plus, l’envie de l’outil informatique. Puis, ça me ramenait à mes études de photographie, à la photo argentique en noir et blanc. Tout en me dégageant de ce que j’avais fait sur Malik Oussekine dans un noir et blanc frontal. Les niveaux de gris amènent ici une sorte de tendresse amusée.

Vous parliez de l’improvisation de vos premières interviews. Trente ans après, vous avez refait de l’improvisation dans un autre genre : Tac au tac renaît et vous y avez participé.

Au départ, il y a deux ans, quand j’ai été contactée pour mettre en boîte l’épisode-pilote, j’étais sceptique : j’avais revu les anciennes émissions, historiques, j’ai trouvé ça lent, long. Aujourd’hui, la technique a changé et ça se sent dans nos modes de fonctionnement, après cinq minutes, on zappe. Je ne concevais pas que Tac au tac puisse s’adapter à l’impatience du spectateur actuel.

Ce pilote a servi au réalisateur pour régler la question technique. Finalement, dans un format court avec deux équipes de deux ou trois dessinateurs, le résultat est, je trouve, prodigieux. Un jeu d’une heure est ramené à quinze minutes, on voit à peine les coupes, c’est fluide. En temps réel, cela représente quatre heures de tournage pour trois jeux différents. À l’antenne, je crois qu’on ne s’en rend pas compte. Quant à l’impro, c’est génial, j’étais associée à Davy Mourier et Sylvie Fontaine. C’était un régal tant au niveau du texte que du dessin.

 

 

 

 

© Puchol

 

Vous « fêtez » vos 35 ans de carrière, quel regard jetez-vous dessus ?

Ça dépend des jours. Parfois, c’est de l’incrédulité. 35 ans, c’est quand même un bail. Je suis heureuse, en tout cas. Certes, ce n’est pas toujours simple mais ça ne l’est pour personne. Après, le monde de la BD a pas mal changé, comme le monde en fait. Ainsi, je donne des cours d’illustrations pour adultes. Lors du dernier cours, je reviens en général sur toute la fabrication d’un livre. C’est fou de se plonger là-dedans. Des débuts artisanaux chez Futuropolis, les repros etc., à ce qu’est devenue la chaîne graphique avec l’intrusion des technologies. Aujourd’hui, l’imprimerie est pilotée par ordinateur, c’est propre.

 

 

 

 

© Galandon/Puchol chez Dargaud

 

Après, concernant la production, il y a déjà un certain temps, je me souviens avoir assisté à des conversations durant lesquelles les libraires tiraient la sonnette d’alarmes parce que 700 albums paraissaient par an. On était encore loin de ce qu’on connaît aujourd’hui. Certainement, la production actuelle est inquiétante et pose la question du modèle qui va bien pouvoir intégrer cette nouvelle donne, mais, d’un autre côté, il y a tellement de choses formidables.

C’est sûr, je préfère avoir 60 ans, aujourd’hui, que 30 ans, mais en y réfléchissant, je me suis adaptée. Et je suis convaincue que personne n’est capable d’imaginer ce que sera le monde de sa maturité, à tous les niveaux. Actuellement, le monde de la BD connaît un moment critique, ce n’est pas normal que des auteurs ne vivent pas de leur métier comme il n’est pas normal que des livres doivent être détruits parce qu’ils ne sont pas vendus. Mais je suis confiante, des crises, je dois en avoir vécu deux. Le prochain modèle, on ne peut pas encore l’imaginer mais il arrivera.

La suite pour vous ?

Ce n’est pas encore décidé. Certains mitonnent, on verra.

 

Propos recueillis par Alexis Seny

 

Titre : Interférences

Récit complet

Scénario : Laurent Galandon

Dessin et couleurs (nuances de gris) : Jeanne Puchol

Genre : Drame, Histoire

Éditeur : Dargaud

Nbre de pages : 128

Prix : 17,99€



Publié le 14/03/2018.


Source : Bd-best


Camboni retourne l’océan sur la tête de Mickey : « Disney, c’est un rêve collectif »

Mickey, c’est une formidable porte d’entrée vers des bons sentiments, de l’aventure mais aussi des univers parfaitement différents mais en osmose avec le héros aux grandes oreilles. Glénat l’a bien compris en conviant quelques figures de proue du Septième Art, ayant de près ou n’ayant jamais touché à Disney, de s’essayer à poser leur marque sur la petite souris souriante. Et s’il vous fallait une ultime raison de vous plonger dans l’univers magnifique de ce duo d’orfèvre que forment Silvio Camboni et Denis-Pierre Filippi, la voilà, Mickey et l’océan perdu. Nous avons profité de la foire du Livre pour nous inviter dans la fraîcheur d’une jungle futuriste. Magique !

 

 

 

 

 

 

 

© Filippi/Camboni/Bodart/Yvan chez Glénat

 

Bonjour Silvio, Mickey et vous, c’est une longue histoire ?

Déjà en tant que jeune lecteur, je l’achetais, je le collectionnais. Il faut dire qu’en Italie, le public pour Mickey est Disney est beaucoup plus large. Il y a Topolino pour lequel j’ai très vite eu l’occasion de collaborer. Vers mes dix-huit ans, je suis parti à Milan pour étudier et j’ai cherché du boulot dans le monde du dessin. La porte de Topolino s’est ouverte. C’était il y a trente ans.

Et là, cette fois, je reviens en quelque sorte chez moi par le côté franco-belge dans un grand format, plus élaboré.

 

 

 

 

© Filippi/Camboni/Bodart/Yvan chez Glénat

 

Et avec une expérience et un univers qui ne dépareille pas !

C’est vrai qu’avec Glénat et Les Humanoïdes Associés, j’ai eu une expérience française qui a été riche. J’ai pu développer un style mêlant architecture, nature mais aussi un certain sens du merveilleux. Du coup, avec Denis-Pierre Filippi, on a croisé les univers, cet esprit « monde caché » avec un dessin peut-être un peu plus classique mais sans partir dans l’expérimental. Il fallait donner envie de lire tout en croisant les publics. De manière habituelle finalement, avec des rebondissements pour les enfants mais en allant chercher des thématiques dont les adultes pourraient se saisir.

Encore et toujours Denis-Pierre Filippi. Vous êtes inséparables, ma parole.

Notre duo est né dans l’amitié, la compréhension mais aussi l’amusement réciproque. On fait des rêves, on a des visions, alors on essaye de les faire parvenir aux autres.

 

 

 

 

© Filippi/Camboni/Bodart/Yvan chez Glénat

 

Dans une collection qui continue d’aligner les maîtres.

Et passer après Loisel, mon dieu, quelle pression. En tant qu’amateur J’étais curieux de voir l’approche des autres, j’y ai repéré de la gentillesse, de la délicatesse. L’avantage pour moi, c’était que j’y avais déjà mis les pieds…

Avant vous, j’interviewais les auteurs de Spirou – Le triomphe de Zorglub et Alexis Sentenac me disait que certains auteurs s’étaient un peu égarés en emmenant Spirou dans des histoires qui n’étaient pas les siennes. Avec Mickey et son large spectre, c’est plus facile, non ?

Notez qu’on pourrait se tromper, faire quelque chose qui ne soit pas dans l’univers de Disney. Il faut garder une certaine marge. Après, je pense qu’au niveau du graphisme et de l’histoire, on peut trouver une façon de moderniser la façon d’utiliser les personnages. Ils sont forts et surtout capables.

 

 

 

 

© Filippi/Camboni/Bodart/Yvan chez Glénat

 

Et vous finissez de nous enchanter en retournant le monde sur lui-même, en faisant sortir l’océan de son enclave pour qu’il prenne la place de l’air.

L’idée venait de Filippi. Mais entre l’idée et le papier, je n’ai pas eu l’illumination tout de suite. Ce n’était pas gagné de rendre ça compréhensible. Un océan qui vole, qui fait des nuages, qui garde sa physicité mais sans la pesanteur. C’était casse-tête jusqu’au jour où j’ai compris comment faire.

Cette histoire, auriez-vous pu la réaliser pour Topolino ?

Oui, je pense. Topolino est peut-être un peu adulte que le Journal de Mickey. Avec une certaine variété de tons, une richesse même si c’est du format pocket, il aurait fallu adapter l’espace.

 

 

 

 

© Camboni

 

Justement, comment travaillez-vous ?

Je suis passé au numérique, depuis un petit temps mais j’ai essayé de garder l’échelle de ce que je faisais en traditionnel, du 35-25. C’est rapide, efficace, on gagne en élasticité, et rien n’est irréversible par rapport au papier. On peut revenir en arrière tandis que sur papier, on peut facilement être amené à tout refaire. Il y a un effet miroir, c’est le même flux de créativité mais sans contrainte.

Après, il faut parvenir à garder le contrôle, éviter d’exagérer de jouer avec le zoom et le dézoom, de rajouter des détails. Éviter par-dessus tout de rendre le tout illisible.

Aussi, vous avez ajouté des chapitres.

Au début, ce n’était pas le cas, l’histoire se suivait d’une traite. Mais, j’ai vite senti qu’une division en chapitres s’imposait.

 

 

 

 

© Filippi/Camboni/Bodart/Yvan chez Glénat

 

C’était naturel comme cette double-page où Mickey se réveille et se retrouve dans un monde qui a complètement changé. Comme mon héros, je me suis réveillé un matin et ce que je devais faire coulait de source, pour marquer ce passage de la vie précédente à la nouvelle. C’est venu tellement naturellement que ça en est bizarre.

Si vous ne racontez jamais deux fois la même histoire, on retrouve ce besoin de nature, luxuriant.

