La Véritable Histoire de Spirou, un entretien avec Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault
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1938 : Naissance du personnage de Spirou et du Journal de Spirou au sein des Éditions Jean Dupuis, une entreprise familiale de la région de Charleroi. Qui furent les parents attentionnés qui ont porté ce petit groom espiègle et au grand coeur sur les fonds baptismaux ? Et comment ce Poulbot de Charleroi est-il devenu un personnage mythique de la bande dessinée franco-belge ?

À l'occasion des 75 ans de Spirou, Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault ont mené une véritable enquête. Recueillant les témoignages de la famille Dupuis, de leurs collaborateurs, fouillant les cartons à dessin oubliés et les agendas remisés au grenier, ils ont patiemment reconstitué cette histoire, rétablissant parfois des vérités effacées par le temps. Sous la forme de témoignages croisés, illustrés d'images inédites, ils nous révèlent une véritable aventure, celle des pionniers de la bande dessinée.
Ce premier tome débute avec la création des Imprimeries Dupuis au début du XXe siècle et s'étend jusqu'à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, une période riche et mouvementée qui verra le jeune Franquin réinterpréter une nouvelle fois, et pour longtemps, les aventures de Spirou.

 

 

 

 


 

Bonjour chers Christelle & Bertrand. Quelle à été la genèse d'un tel projet ?

Bertrand : À la rentrée 2009, quand notre livre sur Yvan Delporte est sorti, avec Sergio Honorez, directeur éditorial chez Dupuis, nous avons eu envie de prolonger le plaisir de travailler ensemble. Sergio a la qualité extrêmement rare de savoir susciter l’envie chez ses auteurs. Il est gourmand, curieux, et amoureux de l’histoire de Dupuis. Pour lui, qu’est-ce qu’on ne ferait pas ?! Et très rapidement, Bertrand a eu l’idée d’un ouvrage sur Spirou. C’était un fabuleux moyen d’aborder l’histoire de Dupuis par tous les bouts, si on peut dire. Spirou, comme un sujet à tiroirs : la création du journal, Rob-Vel, Jijé, Franquin, etc, mais aussi toute l’évolution de la bande dessinée belge. Autant vous dire qu’il n’a pas fallu plus de trois minutes à Sergio pour nous répondre : « Maintenant, je sais ce que je vais répondre à ceux qui me proposeront de faire un livre sur Spirou ! » Et hop ! C’était parti ! Dès le lendemain, nous étions chez Maurice Rosy, notre premier témoin.


Quelles étaient vos sources?

Christelle : Nos sources ont été multiples. La plupart des acteurs de la première époque étant décédés, il nous a fallu réunir toutes les interviews qu’ils avaient pu donner dans la presse, qu’elle soit nationale ou régionale, spécialisée ou pas, écrite ou télévisée… Puis nous avons cherché leurs familles. À partir de leurs témoignages et de leurs archives, nous avons commencé à rassembler les morceaux du puzzle. Cela a l’air simple mais je peux vous dire qu’avoir retrouvé les familles Velter, Moons ou Doisy a relevé de l’exploit. Plusieurs mois ont été nécessaires. Pour retrouver la famille de Doisy, nous avons interrogé des dizaines de personnes, à la recherche du moindre indice qui nous aurait mis sur une piste. Jusqu’au jour où… Le plus amusant est qu’ils habitent à deux pas d’un de nos autres témoins et que nous sommes souvent passés devant chez eux, sans le savoir. C’est notre blog qui nous a permis de retrouver le fils du marionnettiste André Moons : sa nièce se promenait sur internet, curieuse de savoir ce qui se disait sur son oncle, et elle est tombée sur notre blog. La recherche la plus fastidieuse fut celle de la famille de Rob-Vel. C’est le hasard qui nous a fait rencontrer son neveu, lequel fréquente la librairie où Christelle travaille. Il était temps car trois mois plus tard, nous devions commencer l’écriture du livre.

 

 

 

 



On peut dire donc que le travail à été colossal, quelle à été votre méthode de travail ? Comment vous êtes vous documenté ?

B : En fait, notre politique a été de ne pas y aller à l’économie : avons suivi quasiment toutes les pistes qui s’offraient à nous, comme celle de la participation de Luc Lafnet aux planches de Spirou ; dès qu’une nouvelle information nous arrivait, nous cherchions à en savoir davantage, remontant le fil de l’histoire. Nous sommes entrés en contact avec presque 200 personnes, peut-être plus, et échangé entre 4 000 et 5 000 mails. C’est effectivement colossal et être deux est sans doute la clé de notre persévérance : nous nous répartissions les contacts, les pistes, et quand un détail échappait à l’un, l’autre le rattrapait toujours au vol !


A la lecture de cet impressionnant volume, on se doute que les débuts des éditions Dupuis ne se situent pas en 1938 n'est ce pas ?

