Entretien avec Marianne Duvivier
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Entretien avec Marianne Duvivier

« Quand je dessine une histoire, je prends le lecteur par la main... »

 

Etonnant concept que celui de la série « Secrets » scénarisée par Frank Giroud. Les secrets de famille, qui souvent trouvent écho chez le lecteur. C'est avec « l'Echarde », dessinée par Marianne Divivier dont le premier tome est paru en 2004 que la série a été créée. Le tome 2 de « la Corde » met fin à un second dyptique, toujours dessiné par Marianne Duvivier. Suite de « l' Echarde », il complète ainsi, à l'arrivée, un cycle de 4 albums. L'humanité et la sensibilité sont deux des dénominateurs communs de « Secrets », que l'on retrouve, et de quelle manière, chez leur dessinatrice principale , Marianne Duvivier, qui nous a accordé cet entretien. Un très beau moment...

 

Avec ce tome 2 de « la Corde », vous clôturez non seulement un dyptique, mais un cycle de 4 albums entamé avec « l'Echarde » qui aborde des sujets délicats... Aujourd'hui vous vous sentez comment ? Soulagée ?

Ce n'est pas vraiment un soulagement personnel, non. Je me sens heureuse, heureuse d'avoir contribué pendant près de 10 ans à rendre, justement, ces sujets moins tabous. Heureuse aussi d'avoir pu aborder ces secrets de famille et leurs conséquences, et d'avoir rencontré, en promo ou en dédicaces, des gens que ça avait vraiment touché. Des lecteurs qui parfois ont évoqué devant Frank Giroud et moi leurs propres histoires, et les secrets qui s'y trouvaient enfouis. J'ai pu constater que cette série générait avec les lecteurs des contacts beaucoup plus riches, de mon point de vue, que des BD plus traditionnelles. Et ça c'est un privilège ! Cela dit, ce cycle se termine mais mon prochain album répondra à nouveau au concept de «Secrets » qui a pris forme lors d'une rencontre avec Franck au cimetière du Père-Lachaise. Au milieu de ces tombes, de ces caveaux, de ces monuments funéraires, évoquer des histoires de gens, de familles et leurs secrets est devenu évident. Nous voulions tous deux revenir à une BD plus sensible, plus proche de l'humain. Mais la série a différentes facettes et peut être très variée en fonction des dessinateurs. « Le serpent sous la glace » est un polar, mais le côté humain, relationnel, s'y trouve toujours mis en avant. Les albums que j'ai réalisés sont peut-être plus intimistes... Mais il y a aussi toujours une part de rêverie, même si les histoires sont dures. Celui qui ouvre une BD est mis en contact avec l'imaginaire d'autres personnes, mais « Secrets » touche beaucoup de gens. Nous avons reçu une lettre extrêmement émouvante après la parution de « Pâques avant les rameaux ». Certains éléments de l'histoire avaient véritablement interpellé un monsieur...et il concluait sa lettre en nous annonçant la naissance d'une fille, sa fille de...23 ans dont il venait de faire connaissance ! Le fait qu'un de nos albums ait pu faitre bouger la vie de quelqu'un, c'est vraiment extraordinaire, surtout que nous aussi on a vécu des secrets...

 

En commençant « l'Echarde », vous saviez qu'un second dyptique complèterait l'histoire ?

Pas du tout. Pour moi, en terminant ces deux albums (aujourd'hui réunis en intégrale – ndlr), le chapitre était clos. Mais on s'était passionnés pour ce projet et c'était difficile de se séparer des personnages. On en a parlé avec Frank et on a décidé de se ménager un temps de réflexion pendant lequel on a travaillé sur « pâques avant les rameaux » avec Virginie Greiner... Et c'est comme ça qu'est née l'idée de « la Corde ».

 

 


 

Votre dessin a évolué énormément. S'il était, disons, nettement plus académique dans vos premiers albums, avec « Secrets » il tend vers une forme plus expressioniste, si on peut établir une comparaison avec la peinture...

Oui, et c'est voulu, bien que j'espère que ce ne soit qu'une étape de son évolution. Vu les thèmes développés dans la série, je voulais m'approcher de quelque chose de plus humain, mettre en avant la sensibilité des regards entre les personnages, être plus juste par rapport à cela. Et puis, au quotidien, on ne croise pas que des top modèles, ce qui ne veut pas dire que les personnes que l'on croise ne puissent pas avoir de charme. Je voulais donc aller vers un dessin moins archétypal, plus proche de la vie. Alechinsky, peintre que j'aime beaucoup, disait que grandir dans son métier, c'était redevenir comme un enfant, lâcher l'académisme, les acquis que l'on a eu. A un moment, en fonction de ce que l'on a envie de faire, les techniques peuvent devenir encombrantes, et j'essaye justement d'évoluer de manière plus souple.

 

Mais est-ce que, par rapport aux décors, par exemple, cette recherche de dessin plus « laché » ne devient pas elle-même une contrainte ?