C’est mon plaisir, dessiner des arbres. On pourrait croire qu’ils se ressemblent, mais non, le monde est vaste et les arbres sont toujours différents les uns des autres. J’aime cette complexité naturelle, ce mouvement perpétuel

 

 

 

 

Un autre héros mythique de BD dans un univers de jungle comme les affectionne Silvio. Filippi/Camboni/Lofé/Glogowski chez Dupuis

 

Après, concernant mon trait, mas personnalité, je n’ai pas de repère, je ne sais pas où je me trouve par rapport à des maître comme Carl Barks ou Floyd Gottfredson, j’espère juste parvenir à mixer mon art avec l’aura internationale de Mickey. C’est de l’ordre du patrimoine mondial de l’humanité. Le monde entier connaît Mickey.

Comment expliquez-vous cette universalité et cette longévité ?

Disney, c’est finalement assez accessible. C’est rond, doux, on les reconnait directement et on les relie directement à la même famille. Après, au niveau des thèmes, on n’y voit pas de violence, pas de drogue, de mort ou de racisme. Ça doit certainement expliquer une partie de ce succès. Après, ça vient par hasard. Walt Disney n’a sans doute pas imaginé que ses personnages auraient un tel succès. Disney, c’est un rêve collectif, désormais.

 

 

 

 

© Filippi/Camboni/Bodart/Yvan chez Glénat

 

On va continuer à rêver avec votre album, en tout cas. Merci et bonne continuation.

 

Propos recueillis par Alexis Seny

 

Titre : Mickey et l’océan perdu

Récit complet

Scénario : Denis-Pierre Filippi

Dessin : Silvio Camboni (Page Facebook)

Couleurs : Jessica Bodart et Gaspard Yvan

Genre : Aventure, Steampunk, Science-fiction

Éditeur : Glénat

Collection : Mickey vu par

Nbre de pages : 56

Prix : 15€



Publié le 12/03/2018.


Source : Bd-best


Barly Baruti : « Si à la fin de la lecture le lecteur finit par oublier « le singe jaune », on aura gagné le pari ! »

Avec son nouvel album, Barly Baruti nous plonge dans une jungle, pas forcément à l’abri de la noirceur des hommes mais à la recherche d’un singe incroyable. L’occasion de croiser en chemin des sujets bien plus brûlants que la quête assignée. Dans la jungle humaine qu’est la Foire du Livre de Bruxelles, nous avons croisé Barly pour un échange passionnant.

 

 

 

 

 

 

 

 

Barly Baruti (Photo © Jean-Jacques Procureur)

 

Bonjour Barly. Vous nous revenez avec Le Singe Jaune, mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

C’est vrai, ça aurait pu être un cheval rose (il rit). En fait, il fallait pour faire exister cette histoire, trouver quelque chose qui ne soit pas ordinaire pour susciter l’intérêt. Si j’avais annoncé des thèmes comme le métissage ou tous les problèmes abordés dans ce roman, on m’aurait rétorqué : « C’est ton problème! » Mais si j’intrigue le lecteur, que je lui propose une quête, il va se dire: « Un singe jaune, mais qu’est-ce que c’est que ça ? » Et, à partir de ce moment-là, je peux le balader.

 

 

 

 

© Cassiau-Haurie/Baruti chez Glénat

 

Avec Christophe Cassiau-Haurie.

Mon compère ! En fait, j’avais écrit le scénario de A à Z. J’en ai parlé à Christophe et ça l’intéressait d’en développer certains angles. Le côté aventure, la forêt. Du coup, il s’est glissé à l’intérieur de mon histoire. On a partagé.

Tout en faisant évoluer une journaliste, Paulette Blackman, qui a des similarités avec une autre, existant réellement : Colette Braeckman.

Cette journaliste, c’est avant tout une manière de personnifier le lecteur, de l’amener dans mon chemin. Après, je voulais aussi faire ressortir cette ambigüité, la relation fusionnelle entre la RD Congo et son ancien colonisateur, par voie de presse. Et Colette Braeckman (la vraie !) symbolise bien cette situation. En fait, c’est un hommage que je lui rends. Humblement.

 

 

 

 

© Barly Baruti

 

Mais c’est une arnaque monumentale qui l’amène au Congo.

Une pirouette, le type va vite être démasqué. Mais, vous savez, je pourrais dire que moi aussi il m’a arnaqué. Mais, encore une fois, l’important n’est pas l’objet de la quête.

Cette journaliste, en partant en quête de ce singe jaune, ne passe-t-elle pas à côté de son/ses sujet(s)?

E tout cas, elle est surprise par le cours des événements. Son supérieur voulait qu’elle traite l’affaire du singe jaune de loin. Elle les a bien emmerdés en voulant partir en Afrique, sur le terrain. Et elle va finalement se retrouver plus proche de ses aspirations. Elle n’obtiendra pas le scoop initial mais il y a d’autres réalités qui vont finir par la toucher. Jusqu’à un choc qui va lui permettre de mesurer la profondeur de la plaie. Elle n’est plus journaliste, elle est plus « humaine », plus sensible aux réalités. Il y a une vraie rupture.

 

 

 

 

© Cassiau-Haurie/Baruti chez Glénat

 

Et cette obsession salutaire : raconter les choses « de l’intérieur ».

Une évidence ! Mais il faut y arriver. Il me faut un levier pour y entrer tout en permettant à qui me lit d’adhérer à la démarche. Et ce Singe Jaune va me permettre d’investir le terrain même si, à la fin, personne ne se demande où il a bien pu disparaître. Si à la fin de la lecture le lecteur finit par oublier « le singe jaune », on aura gagné le pari !

 

 

 

 

© Cassiau-Haurie/Baruti chez Glénat

 

Avec l’importance du devoir de mémoire !

Sous l’angle du rapport humain. Ce n’est pas de l’histoire, je ne suis pas historien. Mais je veux pouvoir le ressortir, ce rapport humain, par tous les moyens ! Tout en ne trahissant pas la vraie Histoire. L’Histoire avec un grand « H ».

Mais le sorcier veille.

C’est le gardien des traditions, il a un pouvoir, est mystique et ne semble pas avoir d’âge. Il est aveugle mais s’il ne voit pas, il sent les choses. Et lui il va amener les gens dans nos croyances. Pourquoi pas ? Il y en a bien qui s’éclate avec la science-fiction, non ? (rires !)

 

 

 

 

© Barly Baruti

 

 

 

 

© Cassiau-Haurie/Baruti chez Glénat

 

Et l’idée est de remettre un peu en perspective l’impact du rôle de la Belgique.

Il faut dire ce qui est. La Belgique a lâché le Congo pour mieux le contrôler. Retenez ce qu’avait dit le Général Janssens : Avant l’indépendance égal après l’indépendance. On l’a pris pour un fou mais ce qu’il s’est passé lui a donné raison. L’indépendance, c’était une façade, un subterfuge. Et dire qu’on a même dansé pour elle. « Indépendance Cha-Cha » ! Belle mélodie sur YouTube ! (Rires !)

En fait, je pense qu’on est en train de tourner en rond. C’est un peu le serpent qui se mord la queue, nous retournons sur nos pas, revenons sur notre passé avec l’obligation de l’affronter lui et nos démons.

 

 

 

 

© Cassiau-Haurie/Baruti

 

Belges et Congolais, on s’est loupés, pris en otage par les appétits gloutons des politiques des deux bords. Et ça continue ! Heureusement qu’il y a la BD…

Dans la fine équipe, vous nous faites rencontrer Anaclet, un personnage complètement perdu.

Complètement perdu, c’est le mot. Il cherche son père et il ne cesse de rater les rendez-vous. C’est bête, hein, son père aurait eu un portable, il aurait su répondre directement. Sauf qu’il est resté très colonial et qu’il a gardé un téléphone d’époque. Du coup, il arrive en retard pour décrocher. Entre sa cuite et le téléphone, il a été trop lent.

 

 

 

 

© Cassiau-Haurie/Baruti

 

On n’a jamais vraiment été au fond des choses en parlant du métissage. Ce n’est pas qu’une question de couleur de peau, on peut parler du métissage culturel. Anaclet, lui, est perdu, c’est comme si on touillait sa blessure qu’on lui ramenait son histoire. Et quand le sorcier lui dit: « ah, tu es revenu », il ne sait pas vraiment d’où il vient

C’est un ouvrage finalement très dense que vous nous proposez, empli de thèmes et de questions.

Et, en même temps, je laisse au lecteur le soin de deviner l’épaisseur des choses. Je passe à côté de certaines de celles-ci. Et j’ose croire que si le lecteur lit ça comme il faut, il ira sur le net. Toutes proportions gardées, je fais ça un peu à la manière des lanceurs d’alerte. (rires)

 

 

 

 

© Cassiau-Haurie/Baruti chez Glénat

 

Au niveau de la représentation de cette jungle dans laquelle vos personnages s’engouffrent, comment vous y êtes vous pris ?

Je connais le Bas-Congo mais je ne me suis jamais promené à l’intérieur. Mais je connais une autre région, similaire… J’ai passé deux ans de ma scolarité en internat à Lokutu (ex Elisabetha, pour les nostalgiques !), en pleine forêt, pas loin de Kisangani (Stanleyville, ma ville natale). Tout se faisait en forêt, se nourrir, les flirts, etc. Ces souvenirs sont ma documentation. Je connais l’odeur, le danger, la lumière de la forêt, la douce musique de la flore et sa faune…

 

 

 

 

© Cassiau-Haurie/Baruti chez Glénat

 

J’ai pris autant de plaisir à travailler la ville de Bruxelles, que j’aime beaucoup, que la forêt.

Est-ce vrai qu’on a toujours l’impression d’être épié ?

(Il rit) C’est pour amplifier la parano de la journaliste. Si je me sentais épié, ça ne m’a pas marqué. Ceci dit, on est toujours épié dans une forêt. Il y a tellement des vies invisibles qui te guettent : tu es chez eux, dans leurs zones !

 

 

 

 

© Cassiau-Haurie/Baruti chez Glénat

 

Vous parliez de lumière mais j’ai l’impression que l’ombre de Frank Pé plane aussi sur votre album, non ?

