Alors que nous vous parlions, il y a quelques jours, d’une nouvelle étape franchie dans le monde des comics made in France par Glénat Comics, voilà qu’un projet français voit le jour pour rendre hommage comme il se doit (et même plus) au fantastique Jack Kirby. Car si le cinéma a son Big Jim, le monde de la BD a son Big Jack. Raison de plus pour fédérer le monde de la BD, en France, en Espagne, aux États-Unis et par-delà le Monde… dans un livre collectif. Son nom? Kirby&Me. Vous pouvez encore le financer durant quelques heures (l’opération finit le 28 février), courrez-y. Nous, nous prenons le train un peu en marche mais nous ne pouvions pas passer à côté de l’initiative de Mickaël Géreaume et Alain Delaplace. Nous avons lancé l’invitation à quelques auteurs participant à cet ouvrage qui promet. Premiers regards croisés en compagnie de Joe Skull (Les aventures de Joe Skull) et Pierre Alary (Silas Corey, Sinbad, Belladone). D’autres interviews suivront.
La couverture de Kirby&Me par Laurent lefeuvre
Bonjours à tous les deux. Quel est votre rapport à Jack Kirby ?
Joe Skull : Étant donné que je lis les aventures des héros Marvel depuis le début des années 80, j’ai forcément été influencé par Jack Kirby. On peut dire qu’il est à la base de pratiquement tous les plus grands super-héros Marvel et DC et son style révolutionnaire a marqué beaucoup de dessinateurs jusqu’à aujourd’hui. Par contre, son influence n’était pas si évidente pour moi, dans ces années-là, car je n’étais pas à même d’apprécier la force colossale son œuvre. Je ne comprenais pas la brutalité de ses encrages et les formes étranges de ses machines futuristes mais tout cela a germé en moi pendant des années et ce n’est que bien plus tard que j’ai compris son influence capitale pour moi.
Pierre Alary : Disons que Kirby fait partie de la « bande visuelle » de ma vie , comme des groupes de musique font partie de la « bande-son » de ma vie. J’ai grandi en le lisant. Au début sans savoir ce qu’il représentait , enfant, dans Strange puis, l’artiste a eu un nom , et ce nom a eu un sens pour moi… Comme pas mal d’autres, il est devenu une sorte d’étape imparable, de jalon, dans mon apprentissage de l’art graphique… alors, sans être mon préféré, il reste, je doit l’avouer, une énigme. Quant a son style, sa façon de travailler, son univers… tout en ayant une moyenne de cinq à six pages par jour !
Vous souvenez-vous de la première fois que vous l’avez lu ? Vous rendiez vous compte qu’il pourrait vous suivre tout au long de votre vie ?
Pierre Alary : Je pense que , comme dit plus haut , ce devait être dans un Strange Special origines, sur les Fantastic Four. Puis assez vite, les grands formats Lug avec Captain America et Thor. Que l’on devienne dessinateur ou non plus tard, je pense qu’à partir du jour où vous connaissez le nom et l’oeuvre de Kirby, elle ne vous lâchera plus.
jack-kirby-double-planche-fantastic-four
Joe Skull : La première fois que j’ai lu une histoire dessinée par Jack Kirby, je pense que c’était dans une aventure des Quatre Fantastiques qui paraissaient régulièrement dans Spidey, édité en France par les éditions LUG. Je ne me rendais compte de rien, j’étais littéralement happé par ces histoires !
Aujourd’hui, je n’ai plus ces BD mais lorsque que je les revois sur internet, la couverture suffit à me replonger dans cet état de transe.
Qu’est-ce qui en fait un indémodable, toujours bien présent dans l’imaginaire populaire et des auteurs de tous les âges, 20 ans après sa mort et alors qu’il aurait eu cent ans ?
Joe Skull : Je pense que c’est la force à nulle autre pareille que Kirby mettait dans son dessin qui nous plongeait immédiatement dans ses univers d’une richesse sans limites. Cette force est comme une montagne indestructible !
Pierre Alary : Déjà, ce style complètement « avant-gardiste » (et pourtant tellement rétro) et, surtout, cette espèce de folie assumée, ce coté complètement foutraque dans ces histoires : quand on y regarde de près, c’est quand même du grand nawak …mais c’est ce qui en fait tout le sel .
