Fane et son explosif Streamliner : Balancer les personnages, motards ou pilotes d’Hot Rod, dans un paysage au parfum de l’Amérique des années 60’s
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Fane et son explosif Streamliner : Balancer les personnages, motards ou pilotes d’Hot Rod, dans un paysage au parfum de l’Amérique des années 60’s

Cela faisait bien longtemps que les belles mécaniques n’avaient plus aussi bien roulé dans le monde du Neuvième Art. Délaissant le Joe Bar Team, ‘Fane nous revient avec une plongée spectaculaire dans le monde des streamliners, ces bolides qui chassaient les records de vitesse dans une Amérique pas si lointaine. Le projet a été fait de doutes, nourri de cinéma, de musique et de légendes que ‘Fane a accommodées, tel un grand chef, à une histoire uchronique dont les ingrédients ne manquent ni de sel ni de rage, et encore moins de puissance. Interview avec ce surdoué des mécaniques tonitruantes et indomptables et des héro(ïnes)s, des vrai(e)s. Avec en plus quelques bonus que l’auteur a bien voulu nous confier.

 

 

 

 

© ‘Fane

 

Bonjour Fane, on vous retrouve toujours au milieu des bolides, mais cette fois au coeur de l’esprit vintage des Streamliner. Quelle a été votre porte d’entrée sur ce milieu ?

Oh, ce n’est pas neuf. J’ai un gros engouement depuis longtemps pour l’univers garage et la culture custom, tous des engins modifiés, un peu vieillis. De la mécanique sauvage, quoi, mûrie dans la liberté. Du coup, j’ai eu envie de raconter une sorte de western mécanique dans un grand no man’s land en compagnie de marginaux. Des hommes, des femmes à qui j’ai laissé le pouvoir de créer l’histoire. Un peu comme dans Les petites éclipses que j’avais réalisé avec Jim. Je voulais balancer les personnages dans un paysage qui avait le parfum de l’Amérique des années 60’s, une imagerie légendaire et fantasmée qui mélangerait des faits plus ou moins réels. Avec des gangs de moto tels qu’on a pu en voir apparaître après la guerre, la magie des premiers records de vitesse sur le lac salé.

 

 

 

 

Teaser © Van Gogo Rue de Sèvres

 

Une histoire en deux actes, ni plus ni moins ?

Au début, ça devait être un one-shot complet. Je ne voulais pas le couper en deux. Mais c’est ce qui est arrivé pour des raisons commerciales et éditoriales. Aussi, ça devait être très âpre, très rock’n’roll, en noir et blanc. Mais bon, c’est dur, mais il faut faire des concessions.

Pour le moment, ce tome 1 fait office de longue mise en place. La course n’a pas encore commencé.

Le tome 2 fera la part belle à l’escalade de violence. Dans le tome 1, ça monde, dans le tome 2, ça explose. Mais on continuera d’en apprendre sur les personnages. Personnages auxquels on se lie même s’ils font peur. Il y a une grosse idée de camaraderie dans ce milieu, un respect mutuel dégagé de cette peur du gendarme. Ils sont rivaux mais unis par la même passion de cette vitesse et de la liberté. Un esprit gang.

Ce premier tome fait un peu bordel, d’ailleurs.

Oui, c’est le bordel, mais c’est l’univers qui veut ça. Il en allait de l’intérêt de l’histoire. Moi, je suis l’entremetteur, le chef d’orchestre. Je voulais assigner à tout ce petit monde un rendez-vous annuel, quelque chose de carré, d’organisé. Problème, cette organisation va cette fois être dépassée par l’arrivée d’un gang de motarde mais aussi d’un prisonnier évadé. Je voulais les voir réagir face à cette maîtrise qui leur échappait. Bon, bien sûr, j’ai dû prendre du recul mais ces personnages donnaient le ton par leur caractère, leurs motivations.

Cet univers, j’y ai travaillé trois ans, sans avoir de contrat. Au final, j’en ai fait 300 planches. Mais la fin a atterri là parce que l’histoire s’y est arrêtée tranquillou. C’est casse-gueule comme exercice.

 

 

 

 

© ‘Fane

 

C’est très cinématographique, non ?