Je ne le remercierai jamais assez. C’est un ami et, grâce à lui, je pense que je dessinerai jamais plus les animaux de la même manière. Il m’a fait comprendre non seulement comment animer les animaux mais aussi leur donner une âme. À les voir vivants même quand ils ne bougent pas.

 

 

 

 

© Cassiau-Haurie/Baruti chez Glénat

 

Si on reste près des animaux, vous adressez aussi une pensée pour une personne bien particulière, Tim…

Je ne le connaissais pas. C’est en surfant sur le site de l’ICCN, l’institut congolais de conservation de la nature que je suis tombé sur cette « breaking news » commémorant la mort d’un ranger abattu alors qu’il gardait un parc. Ça m’a vraiment touché. Avant, les braconniers avaient peur de ces gardiens de la forêt. Aujourd’hui, c’est le contraire, ils ont du matos, ils sont presque aussi équipés que des groupes armés (on subodore le financement des multinationaux, quelque part…). Face à ça, les rangers sont des poids plume.

 

 

 

 

© Cassiau-Haurie/Baruti chez Glénat

 

Sur ce petit monde, vous faites tomber une belle nuit, à plusieurs reprises dans cet album.

Avec Christophe, nous avions convenu de faire vivre cette aventure au jour le jour, mais de nuit aussi, en temps réel. Et parfois, en faisant l’impasse sur le texte, parce que les images suffisent.

 

 

 

 

© Cassiau-Haurie/Baruti chez Glénat

 

J’ai vu aussi sur votre mur Facebook, une sélection de couvertures non-retenues.


Mais qu’est-ce qui peut-être assez fort ? C’est toujours la question. Du coup, Thierry Bellefroid a bien voulu s’amuser avec moi pour choisir la couverture finale. On s’y est mis toute une après-midi. Il y a toujours plus dans deux têtes que dans une, non ? Et Thierry avait le recul suffisant pour m’aider à faire mon choix. Moi, j’achète des albums, c’est important de faire une couverture qui me donnerait envie de l’acheter.

 

 

 

 

© Barly Baruti chez Glénat

 

Allez quittons un peu ces planches pour en rejoindre donc. Dites donc, il paraît que vous avez mis le feu lors de votre concert hier à la Foire du livre !

 

 

 

 

© Jean Goovaerts

 

Les concerts, la musique, c’est mon autre dada. Inviter les gens à danser, à garder la tête dans les nuages … et les pieds bien ancrés sur terre.

Et si vous deviez donner une B.O. à cet album ?

Si les lecteurs le peuvent, qu’ils écoutent de la rumba, Le Grand Kalle et l’African Jazz. Puis Papa Wemba! On était très lié, on a pas mal joué ensemble.

Quels sont vos projets, désormais ?

Rester dans les parages tant qu’on me supporte. J’ai tellement d’histoires, tellement de choses à raconter. À un moment, on ne peut s’empêcher de se demander ce qu’on a laissé au monde. Après, j’apprends en même temps, mais pourquoi ne pas partager tout ? De toutes les façons, je crois qu’il faut être honnête avec le lecteur. On peut le promener, l’emmener totalement dans la fiction, mais en gardant l’essence originelle quand on touche à l’histoire d’un pays, d’un peuple… Il ne faut pas prendre le lecteur pour bête, sous prétexte de le divertir !

 

Propos recueuillis par Alexis Seny

 

Titre : Le singe jaune

Récit complet

Scénario :  Christophe Cassiau-Haurie et Barly Baruti

Dessin et couleurs : Barly Baruti

Genre : Aventure, Histoire, Drame

Éditeur : Glénat

Nbre de pages : 100

Prix : 22€



Publié le 09/03/2018.


Source : Bd-best


Mikaël nous offre le vertige du New York des années 30 : « Je pense que je n’aurais pas réalisé Giant de la même façon si j’étais resté en France »

N’avez-vous jamais rêvé d’être un oiseau ? On avait fait une croix sur ce rêve fou avant de nous glisser dans les planches du Giant de Mikaël. Et, là, le miracle s’est opéré et on a même été pris de vertige, entre chute et ascension, les ruelles des non-dits et les toits sans limites de la vérité. Dans un premier diptyque contant le New York des années 30 sous toutes les coutures, rythmé par une radio conviviale et les Ratatatat Ratatatatat des marteaux pneumatiques. Ici, une ville a la folie des grandeurs et des hommes s’efforcent juste de s’élever un peu. Nous avons rencontré Mikaël.

 

 

 

 

 

 

 

© Giant


Bonjour Mikaël. Si votre premier tome nous filait la peur du vide, avec ce deuxième tome, c’est le goût de la vitesse, et d’un rythme efficacement maîtrisé que vous nous offrez. Avec pas mal de planches muettes, du moins dans les mots.

Le but,  c’est d’essayer d’avoir une alternance de séquences. Certaines avec beaucoup de dialogues, chargée de ce que peut-être la vie des ouvriers mais aussi de leurs échanges, comme quand on se retrouve entre amis. D’autres séquences marquent les errances, un côté contemplatif, avec des cases muettes. L’idéal pour que le lecteur se projette et brode en fonction de sa sensibilité, de son vécu. C’est important de lui laisser de la place.

 

 

 

 

© Mikaël chez Dargaud

 

En matière de BD, c’est la première fois que vous cumulez le rôle de scénariste et celui de dessinateurs, c’était le moment ?

Une affaire de sensibilité, ça me permettait de voir venir, de faire converser les deux facettes pour pouvoir sentir au mieux cette chronique, cette approche du quotidien à cette époque-là.

L’intérêt de raconter cette histoire, c’était le dessin. Dès le départ. C’était une histoire personnelle, avec un but, des personnages que je voyais venir à moi, qui coulaient de source.

 

 

 

 

© Mikaël chez Dargaud

 

Pourquoi, cet affect personnel ?

Parce que New York me fascine et que je voulais absolument traiter cette ville. L’immigration, je l’ai connue, de la France au Canada. Certes, ça n’a rien de comparable avec les années 30 ou la guerre mais je peux au moins l’évoquer, je sais de quoi je parle, toutes proportions gardées. Il me fallait trouver la bonne manière de l’aborder.

 

 

 

 

© Mikaël chez Dargaud

 

Ce départ au Québec, c’était finalement ma manière de vivre le rêve américain… mais en français. Tout en pouvant monter dans un immeuble comme celui construit par Giant et ses compagnons. Je pense que je n’aurais pas réalisé cette histoire de la même façon si j’étais resté en France. Aujourd’hui, je suis baigné dans cet univers nord-américain, les camion-pompiers sont les mêmes au Canada ou à New York.

Dans le premier tome, c’est Dan Shackleton qui nous permettait d’approcher Giant. Cette fois, sans entremetteur, c’est Giant qu’on suit de bout en bout.

 

 

 

 

© Mikaël

 

Mais avant ça, il fallait permettre de mieux le connaître. Comme avec cette photographe qui enquête et apprend quel est l’homme qui se cache vraiment sous la carrure de Giant. Puis, il se raconte à Mary Ann, par besoin?

 

 

 

 

© Mikaël

 

Le thème de Giant se dévoile vraiment à la fin. Un cheminement qui mène à faire son deuil, à entrer en résilience. Giant, il a fui et s’est laissé enfermer, une fois loin de ce qu’il fuyait. Sa force physique compense la force morale qu’il n’a pas. Alors que Mary Ann, elle, elle va de l’avant. Et encore faut-il l’avoir, cette force.

 

 

 

 

© Mikaël chez Dargaud

 

Sous les pieds de vos héros, le drame se joue, de six pieds (et même plus) sur terre à six pieds sous terre ?

Tout le monde a en tête cette photo de lunch des ouvriers du ciel en tête à tête avec les oiseaux. Giant, lui, ça l’arrangerait presque s’il pouvait tomber. En Irlande aussi, il a voulu se jeter de la falaise mais il a fui. Alors, du coup, il côtoie la mort… et celle qui y a survécu.

Pour Giant, j’ai tiré les fils des photos spectaculaires documentant ces grandes constructions périlleuses, pour me retrouver dans les années 30’s. Et mine de rien, c’est une époque qui est fertile, propice en sujets contemporains. Une belle porte d’entrée.

Et vous n’avez pas eu le vertige en dessinant vos planches ? Nous, on l’a eu en les lisant !

 

 

 

 

© Mikaël

 

En fait, j’ai le vertige ! Enfin, pas quand je suis à l’intérieur, qu’il y a des baies vitrées pour me protéger. Mais cette hauteur, c’était une manière de créer une ambiance, de faire exister ce New York en émergence.

Et vous n’avez pas fini de le faire exister. La suite, c’est Bootblack.

Le vrai personnage de cette série de diptyques, c’est New York. Le deuxième récit est plus sombre, moins dans la chronique sociale. Je mets la ville à échelle humaine, pour sentir la crasse, les brumes mais aussi les mouvements dans la rue. Certains personnages secondaires des différents récits ne se télescopant pas pourront néanmoins se croiser. Comme Frankie, le mafieux que le lecteur a pu rencontrer à la fin du tome 1. Giant ? Pour le moment, il ne passe pas dans Bootblack, mais peut-être se décidera-t-il à passer à un coin de rue.

En tout cas, dans ce premier récit, vous désamorcez sans créer de manque toute baston pouvant éclater entre Italiens et Irlandais?

Je voulais être plus vraisemblable, au-delà de l’image d’Épinal.  Tous n’étaient pas armés. Puis, s’il y avait des conflits entre gangs, ce n’était tout de même pas comme dans les films. Je voulais être mesuré, pouvoir retenir Kid Anderson qui voulait se venger des Italiens. Ses comparses vont vite lui faire comprendre qu’il n’a pas le calibre.

