Le triomphe de Zorglub, très libre adaptation du film Spirou et Fantasio par un quatuor flamboyant : « mettre les personnages face au ‘scandale’ de leur traitement au cinéma »
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Le triomphe de Zorglub, très libre adaptation du film Spirou et Fantasio par un quatuor flamboyant : « mettre les personnages face au ‘scandale’ de leur traitement au cinéma »

Qu’ils sont difficiles les allers-retours entre le septième et le neuvième art. S’ils se sont intensifiés, force est de constater qu’ils n’ont pas mené à de formidables réussites. Alors, quand on nous annonce que sort une bande dessinée adaptée d’un film, on ne part pas confiant. Un quatuor flamboyant nous a prouvés le contraire, autour du film Spirou et Fantasio, en retournant l’exercice et en en faisant quelque chose de fun, créatif et bien plus percutant que ce que le cinéma a été capable de faire. Le triomphe de Zorglub, c’est une non-adaptation du film, une surprise savamment orchestrée par Olivier Bocquet, Brice Cossu, Alexis Sentenac et Johann Corgié. Tout un petit monde que nous avons pris le temps de questionner dans une interview peut-être bien ultime, certainement utile !

 

 

 

 

 

 

 

© Bocquet/Cossu/Sentenac/Corgié chez Dupuis

 

Bonjour à tous. Pour une surprise, c’est une surprise. D’autant plus que cet album dérivé du film sans en être une adaptation a finalement été annoncé très tard.

Brice Cossu : C’est parti d’une demande de Dupuis. Si nous espérions bien faire un one shot Spirou vu par, à la base, nous n’avions pas l’intention de faire un album juste pour adapter le film. Ça n’avait pas d’intérêt. Mais, si nous pouvions l’emmener ailleurs, pourquoi pas ? Chez Dupuis, on nous a répondu qu’il serait compliqué de se dégager du film sauf s’il nous arrivait une idée de génie tout en intégrant le film.

 

 

 

 

©Bocquet/Cossu/Sentenac/Corgié

 

Alexis Sentenac : D’autant plus qu’on avait lu la première version du scénario, nous n’étions pas emballés.

Brice : Puis, Olivier a eu cette idée de mise en abyme. S’il fallait prendre les acteurs du film, autant les opposer aux vrais héros qui se retrouveraient sur le plateau de tournage.

Alexis : S’il nous arrivait de faire un Spirou un jour, il fallait que ce soit notre aventure. Il nous appartenait sur cet album du film de faire le lien.

 

 

 

 

©Bocquet/Cossu/Sentenac/Corgié dans le tirage de luxe aux Éditions Khani

 

En mettant les bouchées doubles. Olivier au scénario, Brice au crayonné, Alexis à l’encrage et Johann Corgié aux couleurs.

Brice : On a constitué une équipe, dès le départ, il fallait coller aux délais.

Alexis : Des délais qui convenaient à peu près, le film devait sortir en juin 2018. C’était avant qu’il soit ramené en février, avant le film Gaston. En plus de cet avancement de la sortie du film, la validation de notre script a pris du temps. On a stressé pendant que la production du film, elle, prenait son temps. Enfin, on connaît des gens qui ont attendu beaucoup plus longtemps. Notre chance, heureusement, c’était que dans l’équipe de ce Spirou, on se connaissait depuis longtemps. Ça nous a permis d’avancer deux fois plus vite, d’être plus dans l’intensité, d’y mettre de l’énergie.

 

 

 

 

©Bocquet/Cossu/Sentenac/Corgié chez Dupuis

 

Brice : Le faire pour mieux bâcler n’aurait eu aucun intérêt.

Johann : Pour ma part, travailler à ce rythme et dans ces conditions m’a permis de simplifier, d’aller à l’essentiel, de faire des choix. Contrairement à certains albums que j’ai pu faire et où je pouvais me perdre en réflexion, en détails. J’ai découvert le travail en équipe sur cet album et, du coup, tout va beaucoup plus vite, ils ont su m’orienter dès le début tout en me laissant complètement libre. Une super expérience.