CH : Bien évidemment. Nous sommes partis du principe que nous ne pouvions pas parler de l’esprit si particulier de cette entreprise sans en expliquer ses origines. Ce n’est pas un hasard si un jour de 1937, ce cher Jean Dupuis a décidé de fonder Le Journal de Spirou. Les 75 ans qui ont suivis ne peuvent se comprendre qu’à l’aune de l’esprit de cet homme. En fait, nous ne nous sommes pas réellement posé beaucoup de questions sur les sujets que nous avons finalement abordés. À partir du moment où ils nous intéressaient, nous les avons inclus dans le récit. Nous nous sommes totalement laissé porter par notre intuition et l’histoire s’est construite selon cette logique.

 

 

 

 



Quel à été votre sentiment par rapport à la conception d'un tel ouvrage ?

B : Quand nous avons commencé ce travail, nous pensions qu’un seul volume suffirait à raconter 75 ans d’années Spirou. C’est dire à quel point nous-mêmes n’avions pas conscience de tout ce qu’il restait à raconter. Ce qui nous a le plus frappé, c’est de découvrir à quel point la connaissance de Spirou était approximative, et quels hommes incroyables se cachaient dans ses premières années. Quelle injustice ! Bien évidement, nous avons réfléchi à la question : comment était-il possible que personne jusque-là ne se soit penché sur cette histoire ? La réponse est terrible. Le talent de Franquin a totalement éclipsé les premières années de Spirou, au point que nous avons fait comme si Spirou était né avec lui. Et puis, bien souvent, dans l’histoire de la BD, on ne s’intéresse qu’aux auteurs. A croire qu’eux seuls ont fait la bande dessinée. C’est juste, bien sûr, mais très incomplet.


Le journal de Spirou à influencé de manière remarquable le 20éme siècle en matière bande dessinée, quel est votre regard à ce sujet ?

CH : Dupuis a toujours eu une place très particulière qui, comme je le disais tout à l’heure, se trouve dans l’esprit de Jean Dupuis, son créateur. Comme le disait Pierre Matthews, son petit-fils, « Dupuis, c’est l’apostolat de la bonne humeur. » C’est parce qu’ils étaient porteurs de valeurs morales fortes qu’ils ont résisté à l’occupant pendant la guerre et que le journal a survécu. Et c’est parce qu’ils étaient porteurs de fantaisie qu’un Yvan Delporte a pu emmener Spirou dans son âge d’or.

 

Avez-vous une anecdote particulière au sujet de ce premier tome ?

B : Un rêve, plutôt. Un matin, nous avons découvert que nous avions l’un et l’autre rêvé simultanément que nous interviewons Rob-Vel. C’est dire si l’enquête a pu parfois tourner à l’obsession. Ne pas pouvoir poser nos questions à Rob-Vel, mais aussi à Jean Doisy, à Luc Lafnet, à Jean Dupuis a été un crève-cœur, une grande frustration. On a vraiment le sentiment d’être malgré nous passés à côté de quelque chose. Tellement de zones d’ombres ou de questionnements resteront à jamais …

 

Que pouvez-nous nous dévoiler sur les prochains volumes ?

CH : Nous sortons d’une aventure extrêmement forte, riche de sentiments inouïs et de grandes joies. À chaque fois que nos recherches aboutissaient ou que de nouvelles révélations nous arrivaient, nous étions comme les rois du monde ! Et bien sûr, la période que nous allons aborder dans le tome 2 est à priori moins riche, puisque davantage connue. Sauf que, nous nous en rendons compte peu à peu, ce sont les chemins de traverse que nous empruntons qui vont donner tout son intérêt à notre récit. Nous pensions commencer le tome 2 avec, en ouverture, tout l’écolage de Franquin, Morris et Will à Waterloo, chez Jijé, puis enchaîner sur l’épisode du voyage au Mexique. Mais depuis quelques jours, nous savons que notre histoire commencera sur l’impact de la création du journal Tintin. Comment les Dupuis ont-ils accueilli la nouvelle qu’un incivique –ou prétendu tel- puisse avoir pignon sur rue pour s’adresser aux enfants, alors qu’eux-mêmes ont risqué leurs vies et celle de leurs familles pour résister aux Allemands ? Evidemment, pour nous, il ne s’agira pas de juger mais d’essayer de comprendre les uns et les autres… Et puis, nous avons mené l’enquête autour d’autres personnages oubliés de l’aventure, comme Henri Gillain (scénariste d’Il y a un sorcier à Champignac), Géo Salmon (scénariste des Voleurs de marsupilamis) ou encore George Troisfontaines, le mystérieux patron de la World Press… L’histoire de Franquin est certes connue mais beaucoup d’acteurs de cette époque restent dans l’ombre. L’un des buts de « La véritable histoire de Spirou » est de les mettre enfin en lumière…

 

Interview © Graphivore 2013

Images © Dupuis 2013



Publié le 28/01/2013.


Source : Graphivore

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