Mais je me suis fait mon film, mon casting. Bon, en reprenant aussi un de mes personnages fétiches. Ainsi, le Nicky que je fais débouler dans Streamliner n’est pas un inconnu. C’est en effet un personnage que j’avais créé dans les années 90 pour la revue de BD « GOTHAM ». Ce perso s’appelait Tunny head. Un peu comme si c’était mon acteur fétiche. « Dis, tu voudrais pas venir ? » Certains personnages sont récurrents dans mon oeuvre. La fille, je la connaissais déjà, je l’avais déjà en main, il m’a suffi de retrouver son numéro de téléphone (rires). Mais si j’accordais à cette meute une grande liberté, bien sûr que j’ai dû écrire, les dialogues notamment.

 

 

 

 

© Fane Tunny Head chez Gotham (repris dans un album chez Glénat en 2008)

 

Imaginons, Streamliner passerait sur grand écran. Sur quel casting fantasmeriez-vous ?

Question délicate. Des acteurs principaux, il y en a déjà tellement dans ce bouquin. Billy Joe, il serait quelque part entre Henry Winkler qui jouait Fonzy dans Happy Days et Clint Eastwood. Pour Crystal, il y en a des actrices à qui couper la frange !

Un côté Mad Max, aussi ?

Je bouclais l’encrage quand le dernier Mad Max est sorti. J’ai eu peur que ça ressemble à mort à mon histoire, qu’elles se télescopent. Mais Miller a fait du Miller. Mes inspirations, je vais plus les chercher du côté du Tarantino de Boulevard de la mort. J’ai picoré dans l’historique des personnages, mais ce n’était pas prémédité.

 

 

 

 

© ‘Fane

 

Comme dans les films, Comix Buro est ici au rang de producteur.

Oui, et ils le sont. Je suis devenu locataire d’un espace dans leur studio, sans lien. Au fil du temps, ils m’ont vu accumuler les pages de storyboards, ont commencé à les lire et à s’investir. Amicalement, d’abord, puis en m’appuyant logistiquement, en imprimant les bleus… Ils ‘ont aussi aidé à chercher un éditeur. C’est génial, j’ai eu beaucoup de bons conseils bienveillants. C’est salutaire quand on a besoin de recul. Quand est venue l’étape du numérique, ils ont nettoyé et fait le lettrage de mes planches.

J’imagine qu’il y a eu de la musique aussi ?

Sans musique, je ne l’aurais sans doute pas fait, cet album. J’ai écouté du gros gros rock, pas forcément daté. J’étais plus dans le rockabilly pour la mise en place. Et quand j’ai attaqué l’action, j’ai écouté de la musique plus contemporaine. La liste est trop longue et j’aurais peur d’en oublier car cette bande-son m’a permis de tenir pendant trois ans de boulot.

 

 

 

 

© ‘Fane/Rabarot chez Rue de Sèvres

 

Faut-il voir la genèse de cet album dans le sketchbook que vous aviez conçu chez Comix Buro ?

Oui, c’était un peu une première grosse recherche, une grande frise de 2m50, un grand horizon sur la ligne de départ d’une course sur le Lac Salé. C’était le point départ. Au départ, je voulais faire quelque chose dans l’esprit de l’univers de Gorillaz, mais j’ai assez vite abandonné. Ce n’était pas un style qui m’était naturel. Du coup, je me suis laissé aller au semi-réel, avec assez de réalisme que pour faire écueil à une intensité dramatique. Mais je voulais garder une certaine souplesse. Un peu comme Walthéry, quoiqu’il est plus cartoon encore, qui arrive toujours à doser le drame tout en déconnant. Je voulais pouvoir tordre les véhicules dans les visages, improviser des envolées mécaniques.

 

 

 

 

© ‘Fane chez Comix Buro

 

Docu à l’appui ?

Oui, mais c’est une documentation qui est récurrente comme je baigne dans cet univers. J’ai bouffé énormément de documentation. Si j’ai l’habitude de dessiner des motos, que les autos me sont familières, j’ai toujours adoré les Hot Rod mais je ne savais pas comment ça se passait, par contre. Je me suis rencarder. C’est passionnant d’aller gratter pour mieux comprendre. Du coup, j’ai utilisé aussi des extraits de vieux films, ceux projetés dans les drive-in. Il faut dire que L’équipée sauvage (de Laslo Benedek avec Marlon Brando et Lee Marvin) avait donné lieu à toute une série de nanars dans l’esprit teenage. Mais je voulais de cet esprit pour imbiber la BD.

