Mathieu Moreau : « En relisant La machine à explorer le temps, j’ai accédé à un autre degré de lecture, très contemporain »
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Mathieu Moreau : « En relisant La machine à explorer le temps, j’ai accédé à un autre degré de lecture, très contemporain »

En pleine promo « de fou furieux », nous avions rencontré Mathieu Moreau à la dernière Foire du livre de Bruxelles. L’occasion de poser quelques questions à celui qui, avec le scénariste Dobbs, a eu le privilège mais aussi la lourde charge d’adapter La machine à explorer le temps de HG Wells. Alors que beaucoup s’y sont cassés les dents, le jeune auteur trouve la justesse de trait et d’aventure pour nous emmener au pays des redoutables… Morlocks et pourtant pas si éloigné du nôtre.

 

 

 

 

 

 

 

© Wells/Dobbs/Moreau chez Glénat



Bonjour Mathieu, comment avez-vous pris part à ce voyage dans le temps ?

Je suis arrivé dans cette aventure par hasard. À la fin de ma précédente et première série, Le cycle de Nibiru, je m’étais remis à faire pas mal d’illustrations. Le directeur de la future collection Wells m’a contacté pour voir s’il était possible que je les rejoigne. J’ai pas mal discuté avec Dobbs et j’aimais beaucoup l’histoire de La machine à explorer le temps.

 

 

 

 

© Moreau

 

J’imagine que, plus jeune, vous l’aviez lue. Mais l’avez-vous relue ?

Oui, bien sûr, j’avais lu ce roman quand j’étais ado. Si j’avais décelé certains éléments derrière, à l’époque; en le relisant, j’ai accédé à un autre degré de lecture. Pourquoi Wells avait-il raconté cette histoire? La science-fiction n’était en fait qu’une excuse pour une critique sociétale de son époque. Et ça me parlait énormément, d’autant plus que le thème ne se démode pas, il est même archétypal : les ouvriers en bas, la noblesse en haut… et le choc, inévitable.

Ça fait écho au monde qui nous entoure. La dégradation de l’humanité, le fait que tout le monde ait peur et qu’on recule socialement. J’ai peur d’un gros pas en arrière, que la peur ambiante amène à des discours très extrêmes et bride la liberté d’expression.

 

 

 

 

recherches de personnages © Moreau

 

Et finalement, votre explorateur, celui de Wells, c’est un migrant.

Oui, tout à fait. Sauf que lui ne s’intègre pas alors que le monde dans lequel il arrive l’intègre parfaitement.

Un explorateur qui n’a pas de nom.

Nous n’avons rien inventé puisque HG Wells n’avait pas souhaité donner de nom à son héros, privilégiant et mettant en avant son histoire et sa réflexion. L’explorateur en est juste le messager, finalement.

 

 

 

 

© Wells/Dobbs/Moreau

 

Avec un canevas à respecter ?

Nous avons eu carte blanche, rien n’a été cadenassé. Dobbs possède une très grande connaissance de l’oeuvre mais aussi de l’homme, ça aide.

Comment avez-vous envisagé la mise en image de ce récit ?

Nous en avons, du coup, pas mal discuté avec le scénariste, à distance par mail ou par Facebook avant de se croiser à Nantes ou à Angoulême. Notamment  concernant l’univers graphique, le style à donner à cet album. J’ai un peu laissé tomber mes inspirations manga pour me tourner vers un dessin plus réaliste.
 
Ma méthode fut, au final, hybride et anarchique. J’ai tout essayé sur cet album, de l’encrage au storyboard. J’ai commencé de manière traditionnelle. Après quoi, j’ai scanné le crayonné pour faire le reste numériquement. Et quand j’ai dû carburer, je suis passé au tout numérique, pour le crayonné et l’encrage.

C’est aussi la première fois que vous faites les couleurs sur un de vos albums ?

Je me suis vraiment axé sur la narration. Je m’en fiche que le ciel soit bleu ou que l’herbe soit verte. Je me suis focalisé sur l’émotion à amener. Il fallait attirer l’oeil sur les points importants, sortir le lecteur de son quotidien, travailler les ambiances, la texture, l’imitation de l’aquarelle. Il me fallait trouver une technique simple et efficace. Et si la mise en couleurs des premières planches fut lente, j’ai ensuite trouvé le processus qui m’a fait gagner en énergie. Tout s’est fait pas mal dans le rush mais ce fut un bon exercice. Il me fallait trouver une technique simple et efficace. Et si la mise en couleurs des premières planches fut lente, j’ai ensuite trouvé le processus qui m’a fait gagner en énergie.

