C’est vrai, c’est fou, il y a quelques années, on n’aurait jamais pensé que, de ses savoyardes et enneigées hauteurs, le redoutable Félix Meynet avait des envies d’aride et de désert, de ces virilités testostéronés qui font les westerns qui soulèvent la poussière et soufflent l’aventure. Sans pour autant oublier une touche féminine sexy mais toujours tempétueuse. Cette aventure-là, sur les bons mots de Yann (qui, décidément, est de tous les bons coups), c’est Sauvage. Le deuxième tome vient de sortir chez Casterman et, même si la saison est aux skis, nous ne pouvions pas ne pas glisser quelques questions à l’attention du papa de Fanfoué. Interview (illustrée par les magnifiques bonus dont Félix n’est pas avare sur sa page Facebook).
© Félix Meynet
Bonjour Félix, on vous connaissait perché sur vos montagnes enneigées, ça doit vous changer de goûter au désert, non ? Aviez-vous envie de changer d’horizons ?
Exactement. Il y a toujours une envie de western chez un dessinateur de BD. C’est le mythe absolu qui autorise toutes les libertés. Et c’est un moyen de satisfaire l’enfant qui rêvait à la lecture de Blueberry tout en essayant d’en recopier laborieusement les cases. Ceci dit, lorsque je lisais « l’Homme au poing d’acier », j’avais l’impression tenace que mes montagnes étaient peuplées de guerriers Sioux ! C’était très jouissif à douze ans de vivre dans un décor de BD. Il y avait aussi Buddy Longway de Derib qui renforçait cette sensation. Derib m’a avoué qu’il n’avait jamais mis les pieds dans le Wyoming mais qu’il s’était inspiré des paysages de ses alpages, à deux pas des miens, derrière la frontière suisse. Voilà pourquoi je me sentais chez moi dans le western !
©Yann/Meynet chez Casterman
Comment êtes-vous arrivé dans cette aventure mexicaine ?
J’avais envie d’épopée en costumes. Aussi, j’ai proposé à Yann de réaliser une aventure épique sous le premier empire, en Espagne. Le décor, la guérilla, les hommes en uniformes fatigués, la violence, etc. Yann, fin renard, m’a proposé de changer de Napoléon en faisant un bond de 50 ans dans le XIXème siècle. Napoléon III avait envoyé un corps expéditionnaire au Mexique pour tenter de créer un empire catholique qui aurait contrebalancé la puissance montante des Etats-Unis alors en pleine guerre civile.
Pour vous, c’est aussi bien plus qu’un changement de paysage, c’est un changement d’époque et de genre. Vous avez réfléchi avant de vous lancer ?
Oui car il a fallu aussi changer de technique de dessin. La couleur directe impose une discipline stricte et des nerfs solides. Mais cette expédition sous les cieux fréquentés par d’illustres dessinateurs qui maîtrisent cette technique a été une vraie aventure épique ! Avec plein pièges remplis de serpents à sonnettes sournois et de vrais découragements tout au long de la réalisation de ces albums. Une véritable expédition aux limites de ce que je pouvais faire !
©Yann/Meynet chez Casterman
En remerciements de ce deuxième tome, vous parlez « d’une mission difficile », quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées ? Cela a-t-il ralenti votre progression ?
J’ai eu un souci à l’épaule qui m’a empêché de dessiner pendant 18 mois avec toutes les remises en question que ça implique. Le changement de technique ainsi que la station debout lors de l’élaboration des planches m’ont permis de retrouver un geste moins douloureux. Avec parfois des rechutes pénibles. Et puis, il y avait le challenge. Je m’étais mis en tête de proposer quelque chose de différent, plus exigeant. Tout cela additionné a retardé la sortie du T.2. Toutefois, je suis très heureux que les lecteurs aient patienté et soient au rendez-vous après 3 ans d’attente.
Comment se passe une collaboration avec Yann ? Est-il directif ou avez-vous votre mot à dire ?