 

 

 

 

© Mikaël

 

Si on sort de ses rues, on peut faire des allers-retours d’une côte à l’autre de l’Atlantique. Vous avez choisi la relation épistolaire pour (dés)unir Giant et Mary Ann. Un challenge?

Quand j’ai choisi la posture d’une correspondance écrite, je n’ai pas voulu regarder ce qui avait été fait, j’ai voulu avoir mon résonnement personnel. Et j’ai choisi de mettre ces lettres en pleine page puis de découper des petites bulles disséminant certains passages dans la planche suivante. Je voulais qu’en lisant la lettre de l’un, ce soit le quotidien de l’autre qui soit illustré.

 

 

 

 

 

© Mikaël chez Dargaud

 

 

Et puis les retrouvailles !

Ils devaient se retrouver, les masques devaient tomber. Le tout était d’arriver à faire tourner les pages au lecteur, placé dans une attente angoissée. Le lecteur sait des choses, le tout était de réussir à repousser le moment des révélations, de la scène d’aveu. Je l’ai d’ailleurs beaucoup recherchée, cette manière de faire avouer le secret. Avant d’opter pour ces trois planches avec des décors blancs. Tout va disparaître pour laisser les personnages mettre les choses au point. Jusqu’à ce moment où Mary Ann est interpellée, qu’elle se redresse et que la ville réapparaît, avec le tramway, les roues qui crissent. Il fallait arriver à exprimer l’état de malaise. Je m’y suis repris à trois fois. C’était le challenge.

 

 

 

 

© Mikaël chez Dargaud

 

Le langage du bruit, aussi.

Oui, notamment via les marteaux pneumatiques que les gars utilisaient sans casque. Certains témoignages faisaient le parallèle entre le boucan de ces outils et celui des mitraillettes Thompson chères à Al Capone.

Puis, la radio qui ouvre et referme le récit.

 

 

 

 

© Mikaël chez Dargaud

 

J’ai longtemps hésité à la mettre. À cette époque, la radio et la presse écrite étaient les seuls médias par lesquels les médias se tenaient informés. Ils se regroupaient tous autour des matchs des Yankees ou de la boxe. La radio était l’objet par excellence au coeur des vies des citadins. L’intégrer à l’album était un moyen d’amener quelque chose d’authentique, une touche de décor supplémentaire dans lequel le narrateur, moi déguisé, espère que le lecteur va passer un bon moment.

 

 

 

 

© Mikaël

 

La couleur est aussi un outil narratif. Je voulais un jaune un peu froid, combiné avec un encrage très nerveux, faisant tache d’encre et créant le malaise.

Ce New York made in 30’s, vous auriez voulu y vivre ?

Je préfère quand même mon époque. Mais les années trente, c’est la période idéale pour raconter des histoires. Mais mieux valait être riche dans cette insalubrité qui donnait quand même un côté romantique à la ville. Nostalgique, je ne le suis pas. Mais c’est fou comme on a l’impression que les 30’s-40’s sont lointaines alors que comme nous ces gens étaient dans une logique métro-boulot-dodo avec des migrants, une crise économique, etc.

 

 

 

 

© Mikaël chez Dargaud

 

En partant au Québec, avez-vous découvert des auteurs québécois.

Oui, dont certains comme Jacques Lamontagne que je ne pensais pas être Québécois. Il y a aussi Djief, François Lapierre. Puis les auteurs de La Relève, La Pastèque, Pow Wow. Des structures qui font un boulot admirable. Même si la publication d’auteurs ne leur permet pas de vivre. Ils doivent multiplier les publications.

Merci pour ce beau voyage, Mikaël.

 

Propos recueuillis par Alexis Seny

 

Titre : Giant (Page Facebook)

Tome : 2/2

Scénario, dessin et couleurs : Mikaël (Page Facebook)

Genre : Drame, Chronique sociale

Éditeur : Dargaud

Nbre de pages : 56

Prix : 13,99€



Publié le 23/02/2018.


Source : Bd-best


Ian Fortin met la BD à gros nez à la sauce lapin : « Un personnage positif dans un monde cynique et brutal »

Il a appris de son aïeul, Boni. Il n’est pas en retard, en retard, mais arrive juste à point pour dynamiter un peu l’esprit Spirou de sa carotte a priori inoffensive. Boni, c’est un lapin blanc bien sympathique créé par Ian Fortin, il y a près de dix ans, et qui a attendu son heure pour arriver en albums. Alors qu’il a laissé plus que des crottes dans le Journal Spirou, le personnage au nez rose répond qu’il va y avoir beaucoup de neuf, docteur ! En 2018, pas moins de quatre albums sont prévus, alors que la série de capsules d’animation continue de faire les beaux jours de Télétoon. Mais, c’est la tête sur les épaules (quoiqu’arrivé en Bonimobile, comme vous le verrez), que Ian Fortin a répondu à nos questions.


Bonjour Ian, vous publiez ces jours-ci le premier album de Boni, un petit lapin auquel on s’est très vite attaché, dans Spirou notamment. Mais ce Boni, il n’est pas né de la dernière pluie, n’est-ce pas ?

Ce personnage, je l’ai créé en 2009. Par la suite, j’ai publié une première BD au Québec, aux Éditions Premières Lignes, une coopérative. J’ai repris tous les droits par après. Neuf ans après sa création, Boni est toujours là.

 

 

 

 

© Ian Fortin

 

Et 2018 sera son année.

Oui, c’est vrai, il y aura trois albums, soit 360 strips, gags. Je prépare le quatrième. Et j’ai encore beaucoup de versions et de croquis sous le pied.

 

 

 

 

L’esquisse d’un gag pour le tome 4 © Ian Fortin

 

 

Mais pourquoi le monde des lapins ?

Parce qu’ils amènent un côté différent. Mine de rien, il y a beaucoup de héros qui sont des êtres humains. Moi, j’avais envie d’animaux. Dans ce monde, on voit aussi pas mal de chiens, de souris, de chat, plus rarement des lapins. Plus loin, je voulais essayer de garder le modèle des strips à l’américaine, en trois cases, tout en l’amenant vers ce qu’on fait en Europe. Et le fait d’imaginer des lapins avec des gros nez, l’idée m’a attiré graphiquement.

Des lapins héroïques, il en existe quand même quelques-uns: Bugs Bunny, Roger Rabbit…

J’ai des atomes crochus avec Roger Rabbit, je l’ai vu plusieurs fois au cinéma. Après, c’est différent, ce sont des personnages d’écrans, de cinéma ou de télévision. À la différence, je n’avais pas vu beaucoup de héros de BD qui étaient des lapins. Mon choix était donc fait.

 

 

 

 

© Ian Fortin chez Dupuis

 

Enfin, des lapins qui vivent des situations très humaines, finalement,non ?

Oui, ce sont des scènes qui peuvent être reliées à notre quotidien, assez réaliste mais permettant le mouvement, la caricature…

 

 

 

 

© Ian Fortin chez Dupuis

 

… et toujours en trois cases… enfin, on verra dans votre album que c’est plus subtil que des cases… en trois images, disons.

Une histoire en trois gags, ça m’est probablement plus facile à réaliser que trois pages. Sur une histoire en longueur, je pense que je me perdrais, et les lecteurs avec. Je ne suis pas sûr d’avoir le talent.

Pour un gag, j’imagine Boni dans une mise en situation avant de me demander comment finir sur une note drôle. Je retourne le problème dans tous les sens.

 

 

 

 

© Ian Fortin chez Dupuis

 

Dans tous les sens, c’est ce qui est arrivé à la mise en page de vos gags, au fil des années dans Spirou, sur votre page Facebook mais aussi, désormais, dans l’album.

On a fait le test dans Spirou. Sur quatre strips avec des nuages pour séparer les cases. C’était attrayant mais le nouveau format trouvé pour l’album se rapproche du dessin, amène quelque chose d’épuré, permet d’examiner. Sur Facebook, après, j’ai testé les lecteurs, pour voir par quoi ils étaient le plus attirés. Sur deux versions d’un même gag, j’ai eu trente j’aime contre 3000. Une différence flagrante. Ils n’étaient pas contre le côté plus artistique, avec très peu de décors, quelque chose d’épuré. C’est peut-être de la paresse. Cela dit, même s’il y a les albums, la parution dans Spirou va continuer sur la même formule.

Puis, vous êtes aussi capable de paysage et décors fourmillant de décors.

Oui, mais il faut que je prenne le courage !

Pour traverser l’océan, Boni a-t-il dû faire un travail sur son langage.

J’ai travaillé ma manière de formuler les phrases. Il est évident que si je ne faisais pas attention et que je parlais en Québécois, vous ne comprendriez rien. Tout comme, à l’heure où je vous parle, mes camarades du Québec se demanderait quel jeu je joue en vous parlant de la sorte. (rires)

Si Boni était, seul, il y aurait fort à parier qu’il s’ennuierait. Par chance, il est accompagné d’un casting bien fourni.

La première chose que j’ai faite avec ce lapin au drôle de nez,c’est le mettre face à un bonhomme de neige en me demandant ce qu’il pourrait faire. Bien sûr, il mangerait la carotte.

 

 

 

 

© Ian Fortin

 

Après quoi, j’ai ajouté des personnages à la famille. Un grand-papa gentil, au début, mais auquel il manquait des couleurs. Il était plus comique de le faire caustique et pas très sympathique avec son petit-fils. Après, d’autres sont plus stéréotypés, comme on en trouve dans pas mal d’autres BD’s, comme le petit intello. Je ne m’en suis pas caché.

Un autre personnage me plaît bien, la gardienne complètement à contre-emploi.

Un monde de brute, finalement !

Oui, cynique, brutal, mais contrasté par ce lapin positif. Comme son nom l’indique.

 

 

 

 

© Ian Fortin chez Dupuis

 

Cela vous dirait d’amener dans cet univers d’autres animaux ?

Pour le besoin d’un gag, je ne dis pas, pour un élément humoristique. Il faut voir.