J’ai aussi repris l’historique des premiers records dans des documentaires crapoteux. Avec des courses à Daytona dès 1928. Ainsi, le Streamliner de Cristal O’Neil, la « Black Widow, est inspirée du Streamliner de Franck Lockhart, la « Black Hawk », avec lequel il se tua sur la plage de Daytona en 1928. À cause d’un pneu éclaté par un… coquillage en pleine tentative de record… J’ai aussi regardé des documentaires sur l’armée de l’air et me suis intéressé aux vies de Calamity Jane et Billy The Kid dont les vies sont quand même bien loin de l’aura que leur a prêté la culture populaire.

 

 

 

 

© ‘Fane

 

Déjà monté à bord d’une de ses machines ?

Oui, mais juste pour faire le tour d’un pâté de maison ! (rires)

Impossible pour autant de situer exactement l’action de votre histoire ?

C’est un univers incroyable que j’idéalise, un tour de manège.  Je voulais évoquer la route 66, qui devient 666, l’après-guerre mais relégué l’historique au background. Il y a un conflit Nord-Sud, comme il y en a eu lors de la guerre de sécession. C’est une uchronie, un nouveau conflit. Comme si, au lieu de prendre place en Europe, une deuxième guerre avait pris place sur le continent américain.

 

 

 

 

© ‘Fane/Rabarot chez Rue de Sèvres

 

Puis, il y a la présence des femmes, loin des pin-up et des faire-valoir.

J’adore cette rivalité un peu primitive entre les mecs et les femmes. Et j’adore les faire gagner, qu’elles mettent une tôle aux hommes. Il y a un côté sexy chez mes héroïnes mais il est assumé.

 

 

 

 

© ‘Fane

 

Cette histoire intervenant dans l’après-guerre, je ne peux m’empêcher de le rapprocher de ce besoin actuel, par les temps moroses qui courent, de divertissement, de challenge…

Du pain et des jeux, oui. Et c’est un éternel recommencement. Ici, au retour de la guerre, ces mecs qui l’avaient fait qui ne sont pas arrivés à se « recloisonner » sont restés ensemble autour des mécaniques. Parce qu’ils étaient reclus, inadaptés à un autre mode de vie, incapables de sortir du schéma. Le gang de Billy Joe, ce sont des fils de ces vétérans qui perpétuent cet esprit, échappent à cette vie toute tracée pour une idéologie de performance, celle-là même qui fait émerger un chef. Ils sont les pires ennemis mais sont pourtant inséparables.

Vous auriez aimé vivre cette période ?

C’est délicat ! Parce que, naturellement, cette vie-là, ce n’est pas que ça. Ce n’est pas la vision d’American Graffiti.

 

 

 

 

© ‘Fane

 

Après, collé à Billie Joe dans sa voiture, j’aurais les foies, mais oui, je crois que j’aimerais ça.

Vous le disiez, cette oeuvre n’était pas conçue pour connaître la couleur. Finalement, c’est Isabelle Rabarot.

Oui, et autant dire que j’ai eu beaucoup de mal à accepter cette mise en couleur. Mais Isabelle a su apporter un ton particulier en appliquant ces couleurs dans le sens que je voulais. Je l’ai briefée, je ne voulais pas de dégradé, pas d’effets. Elle a complètement accepté. Et je pense qu’au final ça aide à la compréhension, notamment pour les flashbacks, pour lesquels elle a utilisé une teinte spéciale. Un vrai plus. Après, je rêve toujours d’une édition noir et blanc.

 

 

 

 

© ‘Fane

 

D’autres projets ?

Si le deuxième tome de Streamliner est fini [il sera un peu plus court mais j’y ai ajouté plein de bonus, je pense que ça devrait plaire], je suis encore un peu trop dedans. Dans ma tête, ce n’est pas terminé. Et comme je suis monotâche, je n’ai pas encore passé l’étape pour accéder à une autre piste.

 

Propos recueillis par Alexis Seny



Publié le 18/05/2017.


Source : Bd-best

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