Alexis : Puis, c’est l’album pour lequel je suis revenu au traditionnel. Jusqu’à présent, je réalisais mes albums en numérique. Je nourrissais l’envie de revenir au papier depuis un moment. Sur ce Spirou, j’ai franchi le pas, après 20 planches en numérique, sans transition. Il faut dire que ça m’aurait fait chier de m’attaquer à Spirou et de ne pas en avoir de traces physiques. Puis, il y a le marché original mais aussi le fait que j’ai pu offrir une planche à Olivier. Ce qu’en numérique, il est impossible de faire.

 

 

 

 

©Bocquet/Cossu/Sentenac

 

Au niveau de l’encrage, j’ai essayé de retrouver l’influence de Franquin. En tout, il m’a tellement inspiré. Enfant, c’est quand même Gaston que j’ai le plus souvent recopié.

Et vous Brice ?

Brice : Je suis resté au numérique, c’est ce qui fait mon énergie.

Alexis : Avec un aspect manga, aussi. Celui qui emmerde tellement le puriste. (Il ricane)

Brice : Mais c’est vrai que sur les trois premières planches, j’avais l’impression de me retenir. J’étais timide. Dupuis m’a rassuré, ils nous ont dit, n’hésitez pas à y aller. Du coup, on s’est dit, c’est bon, on lâche tout.  Ce qui rend, je crois, le récit hyper-dynamique.

Alexis : On n’a pas perdu au change, c’est péchu.

Johann : Ahah les fameuses trois premières pages… elles nous auront tous bien fait galérer.


Johann, avec cet album, c’est un peu le temps des premières pour vous : Parution dans Spirou, Angoulême… Ça vous fait quoi ?

Alors en fait c’est ma deuxième parution dans le journal de Spirou, il y a 10 ans au tout début de ma carrière, j’avais fait une page couleur dessinée par Olivier Taduc pour le Spécial Benoît Brisefer, et la j’y reviens pour mon dernier album comme coloriste. La boucle est bouclée !

Et pour Angoulême, c’est juste énorme ! Les coloristes sont rarement invités sur les salons, alors y venir, qui plus est pour un Spirou, c’est que du bonheur. Énormément !

On aurait pu croire à une bande dessinée en pilote automatique. Pas du tout, on le constate très vite. Avec plein d’idées visuelles, de créativité. Comme sur ces trois cases où nos amis se rapprochent d’un 4X4.

 

 

 

 

©Bocquet/Cossu/Sentenac/Corgié chez Dupuis

 

Alexis : C’est une idée d’Olivier, ça.

Brice : Et c’est un malade. Il y a cette séquence complètement folle dans laquelle le 4X4 part en tonneaux. Quelque chose de très cinématographique, sur lequel on s’arrache les cheveux en tant que dessinateur. C’est en général à ce moment que le story-board est collectif, que tout l’atelier y apporte sa touche.

Comme cette cascade acrobatique, sur le toit de l’hôtel. Dans la séquence, j’imagine la veste de Fantasio qui, dans l’action, s’enlève. C’est de la mise en scène pure.

Olivier : En ce qui me concerne, cette séquence — pages 40-41, si vous avez la curiosité d’y jeter un œil — est probablement, de toute ma carrière, ce que j’ai écrit de plus acrobatique en termes de gestion de l’espace. Et clairement, jamais je n’aurais écrit une séquence pareille si je ne connaissais pas aussi bien Brice et Alexis. Je savais qu’ils arriveraient à la garder lisible et dynamique. Les trois pages qui précèdent délivrent des informations sur l’intrigue, mais servent aussi de mise en place du décor. Le lecteur sait où il se trouve mais on n’appuie rien. Et dans cette double-page 40-41, on lâche les chevaux.

