Le prédicateur, une interview de Léonie Bischoff
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Le prédicateur, une interview de  Léonie Bischoff

Léonie Bischoff: « Les personnages misérables, je m’y attache et n’ai pas envie de les faire souffrir! » 

Après un premier one shot remarqué, La princesse des glaces dans une Suède hivernale et froide comme jamais, l’inspecteur Patrick Hedstörm revient en BD, toujours animé par le tandem Bocquet-Bischoff d’après les romans de Camilla Läckberg.

Au menu, cette fois, un peu d’ésotérisme dans une canicule suédoise et dépaysante. Nous sommes en plein été mais la chaleur n’a pas l’air d’affecter un serial-killer qui rappelle à Fjällbacka ses plus sombres heures, passés sous l’ombre effrayante d’un prédicateur disparu depuis. A-t-on affaire à un revenant ou un fou qui perpétue une oeuvre macabre commencée il y a plus de vingt ans?

De découvertes en indices, l’Inspecteur ne peut compter que sur lui-même, l’aide de sa femme, Erika, enceinte jusqu’au bout des yeux. Mais certainement pas sur son équipe de policiers bras-cassés dont émerge quand même le petit nouveau Martin. Et d’aide, Patrick en aura bien besoin pour mener son enquête, dans les tréfonds les plus obscurs d’une famille à jamais divisée. Le scénario est implacable et le dessin et la mise en scène rivalisent de talent pour adapter un livre pas simple. Nous avons rencontré Léonie Bischoff, la dessinatrice.

 

Bonjour Léonie, on vous retrouver ici avec ce deuxième tome d’une série qui est plus un deuxième one shot autour des mêmes personnages.

Oui, c’est ça, on retrouver les deux mêmes personnages principaux : l’inspecteur et Erika, qui était celle pas qui on rentrait dans la première enquête. Erika est cette fois enceinte et moins impliquée. Mais en tout cas, les enquêtes sont vraiment séparées et différentes. Cette suite, c’est plus pour mon propre plaisir d’y introduire des petits clins d’œil.

L’envie était d’explorer un peu plus leur monde ?

C’est très sympa, parce qu’ici on change de saison, on tranche avec le premier épisode qui se passait en hiver, en plein désert glacé. On était vraiment dans le cliché de l’ambiance qu’on peut avoir dans les pays nordiques. Ici, dès les premières planches, c’est la canicule, c’est totalement différent, le village est envahi de touristes. Du coup, on sent aussi un certain laisser-aller vestimentaire dans les choix vestimentaires des policiers. C’était vraiment une autre facette de la Suède, moins typique.

Comment est né ce deuxième tome alors, puisque l’envie était là ?

Au départ, c’est Casterman qui a eu l’idée d’adapter les romans de Camilla Läckberg. Pour nous, c’était clair, on voulait tout de suite en faire trois. On a bien sûr commencé par le premier, mais on a pensé aussi à la suite, aux clins d’œil qu’on pourrait faire, à des éléments récurrents. Puis, il y a à chaque fois ce changement de saison qui est intéressant. Ainsi, le troisième se passera en automne.

 

 

 

Comment vous êtes-vous lancée dans cette adaptation ? Vous avez lu les romans ? Si oui, ça nourrit déjà un certain imaginaire, non ?

Oui, je les ai lus. C’est clair, qu’au niveau des personnages, dès que j’ai commencé le roman, j’ai eu des images en tête. Après, il faut forcément les modifier pour bien distinguer les personnages. Encore plus quand ces personnages-ci sont issus d’une même famille. Tout le jeu était de les distinguer tout en leur donnant un air de famille. Il ne fallait pas les confondre, surtout. Ça donne un certain travail de recherche mais c’est très chouette à faire. J’ai toujours du plaisir à créer des personnages particuliers, comme ce couple autour de la piscine avec cette femme bronzée aux UV. Ou la femme assez imposante qui a été reine de beauté et très belle mais que les souffrances de la vie ont enlaidie. C’est un plaisir pour moi d’imaginer ce genre de personnage, de chercher leur gestuelle, de les rendre vivants.

En amont, il était important de les étudier, voir leur taille, la place qu’ils prennent les uns par rapport aux autres. Sinon, ça a tendance à trop varier une fois dans l’histoire.

Contrairement à moi, je pense qu’Olivier Bocquet, lui, quand il lit un roman en sachant qu’il va l’adapter, ne pense pas au physique des personnages mais plus aux astuces qu’il va mettre en œuvre pour avoir une vraie BD et non pas un roman illustré. Il déstructure. Il a une façon fort scientifique d’aller à la naissance des actions, des révélations, puis de les monter dans un autre sens. Parfois les indices n’arrivent pas de la même manière dans la BD que dans le livre.