Yann est un saint. Patient et dévoué jusqu’au sacrifice ! Il m’a soutenu à bout de bras durant ces longs mois d’hésitations et de remise en question. Son propos est toujours au service du dessinateur et il a à cœur de lui donner ce qu’il attend, voire même ce qu’il espère secrètement. Ce qui demande, avouez-le, une bonne dose de générosité et de pertinence !
Sur votre page Facebook, les « followers » auront remarqué votre documentation. Des photos mais aussi des objets. Vous avez besoin de toucher ces objets historiques, de les ressentir, pour les dessiner ? Ne laissez-vous rien au hasard dans la reconstitution ?
Le problème des objets du passé, c’est qu’ils sont difficiles à appréhender graphiquement si on n’a pas la documentation suffisante. De plus, ils engendrent des gestes adaptés qui ne font plus partie de notre quotidien. Il faut réinventer des postures, des attitudes de cette époque. Merci les tableaux et les photos d’antan ! Pour ce qui est des armes, hors de question de recopier dans Blueberry ! J’ai effectivement des pistolets (notamment un Lefaucheux d’ordonnance de l’armée française sous le Second Empire), des sabres, des éléments d’uniforme afin de pouvoir les observer sous tous les angles pour en comprendre les volumes et ainsi les dessiner plus aisément.
J’essaie d’être le plus juste possible mais il est vrai que le Second Empire ne bénéficie pas de l’engouement du Premier et il y a encore pas mal de choses sujettes à interprétation, même après dix visites au musée de l’armée. Après, si je m’aperçois d’une erreur en cours de route, je corrige, bien entendu. Et si un lecteur me fait une remarque sur un képi, un galon ou un calibre en dotation, je fais mon mea culpa et j’essaie de le convaincre d’avoir fait de mon mieux pour éviter les erreurs. À titre d’exemple, pour la première page, il s’agissait de montrer Notre Dame au temps de Napoléon III. En juillet 1863, plus précisément. Je ne parvenais pas à savoir si la flèche de la cathédrale avait été érigée par Viollet-Leduc à cette date. Je l’ai donc dessinée en me disant que je l’ôterai avec photoshop au cas où elle aurait été achevée plus tardivement. Avant de livrer les planches, j’ai finalement eu la confirmation qu’elle était bien présente à cette date. Ouf !
D’autant que c’est une fresque que vous nous offrez là, avec beaucoup de détails, non ?
Le diable est peut-être dans les détails en tout cas, je préfère crédibiliser mon récit avec tous ces éléments même si c’est un enfer. Puisque cela me permet de croire au récit que je dessine, j’ose penser que le lecteur y croira lui aussi.
En matière de western, quelles sont vos références, vos œuvres (cinéma, bd…) cultes ?
Le western a été la matrice de l’imaginaire des gamins de ma génération. La science-fiction et le fantastique sont arrivés plus tard, au milieu des années 70. Quand j’étais enfant, il y avait partout du western : à la télé, dans les pockets bon marché, dans les beaux livres illustrés. Même les petits soldats en plastique étaient des cowboys ou des indiens. Sans parler de la panoplie avec colt à amorces et étoile de shériff qui faisait rêver tous les mômes. Quand j’ai découvert « Il était une fois dans l’Ouest » au cours d’une projection dans mon collège de montagne, ce fut pour moi la révélation d’une dimension visuelle, musicale mais aussi mythologique du genre. On passait à autre chose de plus grand, de l’ampleur d’un opéra qui délivrerait des émotions incandescentes. Et puis Blueberry fournissait sur papier la continuité de cet opéra avec tout le baroque, la flamboyance et la sensualité nés du crayon de Giraud et de l’imagination de Charlier.
Ici, j’ai retrouvé une atmosphère très « Le bon, la brute et le truand », une inspiration ?
J’ai découvert plus tard les autres Leone qui m’intriguaient fortement. Je sentais bien qu’il y avait là une source d’inspiration et de grandes sensations à recevoir. Pour l’album, j’ai revu les classiques Major Dundee ou encore Vera Cruz.
Sauvage, c’est le nom du personnage, mais cela caractérise assez bien la violence de cet album et une cruauté qu’on ne vous connaissait peut-être pas. Vous vouliez expérimenter cette veine ?