 

 

 

 

©Bocquet/Cossu/Sentenac/Corgié chez Dupuis

 

 

À la première case, les deux personnages sont suspendus dans le vide à l’extérieur de l’hôtel, attachés l’un à l’autre uniquement par une paire de bretelles. Case suivante : les bretelles cèdent. Un personnage tombe tandis que l’autre monte… et pourtant, à la dernière case de la double-page, ils se retrouvent à nouveau ensemble, à nouveau au-dessus du vide, mais à l’intérieur de l’hôtel ! Ceci à l’issue d’un montage parallèle épique et — j’insiste là-dessus — que personne ne remarque ! C’est tellement fluide que le lecteur passe sur cette double page avec sans doute un petit sourire, en notant peut-être au passage que le vrai héros de la séquence est une héroïne, mais sans jamais se dire « woooooaw ! » Pour moi, c’est le signe qu’on a réussi notre coup. On a fait passer un truc hyper complexe comme si c’était parfaitement naturel. Je suis extrêmement fier de notre travail sur cette séquence.

 

 

 

 

©Bocquet/Cossu/Sentenac/Corgié chez Dupuis

 

Johann : Quand j’ai reçu les pages de cette séquence, je me suis rendu compte que j’avais intégré une équipe de fous furieux. Ça bouge c’est drôle et c’est hyper-fluide et super-lisible. J’me suis dit un truc du genre: « Mais qu’est-ce que je fous là, moi ?!?» ahah !

Justement, quand on parle de couleurs en BD, qu’est-ce que cela vous évoque ?

Johann : La lumière, en premier! Chercher des ambiances, des gammes colorées qui colleront le plus possible aux ambiances des pages noir et blanc tout en laissant la part belle au dessin. Trouver le juste milieu. Ce n’est pas toujours évident mais c’est ce qui fait que c’est intéressant.

Spirou et Fantasio véhiculent-ils des codes de couleurs à respecter ?

Johann : Bien sûr, on peut difficilement y couper. Tout le monde sait que Spirou est habillé de rouge et que Fantasio porte sa veste bleue. Dans cet album, il fallait jouer légèrement avec ces codes sans trop s’en éloigner.

 

 

 

 

©Bocquet/Cossu/Sentenac/Corgié chez Dupuis

 

 

La couleur aussi joue beaucoup au cinéma, la lumière. Du coup, vous êtes-vous inspiré des tons du film dans votre mise en couleur ? Le trait du dessinateur influence-t-il la manière de coloriser un album ?

Johann : Pour le film, pas tellement, j’avais quelques références, notamment pour la base de Zorglub, mais comme je n’avais pas accès à tout, j’ai dû prendre pas mal de liberté et faire mes propres ambiances et c’est tant mieux, sinon ça m’aurait bloqué.

 

 

 

 

Repérage du plateau de tournage par Olivier Bocquet

 

Le trait d’un dessinateur influence toujours mes couleurs, et particulièrement sur cet album. Je ne travaille pas de la même façon sur un dessin réaliste que sur un trait plus léger comme celui de Brice et Alexis. Là, j’ai dû apprendre à simplifier mes couleurs, mes ombres, ce qui n’était pas évident au début, car je n’avais jamais travaillé sur ce genre de dessin. Mais ils m’ont bien coaché et après une dizaine de pages j’ai commencé à me sentir plus à l’aise et à me faire plaisir.

 

 

 

 

©Bocquet/Cossu/Sentenac/Corgié chez Dupuis

 

Vous parliez de l’atelier. J’imagine que, quel que soit l’album, les planches circulent.

Alexis : Officiellement, on a collaboré de la même manière sur un tome de Carthago Adventures. On a aussi un polar Steampunk pour Glénat parmi nos projets. Mais, officieusement, les planches de chacun de nos albums ne sortent pas sans le coup d’œil de l’autre.

Brice : Ça fait dix ans que nous fonctionnons comme ça.

Alexis : J’ai encré un peu dans FRNCK, d’ailleurs !

Brice : Cet atelier, ce ne sont pas juste deux personnes qui font leur boulot, grâce au logiciel de conversation, on a une dizaine d’invités qui interviennent, comme Yoann Guillo ou Johann Corgié.

Johann : C’est d’ailleurs comme ça que je me suis retrouvé à intégrer l’aventure Spirou, entre 2-3  partages de pages sur le logiciel, ils me sortent innocemment un « on a un truc pour toi, tu peux pas dire non ! »… j’ai pas pu dire non!

 

 

 

 

©Bocquet/Cossu/Sentenac/Corgié dans le tirage de luxe aux Éditions Khani

 

En tant que coloriste mais aussi dessinateur, l’envie n’est-elle pas parfois forte de rajouter des détails ?