Kirby a cette force dans la ligne qui pourrait en faire aujourd’hui un vrai artiste contemporain, je suis sûr que de voir des reproductions immenses de ses dessins sur des façades de musées serait du plus bel effet. Quelque part, Kirby est un peu comme Hergé : sa ligne se prête merveilleusement au coté « arty » et « contemporainement vintage » apprécié aujourd’hui. Regardez son musée a Louvain-la-Neuve, c’est un modèle d’art moderne, une ligne claire, un profil de Tintin sur la façade et c’est superbe.
Quelle est la case qui, pour vous, prouve que c’est un vrai génie, un « King » ?
Joe Skull : Je pense à ses illustrations sur deux pages que l’on retrouve, par exemple dans New Gods pour représenter des batailles mythiques ou l’immensité d’une créature face au héros qui la découvre dans un coin reculé de l’espace…
Les New Gods par Jack Kirby
Pierre Alary : Il n’y a pas une case en particulier, mais il y a cette idée qu’il est capable de nous éblouir avec une image de dingue, pleine de fureur, de mouvement et en même temps l’ont voit qu’il a pris un plaisir fou à travailler chaque personnage, chaque détail d’armure, avec des idées et des références qui lui viennent de je ne sais où. Et d’un autre coté, il est capable de nous sortir cette sublime double page dans Street code, une scène de rue géniallissime avec le marché, les gamins qui se balancent des légumes etc.
Jack Kirby dans Street Code
Votre héros préféré de Kirby, pourquoi ?
Joe Skull : L’un de mes préférés est Flèche Noire ! Chef des Inhumains. Le fait qu’il ne parle pas (ses compagnons s’expriment pour lui) le rend mystérieux mais sa force n’en est pas moins prodigieuse.
Pierre Alary : Alors que je suis très sensible au graphisme pur, je veux dire par là que je marche au dessin avant tout , je crois que c’est quand même Omac que je préfère. Peut-être parce que, à mon goût, son histoire qui se tient le mieux et possède vraiment un fond, une structure, une vraie critique sociale aussi (comme dans Kamandi aussi mais ça part très vite… en sucette) sans pour autant, et loin s’en faut, être la plus jolie graphiquement. Cette histoire donne l’impression que, pour une fois, Kirby s’est vraiment intéressé a son écriture plus qu’à son dessin .
Omac par Jack Kirby
En quoi, Jack Kirby vous influencerait-il aujourd’hui ?
Joe Skull : Pour moi, le secret de Kirby est dans ses personnages mais plus visible encore dans ses machines. Ce sont elles qui m’influencent le plus dans mon approche de la science-fiction. Il s’agirait pour moi de donner du volume à des formes abstraites et improbables qui pourraient représenter des bâtiments ou des appareils extra-terrestres.
Pierre Alary : Pour toutes les raisons évoquées plus haut.
Une anecdote sur votre rapport à Kirby ?
Pierre Alary : Le jour où j’ai appris à quel rythme il travaillait… je ne m’en remets toujours pas !
Que pensez-vous de l’ouvrage Kirby&Me ? Comment avez-vous intégré ce projet ?
Joe Skull : Je pense que ça peut être un très beau livre et j’espère qu’il se fera. Je suis fier de faire partie de ce projet et félicite ses créateurs pour leur initiative et leur choix d’auteurs très varié. Quand je les ai contactés, ils ont su me transmettre leur enthousiasme et leur passion pour Kirby.
Pierre Alary : J’ai réclamé. Ce sont des potes contactés (eux ! (rires)) qui m’en ont parlé. Je ne voulais pas rater le coche.
Vous nous parlez de votre hommage ? Qu’y avez-vous mis ?
Joe Skull : Mon hommage représente justement une machine qui servirait à Kirby pour fabriquer des super héros. L’idée m’a amusé et j’ai pris du plaisir à la dessiner avec Kirby aux commandes. Par contre, j’ai voulu cette machine réaliste. Une machine d’usine pour aborder les choses sous un angle plus réaliste.
L’hommage de Joe Skull à Jack Kirby pour Kirby&Me
Pierre Alary : Je reviens à ma fascination du dessin pur. Et, pour cela, le personnage de Black Panther reste l’un de mes favoris . De par son épure et cette quasi-obligation d’en faire un objet purement graphique. J’adore. J’ai rajouté par derrière, ce qui, à mon goût, fait le sel de Kirby, à savoir des myriades (moins ici) de personnages semblant venus d’un million d’époques différentes, dont certaines complètement inconnues des humains.
Propos recueuillis par Alexis Seny
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