Entre Jorn Riel et Hunther S. Thompson, Hervé Tanquerelle fait son Groenland Vertigo
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Entre Jorn Riel et Hunther S. Thompson, Hervé Tanquerelle fait son Groenland Vertigo

Et si on allait prendre l’air ? Celui pur et vivifiant d’un Groenland fantasmé. Il y a cinq ans, dans un mois d’août qui ne voit pas la nuit, Hervé Tanquerelle embarquait pour une expédition artistico-scientifique au coeur du Parc National du Groenland. Il a fallu du temps pour que l’auteur trouve comment raconter le mieux cette histoire. Dans un style hérité de Hergé (mais pas trop) et dans de magnifiques paysages, c’est un voyage qui vaut la peine d’être lu/vécu, entre fiction et réalité, entre Jorn Riel et Hunther S. Thompson. Nous avons rencontré ce Breton « heureux qui, comme Ulysse ». Interview et carnet de voyage en fin d’article.


 

 

© Hervé Tanquerelle

 

 

© Hervé Tanquerelle

 

Bonjour Hervé, Groenland Vertigo, c’est avant tout l’histoire d’un voyage fait il y a pas mal de temps ? Pourquoi avoir mis cinq ans ?

C’est vrai que ça a pris un peu de temps. Pour plein de raisons, notez. Et plein d’autres choses en parallèle. Pourtant, cette expédition, j’y ai pris part avec une véritable envie d’en faire un bouquin. Pourtant, à la fin de ce voyage, j’ai dû me rendre à l’évidence, je n’avais pas assez de matière que pour être pertinent et réaliste. La raison est simple: le langage. Sur ce bateau où certains parlaient allemand et d’autres norvégien, nous n’avons pas su assez communiqué.

Vu cette absence de conversation de fond, j’ai dû mettre ce projet d’album entre parenthèse, le temps de trouver la manière qui me permettrait de parler de cette expérience. Elle est venue quand Brüno et Gwen de Bonneval m’ont relancé en amenant l’idée de… fiction !

 

 

© Hervé Tanquerelle

 

 

© Hervé Tanquerelle

Et petit à petit, j’ai glissé vers les Racontars, ces récits mêlant fiction et réalité, tels que Jorn Riel en avait écrit et que nous avions adapté, Gwen et moi, il y a quelques années. Un racontar, selon Jorn Riel, c’est une histoire vraie qui pourrait passer pour un mensonge à moins que ce ne soit l’inverse. Tout est dit.

Mais qu’est-ce qui est vrai, alors ?

Il ne faut pas que je le dise (rires). On comprend très vite ce qui est plausible. Mais, en même temps, Jorn Riel dit aussi que, dans ces Racontars, il n’a pas écrit certaines anecdotes véridiques parce que les lecteurs ne les auraient pas crues une seule seconde. Alors que…

Alors que la bande dessinée s’est mise à l’heure du reportage et du documentaire, vous aussi avec La communauté, vous revendiquez ici le droit au mensonge.

Oui, c’est raccord avec le propos de Jorn Riel, puis ça faisait sens dès lors que je ne savais pas tirer de ce voyage un documentaire. Mais je suis aussi un grand admirateur de Hunter S. Thompson, de sa manière de déformer la réalité, de faire de l’autofiction tout en écrivant de manière journalistique. À un moment, j’ai d’ailleurs pensé appeler cet album Groenland Parano. Mais finalement, ce que je racontais était assez éloigné des péripéties du gonzo journaliste. Ce n’était pas si rock’n’roll que ça et il n’y avait pas de drogue… si ce n’est le whisky.

 

 

© Hervé Tanquerelle/ Isabelle Merlet chez Casterman

 

 

© Hervé Tanquerelle/ Isabelle Merlet chez Casterman


Du coup, je me suis rabattu sur « Vertigo », un mot utilisé par Jorn Riel pour caractériser la folie des trappeurs pris dans la solitude.