Johann : C’est tout le souci, et c’est frustrant par moments. Si j’en fais trop, ça charge le dessin et ce n’est pas forcément lisible. Tout est une question de choix et de sacrifices, mettre au premier plan l’information essentielle et suggérer le reste, guider le regard du lecteur. Le chemin est déjà bien balisé par la narration du/des dessinateur(s), il faut se débrouiller pour appuyer ça. Du coup j’essaye de compenser en travaillant mes ambiances et mes lumières, particulièrement sur les décors. C’est eux que je préfère mettre en couleurs.

Et pour vous, Brice et Alexis, N’y a-t-il pas des frustrations à fonctionner avec un qui crayonné, l’autre qui encre ?

Brice : Non, cela s’est fait en accord parfait.

Alexis : La frustration, pour moi, c’est peut-être de ne pas avoir eu le temps de storyboarder concrètement, en fait. Mais sinon, il n’y a pas d’égo.

 

 

 

 

©Bocquet/Cossu/Sentenac

 

Et finalement, Spirou, pour vous, c’est qui ?

Alexis : Sans hésiter, celui de Franquin.

Brice : Tome & Janry, de mon côté. Ce n’est qu’après que j’ai lu les autres auteurs de Spirou. Avec comme Graal, la couverture de Machine qui rêve qui m’avait fait une espèce de choc.

Johann : Tout pareil que Brice, Tome & Janry et Machine qui rêve qui m’a particulièrement marqué. Un album un peu à part.

Alexis : C’est vrai que Machine qui rêve, c’était quelque chose. Janry est d’ailleurs le seul auteur à qui j’ai baisé les pieds, un jour. Pendant qu’il jouait de la gratte.

Brice : J’ai les photos. Pour revenir à ce qu’on disait, les puristes diront que non mais quand un héros atteint les 80 ans, c’est important de le voir évoluer. Même si, pour le coup, ce qu’en a fait Franquin est extrêmement moderne. La manière dont la Turbotraction est documentée, la maison de Spirou et Fantasio. Et dire que tout ça a été inventé dans les années 50, nos parents venaient de naître !

 

 

 

 

©Bocquet/Cossu/Sentenac/Corgié chez Dupuis

 

Alexis : Et pourtant, on n’a rien eu à changer pour coller à l’époque.

Brice : Je pense qu’on a dû rajouter un tapis.

Olivier : Je ne me prononcerai pas sur le dessin, mais d’un point de vue scénaristique — et même si je n’ai pas tout lu — je trouve que les albums de Tome & Janry sont extrêmement solides. On pourrait les sortir aujourd’hui sans problème alors que certains ont plus de 30 ans. Ce n’est pas le cas de la plupart des scénarios de l’époque Franquin, qui sont très bien « pour l’époque », mais qui aujourd’hui ont pris un coup de vieux. J’aime beaucoup le travail de Vehlmann aussi.

Et dans les auteurs plus récents, qui vous a marqués ?

Brice : Frank Pé et La lumière de Bornéo. C’est super de le voir apporter sa patte. Puis, Feroumont, aussi.

Johann : Celui d’Émile Bravo! Autant pour le dessin que pour l’histoire.

Alexis : Après, je trouve que certains ne racontent pas des histoires de Spirou. C’est moins intéressant de sortir Spirou de son univers pour raconter des histoires qui ne sont pas les siennes. Spirou, c’est de l’aventure, de l’humour, faut pas chercher à en faire autre chose. Ce n’est pas comme Mickey qui s’est baladé dans tous les genres et univers. Après, c’est vrai que Machine qui rêve a su amener un ton s-f, mais en restant dans l’univers Spirou. Quand on te prête un super-jouet comme Spirou, ce n’est pas pour lui mettre les bras de Goldorak.

