Le 11 septembre 2009, date mythique si vous nous permettez le jeu de mots, sortira le tome 11 de la série Alpha chez Lombard.
Vous pensiez tout savoir de l’agent Alpha, de sa famille à ses amours ? Mais, le passé revient toujours et, avec lui, les zones les plus obscures du parcours d’un héros… qui pourrait bien ne pas être ce que l’on a cru, dix albums durant ! Pour ses débuts de scénariste dans cette série qu’il dessine depuis près de quinze ans, Youri Jigounov frappe un grand coup, en nous plongeant au sein d’une palpitante histoire de complot interne à la CIA. Sans toutefois jamais nous dire si ces nouvelles révélations sur la nature de l’agent Alpha sont fondées ou non. Il n’y aura qu’un moyen de le savoir… Il souffle un vent de panique à la Maison Blanche ! Les renseignements de la CIA sont formels : un avion de ligne arrivant de Moscou contient à son bord une charge nucléaire. Soucieux d’éviter un attentat beaucoup plus destructeur que celui du 11 septembre 2001, le Président n’a guère le choix : il donne l’ordre d’abattre le vol commercial. Bilan de l’opération : près de 300 morts et… aucune bombe retrouvée ! Autant dire que des têtes vont tomber dans les hautes sphères si les USA veulent empêcher une nouvelle Guerre froide ! Alpha, que ses récents exploits ont rendu trop connu pour être encore utilisable comme agent du service clandestin, profite d’être loin de l’orage pour régler ses affaires personnelles. Mais, la tragique erreur de la CIA cache en réalité un complot plus profond et l’un de ses responsables a envoyé un mail à Alpha avant de se suicider. D’agent secret à la retraite, Alpha va devenir le fugitif le plus recherché du monde…
Youri Jigounov capitalise habilement sur tous les pions mis en place depuis 10 tomes et une situation internationale de plus en plus tendue (voir pages suivantes). Il en résulte une véritable seconde naissance pour cette série qui s’est depuis longtemps hissée parmi les best-sellers du thriller d’espionnage !
En 2005, Porter J. Goss (le premier patron de l’agence, ici mandaté par le Sénat pour faire un point des relations entre CIA et Russie) arguait que « La Russie demeure une source importante de technologie militaire pour d’autres nations. La vulnérabilité des armes russes face au vol demeure une préoccupation constante ». Alpha et ses pairs sont donc bien loin d’en avoir fini avec « l’ex-URSS » !
Youri Jigounov : « Du moment que la routine ne s’installe pas… » On a beaucoup écrit sur le parcours du dessinateur d’Alpha, parti de Moscou en 1994 muni d’un billet de train aller-simple pour Berlin, puis continuant sa route en auto-stop jusqu’à Bruxelles avec 46 planches de bande dessinée sous le bras. Maître du réalisme, son style a conquis des centaines de milliers de lecteurs. Sa prise en charge du scénario de cette série nous permet aujourd’hui de découvrir l’homme derrière le crayon. Un homme empli d’humilité (Ouais !), d’humour et de bonnes idées !
Après avoir collaboré avec deux scénaristes sur Alpha, vous reprenez aujourd’hui les rênes de la série en assumant scénario et dessin. Pourquoi ?
Par nécessité ! Il fallait bien que quelqu’un l’écrive ! (Rires) Et puis il fallait casser un peu la routine. Si l’on analyse la situation, nous avons un personnage dont la carrière a été brillante. Il ne pouvait plus trop monter plus haut tout en restant crédible. Sa relation avec Sheena est en statu quo depuis quelques albums. De plus, nous savons presque tout sur ses origines ! Alors, quoi ? Le risque était de faire une histoire de plus. J’avais envie de redynamiser un peu tout ça. Alors, j’ai bricolé un petit texte qui, parce qu’il était riche de possibilités, a bien plu à l’éditeur. J’avais une idée plutôt claire de ce que je voulais faire. Pour moi, les dix premiers tomes sont une mise en place des personnages, une sorte de gigantesque prologue. D’où cette « Saison 2 ».
Youri Jigounov photo © J J Procureur
Le scénario est quelque chose auquel vous pensiez depuis longtemps ?
Pas du tout. J’ai commencé parce que je ne voulais plus attendre pour lancer un nouveau cycle. Mais, n’ayant actuellement aucune ambition de scénariste, on peut venir avec de nouvelles idées… Si elles sont meilleures que les miennes, on peut en discuter. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé ici. Quelques mois après ma proposition initiale, Yves Sente (NDR : alors directeur éditorial du Lombard) m’a suggéré l’idée de « face cachée d’Alpha». Je l’ai intégrée au scénario que j’ai donc entièrement repris. J’avais même commencé une dizaine de planches que j’ai dû entièrement redessiner, ou tout du moins réarranger !
