États-Unis, 1934...
Cachés dans un wagon de marchandises, Suzy et Huck, deux êtres liés par leurs fantômes. Le jeune garçon fait un serment : sauver son ami Charley Williams de la pendaison, car par sa faute, celui-ci est injustement accusé d'un meurtre qu'il n'a pas commis. Malheureusement, la trace de Charley, alias Lucius No Fingers, l'homme qui cherchait la gloire et le mythique "crossroads" dans les cordes de sa guitare, s'est effacée sous la poussière des rues de "Memphis la Belle". Là, débute un dangereux jeu de piste parsemé de cadavres et de questions sans réponses. Charley est-il encore en vie ?
On se dit parfois que certaines séries mériteraient plus, plus de reconnaissance critique, plus de succès public, plus de présence en librairie. O'Boys en fait certainement partie. En effet, depuis «le sang du Mississipi », c'est avant tout à un incroyable voyage dans une époque qui nous est relativement méconnue, à nous, européens, que nous invitent les auteurs. Celle de l'après krach de Wall Street, celle des hobos (O'Boys) qui voyageaient clandestinement de ville en ville dans les trains de marchandises, celle de la grande récession... Celle aussi de la naissance et d'un début de reconnaissance du blues. Et le blues, il n'a jamais été aussi présent que dans ce tome 3. Midnight Crossroad fait en effet référence à la légende de Robert Johnson qui aurait vendu son âme au diable rencontré à minuit à un croisement (même Arthur de Pins joue avec ça dans « Zombillenium »), la grande majorité de l'épisode se déroule à Memphis et l'album fourmille de clin d'oeils et de références musicales plus ou moins déguisées (les « Moon Studios » plutôt que « Sun Studios » etc.) et on mesure que la personnalité de Lucius No Fingers a vraiment pris le pas sur celle de Charley Williams. Les retournements de situation se succèdent, les personnages sont toujours aussi attachants (et Suzy est bien jolie...) et si par moments, vu le contexte, on nage en pleine noirceur, Midnight Crossroad comporte aussi une belle dose d'humour (l'entrée de Suzy au « Stan's fried chicken » est une scène d'anthologie, l'expédition « maquillée » dans les « juke joints » et « les noirs ne sentent pas le cirage » sont aussi à retenir...). Des sourires qui sont peut-être un peu renforcés par la reprise du scenario par Stephan Colman que l'on n'attendait pas forcément dans un registre aussi réaliste mais qui boucle ce premier cycle avec brio. Côté dessin, Steve Cuzor déploie à nouveau les grands moyens, dans un style à rapprocher de celui de Giraud (et parfois un peu de Blanc-Dumont), nous offrant une impressionnante série de portraits mais également le portrait d'une époque au sein de planches aussi soignées que documentées (l'édition N/B du premier tome mettait d'ailleurs extraordinairement en valeur le travail du dessinateur). Comme les deux premiers tomes, on retrouve dans Midnight Crossroad tous les ingrédients d'une très solide série classique. On grimpe dans le wagon de ses héros pour ce qui constitue surtout une très belle histoire d'amitié, on ne s'ennuie pas une seconde et on apprend beaucoup... Difficile de demander plus, hormis peut-être un délai plus court d'ici le tome 4 !
Pierre Burssens
O'Boys, tome 3 "Midnight Crossroad, Dargaud.
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