Olivier : C’est un peu le cahier des charges que je me suis imposé. J’aurais pu me contenter de faire un album qui se passe sur le tournage du film, avec juste une suite de gags. Un truc uniquement sur les coulisses du cinéma, le star-system, les effets spéciaux… Mais ça n’aurait pas été un album de Spirou et Fantasio. Je voulais qu’il y ait quand même un parfum d’aventure, un sentiment de danger. D’où les cascades, la marche dans le désert, la course contre la montre à la fin… Moralité : j’ai des pages et des pages de notes sur des gags en rapport avec le cinéma qui ne m’ont pas servi. De quoi faire un album entier !

Et Zorglub alors ?

Brice : C’est un personnage hyperintéressant, si bien qu’il perd son rôle de méchant dans certaines aventures.

 

 

 

 

©Bocquet/Cossu/Sentenac/Corgié chez Dupuis

 

Alexis : Un mal-aimé. Mais c’est ce qui est chouette avec les personnages pas manichéens, pas parfait.

Brice : Le capitaine Haddock en est un. Il est bourru, peut taper. Il pourrait être un méchant en fait. Sinon, je suis vraiment fan de ce qu’en a fait Munuera. Et je peux vous dire qu’Olivier râle que Munuera ait eu cette idée (rires). Il aurait tant aimé. Mais, qui sait, peut-être dans un Zorglub vu par ? Tout se peut maintenant dans l’univers Spirou.

Olivier : Ah oui ! Travailler Zorglub en personnage principal, c’était la bonne idée ! Je suis très jaloux, mais je me dis que j’ai quand même fait trois albums sur Fantômas, donc ça va, question méchants mythiques je n’ai pas à me plaindre.

 

 

 

 

Repérage du plateau de tournage par Olivier Bocquet

 

Rayon amour, Fantasio et Seccotine s’embrassent.

Brice : En fait, on pensait que ça s’était déjà vu dans la série.

Olivier : Je n’étais pas sûr que ça n’était pas arrivé. Mais bon sang, c’est électrique depuis tellement longtemps entre ces deux personnages ! Donnez-nous enfin ce baiser !

Alexis : Résolument, Spirou ne pouvait pas faire ça.

Brice : Il est asexué, comme Tintin.

Alexis : Mais Olivier, ça ne fait pas si longtemps qu’il est dans la BD et je trouve qu’il a développé une finesse qui s’apparente à celle de Goscinny, capable de parler de thèmes contemporains comme la position de la femme, l’économie puis des dialogues adhoc, avec la force de la phrase-choc.

Olivier : Et puis bon, que raconte cet album ? Il y a une poignée de Gardiens Du Temple sur les forums BD qui pensent que, parce que c’est un travail de commande, on n’a rien à raconter et que l’album est « torché », tant au niveau du scénario que du dessin. Au passage, si des Gardiens du Temple lisent cette interview : je vous dis zut.

 

 

 

 

©Bocquet/Cossu/Sentenac/Corgié chez Dupuis

 

Mais il y a une vraie histoire dans cet album. C’est celle de Fantasio qui se trouve trop vieux et trop ringard et qui voudrait tellement être jeune et beau et cool. Il en souffre vraiment, c’est pour ça qu’il est si souvent en colère, jaloux, qu’il fait des conneries, par exemple avec ses cheveux ou en entraînant ses amis dans le désert pour se prouver qu’il est un aventurier. Je voulais montrer la trajectoire de ce personnage déprimé de ne pas être « à la hauteur » alors que, dans les faits, c’est un héros. Maladroit certes, mais un vrai héros. Et il fallait que quelqu’un lui dise à la fin de l’album, un peu au nom de tous les lecteurs : « On t’aime comme tu es. Tu es le meilleur Fantasio possible ». Je voulais que cette scène compte, autant pour le lecteur que pour Fantasio. Voilà le pourquoi de ce baiser.

Dans le même ordre d’idée, voilà Spirou qui se retrouve pickpocket pour les besoins du film.

Alexis : Oui, sur ça, j’étais assez dubitatif.