Niveau dessin, on est d’ailleurs loin du carnet de voyage ou du reportage, vous vous raccrochez plus que jamais à Hergé !

Oui, et si l’idée de la fiction est arrivée tardivement, celle de mettre ce voyage à la sauce Ligne Claire est arrivée très rapidement. Scénaristiquement et graphiquement, j’entends. Bon, je savais le faire, je m’en étais rapproché dans La communauté ou Faux visages. Mon vocabulaire d’auteur de BD y est lié et je n’en étais pas si loin que ça. Mais, c’est vrai qu’ici, j’ai fait un pas en plus, j’ai poussé les curseurs à fond. Pour les personnages, en tout cas ! Car les paysages devaient garder leur aspect réaliste, avec du lavis et l’encre de Chine…

Mais, au niveau des personnages qui faisaient partie des participants à cette aventure, il y avait aussi cette ressemblance avec des personnages d’Hergé. Jorn Freuchen pas si loin d’Haddock, un Carreidas, des Dupondt, un Tournesol. Je voulais leur insuffler une certaine patine, avec l’ombre d’Hergé qui planerait. Un certain hommage à l’Étoile Mystérieuse, mais pas seulement. Cela dit, il n’était pas question de verser dans le plagiat ou le pastiche qui auraient empêché, étranglé ma narration personnelle.

 

 

© Hervé Tanquerelle/ Isabelle Merlet chez Casterman

 

 

© Hervé Tanquerelle/ Isabelle Merlet chez Casterman

 

Il y a aussi votre héros qui porte un triple-prénom, George-Benoît-Jean. Ce qui fait penser à George-Rémi, non ?

Je m’en suis rendu compte plus tard. Mais il s’agit en fait de mes trois vrais prénoms, ceux qui suivent Hervé. Ça sonnait bien, donc je les ai gardés. Ce personnage, c’est mon avatar, j’y ai mis beaucoup de moi, forcément. Sans doute, est-il un peu plus maladroit et angoissé.

Qu’est-ce qui vous a marqué en arrivant au Groenland ?

Tout m’a marqué. Mais, quand j’y repense, j’ai eu une certaine difficulté à comprendre les distances. Était-ce loin ? Était-ce proche ? On m’a expliqué que c’était lié à la pureté de l’air. Parfois, quelque chose était très visible et pourtant très éloigné, à des kms et des kms.

 

 

© Hervé Tanquerelle

 

 

© Hervé Tanquerelle
Extrait du carnet de voyage © Hervé Tanquerelle

 

Puis, le Groenland, c’est un fameux décalage. Nous étions en août, et sous ce soleil qui brillait 24/24h, omniprésent, j’étais paumé. D’autant plus que le paysage semblait immuable.

Vous parliez de cette frustration à ne pas avoir su parler plus, mais au final, cette incompréhension est une des forces motrices de cet album, non ?

Peut-être suis-je passé à côté de quelque chose mais j’ai réussi à m’en amuser. D’un défaut, j’ai réussi à tirer quelque chose. Comme quoi, la difficulté d’un Français à parler une autre langue peut servir.

Bon, je n’ai pas chipoté pour représenter chaque langue partout, tout le temps. Ça aurait été trop casse-tête et illisible. Du coup, la majorité de l’album est en Français. Par contre, certains passages bien choisis sont en danois ou en allemand. Pour comprendre mon malaise pris entre ces langues que je ne maîtrisais pas. Et pour couronner le tout, j’ai repris une fausse-typo Tintin que Casterman m’a laissé utiliser.

 

 

© Hervé Tanquerelle/ Isabelle Merlet chez Casterman

 

 

© Hervé Tanquerelle/ Isabelle Merlet chez Casterman

 

Il y a cette mer. En tant que Breton, vous avez eu facile à l’apprivoiser pour la dessiner ?

Oui, Breton, et ma maman est Vendéenne, donc je suis bien ancré dans la culture maritime. Mais, c’était quasiment la première fois que je mettais les pieds sur un bateau ! Cela dit, je li beaucoup là-dessus. Mon dernier coup de coeur ? Le grand marin de Catherine Poulain.