Cela dit, vous aimez déguiser Boni en Popeye, ou en Avengers.

Ahah, vous avez retrouvé ça ? C’était une façon de séduire la fan page. Beaucoup de publications ont été supprimées depuis. Mais à chaque fois, qu’un nouveau film marquant sortait, je jouais sur le côté viral des choses.

 

 

 

 

© Ian Fortin

 

 

 

 

© Ian Fortin

 

Tout comme ces produits dérivés que vous élaborez et qui verront ou ne verront pas le jour.

Oui, j’ai élaboré un flipbook pour le Festival d’Angoulême, il est très beau ! Puis, il y a un jeu vidéo dans les tuyaux, j’y travaille tranquillement. J’aime exploiter toutes les facettes.

La BD est limitée en soi, c’est intéressant de décliner un personnage dans différentes versions. Comme les 52 capsules animées créées pour Télétoon.

Justement, de la BD à l’animation, quelles sont les différentes.

La BD, c’est plus long, il faut être patient, image par image même si on peut jouer au marionnettiste avec un personnage créé à l’avance.

En animation, il faut mettre trois cases en soixante secondes, parvenir à rendre le gag punchy tout en restant dans les temps.

Quel a été votre déclic en matière de BD ?

Je dessine depuis tout petit. Je décalquais les héros qui avaient du succès au Québec : Gaston, Lucky Luke, Tintin. Au bout d’un moment, je me suis dit que je ferais bien la même chose, créer mes personnages.

 

 

 

 

© Ian Fortin

 

Après, le dessin animé m’a fasciné aussi. Le mouvement ! C’est d’ailleurs, cette recherche qui a primé un certain temps. J’ai travaillé comme illustrateur pour des jeux vidéo, pour des dessins animés, comme publiciste.

Qu’avez-vous aimé comme BD au Québec ?

Garfield, Astérix puis Soda, un ange trépasse.

Des auteurs Québécois ?

Delaf et Dubuc, pour leur dessin, leur manière de coller à l’actualité, de mettre dans des gags des textes très réfléchis. Leur sens de la perception.

Quelle est la suite pour vous ?

Beaucoup de Boni, vous vous en doutez. Il y a bien d’autres personnages, mais ils sont très éphémères. Alors, je me concentre sur le quatrième album de mon lapin. Si je sens une évolution depuis le premier gag, je ne sais pas. Peut-être dans l’humour ? Il faudrait voir.

 

 

Propos recueuillis par Alexis Seny

 

Série : Boni

Tome : 1 – La dernière bouchée de carotte

Scénario, dessin et couleurs: Ian Fortin

Genre : Humour, Gag

Éditeur : Dupuis

Collection : Jeunesse

Nbre de pages : 128

Prix : 9,90€



Publié le 20/02/2018.


Source : Bd-best


Gijé, des premiers pas qui marquent déjà la BD : « La mélodie de La boîte à musique ? Le lecteur ne risque pas d’en être déçu puisqu’il va imaginer la plus belle qui soit, plus que si ça avait été du cinéma »

Pourvu que la magie des boîtes à musique et des boules à neige dure éternellement, aurait-on pu souhaiter à Noël. Le rêve s’est réalisé quelques jours plus tard avec la parution du premier tome de La boîte à musique et l’invitation, qu’on a eu vite fait d’accepter, de découvrir Pandorient et ses habitants magiques et étranges. Gijé y a été happé et a pu ainsi découvrir le monde de la BD, lui qui l’observait jusque-là de bien loin. Nous avons rencontré ce jeune auteur très prometteur, dont le dessin ne reste jamais longtemps figé et rappelle les splendides créatures de Pixar.

Bonjour Gijé, c’est avec un fameux premier album que nous faisons votre connaissance. Si mes informations sont bonnes, la bande dessinée, ce n’était pas la voie la plus évidente.

Gijé : En effet, avant, je travaillais dans l’animation, dans un studio pour lequel je faisais des storyboards, j’avais des casquettes différentes. Avant de faire une formation en animation traditionnelle avec un BTS (brevet de technicien supérieur) au Luxembourg, j’avais suivi trois ans d’illustration à Saint-Luc Liège. Je faisais de la peinture, j’apprenais à raconter une histoire en une image mais sans formation spécifique en termes de BD.

 

 

 

 

© Gijé

 

Peut-on dès lors dire que vous êtes un touche-à-tout ?

Gijé : Ça me convient ! En tout cas, j’aime être polyvalent. La raison première, c’est ce milieu artistique dans lequel il est bien difficile de trouver du travail. Alors, pour moins galérer, mieux vaut avoir plusieurs cordes à son arc. Mais la BD, j’y suis vraiment arrivé par surprise !

 

 

 

 

© Gijé

 

C’est-à-dire ?

Gijé : Un dessin posté sur les réseaux sociaux. Un gâteau d’anniversaire sur une table et que se partageaient un père et sa fille. Et sur le mur, le portrait d’une femme. L’imagination nous faisait dire que c’était la femme de cet homme, la mère de cette petite fille, trop tôt disparue. Les partages aidant, cette illustration est tombée dans les mains de Bénédicte, alias Carbone. Elle était de Perpignan, moi de Paris, on ne se connaissait pas du tout.

 

 

 

 

© Carbone/Gijé chez Dupuis

 

Mais son imagination a été titillée et il n’a pas fallu longtemps pour qu’elle me contacte avec un projet BD. Sur un monde fantastique. J’ai réalisé quelques essais, on a monté un dossier de présentation à quelques maisons d’édition et Dupuis s’est montré très intéressé et enthousiaste. Ensuite, tout a été vite, le contrat et la réalisation de l’album. J’avais encore un pied dans l’animation, j’ai eu du mal à l’en retirer. J’ai continué à mi-temps au studio avant de me consacrer intégralement au dessin, les derniers mois. Là, j’ai encore un pied dans chaque monde, avec quelques missions quand j’ai le temps.

Laurence : C’était le début d’une grande aventure. Quand Carbone – à qui j’avais refusé un projet – m’a envoyé ce projet avec les illustrations de Gijé, j’ai complètement craqué, tout de suite. Mes maîtres ultimes en matière d’histoires, c’est Pixar, avec ces fables à double-lecture, des thèmes très forts où émerge la poésie. Et ça rejoint l’ADN de Dupuis, de ce qu’on considère être du tout public. Et cette histoire correspondait à ça. Il y a du Pixar chez Gijé, c’est beau mais il garde sa vivacité. Et c’est renforcé par sa technique particulière sans encrage.

 

 

 

 

© Carbone/Gijé chez Dupuis

 

Gijé : Je ne fais pas d’encrage, je ne sais absolument pas en faire. Du coup, j’ai trouvé la parade et j’utilise le storyboard comme un repère pour placer mes formes et mes couleurs quand je peins. Après quoi, je supprime mon calque storyboard pour qu’il ne reste que la couleur, au final. J’esquive les problèmes mais, finalement, ça me permet d’être plus spontané dans ma mise en couleur. Ça me donne aussi l’impression que le dessin est plus vivant. Aussi par ces imperfections ou son imprécision.

 

 

 

 

© Carbone/Gijé chez Dupuis

 

Et la transition ?

Gijé : Ce sont des modes de fonctionnement totalement différents. Réaliser une BD, je ne m’en sentais pas du tout capable. Ce n’est pas mon milieu, ni mes codes et références. Mais, finalement, le passage s’est fait en douceur et je me suis rendu compte que certaines tâches, je les réalisais déjà dans l’animation. Le storyboard, c’était un peu le découpage, finalement. Pareil pour les couleurs, les ambiances. J’avais le bagage pour que la transition s’opère délicatement.

Et votre dessin ne demande qu’à s’animer !

Gijé : Ah, c’est gentil ! Mais, il y avait une constante, j’avais tendance à trop découper les planches, comme si des petits fantômes d’animation me hantaient, des tics face à un dessin condamné à se figer.

 

 

 

 

© Gijé

 

Se figer, mais pas de trop. Avec des traces de cinéma dans la gestion des plans. Dans cette alternance de grandes illustrations et de plein de petites cases.

Gijé : C’est sûr, j’éprouve beaucoup de plaisir à imaginer des grandes images, ce qui permet de bien les travailler. Comme la séquence où le lecteur découvre l’herboriste de Pandorient dans son atelier, une jungle emplie de plantes et papillons. C’est certain, je bosse plus sur ces rares cases pour leur donner de l’expression, du mouvement, que le rendu soit « impressionnant ». Après, j’ai essayé de faire un chemin de cases, de plans, pour aider au maximum le lecteur à entrer dans ce monde parallèle.

 

 

 

 

© Carbone/Gijé chez Dupuis

 

Et dans votre dessin, vous gardez les échafaudages, les traits de construction. On voit le boulot.

Gijé : Oui, puis, je me suis souvent vu reprocher lors de mes études de ne pas toujours être propre et précis. Avec cet album, je voulais faire ce que je voulais, sans contrainte et cultiver quelque chose d’un peu crado, de spontané en tout cas. D’éloigner la perfection.

Avant d’entrer un peu plus dans l’histoire de cet album, que vous évoque le terme « boîte à musique » ?

Gijé : De la poésie. C’est le genre d’objet dont se dégage une musique mélodieuse, un peu triste peut-être. Et je trouve que Carbone a vraiment trouvé un nom qui corresponde bien à l’histoire, un côté triste mais aussi une douceur, une légèreté, du merveilleux.

 

 

 

 

© Carbone/Gijé chez Dupuis

 

Et une manière d’évoquer des sujets graves et parfois vus comme tabous pour les enfants en jeune âge.

Gijé : Et, finalement, ce n’est pas une mauvaise chose de les aborder. Il faut juste trouver une manière de raconter qui change le rapport face à ses sujets sensibles et en adéquation avec l’âge du lecteur.

Vous avez parfois dû freiner pour ne pas être entraîné dans quelque chose de trop sombre ?