Brice : D’où l’idée de voir comme Spirou réagirait à ce synopsis, en étant gentiment moqueur du film…

 

 

 

 

Olivier : Pour moi ça a été le déclic pour le scénario. Comment ont-ils pu faire de Spirou autre chose qu’un groom ? Pour l’équipe du film c’est très clair et très assumé : au début c’est un mauvais garçon qui devient un gentil groom à la fin du film. Et franchement, dit comme ça, ça se tient. Mais du point de vue de l’accueil public, il y avait quelque chose de suicidaire à oser un truc pareil. Déjà que toute adaptation de BD franco-belge au cinéma se fait démolir au lance-flammes par principe, là c’était vraiment chercher les coups. Pour moi en tout cas, c’était un beau point de départ : mettre les personnages face au « scandale » de la façon dont ils sont traités par le cinéma.

 

 

 

 

Repérage du plateau de tournage par Olivier Bocquet

 

Brice : Et là, la production a été super, ce n’était pas si évident d’accepter notre projet.

Vous allez jusqu’à parodier les logos de célèbres studios cinématographiques.

 

 

 

 

©Bocquet/Cossu/Sentenac/Corgié chez Dupuis

 

Alexis : Moqueur du film mais aussi de l’industrie du cinéma.

Brice : Après, quand on fait un Spirou, il faut aussi gérer les à-côtés, la promo. Il faut des visuels. D’où les logos qui nous ont bien amusés. Une deuxième couverture aussi.

Brice : Et là, la production a été super, ce n’était pas si évident d’accepter notre projet.

Avec un cahier des charges ?

Alexis : Non, sinon le fait que le film soit intégré.

 

 

 

 

Repérage du plateau de tournage par Olivier Bocquet

 

Et dans le film, la possibilité d’utiliser la richesse de Franquin, de la Turbotraction au Fantacoptère.

Alexis : Mais je pense qu’Olivier n’a pas su dire tout ce qu’il voulait.

Brice : Il importait de faire le lien, de recouper les scènes pour qu’elles fassent écho au film, sans taper dessus non plus. Mais Olivier n’a pas pu s’empêcher de faire référence à certains éléments. Puis, on n’a pas su tenir les 54 planches, on en a fait… 55. Une de plus.

Alexis : Mais, sans date-butoir, je pense qu’on aurait fait 64 voire 72 planches ? Et là, ce serait devenu un Spirou à part entière.

Olivier : C’est sûr que si on avait eu plus de temps, on aurait développé certains trucs. Il y a des pans entiers de l’histoire que vous ne lirez jamais. Ça me donne quelques regrets, mais ça fait aussi un album vif, nerveux, tout le temps dans l’urgence… Au moins, on n’a pas le temps de s’ennuyer !

La différence entre le mythe et la réalité peut-être parfois bidesque… pour Fantasio. Pourquoi un tel bide ?

Olivier : C’était raccord avec l’histoire qu’on voulait raconter, et la question le dit très bien : le ventre de Fantasio, sa calvitie, la TurboTraction qui ne passerait pas le contrôle technique, c’est l’écart entre le mythe et la réalité. On n’a pas fait le classique « Ah je vous imaginais plus grand », parce que ce qui nous intéressait ce n’était pas le regard des autres mais le regard d’un personnage public sur lui-même.

 

 

 

 

© Bocquet/Cossu/Sentenac/Corgié chez Dupuis

 

Évidemment qu’une star n’est pas aussi parfaite que ce qu’on perçoit d’elle. Ça doit être assez compliqué pour elle de se voir tous les jours dans le miroir si différente des affiches de film ou des pochettes de disque… Une meuf comme Beyoncé, qui se montre systématiquement vêtue de trucs immettables, surmaquillée, surcoiffée… Chacune de ses apparitions est calibrée au millimètre mais vous croyez qu’elle a quelle tête, au réveil ? Elle sait très bien qu’elle n’est pas l’elfe immortelle que tout le monde imagine, ni physiquement ni mentalement. Ça doit être super déprimant parfois, d’être aimée pour son image et pas pour ce qu’on est réellement. Je prends l’exemple de Beyoncé uniquement pour augmenter la visibilité de cette interview dans les moteurs de recherche, mais vous avez compris l’idée.

Par contre, un qui risque de maigrir, c’est FRNCK, dans le troisième album, ne deviendrait-il pas un peu végan sur les bords ?