Olivier a parfois galéré et a du chercher d’autant plus d’astuces que, dans ce tome-ci plus que dans le premier, les personnages passent un temps fou à dialoguer, et notamment par téléphone. Ce qui n’est pas visuel ! On essaie toujours de mettre des images qui n’ont rien à voir, soit de meubler l’arrière-plan et de faire en sorte qu’il y ait une seconde narration en arrière-plan. Comme à la plage, la petite fille qui interagit avec Patrick alors qu’il est en train de parler de choses fort glauques.

Glauques et parfois des scènes violentes !

On réfléchit forcément, pour ne pas être trop gores ou trop vulgaires, pour rester subtils. Surtout qu’en roman, ça passe, chacun se faisant ses propres images en fonction de ses limites de l’acceptable et des images mentales qu’il est prêt à accepter. En BD, on impose aux lecteurs ce qu’on a imaginé. Il ne faut pas en mettre trop quand même. Et si l’auteur n’est pas rebuté par la violence, il peut imaginer ce qu’il se passe entre les cases, dans les interstices. Mais, nous, auteurs, nous ne pouvons pas imposer des choses violemment explicites à des lecteurs qui n’y sont pas prêts et n’en veulent pas. Ce n’est pas le propos du livre. Ce n’est pas un livre d’horreur.

Après, moi, j’aime bien les films gore, l’horreur, alors ça m’amuse un peu. Sauf… qu’ici, j’ai déjà de la tendresse pour les personnages donc ça ne m’amuse pas tant que ça. Alors que sur un gros vilain, un vrai méchant, je pourrais m’amuser à dessiner des scènes de tortures très fortes.

 

 

 

 

Il y a quand même ces 4 quasi premières pages, très noires et qui décrivent les conditions de détention des pauvres filles séquestrées.

Pour le coup, j’ai vraiment eu un petit travail à faire au niveau de la composition. Olivier m’avait proposé un vrai découpage avec des cases. Mais j’ai proposé autre chose : je voulais du flou et enlevé les cases. Vu qu’elle est totalement dans le noir, elle flotte, elle est complètement perdue dans cette espèce de néant. Et, petit à petit, les cases reviennent avec l’arrivée d’un peu de lumière au fur et à mesure que ses yeux se réhabituent à l’obscurité.

C’est vrai que c’était tout un jeu de sensation qu’on n’arrive pas vraiment à faire passer, elle ne parle pas en plus. Avoir une voix off aurait été très lourd. Il fallait trouver un procédé de dessin, de mise en scène pour faire passer le fait qu’elle était complètement désorientée. Puis, la peur qui monte. Il fallait que le lecteur puisse se mettre à sa place.



Votre dessin vous a parfois fait peur ?

J’ai eu du mal à dessiner un doigt tordu et cassé. Je n’ai pas vraiment eu peur. Mais d’imaginer un ongle qui s’arrache, ça donne un petit frisson quand même. Après, au moment où on est concentré sur le dessin, ça va. Mais c’est surtout au moment du story-board, quand on s’explique sur le sentiment, la sensation. Là, oui, ça peut être un peu douloureux.

Et cette ambiance, très peu nordique alors ?

On a quand même fait appel à des détails utilisés dans le premier tome. Nous nous étions rendus en Suède en hiver lors de nos repérages. On avait logé au bord d’un lac. Et il se trouve que la ferme de Jacob se trouvait au bord de ce lac. Ce que nous ne savions pas à ce moment-là. Mais, après, les décors avaient une importance et un sens pour nous vu que nous y avions été. Mais ici, l’ambiance jouait moins, l’accent était surtout l’enquête.

En fait, je me sers surtout des photos, dans lesquelles je vais chercher des cadrages.


Au niveau du repérage, vous n’y avez été qu’une fois alors ?

Oui, nous y avions été en février. Et forcément, les photos prises correspondent uniquement à février, sans possibilité d’entrevoir une autre saison. Les feuilles, la mer, tout est gelé. Mais Google Maps nous a bien aidés comme les prises de vue ont été faites en été. Donc la végétation, les arbres qui étaient tout morts, on voyait à quoi ça ressemblait.

Pour l’automne, ce sera plus compliqué !

 

 

 

 

Et Camilla Läckberg, qu’a-t-elle pensé de votre adaptation ?

Camilla a un droit de regard, on lui envoie des choses mais elle réagit très peu. On attend un délai raisonnable puis on passe à la suite. Sur les tout premiers jets, elle a fait quelques remarques sur des dessins qu’elle avait trouvé trop durs, des personnages qui lui avaient paru trop vieillis. Mais, il n’y a pas eu de pression de sa part. On ne peut pas adapter sans trahir, de toute façon. Et comme, avant que Casterman nous propose cette adaptation, nous n’étions pas attachés à ces livres, cela a été plus facile de les trahir. Quand on est déjà hyper-fan à la base, c’est beaucoup plus compliqué.

