« - Comment m’as-tu appelé ?
- Messire, Messire.
- Messire. Peut-être es-tu plus dégourdi qu’il n’y paraît. Tu me paieras ton affront en me servant. Je serai ton seigneur et toi mon écuyer et fidèle serviteur. Mon nom, écuyer, est Sire Gennaro Montecapoleone des deux fontaines. Et toi, manant, tu as un nom ou dois-je en forger un pour toi ?
- Aldobrando, Messire.
- Alors dorénavant tu seras Aldobrando des trous d’autrui. Qu’en penses-tu ?
- Aldobrando me suffisait.
- Malheur à qui se contente de ce qu’il a ! Allons-y ! Voici l’aube. Une longue route nous attend. Une route semée d’embûches. »
Une route semée d’embûches, tel est le concept de la geste d’Aldobrando.
Un enfant est confié à un vieux sorcier. Son père le lui abandonne et file vers son destin pour la mort. Le précepteur l’éduque et on le retrouve jeune homme, disciple de son maître. Un jour, à la suite d’une préparation de potion tournant mal, le maître est blessé à l’œil. Pour le guérir, Aldobrando doit lui rapporter de l’herbe du loup. Traversant les forêts, le jeune novice arrivera en ville où un drame vient de se jouer. Le valet du roi a grièvement blessé le fils du roi avant de prendre la fuite, laissant pour mort le petit prince. A la suite d’un quiproquo, Aldobrando est accusé d’avoir pris part au méfait. Mis aux fers, il y rencontre un géant assassin qui va l’entraîner dans son évasion. Aldobrando réussira-t-il à prouver son innocence et à rapporter à son maître cette mystérieuse herbe du loup ?
On n’attendait pas Gipi dans une aventure romanesque. L’auteur de Notes pour une histoire de guerre et de La terre des fils signe une œuvre magistrale, formidablement bien construite, une histoire d’amour à grand spectacle où les mots donnent plus de force que les actes. Les personnages sont bien campés, avec une personnalité qui leur est propre : un adolescent sur le chemin de la vie, un monstre qui cache un cœur gros comme ça, une amoureuse improbable prête à braver tous les dangers, un soi-disant seigneur, Messire de pacotille qui se ridiculise pour un monde qui ne veut pas de lui, un roi adipeux et sot qui n’est qu’un porc à balancer, un Sire conspirateur qui ne se doute pas qu’il pourrait tomber dans son propre piège, un vieux sorcier qui, victime avérée, est en fait un philosophe et un père adoptif montrant tout simplement à son « fils » la voie à suivre,…
Le scénariste alterne les scènes sans aucun temps mort. De l’action, des dialogues choisis, le lecteur assiste à un drame théâtral à ciel ouvert dans de multiples décors.
Dans un style à la Griffo, Luigi Critone entraîne le lecteur des chemins enneigés à la chambre sobre d’une princesse triste, des geôles humides dans des bas-fonds miteux jusqu’à une clairière idyllique, pour finir dans une arène, fosse dans laquelle le destin de chacun va se jouer.
En parallèle à la version classique, les éditions Casterman publient une luxueuse version en tons de gris. Mais il serait regrettable de se priver des couleurs exceptionnelles de Francesco Daniele et Claudia Palescandolo qui sont tout simplement magnifiques. Elles illuminent de manière aquarellée cette histoire flamboyante, démontrant que les coloristes sont bien des auteurs à part entière prenant part intégrante aux œuvres auxquelles ils participent.
Une route semée d’embûches, tel est le concept de la geste d’Aldobrando. Un album indispensable, telle est la définition d’Aldobrando.
Laurent Lafourcade
One shot : Aldobrando
Genre : Conte moyenâgeux.
Dessins : Luigi Critone
Scénario : Gipi
Couleurs : Francesco Daniele & Claudia Palescandolo
Traduction de l’italien : Hélène Dauniol-Remaud
Éditeur : Casterman
Nombre de pages : 204
Prix : 23 €
ISBN : 9782203166677
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