 

 

 

 

© Bocquet/Cossu

 

Olivier : Carrément. Je sais que Franck n’est pas le seul personnage végétarien de la BD, mais je ne sais pas si on a déjà montré un omnivore devenir un végétarien, comme lui. Je trouve que ça dit beaucoup de choses sur le personnage et sur ce que nous, fragiles occidentaux ultra-protégés, sommes prêts ou pas à accepter pour garder notre confortable mode de vie. Régulièrement, on se scandalise de ce qui se passe dans les abattoirs mais il y a une dissociation qui fait que la plupart d’entre nous continuent de manger de la viande. Comme si « l’abattoir que j’ai vu sur internet » était une exception. Mais comment voulez-vous tuer de façon « humaine » trois millions d’animaux par jour ? Relisez bien ce chiffre : trois millions d’animaux sont tués chaque jour, rien qu’en France, pour être mangés. Je suis prêt à parier que si, comme Franck, on devait tuer nous-mêmes chaque animal qu’on mange… eh bien on mangerait beaucoup moins de viande !

Frnck qui a retrouvé des voyelles. Pourquoi ? Le concept n’était pas viable ou trop redondant à long terme ?

Olivier : Le gag des voyelles qui manquent était une façon marrante de traiter le problème de communication qu’aurait un voyageur dans le temps s’il rencontrait des humains préhistoriques, mais sans que ce soit un handicap insurmontable. J’aime trop les dialogues pour m’en passer pendant toute une série. Et puis le fait que les préhistoriques maitrisent les voyelles ne signifie pas qu’ils maitrisent super bien notre langue. Ça peut donner lieu à des dialogues rigolos, comme des périphrases complexes pour dire des choses simples, ou des contresens… C’est beaucoup plus riche que de simplement retirer les voyelles !

Tiens, puisqu’on en parle, vous n’avez pas trop osé la zorglangue dans cet album ?

Olivier : Non, c’est vrai. Je trouve que c’est un gimmick marrant mais ça n’aurait rien apporté à l’histoire. Je ne voulais pas m’en servir que « parce qu’il faut le faire », il me fallait une bonne raison. Je n’en avais pas.

Sinon, vous préparez le terrain pour un autre film : FRNCK ? Il y a une affiche qui se promène dans votre Spirou.

 

 

 

 

© Bocquet/Cossu/Sentenac/Corgié chez Dupuis

 

Brice : Ahahahah, on adorerait, c’est vrai, peut-être plus sous forme de dessin animé. Mais on a le temps, la série est encore jeune. Après, pour tout vous dire, cette affiche de FRNCK – la comédie musicale, c’est une blague de notre coloriste, Johann Corgié, qui, à notre insu, a ajouté ce clin d’œil. On l’a découvert à l’impression, ça nous a bien fait marrer.

Johann : Ils ont laissé plein de cadres vides dans l’album en me disant  « mets ce que tu veux dedans ».  C’était ça ou l’affiche de Teminator 32…

Olivier : Vous allez voir que ça va devenir réalité. Moi je verrais bien une franchise hollywoodienne. Steven, si tu nous lis…

 

 

 

 

© Bocquet/Cossu/Sentenac

 

Tant qu’à parler de cinéma, on peut parler de FRNCK mais aussi de La colère de Fantomas. Le projet d’adaptation tient toujours ? Et, en BD, la possibilité d’un préquel ?

Olivier : Pour l’adaptation cinéma, c’est toujours dans les tuyaux, mais c’est très incertain, très long, très complexe. Je ne suis pas sûr que ça se fera un jour. Et pour la BD, il n’y aura pas de prequel — en tout cas pas fait par Julie Rocheleau et moi — mais je garde l’espoir de faire la suite ! J’ai encore de quoi écrire deux autres cycles. Ça pourrait fort bien se faire une fois que Julie et moi aurons pris un peu de bouteille. Ça aurait plus de sens qu’il y a trois ans. On était débutants, personne ne nous attendait, la série n’excitait pas les lecteurs au point d’enchainer sur une suite. Mais si nos noms deviennent plus connus, ça pourrait créer une attente.

Finalement, avez-vous quand même l’impression d’avoir fait votre Spirou ?