Gijé : Pas tant que ça, c’est resté très spontané avec, comme je le disais, l’objectif que tout ne soit pas tout brillant, tout propre. Qu’il y ait un côté crasseux, une patte.

Après, c’est sûr que Pandorient, ce n’est pas juste un monde magnifique. Même si les plus moches ne sont pas forcément les plus méchants.

 

 

 

 

© Gijé

 

Le fantastique, c’était déjà votre dada avant cette histoire ?

Gijé : C’est l’un des thèmes qui me parlent le plus, j’ai grandi avec ces histoires. C’est ce que j’aime le plus : créer des personnages atypiques, étranges. Des animaux avec des corps humains. Ne pas rester terre à terre.

 

 

 

 

Au Pays d’Eden, fresque réalisée pour un centre de soins pour enfant à Redange au Luxembourg ©Gijé

 

 

 

 

Au Pays d’Eden, fresque réalisée pour un centre de soins pour enfant à Redange au Luxembourg © Gijé

 

Et ça a influencé l’histoire de Carbone ?

Gijé : Disons qu’à la base, Pandorient devait être une copie du monde réel, sans rien de fantastique. J’ai donc proposé à Bénédicte d’y allier un côté fantasy. Elle ne s’en sentait pas capable mais au final, elle y a réussi.

Avec un côté Alice qui, il me semble, fait son grand retour dans pas mal de récits ces derniers temps, non ?

Gijé : Je ne sais pas. Mais, cela s’explique sans doute, notamment, par le fait que tout le monde aime se rappeler les contes, les premiers rêves. Ça fonctionne sur moi en tout cas. Après, en dessiner une histoire, c’était un coup de poker. Mais les retours sont bons donc je suis encore plus content.

 

 

 

 

© Carbone/Gijé

 

Et le fait d’avoir fait du charac-design, ça aide dans la création et les mouvements des personnages de BD ?

Gijé : Assurément ! Quand je crée un personnage, mes réflexes d’animateur reviennent à la charge. Il ne s’agit pas juste de savoir si un personnage sera gentil ou méchant. C’est plus profond. J’ai ce besoin de les enrichir même si ça ne sautera pas aux yeux dans la bande dessinée ou même que ça ne se verra pas. Mais je dois creuser et créer leur personnalité. Un personnage méchant qui, au fond de lui, est en réalité gentil, je pars du fait que cela doit se voir au fond de lui, dans son regard, ça manière de bouge.

 

 

 

 

© Gijé

 

Vous remerciez Laurence, votre éditrice, pour son optimisme, c’est-à-dire qu’il y a eu des passages plus compliqués ?

Laurence Van Tricht (l’éditrice): Gijé maîtrise son art. Mais le plus dur fut de respecter les délais. Il a cru qu’il n’y arriverait pas.

Y’a-t-il pour autant eu des frustrations, une fois arrivé dans la BD ?

Gijé : Non, bien au contraire. Ce travail me correspond. Dans l’animation, on a beau faire partie intégrante du processus, on est membre d’une équipe, et le travail final n’est pas complètement nous. Ici, le résultat du travail, du dessin, de la couleur, même s’ils sont figés, c’est nous.

 

 

Travail de charac-design du balayeur pour le court-métrage Long live New York de Cédric Witz pour la sensibilisation au don d'organe © Gijé

 

 

Travail de charac-design du balayeur pour le court-métrage Long live New York de Cédric Witz pour la sensibilisation au don d'organe © Gijé

 



La force de la BD ?

Gijé : L’imagination à laquelle elle donne toute sa puissance. La musique de la Boite à musique, par exemple, elle est cent fois plus belle en bande dessinée, même sans le son. On joue avec les codes, le lecteur comprend qu’elle magnifique et ne risque pas d’être déçu puisqu’il va imaginer la plus belle mélodie qui soit. Le langage est différent. Ce qu’on décide ou pas de montrer, également.

Autre grande première, le festival d’Angoulême !

Gijé : Ah oui, une grande première pour le tout neuf auteur de BD que je suis. Mon regard s’enrichit dans un milieu que je ne connais pas vraiment. Maintenant que je suis rentré dans cette chaîne, j’apprends plus qu’autre chose, ce monde s’ouvre à moi.

 

 

 

 

© Carbone/Gijé chez Dupuis

 

Laurence : Gijé est bien trop modeste pour le dire, mais face à de gros concurrents, c’est La boîte à musique qui a fait les meilleures ventes du stand Dupuis. On y croit beaucoup, tout fonctionne et on a envie d’aller loin.

Et votre culture bd, alors, de quoi se compose-t-elle ?

Gijé : Des mangas de ma jeunesse, par exemple, les Dragon Ball qui furent mes premiers livres. Urasawa et ses découpages magnifiques. J’essaie d’apprendre par les grands maîtres, en fait, tout en étant un peu en oppositions, l’efficacité de certains passe par la simplicité, moi, j’ai l’impression de toujours devoir rajouter énormément de choses pour faire passer tout ce que je veux.

 

 

 

 

Illustration © Gijé

 

Quelle est la suite, maintenant ?

Gijé : Le tome 2, en novembre. Avec ce besoin d’être plus ambitieux : il y a des promesses à ne pas trahir.Le lecteur va en savoir plus sur Pandorient.

Y’a-t-il déjà un nombre de tomes prévus ?

Gijé : Il y a du travail, en tout cas, et je me laisse aller. Il y aura des fins ouvertes et ambigües, laissant la porte ouverte. Carbone a déjà des idées pour le tome 6, en tout cas. Pour le reste, on verra, cela dépendra du succès de la série.

 

 

 

 

© Carbone/Gijé chez Dupuis

 

Avec déjà une réimpression, c’est plutôt bien parti !

Gijé : C’est incroyable, on ne s’y attendait absolument pas.

Laurence : Mais on y croyait dur comme fer, Dupuis était à fond derrière le projet, avec un gros boulot marketing, un suivi dès les work in progress. Notre carte de voeux, c’était la Boîte à musique. C’est génial et mérité face à un auteur qui s’émerveille de tout et possède autant de fraîcheur par rapport à d’autres qui, après pas mal d’albums, ont tendance à ronchonner.

 

Propos recueillis par Alexis Seny

 

Série : La boîte à musique

Tome : 1 – Bienvenue à Pandorient

Scénario : Carbone

Dessin et couleurs : Gijé (Page Facebook)

Genre : Aventure, Fantasy

Éditeur : Dupuis

Nbre de pages : 56

Prix : 12 €



Publié le 19/02/2018.


Source : Bd-best


Philippe Chanoinat : « La censure n’a jamais été aussi traumatisante, une apologie de la bêtise, de la médiocrité et de la méchanceté sans humour »

Il cause de plus en plus, il fume mais il flingue aussi, en roi de la gâchette des meilleurs westerns ou des polars incisifs qui font son monde, Philippe Chanoinat. Regorgeant de projets, mêlant BD et cinéma sans modération et partant toujours de plus belle à l’aventure, celle qui mène aux frontières du réel et de l’horreur parfois, Philippe Chanoinat est aussi un auteur patrimonial, un défenseur sans peur et sans reproche qui s’attaque cette (nouvelle) fois à Pagnol et à Belmondo, en bons mots et en caricatures.


Bonjour Philippe, une nouvelle fois, c’est dans le cinéma de papa que vous nous emmenez à travers deux albums revenant sur l’art de Belmondo et celui de Pagnol. Caricatures à l’appui. Vous n’en aurez donc jamais fini de parler de cinéma ? Trouverez-vous toujours plus à dire sur le cinéma d’autrefois que celui d’aujourd’hui ?

Tout d’abord bonjour et merci de vous intéresser une nouvelle fois à mon travail et à celui de mes complices. Je n’aime pas cette expression « cinéma de papa » car elle a été employée par un aéropage de nuisibles pour critiquer le cinéma populaire. D’ailleurs, on ne parle plus de ces cons prétentieux alors qu’il n’y a pas une semaine où un film de Georges Lautner ne passe à la télévision. J’ai la prétention d’être un homme ouvert et s’intéressant à beaucoup de choses, mais je dois avouer qu’aujourd’hui le cinéma ne me procure que très rarement du plaisir. Heureusement qu’il y a un nombre infernal de supers séries. Comme je suis passionné par le cinéma, oui, j’ai toujours envie d’en parler, et encore plus de la musique.

 

 

 

 

© Chanoinat/Borot chez Glénat

 

Qu’est-ce qui fait le cinéma de Pagnol et celui de Belmondo ? Que vous évoquent ces seuls deux noms ?

Le cinéma de Pagnol est très atypique, c’est le sud de la France qui est à l’honneur, avec sa truculence et sa roublardise bonne enfant. Quant à Belmondo, c’est un physique, une voix, une manière de bouger, de s’exprimer, c’est plusieurs dizaines de films que j’adore. Un talent énorme.

Quelle a été votre porte d’entrée sur ces univers ? Le premier souvenir qui vous vient ?

Le clan des siciliens que j’ai vu à sa sortie avec mon papa, mon oncle Bernard et mon grand-père. Un souvenir chargé d’émotion, mon père et mon grand-père n’étant plus là. Ce jour-là, le petit garçon que j’étais est tombé raide dingue de ce film et de ses acteurs. Ensuite, j’ai découvert tout le reste. Avant ce grand moment, je peux parler de séries télé comme Au nom de la loi ou Thierry la fronde et des films d’Errol Flynn ou de Gary Cooper que je voyais aussi à la télévision et que j’adorais.

Pagnol, Belmondo, mais aussi tous ceux qui les entourent, ce sont des membres de votre famille ?