Les couleurs sont très réussies, en tout cas.

Elles sont d’Isabelle Merlet avec qui j’ai déjà pas mal travaillé. Elle est douée et talentueuse. J’espérais qu’elle bosserait de cette manière. Elle s’est basée sur des photos faites sur place, auxquelles j’ajoutais parfois des indications météo. J’avais une idée précise de ce que je voulais. Il était important de retrouver le moment précis.

 

 

© Hervé Tanquerelle/ Isabelle Merlet chez Casterman

 

 

© Hervé Tanquerelle/ Isabelle Merlet chez Casterman

 

Pendant longtemps, cet album devait faire 96 pages. Au final, il en fait 98.

Oui, j’ai rajouté deux pages. « Je trouvais que j’allais trop vite alors je me suis ajouté 2 pages de plus« , explique-je sur mon blog. Mais j’ai rajouté une scène, un grand moment de bravoure, dans laquelle George-Benoît-Jean et Jorn Freuchen chasse le lagopède à coup de jets de pierre. Une anecdote drôle, surprenante qui expliquait certaines choses, y compris sur la relation de ces deux personnages.

 

 

© Hervé Tanquerelle/ Isabelle Merlet chez Casterman

 

 

© Hervé Tanquerelle/ Isabelle Merlet chez Casterman

 

L’un des moments les plus « Haddock-esque » de l’album. Mais aussi une certaine idée du western.

C’est marrant que vous disiez ça parce que j’ai un temps imaginé que cette histoire pourrait être un récit d’anticipation. Le Groenland serait devenu une sorte de nouveau far-west connaissant une guerre de l’or noir. Je ne dis pas que je n’y reviendrai pas dans un prochain album. Surtout que pendant mon voyage retour, j’ai croisé un Français travaillant pour une grosse compagnie pétrolière qui venait de passer quinze jours à prospecter les côtes du Groenland en compagnie de gens du même monde… Ça fait un peu froid dans le dos.

 

 

© Hervé Tanquerelle

 

 

© Hervé Tanquerelle

 

Vous avez rencontré des Inuits ?

Oui, j’ai rejoint le village le plus à l’est du pays. J’étais seul, en immersion. Mais là encore, cela n’a pas été simple de rentrer en contact avec eux. C’est seulement après que quelqu’un m’a dit qu’il ne fallait pas hésiter à rentrer chez eux, qu’ils n’attendaient que ça. Mais ce n’est pas vraiment dans nos mentalités. J’adorerais approfondir cette expérience.

Malheureusement, leur situation est délicate depuis longtemps. Sous perfusion danoise, ils sont autonomes mais pas indépendant. Puis, comme tout le monde, ils ont besoin d’argent et leur revenu principal vient de la pèche, de plus en plus difficile à exercer.

À cela s’ajoute aussi une culture ancestrale qui se transmet de moins en moins. Ils sont pieds et poings liés aux lobbies du pétrole et du charbon pour qui le Groenland fait figure de mine d’or… Après, je ne suis pas un expert, mais c’est ce que j’en ai compris. Le sort des Inuits est comparable aux Indiens d’Amérique.

Revenons à des choses plus réjouissantes pour conclure. Groenland Vertigo aura droit à un tirage de luxe. Une première pour vous.

Ah oui, quand l’éditeur me l’a demandé, j’ai trouvé ça super chouette. Cela prouvait qu’il y avait de l’intérêt pour mon livre. Mais, sans ça, j’étais déjà sur un petit nuage, de par l’enthousiasme des premiers lecteurs.


Propos recueuillis par Alexis Seny

 

Titre : Groenland Vertigo

Récit complet

Scénario et dessin : Hervé Tanquerelle

Couleurs : Isabelle Merlet

Genre : Autofiction, Voyage

Éditeur : Casterman

Nbre de pages : 104

Prix : 19€



Publié le 24/01/2017.


Source : Bd-best

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