C’est vrai que j’ai un dessin que l’on qualifie de « gentil » voire sympathique. J’aime les personnages enjoués et débonnaires comme Fanfoué (François en savoyard) que j’anime chaque semaine dans les journaux de ma région. Même les Éternels qui parfois avaient un propos dur, gardaient ce côté plaisant de par le dessin et les couleurs. Là, j’avais envie d’aller vers plus de réalisme. Ça passe donc par plus d’âpreté sans toutefois chercher à devenir antipathique !
©Yann/Meynet chez Casterman
« Il faut que les figurants jouent bien… » lisais-je sur Facebook, cela veut-il dire que vous mettez autant d’énergie et d’attention sur les personnages secondaires que sur les principaux ?
J’aime bien me dire qu’à la relecture, le lecteur puisse s’arrêter sur certaines scènes comme lorsque je pouvais moi-même le faire quand je m’attardais sur des vignettes d’Uderzo ou de Giraud. Si la vie frémit dans les recoins de l’image, c’est une bonne vibration pour le lecteur et pour l’histoire aussi.
Et parmi ces personnages, c’est un univers très masculin auquel vous donnez vie et traits. Marre des femmes ? (rire)
Je suis marié et père de trois filles. Donc un univers entièrement féminin au quotidien dans lequel j’ai l’impression d’apprendre en permanence. J’aime bien les trognes mal rasées, contrairement à mes filles qui râlent quand j’essaie de ressembler moi-même à un ours. Alors j’ai choisi de dessiner ces personnages virils pour pouvoir faire tous ces petits traits qui donnent du volume à un visage. C’est très agréable !
© Yann/Meynet
Dans Sauvage, les héroïnes se comptent sur les doigts de la main. Mais elles rivalisent de caractère et de charme. Comme la très sexy Agnès. Vous ne pouvez donc pas vous empêcher de faire tomber le lecteur amoureux le lecteur dès le premier coup, hein ?
Ce personnage, comme de nombreux personnages de Yann, a vraiment existé. Une aventurière yankee qui a épousé un prince européen, mi-espionne, mi-courtisane. Un personnage fort qui s’habillait en homme sans que ça ne choque grand monde à la frontière (cf Calamity Jane et consœurs) mais qui portait la crinoline comme pas deux à la cour de Maximilien. Après, le côté sexy lorgne plus du côté de Chihuahua Pearl que d’Uma des Eternels. Si le lecteur apprécie, je suis comblé.
D’où vous vient cette passion pour les femmes ? Vous y excellez, mais cela ne vous a-t-il jamais enfermé dans cet univers ?
On en a jamais fini avec son enfance et les filles étaient déjà un grand mystère pour le fils unique que j’étais au temps où les écoles n’étaient pas mixtes. Et en famille, comme je vous l’ai dit, je suis toujours certain d’être surpris au quotidien et j’en profite pour combler mes lacunes sur la gent féminine. En dessiner toute la journée puis les soumettre au verdict familial implacable m’aide à progresser. Sur tous les plans !
Un dessin du portfolio From Paris with love ©Meynet chez Bruno Graff
Puis, il y a les couleurs, directes, que vous signez seul. C’est nouveau ça non sur un 46 planches ? Ça vous a plu ?
Enormément ! Même si c’est un véritable stress de mettre en couleurs la planche sur laquelle on a déjà sué avec l’appréhension d’avoir à tout recommencer en cas d’erreur… car impossible de corriger sans faire des pâtés désastreux ! C’est un saut dans le vide et un challenge à chaque page. Ça forge le caractère ! Mais c’est très déprimant et épuisant quand ça foire. Et c’est arrivé, hélas ! Heureusement, quand l’album est terminé, ces sensations disparaissent et on a tendance à oublier ces angoisses. Jusqu’à ce qu’on recommence le suivant !
Le troisième tome sortira donc cette année ? Que nous réserve-t-il ?
Ce sera la conclusion de cette histoire de bague de l’Aiglon, le fils de Napoléon1er, mort jeune à la cour de Vienne. Et aussi la vengeance de Sauvage. Un petit air de Monte Christo, exactement ce que j’avais demandé à Yann. Nous sommes en train de discuter de la suite à envisager à ce triptyque.