 

 

 

 

© Wells/Dobbs/Moreau chez Glénat

 

Combien de temps, cette aventure vous a-t-elle pris ? Des difficultés ?

Ça m’a pris un an et demi. Les difficultés ? J’appréhendais quand même pas mal la partie victorienne dans laquelle l’histoire prend sa source. Et notamment, ses… calèches. Je n’aime pas franchement dessiner des chevaux, alors je les ai planqués le plus possible mais ça ne pouvait pas être éternel.

Après quoi, vous basculez dans un futur qui ressemble au passé très lointain de notre Monde.

Oui, il y a quelque chose de cyclique dans l’évolution des choses. Et l’Explorateur va se retrouver dans un monde très végétal.

 

 

 

 

recherches de personnages © Moreau

 

 

Puis, il y a les Morlocks.

Je me suis calé sur la description faite par HG Wells. Des sortes de lutins blanchâtres, avec des gros yeux de lémuriens. Pas loin des créatures d’heroïc fantasy, en fait.

Naturellement, ce n’est pas la première fois que Wells est adapté, surtout au cinéma et à la télé, plus rarement en BD. Même s’il a inspiré de nombreux voyages dans le temps.

Je sais qu’Al Severin a adapté La machine à explorer le temps au début des années 90. Le ton y était très sixties, très old school. J’ai cherché après les adaptations qui auraient pu se faire. Naturellement, il y a aussi eu Spielberg et sa Guerre des mondes, c’était quand même très libre !

 

 

 

 

Les Morlocks © Moreau

 

La guerre des mondes également adaptée en BD (par Dobbs et Vicente Cifuentes) mais en deux tomes. Vous auriez pu extrapoler votre histoire sur un autre volume, non ?

Ça aurait sans doute été de trop, il ne s’agissait pas de déstructurer l’histoire.

Finalement, de vos premiers émois à aujourd’hui, qu’est-ce qui fait votre culture BD ?

Cela s’est fait en plusieurs étapes. D’abord, avec les mangas, comme Dragon Ball ou Naruto. Le temps passait et mon père me tannait pour que je m’intéresse à la BD. En m’initiant au Peter Pan de Loisel, mon oncle m’a véritablement ouvert les portes de la BD franco-belge. Avec Lauffray, Alex Alice, Loisel encore. Puis, je me suis mis aux comics, j’ai essayé Marvel avant de trouver ma came chez Murphy, Mignola, etc.

En même temps, vous trouviez votre voie graphique ?

J’ai essayé d’être une éponge sans que ce soit vraiment conscient. « Ah, s’il fait comme ça, si ça marche pour moi, je vais l’intégrer. » C’est ainsi qu’on monte sa propre architecture. En fait, comme beaucoup, j’ai toujours dessiné. Tout petit déjà, je réalisais des petites BD. Mes parents m’ont mis dans une école  de dessin. Je me suis investi assez jeune. Dès le collège, je travaillais ma technicité. Avant de rejoindre l’école Pivaut : une bonne classe, des bons professeurs, tout était réuni pour favoriser l’émulation. J’y ai appris les techniques de storyboard, la mise en scène…

Naturellement, ce n’est pas évident d’arriver en tant que jeune auteur dans ce monde cruel que peut-être le Neuvième Art, si ?

C’est compliqué en ce moment, complexe… Je fais partie des chanceux, j’en vis. Je fais de l’illustration pour des jeux de cartes en ligne, des jeux de rôles comme Urban Rivals.

Quelques recherches de couverture :

 

 

 


Si vous aviez ce don de voyager dans le temps. Entre le passé plus ou moins lointain, le futur, quelle destination choisiriez-vous ?

Comment le monde va évoluer ? Je suis assez pessimiste. Cela explique sans doute le nombre de création post-apocalyptique au cinéma comme dans la littérature ou la BD. Si je devais choisir une époque, paradoxalement, même si j’ai eu du mal à la rendre sur papier, je privilégierais peut-être l’époque victorienne. Ou la Rome antique.

Des coups de coeur récent ?

Le Shangri-La de Mathieu Bablet !  De base, j’adore son travail, mais là… Et puis, dans un tout autre genre, le Jolly Jumper ne répond plus de Bouzard.

 

Propos recueillis par Alexis Seny



Publié le 07/05/2017.


Source : Bd-best

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