Belmondo, oui, sans hésiter, il est pour moi l’un des plus grands artistes français et je peux voir et revoir ses films toujours avec le même bonheur. Pagnol c’est différent, c’est la culture du sud et ce n’est pas la mienne. Par contre, j’aime son œuvre et je me régale en revoyant certains de ses films. Ma famille, c’est Georges Lautner, Michel Audiard, Henri Verneuil, Gilles Grangier, Jean Gabin, Lino Ventura, Alain Delon, Bernard Blier et beaucoup d’autres, pour la France. En ce qui concerne le cinéma étranger, Il y a John Wayne, Richard Widmark, John Ford, Raoul Walsh, Charles Bronson, Sergio Leone et là aussi il y en a tellement !!!!

Comment expliquez-vous qu’ils soient devenus des monstres sacrés ?

Le talent et le charisme, ce n’est pas plus compliqué.
Jean de Florette

 

 

 

 

© Chanoinat/Da Costa chez Glénat

 

Finalement, ces deux monstres sacrés ne se sont jamais rencontrés. Un rendez-vous manqué ? Belmondo n’aurait-il pas eu sa place dans l’univers de Pagnol ? Aurait-ce été le cas si Pagnol avait vécu un peu plus longtemps ?

Belmondo a tellement de talent qu’il est capable de tout jouer, alors pourquoi pas dans du Pagnol. La rencontre ne s’est pas faite, mais il y a tellement de choses qui n’ont pas vu le jour, j’aurais adoré une rencontre entre Belmondo et John Wayne.

 

 

 

 

© Chanoinat/Borot chez Glénat

 

Les fréquenter, c’est aussi une manière de nous mettre en contact avec d’autres comédiens de légende. Raimu, Fernandel, Ventura, Rochefort mais aussi des « oubliés » comme Pierre Brasseur, Pierre Larquey ou Pierre Fresnay. Le temps est ingrat et sélectif. Ces acteurs ne méritaient pas d’être oubliés, n’est-ce pas ?

Ce n’est pas moi qui vais te dire le contraire, j’adore tous ces gens dont on ne parle plus, mais je sais que nous sommes encore nombreux à les apprécier et à regarder leurs films. Aujourd’hui, la télévision est un désastre, avec la télé-réalité où on montre des décérébrés vulgaires en train de s’insulter, des émissions avec des donneurs de leçons, les procureurs du politiquement correct, tout ça me file la gerbe. On vit une époque où la censure n’a jamais été aussi traumatisante depuis que je suis né. L’apologie de la bêtise, de la médiocrité et de la méchanceté sans humour.


Puis, il y a Minos, Adalbert-Maria Merli dans Peur sur la ville, dont vous dites que c’est l’un des psychopathes les plus effrayants du cinéma français ! Pourquoi ? Vous nous en parlez ?

Il suffit de regarder le film Peur sur la ville, ce mec est effrayant ! C’est un tueur en série complètement possédé par sa quête destructrice. C’est un assassin qui ne possède aucune pitié, persuadé d’avoir raison, un fou dangereux. Henri Verneuil, en réalisant son film, a su tirer le meilleur de son comédien, ça ne doit pas être simple de se glisser dans la peau d’un tel psychopathe.

Pour vous accompagner dans ce parcours chronologique des œuvres les plus marquantes de ces deux ténors de la pellicule, vous avez fait appel à deux compagnons de route : Borot pour Belmondo, Da Costa pour Pagnol. Comment cette collaboration s’est-elle passée ? Étiez-vous directif sur les images et représentation de scènes emblématiques que vous évoquiez ? Le style de Da Costa était une évidence pour dessiner Pagnol & CO ? Pareil pour Borot et Belmondo ?

Tout d’abord, avec Jean-Marc Borot, on s’est rencontré il y a quelques années et nous avons sympathisé, il avait entendu certaines conneries sur moi et n’en n’a pas tenu compte et nous sommes devenus amis. Il a comme moi un caractère bien trempé et, pourtant, notre collaboration se passe très bien. Nous ne nous sommes pas encore entre-tués. C’est un vrai plaisir de bosser avec lui, talentueux, efficace, concerné, motivé et ami fidèle. Nous préparons un album sur les Tontons Flingueurs que nous allons éditer nous-mêmes. Comme ça, on fera ce livre comme nous voulons vraiment.

 

 

 

 

Le professionnel © Chanoinat/Borot chez Glénat

 

Par respect pour les albums que nous avons fait et notre longue collaboration, je ne dirais rien sur Da Costa, mais le Pagnol, à moins d’un miracle, était le dernier que nous faisions ensemble.

Qu’est-ce qui fait qu’après tant d’années vous pouvez (et vous n’êtes pas le seul) revoir les films de ces deux as toujours avec autant de plaisir ?

Le plaisir toujours intacte, inaltérable !

Certains films sont parfois recolorisés, cela vous gêne-t-il ? Ou cela apporte-t-il un plus ?

Oui, ça me gêne qu’on restaure les films. C’est génial. Par contre qu’on les recolorises, c’est juste de la merde ! Un manque de respect à ceux qui ont fait ces films ! Vous allez me dire que certains n’avaient pas le choix à cause des budgets…

 

 

 

 

Marius © Chanoinat/Da Costa chez Glénat

 

… ou que la technologie ne le permettait pas ?

Oui, certes, mais ils ont été tournés comme ça et je ne vois pas l’intérêt de changer, tout ça pour plaire à des branleurs incultes qui ne supportent pas le noir et blanc.

Certains chroniqueurs, critiques ont dégommé sans prendre de pincettes certains films que vous revoyez sans modération ? Vous leur répondez en bonne et due forme, avec la verve qu’on vous connait, sans mâcher vos mots ! On ne vous changera pas ?

Mais pourquoi voudriez-vous que je change !!! Il n’en n’est pas question, j’ai certainement évolué en vieillissant, changé d’avis sur certaines choses, mais globalement, je reste celui que je suis et ça me va très bien. Je suis connu pour avoir une grande gueule et être ingérable. Ma version à moi est différente, je suis un mec cool mais je n’accepte pas qu’on me fasse croire que la merde à le goût du chocolat et vive versa. (rires)

 

 

 

 

La gloire de mon père © Chanoinat/Da Costa chez Glénat

 

Je remarque qu’on n’aime pas les gens qui disent les choses et ne se laissent pas casser les pieds, alors pour les dénigrer, on essaye de les faire passer pour des types infréquentables, ingérables, un peu cons. Faut savoir que les gens qui pensent ça de moi sans me connaître sont des imbéciles et qu’ils ne courront jamais aussi vite que je les emmerde. D’ailleurs qu’ils viennent me dire ça en face qu’on rigole.

On vit une époque où les les faux culs sont rois. La médiocrité et le nivellement pas le bar, c’est pratique de rendre les gens abrutis, ils sont plus faciles à diriger. Et pour finir là-dessus je dirais que j’ai plein de gens autour de moi qui m’aiment et m’apprécient et c’est le principal.

 

 

 

 

L’héritier © Chanoinat/Borot chez Glénat

 

Cela dit, avant vous, Jean-Paul Belmondo s’était fendu d’une « Lettre aux coupeurs de têtes » face à des journalistes unis qui avaient achetés une demi-page de pub dans Le Monde pour dire, en substance, que L’as des as volait ses spectateurs au film de Demy, Chambre en ville. Fallait pas le fâcher Bébel, hein ?

Belmondo n’est pas du genre à se laisser marcher sur les pompes. À une époque, il aimait coller des bourre-pifs à ceux qui lui pétaient les noix. Quant à cette triste affaire, c’est encore une fois le fait d’une bande d’incapables qui se sont crus très malins, mais Bébel les a renvoyé au terminus des prétentieux.

Cela dit, vous n’êtes pas tendre non plus envers la production cinématographique actuelle. Rien ne vous a donc séduit ces dernières années dans le cinéma français ?

Pourquoi je serais tendre avec des nombrilistes suffisants qui, avec nos impôts, font des films sociaux où l’on passe son temps à cracher à la gueule des gens « normaux » en faisant l’apologie de Che Guevara en pâte à modeler, de dealers et autres parasites. Ou alors des comédies débiles qui feraient passer Max Pecas pour Georges Lautner.

 

 

 

 

Le doulos © Chanoinat/Borot chez Glénat

 

Après, il reste parfois des choses vraiment bien, comme ce que fait Dupontel. Ou Olivier Marchal. Et quelques autres. Dans le cinéma américain, il reste plus de bonnes choses, mais beaucoup moins qu’avant. J’adore le cinéma anglais, par contre.

Voyez-vous quand même certains comme dignes successeurs/héritiers de Pagnol ? Et de Belmondo ? On parlait beaucoup de Jean Dujardin, tout un temps.

Non, chaque artiste a sa propre personnalité et son propre talent et personne ne peut prétendre à remplacer qui que ce soit, après il peut y avoir des filiations.

Attention, ça se corse ! Si vous ne deviez ne choisir qu’un film de Pagnol et Bebel ?

Ben non, je ne te demande pas à choisir entre ta femme et un de tes enfants ! Hahahaha !

 

 

 

 

Manon des sources © Chanoinat/Da Costa chez Glénat

 

Et le pire film ?

Pour quoi faire ? Concernant ces gens je ne préfère ne parler que de ce que j’aime, j’ai trop de respect pour eux pour les dénigrer sur un ou plusieurs films, même si ces derniers existent certainement.

Dans cet album, vous sélectionnez Pierrot le fou, mais pas par goût personnel. Pourquoi ?

Nous étions deux à concevoir cet album plus le directeur de collection, j’ai tenu compte de leurs avis, même si je n’étais pas enthousiaste. J’ai essayé de trouver ce que je pouvais aimer dans les deux films de Godard.

Belmondo peut tout jouer, vous l’affirmez haut et fort. Mais, pour vous, quel fut son rôle le plus inattendu ?

Pour moi aucun, comme je le disais plus haut, il est capable de tout jouer, après c’est vrai qu’en curé dans Léon Morin, on est loin du Bébel virevoltant, mais c’est aussi pour ça que je l’aime.