À côté de cette trilogie, on vous voit signer beaucoup d’hommages et couvertures de réédition d’albums rares ou oubliés ? Comment expliquez-vous que votre trait soit aussi prisé ?
Aucune idée. On peut maîtriser toutes les techniques du monde, il y a dans le dessin une part qui échappe totalement au dessinateur mais que le lecteur reçoit et qui le séduit ou non. Le désir du lecteur dépend donc de quelque chose qu’on ne maîtrise absolument pas mais qui est propre à la sensibilité de chaque auteur. C’est très frustrant car on ne peut en aucun cas susciter ce désir volontairement, même en multipliant les effets et les prouesses graphiques. Impossible de séduire avec ces artifices. C’est beaucoup plus profond. Donc, je me contente d’essayer de maîtriser le côté technique en espérant que ce que je ne contrôle pas continue à plaire au lecteur.
À l’heure où beaucoup de séries sont relancées et trouvent repreneurs, un exercice du genre vous plairait ? Avec quels héros ?
Je trouve l’exercice brillant quand l’auteur est un vrai aficionado de la série qu’il reprend. Il essaie d’y injecter tout l’amour et toutes les émotions qu’il a éprouvées en tant que lecteur. Voire même, si cette série a été fondatrice de son désir de dessiner, là, je suppose qu’il doit être dans une transe qui le porte à vouloir remercier, honorer cette série pour toutes ces émotions reçues. Ça devient un sacerdoce, une mission exaltante. Je l’espère de tout coeur. Si ça devient étouffant, pesant, ça peut faire très mal ! En ce qui me concerne, ce que je dois à la bande dessinée m’amène en permanence à essayer de créer en puisant dans mes émotions de lecteur. Pas de reprise en vue, donc. Je crains que cela ne m’écrase et me bloque dans ma créativité.
Jamais lassé de Fanfoué ? Vous trouvez toujours des gags pour ce vieillard hilarant toujours bien accompagné ?
C’est un exercice que j’apprécie d’autant plus qu’il est immédiat. Le mardi, je dessine le strip qui sera publié le jeudi dans les journaux. L’après-midi même, j’ai des retours des gens alentours qui me font part de leur impression et me parlent de Fanfoué comme d’un personnage réel. Ils se fichent bien de savoir si je fais des albums, ce qui compte, c’est ce personnage qu’ils se sont appropriés et qui fait partie du paysage de ma région. C’est une vraie fierté d’avoir touché ces gens qui ne lisent pas de BD mais sont tout contents d’avoir un personnage local !
©Meynet
On vous voit aussi beaucoup vous charrier avec Enrico Marini. Un complice ? Un pote ? Pourriez-vous collaborer un jour ensemble ?
On en parle parfois. Ça serait super ! Il est très brillant et c’est vrai que j’ai appris beaucoup avec lui. Il a une perception à la fois élégante et hyper efficace de la narration et de la mise en scène. Moi qui ai démarré la bd à la trentaine passée, j’étais fasciné par la maîtrise de ce jeune qui, à 25 ans était capable de faire un western de la trempe de l’Etoile du Désert en bousculant tous les codes du genre. A la fois iconoclaste, surprenant, riche et posant les bases d’un style flamboyant toujours à l’œuvre, vingt ans après. C’est le Scorpion de la BD : virevoltant, drôle, piquant et plein d’une énergie généreuse. La grâce et le talent, quoi !
Les Aigles de rome très féminins ©Meynet
Quels sont vos prochains projets ? On vous a vu à Little Big Horn, de la suite dans les idées et les westerns ?
J’étais allé en repérages dans le Wyoming, le Montana et aussi les réserves indiennes alentours. J’avais envie de relater des faits qui se sont produits dans ces collines : un détachement US avait été anéanti par les Sioux et les Cheyennes, dix ans avant Little Big Horn en plein hiver. J’ai storyboardé les deux albums. Il me faut juste le temps de les dessiner à présent. Le titre : Absaraka. Let’s see !
Propos recueillis par alexis Seny
©BD-Best v3.5 / 2024 |