L’écriture en elle-même ne vous pose pas trop de problèmes ? Après tout, le français n’est pas votre langue maternelle…
C’était un autre problème. Pour ce qui est des découpages, ça va. Mythic, le second scénariste de la série, faisait toujours les siens, mais je les respectais rarement. Pour les dialogues, j’en avais déjà écrits il y a 15 ans, mais c’était en russe et ils avaient été traduits par la suite. Cela dit, je me suis lancé et, quand on sait ce qu’on veut dire, ça va. Je dois néanmoins ajouter que j’ai bénéficié à ce niveau de l’aide précieuse de deux dialoguistes patentés, Yves Sente et Emmanuel Herzet. L’une de mes filles m’a aussi aidé. En ce qui concerne le fond, j’ai une méthode un peu particulière : mon bureau n’est absolument pas fait pour avoir des idées ! Et lorsque je suis dans mon jardin, je suis trop absorbé par la contemplation de la nature. Alors, quand je tourne trop en rond, je descends au bistrot près de chez moi. Là, en quinze minutes, c’est fait !
Est-ce le fait d’être entouré de gens ou de boire un petit verre ?…
Je n’en sais rien. J’ai réessayé dans d’autres bistros et ça ne marche pas ! Enfin, au moins, comme ça, je n’ai pas de problèmes d’idées (rires) !
Pour un premier essai, vous démarrez assez radicalement ! Vous commencez par résoudre des intrigues de fond comme l’histoire sentimentale entre Alpha et Sheena…
Oui, ils ont joué au chat et à la souris pendant quelques années. J’ai choisi l’issue la plus logique à mon sens. On m’a souvent dit qu’Alpha était un héros fuyant, alors j’ai voulu caricaturer cela. D’où le fait qu’il se retrouve affecté au service RH de la CIA et qu’il concrétise sa relation avec Sheena. Je voulais que le lecteur se dise : « Ça devient nul ! Qu’est-ce qui nous attend ensuite ? Une maison et des enfants ? » Et puis, des bricoles arrivent et, là, on peut partir vers ce qu’on veut. J’aime pousser l’absurde au maximum pour sortir de certaines situations !
Le fait d’être d’origine russe vous a motivé à vous appuyer une nouvelle fois sur ce contexte pour votre histoire ?
Ça pourrait aussi bien être la Chine ! C’est surtout l’actualité qui m’a inspiré. Je ne suis pas retourné en Russie depuis 1997, mais je suis toujours en contact avec beaucoup de gens là-bas. Je m’intéresse. C’est surtout l’évolution de la mentalité russe qui me désole… et m’inspire ! Ce côté « On ne recule devant rien » tragiquement illustré lors de la prise d’otages de Beslan, par exemple. Les Russes sont des adversaires et des alliés idéaux parce qu’ils sont prêts à tout. C’est parfait pour un scénariste. On est dans du thriller réaliste mais, avec de tels protagonistes, on peut tout se permettre ! Au rythme où vont les choses, là-bas… Je souhaite que le pays se civilise, mais quelle source d’inspiration !
Pourquoi avez-vous quitté la Russie en 1994 ?
Là-bas, je lisais les BD que je pouvais trouver et j’ai développé un goût pour le franco-belge. J’ai commencé à dessiner en Russie mais après, c’est comme tout : si vous voulez devenir cow-boy, il faut peut-être envisager de partir aux Etats-Unis. Alors, comme je voulais faire du franco-belge, je me suis rendu à Bruxelles avec une histoire que j’avais traduite à l’aide d’un dictionnaire. J’ai joué le tout pour le tout ! Mais, j’y suis assez habitué. Je ne vois pas ça comme quelque chose d’extrêmement courageux. J’étais là en touriste, assez jeune et naïvement optimiste. Personne ne m’avait dit que ça pourrait échouer ! Heureusement, ça a marché au Lombard ! Cela dit, je ne sais pas si, aujourd’hui, je referais le voyage…
En fait, vous aimez avant tout prendre des risques…
Vous savez, j’ai fait deux albums avec un premier scénariste, Pascal Renard. J’ai ensuite continué avec un second, Mythic, que je serre dans mes bras. Quand j’y repense, rien n’a jamais fonctionné normalement sur cette série. Le public n’en a pas forcément eu conscience, mais au moins je ne me suis jamais ennuyé, c’est l’essentiel ! Tout ça me rappelle le moment où j’ai commencé les coloriages par ordinateur. Tout le monde m’a dissuadé de le faire parce que cela ne collerait pas avec ce type de bande dessinée, etc, etc. Aujourd’hui, c’est un nouveau challenge. Dans quoi me suis-je embarqué ? Moi, à la base, je préfère ne rien faire (rires) ! Mais maintenant, je me suis fait à l’idée que j’ai encore deux albums à produire pour conclure ce cycle. Après, si quelqu’un trouve de meilleures idées, il est le bienvenu ! Il y aura peut-être d’autres changements. Du moment que la routine ne s’installe pas…
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