Nous n’avons pas eu de rendez-vous officiel, elle est très demandée, une vraie star qui vient très rarement de notre côté de l’Europe. On l’a entrevue au festival Quai du polar à Lyon, un peu après la sortie du premier opus. Déjà, on avait constaté qu’elle signait aussi la BD, ce qui était plutôt bon signe, elle devait avoir un apriori positif.

Et alors, vous l’avez rencontrée?

On a essayé de trouver un moment où on pouvait l’approcher, ce fut compliqué. Je lui avais dédicacée la bande dessinée pour la lui donner. Mais, il y a eu un petit quiproquo, elle pensait que je lui demandais de la signer aussi. Elle était toute entourée de ses gardes du corps.

Au moment où elle a compris, elle a été très chaleureuse. Elle a dit qu’elle avait trouvé le livre très beau et très suédois et qu’elle aimerait avoir les fichiers en HD pour les imprimer et décorer chez elle. Il faut dire que ce sera la seule adaptation BD vu que Casterman a racheté les droits à l’international. Ça a été traduit en espagnol et en italien. Il y aura peut-être d’autres possibilités. L’idée de Casterman était que ce ne soit pas un produit dérivé, qu’il y ait un vrai travail de création. Le but n’était pas de mettre Camilla Läckberg en gros sur la couverture et de surfer sur la vague.



Même au niveau du polar, vous n’étiez pas une fervente lectrice ?

Pas spécialement, je suis plus s-f, fantastique. Mais dans celui-ci, son aspect un peu ésotérique m’a bien plu, on n’a malheureusement pas assez de temps à développer, on ne peut pas se perdre en des flash-backs qui ne font pas avancer l’enquête, mais j’aurais bien pris le temps de faire quelques pages en plus. Bon, c’est comme ça, je reviendrai à des histoires de magie à un moment ou un autre.

Puis il y a ce travail sur les couleurs.

Je pense que ça ne doit pas être très facile pour les coloristes de bosser avec moi. C’est une partie du boulot que j’adore. Mon cerveau imagine les cases en couleurs. Bon, je m’habitue à déléguer un peu, puis avec Sophie Dumas, on a trouvé une incroyable coloriste. Mais c’est toujours un crève-cœur de me séparer de cette partie du travail qui est l’une de celles qui me procurent le plus de plaisir.

Beaucoup de lecteurs, je pense, voient dessin et couleurs comme un tout, sans faire la part des choses. Puis, on peut faire passer tellement de choses par la couleur de l’ambiance, de la tension. Ce n’est pas du coloriage.

 

 

 

 

De quel personnage vous sentez-vous la plus proche ?

Pas d’Erika, en tout cas. J’ai de la peine à dire un personnage en particulier. J’ai de la tendresse pour tous. Au final, c’est peut être Solveig qui avait démarré avec tant de facilités : une apparence parfaite, un beau mari… et qui est devenue énorme et aigrie parce que tout est parti en sucette. Elle me touche pas mal. J’aime bien les personnages misérables. Dans le premier tome, c’était plutôt Julia, la petite sœur de la morte, dans un mal-être total. Mais dans ces bouquins, ce qui est bien, c’est qu’ils ont tous des faiblesses. À part peut-être Patrick.

Vous cherchez les faiblesses de vos personnages ?

La plupart du temps, elles sont assez exposées. Mais, en effet, je cherche à ce qu’on les sente même si on insiste par trop. J’aime bien, ça aide à l’empathie.

Maintenant que vous avez pratiqué un peu le polar suédois et, plus généralement, nordique. Qu’est ce qui fait sa fascination ces dernières années, au point d’ailleurs de l’adapter en BD ?

Franchement, je ne sais pas, mais je comprends cette fascination. J’aime le côté froid des personnages, ils n’ont pas la même manière de communiquer comme nous. Les différences de caractère, de comportement sont assez excitantes. Alors que ce n’est pas non plus très exotique. Il y a un décalage dans les attitudes qui est captivant.

Puis, avant, les nuits étaient si longues dans ces pays, qu’ils ont entretenu cette tradition de raconter au coin du feu, des histoires épiques, des sagas qui duraient des soirs et des soirs pour meubler ces nuits hivernales. C’est peut-être pour ça qu’ils sont si doués avec le suspense. Un héritage peut-être. On est attiré par leur savoir-faire.



Qu’est-ce qui fait la patte « Läckberg » ?