Si, mais ce sont les contraintes qui font évoluer. Si on installe une personne face à un chevalet et qu'on lui dit « peins ! », sans autre indication, elle sera perdue. Par contre, si on lui donne un sujet, une technique, un format, elle évoluera et, quelque part, se dépassera. Ici, ce que je recherche c'est un dessin plus libre, plus vivant, c'est pour cela aussi que j'ai choisi de privilégier le crayon plutôt qu'un encrage classique.

Quant aux décors, comme le récit est basé sur le relationnel, l'intime, un décor ultra-détaillé à la Jacques Martin, bien que j'apprécie beaucoup son dessin, aurait été aussi écrasant que superflu.

Mais j'ai envie d'évoluer, d'avancer, de peindre, d'aborder plein de choses... On a 100 milliards de chemins devant soi, et j'ai quand même envie d'en explorer quelques-uns !


Il y a des scènes très dures dans « la Corde », les camps de concentration, puis ces femmes tondues pour leur relation avec l'ennemi, ces « enfants de boches »... Comment avez-vous abordé ça ?

Ca n'a pas été facile du tout. Et je suis d'autant plus heureuse si j'ai pu, par ce tout, tout ,tout petit élément contribuer au souvenir de ces événements. Ca a surtout été très dur avant, quand je me suis documentée, que j'ai lu, regardé des dvds sur le sujet...c'était une plongée dans l'horreur! Pour le dessin, il fallait trouver un juste milieu, un équilibre... Quand je dessine une histoire, je prends le lecteur par la main, et je ne voulais donc pas l'effrayer. J'ai donc choisi de suggérer cette horreur plutôt que de la montrer, mais c'est difficile. Et puis, si on veut faire ce métier honnètement, on doit « être » dans l'histoire. J'étais heureuse d'arriver aux dernières planches traitant des camps, ça devenait lourd à porter moralement, et ça me minait même physiquement. Je vous avoue avoir perdu plusieurs kilos pendant la réalisation de ce tome 2.

 

 


 

Plusieurs albums de qualité traitant de cette période avec des approches très différentes sont sortis en 2011, je pense notamment au « Wotan » d'Eric Liberge... Qu'est-ce que ça vous inspire ?

Je ne pense pas que ce soit un hasard. A plusieurs égards, la période que l'on traverse correspond aux années 30', et c'est une période dangereuse. Les gens sont aux abois, économiquement, financièrement... Les gens ont peur. Quand on écoute les infos à la radio, on n'entend que des choses négatives, rien de franchement positif. On n'a pas calculé la sortie de « l'Echarde » ou de « la Corde » par rapport à l'actualité, mais ce serait l'occasion de creuser cet aspect...

 

Les personnages principaux de « la Corde » sont des femmes, avec leurs sentiments, leur complicité. Est-ce qu'un homme aurait pu, selon vous, dessiner cette histoire et exprimer tout ce qu'elle renferme ?

Oui, franchement je le pense. Quelqu'un comme Jean-Claude Servais, avec sa sensibilité, aurait pu le faire. Je ne crois pas que ce soit vraiment lié à la féminité. Enfin, je ne sais pas, je n'ai jamais été dans la peau d'un homme, mais j'aimerais bien,une fois, pour voir... Mais on a chacun une part masculine et une part féminine. Frank est un homme, il a écrit l'histoire, les dialogues, sa part féminine est certainement intervenue. Mais il y a tellement peu de dessinatrices que c'est un peu un faux débat, sans assez de points de comparaison... Mais un homme peut être aussi délicat, regardez les femmes que François Bourgeon décrit dans « les Passagers du Vent » et comment il le fait, regardez celles que met en scène André Juillard...

 

Pour en revenir à l'aspect graphique, on remarque un soin particulier apporté aux couleurs...

Bertrand Denoulet est un coloriste hors-pair, et pour Frank et moi, il n'est pas « qu'un coloriste ». Ce bouquin, on l'a vraiment créé à 3. C'est un trio intimement lié, et Bertrand fait partie de l'équipe. Il est attentif au scénario, apporte les ambiances par l'évolution de ses couleurs... Voyez la différence entre les scènes se déroulant à Auschwitz ou tout est lourd, pesant, et les couleurs et la lumière de la fin de l'album. Bertrand attache vraiment son travail au récit, il suit l'histoire. Il suit également mon dessin, puisque le crayonné exigeait des couleurs plus douces, plus pastel, pour que la couleur ne mange pas le trait.

 

Et puis, au coeur de l'histoire, il y a une histoire d'amour...

Mais bien sûr, et même dans un contexte aussi désespérant, il y a eu des histoires d'amour ! J'ai rencontré quelqu'un qui a vécu ça, ça a existé ! Ert puis il y a des liens, ben oui, d'amour, entre les soeurs, avec leur mère. Et c'est tout cela qui fait écho chez le lecteur. La part d'humanité, de sensibilité, de fragilité intérieure...On met tout sur la table !

 

Peut-être est-ce là le secret de la série Secrets...

 

Propos recueillis par Pierre Burssens

Images et photos  © dupuis 2011

 



Publié le 07/12/2011.


Source : Graphivore

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