Alexis : On a fait le nôtre oui, ensemble, mais ce n’est pas « le mien » 😉

Brice : La « Bocossengié » touch ouais je pense aussi.

Olivier : je n’avais aucun projet pour faire un Spirou, donc c’est tombé un peu par accident sur mon parcours. Je ne sais pas encore si c’est « notre » Spirou, mais je suis content du résultat.

Johann : Pareil, c’était la proposition qui sort de nulle part, et comment refuser ? Spirou quoi ! Et la possibilité de faire un vrai travail d’équipe. Donc oui, un Spirou « à nous »

Et si vous aviez une seconde opportunité, où l’emmèneriez-vous ?

Olivier : J’ai eu deux idées pour Spirou et Fantasio. L’une est en train d’être faite par quelqu’un d’autre et je ne peux absolument pas en parler. Et l’autre, j’aimerais peut-être la faire un jour mais je ne veux absolument pas en parler.

Brice :  À la préhistoire ?? ( rires)

Johann : Le mien, je le ferais sans trait, avec uniquement de la couleur, c’est une idée qui me trotte dans la tête depuis un moment. Un peu comme La boîte à musique qui vient de sortir chez Dupuis. Et pourquoi pas emmener Spirou et Fantasio dans une aventure pleine de cités perdues, d’anciennes civilisations et de mystères mystérieux… mais je m’égare.

Ah non, c’est plus qu’intéressant. Quels sont vos projets, prochains albums ?

Olivier : Après Transperceneige Terminus (2015), je sors ce mois-ci Ailefroide, un nouvel album avec Jean-Marc Rochette chez Casterman. Il s’agit d’une autobiographie de Rochette sur ses jeunes années d’alpiniste. Je l’ai écouté me raconter cette période passionnante de sa vie et j’ai mis tout ça en forme pour que ça devienne un vrai scénario de BD. Inutile de dire qu’il a mis tout son cœur et tout son talent dans cet album. Un très gros morceau, très personnel en ce qui le concerne mais aussi très universel, à mon avis. Le passage d’un ado à l’âge adulte… mais en risquant sa vie tous les jours.

 

 

 

 

© Bocquet/Rochette

 

 

En mai sort Le Tailleur de Pierre chez Casterman, avec Léonie Bischoff au dessin. Notre troisième et dernière adaptation de Camilla Läckberg. L’album a plus d’un an de retard suite à des problèmes de coloristes, mais il devrait enfin sortir ! Mais ces deux albums ont été écrits en 2016. Depuis presque un an et demi, même s’il y a eu la parenthèse Spirou et Fantasio, je me consacre en priorité à Frnck. On est à plus de la moitié du tome 5 avec Brice et a priori on en a encore pour quelques années sur cette série !

 

 

 

 

© Bocquet/Bischof chez Casterman

 

Alexis : je retourne dans la SF avec l’adaptation de NOÔ, un roman de Stefan Wul, scénarisé par Laurent Genefort.

Brice : Comme dit Olivier, je suis à fond sur FRNCK pour l’instant.

Johann : Je viens de finir mon premier album au dessin après des années à ne faire que de la couleur. « Les lumières de l’aérotrain » avec Aurelien Ducoudray au scénario, un one shot à paraître chez Bamboo Grand Angle, courant Juin. L’histoire d’une bande de jeunes dans un trou paumé qui font les 400 coups et qui vont voir leur quotidien de jeunes branleurs être bousculé par l’arrivée d’une nana. Et ça devient bien moins drôle.

Puis, une histoire courte horrifique chez Akileos pour le Free comics day. Et pour la suite… j’attends de voir si on me propose quelque chose.

Merci à tous, on attend tout ça avec impatience.



Propos recueuillis par Alexis Seny

 

Série : Spirou et Fantasio

Hors-série

Libre adaptation du film d’Alexandre Coffre

Titre : Le triomphe de Zorglub

Scénario : Olivier Bocquet

Dessin : Brice Cossu et Alexis Sentenac

Couleurs : Johann Corgié

Genre : Aventure, Humour

Éditeur : Dupuis (édition de luxe chez Khani)

Nbre de pages : 60

Prix : 12€



Publié le 11/04/2018.


Source : Bd-best

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