Chez elle, c’est très particulier par rapport aux autres que j’ai pu lire. C’est très familial et tendre entre les personnages. Les vielles histoires et blessures enfouies sont toujours assez dures, mais il y a toujours cette lueur de tendresse et d’espoir. Elle ne dit pas que le monde est pourri, comme dans les polars américains dans lesquels rien ne pourra être sauvé. Avec Camilla, ok ; il y a toujours quelque chose qui s’est mal passé mais le monde est positif, il y a de l’espoir. Je pense que c’est ce qui fait son succès.

On parlait de la couleur, tantôt, mais au final, vous avez aussi commencé en tant que scénariste. Cette part-là du travail, vous l’avez plus facilement laissée non ?

C’est provisoire et ça m’arrangeait. Je suis très lente et laborieuse donc j’étais très contente qu’on me propose un scénariste. Il me faut vraiment un long temps de fermentation avant de boucler un scénario. Donc, si on peut continuer dans l’alternance, ce serait parfait.

Le contact avec Olivier Bocquet vous a appris ?

Oui, énormément. Surtout comme je lis les romans aussi, je vois ce qu’Olivier en fait, les astuces, les raccourcis qu’il prend. C’est hyper constructif pour moi. Ça va vraiment m’aider dans le rythme, le cadrage. De savoir que je peux lui demander conseil, comme script doctor, à l’avenir. On s’est vraiment trouvés. C’est très fluide, on se comprend très bien.

 

 

 

 

 

L’actualité, c’est aussi cette exposition chez vous, vous nous en parlez ?

Oui, alors ce n’est pas exactement chez moi. Il y a une petite distance entre Genève et Lausanne. Mais je me réjouis, je suis contente de, petit à petit, me faire ma place. J’ai quitté la Suisse, il y a 13 ans, et après, je ne me suis pas vraiment présentée. Je commence, petit à petit, à me familiariser avec le milieu suisse de la BD, ce qui est quand même pas mal pour une Suissesse.



Vous vivez à Bruxelles, c’est ça ?

Oui, après Saint Luc et au fil des rencontres, les choses se sont faites naturellement. Loin de Lausanne ou Genève. Il aurait fallu que j’aille me présenter, mais comme je suis un peu timide. Je n’aime pas trop cet aspect-là du métier.

Qu’est-ce qui t’a fait naître à la bande dessinée en fait ?

Thorgal, entre autres. J’ai eu de la chance d’avoir des parents qui en achetaient et en lisaient avec une bibliothèque assez grande disposant des classiques des années 80, les Adèle Blanc-Sec, La quête de l’oiseau du temps, les bouquins de Bourgeon. Ils m’ont toujours laissé lire même ce qui n’était pas de mon âge. À part les Manara qui étaient planqués bien haut mais que j’ai quand même vite trouvés. Mais, le reste, je feuilletais sans tout comprendre et, petit à petit, je les comprenais, bulle par bulle. Je les ai lus des centaines de fois, avec une fascination naissante et grandissante.

A côté de ça j’ai toujours aimé lire, des romans aussi, plus que dessiner. La BD s’est imposée comme logique comme j’aimais beaucoup dessiner et vivre dans des mondes imaginaires. La BD, en tant que synthèse des deux, était parfaite.

Quel a été le déclic alors, « je vais faire de la BD » ?

Ça, par contre, c’était plus fou. J’étais un peu paumé, j’avais fait les maturités (humanités) artistiques. J’ai fait un stage chez un graphique, les portes ouvertes des Beaux-Arts, ce n’était pas mon truc. Puis, je me suis renseignée sur les écoles à l’étranger et suis tombée sur l’Institut Saint Luc. Et je suis venu voir aux portes ouvertes, c’était plus ciblée sur le dessin par rapport aux autres. Par contre, je n’étais pas si sûre que la BD m’intéresse tant. Je me suis dit que j’allais faire un an, après quelques mois, c’était vendu et hyper-clair que j’allais essayer de faire ça pour « du vrai ». J’ai découvert une manière de faire, ai vu le travail des autres, découvert une autre facette de la bande dessinée, plus underground. Et donc, voilà, c’était le déclencheur.

Des projets ?

Je lance les bases, je fais de la recherche. Mais dans l’immédiat, je ne peux pas. Je travaille déjà sur le troisième épisode qui, pour le coup, va nous faire faire un grand bond en arrière avec des flashbacks au XXIème siècle et des costumes. Je m’en réjouis déjà.

Propos recueillis par Alexis Seny

 

 

Le prédicateur par Olivier Bocquet & Léonie Bischoff d’après les romans de Camilla Läckberg, Casterman

128 pages, 18 €

ISBN : 9782203078338




Publié le 18/05/2015.


Source : Bd-best

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