 

 

 

 

100 000 dolars au soleil© Chanoinat/Borot chez Glénat

 

Aussi, ce n’est que tard qu’il a tourné avec votre second papa, Georges Lautner. De quoi donner cinq films mémorables. Pourquoi ne se sont-ils pas rencontrés plus tôt ?

C’est une bonne question, mais je n’ai jamais abordé le sujet avec Georges, donc je ne répondrais pas, pas envie de dire une connerie ou de raconter n’importe quoi.

Quel est pour vous le réalisateur qui a tiré le mieux profit de Belmondo ?

Il n’y en a pas un mais plusieurs, Melville, Verneuil, Lautner et d’autres.

Belmondo faisait ses cascades seul, des anecdotes là-dessus ? J’imagine qu’en ce temps-là, c’était nettement moins sécurisé et plus dangereux que lorsqu’un Tom Cruise fait ses cascades seul dans les années 2000 et 2010, non ?

Il y avait beaucoup de sécurité autour des scènes de cascades et des types comme Rémi Julienne étaient des vrais professionnels, mais il y avait quand même une part de danger. Aujourd’hui, il y a beaucoup d’effets spéciaux, donc beaucoup moins de risques. J’aime bien l’acteur Tom Cruise, Il a joué dans de très grands films.

 

 

 

 

Le magnifique © Chanoinat/Borot chez Glénat

 

« Amuse-toi, ça empêche de mourir », une phrase issue de Cartouche qui est devenue votre devise ? Vous nous la recontextualisez ?

J’ai passé ma vie à essayer d’être heureux, parfois avec succès. Aujourd’hui, je me sens bien, je côtoie le bonheur et, malgré plein de choses qui m’énerve, je suis heureux. Je ne me suis jamais pris au sérieux et j’ai toujours abordé les choses avec humour, même les plus dures. Il y a quelques moi, à l’enterrement de mon Papa, j’ai dit aux croque-morts de le surveiller dans son cercueil pendant la cérémonie, car le connaissant, il était capable de se faire la malle. Ma façon à moi de combattre la tristesse qui s’était infiltrée à l’intérieur de mon cœur et qui me rongeait.

Votre album se termine sur l’Inconnu dans la maison, sorti en 1992. Les films de Belmondo sortis après n’ont pas trouvé grâce à vos yeux pour ce livre ? Moins intéressants ?

D’autres films auraient pu figurer dans ce livre, mais c’est un manque de place. Après L’inconnu dans la maison, il y a de belles choses.

 

 

 

 

L’inconnu dans la maison © Borot

 

Comme ?

Je dirais Une chance sur deux de Patrice Leconte, le plaisir de retrouver Bebel et Delon ensemble. Certainement pas le meilleur film de Leconte (j’adore ce réalisateur) mais j’ai passé un bon moment. J’aime bien aussi Les Misérables de Lelouch et Les Acteurs de Blier.

Il se murmure que Jean-Paul Belmondo jouera un dernier rôle chez Fabien Onteniente. Excité ou plutôt horrifié ?

Pour l’instant, je ne détiens aucune information, et puis si les murmures de ceux qui murmurent dans un murmure s’avèrent exactes, on jugera sur pièce. Onteniente fait du cinéma grand public et, dans sa filmographie, il y a quelques trucs sympas.

Dans un autre genre, vous avez signé, sur le même principe, Il était une fois Sergio Leone, sorti en octobre dernier. Que pouvez-vous nous en dire ? Le western, c’est aussi votre dada ?

C’est tout simplement mon genre cinématographique préféré. Le Leone est un album superbe et hors éditeur classique. J’en suis très fier, mais apparemment il n’intéresse pas grand monde. Ce n’est pas grave, au moins il fait plaisir à quelques fans de ce grand réalisateur et c’est le côté positif de la chose, mais je suis déçu.

 

 

 

 

Le bon la brute et le truand © Chanoinat/Da Costa aux Éditions Bourguet-Gachon

 

Quitte à pousser l’amusement plus loin, vu votre amour pour le cinéma, n’avez-vous jamais voulu passer sur grand écran ? Réaliser un film ?

Bien sûr, mais c’est trop compliqué. C’est un milieu très fermé, je n’ai pas le bon carnet d’adresses, je ne suis pas comme certains prêts à baisser mon froc et à accepter n’importe quoi. Et puis, aurais-je le talent pour le faire ?

Aujourd’hui, au cinéma, on peut tout faire avec les effets spéciaux ! L’avantage de la BD c’est qu’on peut aussi tout faire… mais avec un tout petit budget.

 

 

 

 

© Chanoinat/Da Costa aux Éditions Bourguet-Gachon

 

En attendant, les films vous les réalisez en BD. Il y a eu trois tomes de Raoul Fracassin, Le réseau Mirabelle, des séries en stand-by malgré leur succès. Qu’est-ce que c’est que cette affaire ?

Je n’ai pas la langue de bois, mais pour l’instant j,e ne dis rien, j’attends des réponses et quand je les aurai, crois-moi, tu seras prévenu. Je n’aime pas les polémiques inutiles, là il y aurait beaucoup à dire mais j’attends. Je peux juste te dire, pour l’instant, que quoi qu’il arrive, il y aura un Fracassin 4. Nous bossons déjà dessus et nous le publierons nous-mêmes si on ne nous laisse pas le choix.

 

 

 

 

© Chanoinat/Loirat aux Éditions Jungle

 

L’actu immédiate, c’est cette immersion dans l’univers de Verne pour Deux ans de vacances. Jules Verne, ça c’est encore un univers passionnant, non ? Pourquoi cette histoire ? Pour ce faire, avec Frédéric Brrémaud, c’est un nouveau venu qui va poser ses dessins sur vos mots : Hamo. Pourquoi lui ? Comment vous êtes-vous trouvés ?

C’était un vieux rêve d’adapter ce roman de Jules Verne, c’est fait et je suis très content. J’ai reçu le tome 1 et je dois avouer que Glénat a fait du bon boulot au niveau de la maquette. Tu vois, je sais aussi dire les choses quand je suis content et j’aimerais que ce soit tout le temps comme ça. C’est Fred Brremaud qui a vendu le projet chez Glénat et le directeur de collections nous a proposé Hamo, choix judicieux. C’est un dessinateur talentueux et je suis content de son travail. Son style convient vraiment bien avec Deux ans de vacances. Hamo a su parfaitement retranscrire notre scénario et le livre de Verne. Un dessin à la fois moderne, tout en restant classique !
 
Face à un tel roman, que fait-on ? On essaie de moderniser un peu ? Ou, au contraire, la matière première est toujours autant moderne et ne vieillit pas ?

Fred et moi avons respecté l’esprit de Verne et avons apportés notre griffe à son roman. Son roman est toujours aussi moderne, mais sa manière de décrire les choses pendant des pages n’était pas envisageable en BD. Même en 3 tomes. Alors nous avons fait comme on le sentait.

Sinon, l’avenir s’annonce radieux et fourmillant de projets avec Jean-Marc Borot, Bob Garcia, Philippe Loirat, l’éternel complice Frédéric Marniquet, Fabrice le Henanff, David Verdier, Pascal Badré, l’insolent Djony Rubio… Ça en fait du boulot. Il va être question, je vous cite : « de tontons, de mystère à L’île d’yeu, de zombis, de flingueurs qui jouent les revenants, de disparus à St Agil, de Sherlock Holmes etc…! » Vous nous en dites un peu plus ?

Oui, beaucoup de projets, dont une grosse partie sera auto-produite : c’est de plus en plus compliqué de signer chez les éditeurs et comme nous avons envie de bosser sur des choses qui nous plaisent, on va faire comme ça. Comme je disais un Fracassin 4, un album sur Sherlock Holmes avec trois nouvelles, dont deux seront traitées en BD, ce sera un beau bouquin sur l’univers de Holmes.

Une BD d’aventure sur l’Île d’Yeu dans l’esprit Tif et Tondu ou Gil Jourdan, un one shot d’horreur avec des zombies sur une île au large de la Bretagne, un polar dans le Berry avec un tueur au rasoir.

Et avec votre pote Thierry Olivier vous avez toujours votre « Rocker Lycanthrope sous le coude ». Kezaco ?

Une BD qui se passe dans les années cinquante avec un bad boy qui se transforme en loup-garou, il est accompagné par une femme-vampire qu’il trimballe dans un cercueil à l’arrière de sa Cadillac, on va y croiser une horde de zombies, des tueurs, des chasseurs de vampires, etc. Ça va dépoter ! Le projet est chez un éditeur et on attend sa réponse.

 

 

 

 

© Chanoinat/Olivier

 

Il y du Pierre Very (L’assassinat du Père Noël, Les disparus de St Agil) dans l’air, aussi ?

Noël Very son fils doit venir à la maison quelques jours en février pour que nous parlions d’adapter certains romans de son papa en BD. Il est emballé et, moi, c’est un rêve, en particulier Les disparus de Saint-Agil ! j’ai proposé ça à un directeur de collection qui m’a répondu que pour lui ce n’était pas culte. Du coup, au lieu de perdre mon temps, je vais trouver un moyen de l’éditer moi-même.

Et, cerise sur le gâteau, un (premier) roman ? Sur quoi ?

Un polar très violent, dans mon style, avec des dialogues malfaisants, une charge contre le politiquement correct sur fond de réseau pédophile. Mais, là, il va falloir être patient car j’en ai pour un moment.

Bon ben, on va vous laisser travailler à tout ça, alors! Au boulot !

 

Propos recueuillis par Alexis Seny

 

Titre : Pagnol fait son cinéma

Recueil, Anthologie

Textes : Philippe Chanoinat

Dessin : Charles Da Costa

Genre : Cinéma, Caricature

Éditeur : Glénat

Nbre de pages : 64

Prix : 15€

 

 



Publié le 12/02/2018.


Source : Bd-best


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