À petits pas de petits rats de l’opéra ou dans les mouvements amples de danses plus urbaines, Jérôme Hamon et Léna Sayaphoum écrivent et dessinent l’histoire d’Emma et Capucine, deux danseuses que tout pourrait peu à peu séparer si elles n’étaient pas soeurs. Dans cette série jeunesse mais pas que, les deux héroïnes, pas toujours bien dans leurs chaussons et leurs baskets, doivent parfois s’affranchir des rêves de leur mère, lâcher du lest, faire face aux déconvenues, travailler toujours plus, tester les limites de leurs envies… C’est beau et souriant, le deuxième tome vient de paraître, nous en discutons avec les deux auteurs.
Bonjour Léna, bonjour Jérôme, avec Emma et Capucine, vous nous emmenez dans l’univers de la danse. Bien plus loin que l’aspect sportif, cette série regroupe des thématiques comme les choix, les rêves d’enfants et les projets de vie d’adolescents mais aussi la pression que peuvent mettre les parents…
Léna, d’où nous venez-vous ? Quand vous avez choisi un métier artistique, vos proches vous ont-ils suivie ?
Léna : Tout le monde dessine un peu dans ma famille. Et mes parents ont très vite compris que je n’étais pas fait pour les études. Ils étaient inquiets que je choisisse le dessin mais ils m’ont encouragé quand il le fallait. J’ai aussi reçu l’aide de Reno Lemaire, l’auteur du manga français Dreamland, il m’a donné des cours, des astuces. J’ai dû m’en souvenir en arrivant dans l’univers d’Emma et Capucine. Loin de mon travail dans le cinéma, ici, je devais travailler sur tout et toute seule. C’est peu dire que j’étais incertaine sur chaque étape. Sur le tome 2, ce fut beaucoup plus libre.
Recherches © Léna Sayaphoum
Vous, Jérôme, je crois que vous avez connu un revirement total dans votre vie, vous qui étiez… analyste financier avant d’écrire des BD.
Jérôme Hamon : C’est vrai, à un moment de ma vie, j’en suis arrivé au constat que je ne me projetaispas dans ma vie professionnelle. J’avais l’impression de mener la vie de quelqu’un d’autre. Bien sûr, mes études je les avais bien réussies mais elles ne m’avaient pas amené vers le job de mes rêves. Est venue la fatidique question : que vais-je faire de ma vie, maintenant ? Dans ce questionnement, c’est l’envie de raconter des histoires qui m’a le plus parlé.
Vous arrivez tel Billy Elliot dans la BD !
Jérôme : J’ai très vite eu envie de collaborer avec elle autour d’une thématique commune. Et il se trouve que j’étais fasciné par la préparation de ma fille aînée avant de partir à son cours de danse. Je la voyais s’installer, en tutu, devant le miroir et se regarder… se projeter ! La part de rêve est impressionnante chez cette gamine qui se mettait à rêver à quelque chose si loin de sa réalité, à être danseuse étoile.
© Hamon/Sayaphoum chez Dargaud
Il faut dire que quand j’ai quitté New York, j’étais un peu dans la même situation qu’Emma et Capucine. Je pense que les parents ont le rôle d’accompagner leurs enfants, d’amener leur rêve à être plus réaliste. Que ce soit dans la danse ou d’autres domaines, à appréhender la vraie vie, celle derrière les paillettes qui peuvent séduire, pour éviter toute désillusion. Cet album, c’est une manière de prendre conscience et de faire prendre conscience.
© Hamon/Sayaphoum chez Dargaud
Moi, je n’ai pas vraiment eu d’aide dans mes choix. Je n’ai pas eu de retour, je me suis retrouvé livré à moi-même, sans avoir pu considérer le fait qu’un jour je devrais choisir un métier. J’ai été laissé extrêmement libre, en fait. J’ai étudié mes cours sans en voir la finalité. J’étais attiré par le domaine scientifique, j’aimais comparer les sociétés, les cours de la bourse. C’était très intéressant jusqu’à ce que ça devienne… ma vie. Ce n’était plus un jeu, on ne fait pas de l’analyse financière comme on résout un sudoku.
Jérôme, l’analyste se cache-t-il encore parfois dans l’ombre du scénariste ?
Certainement, dans les points positifs, je pense que cela influence ma manière d’être très structuré, cartésien, rationnel. Mais, d’un autre côté, je dois parfois mettre cette casquette de côté, me laisser porter par les choix dont je suis maître. Il ne faut pas tout analyser. S’il faut des lignes narratives, il faut aussi ressentir les choix des personnages; voir, au-delà des coups sur le jeu d’échec, toutes les pièces qui peuvent encore bouger.
© Hamon/Sayaphoum chez Dargaud
Léna, pour vous, c’est donc votre première série, vos premiers albums.
Léna : Oui et, pour tout dire, quand Jérôme est arrivé avec son projet, j’ai eu un peu peur et j’ai… refusé. Il m’a tanné, j’ai fini par accepter.
Jérôme : Je n’avais pas vraiment en tête d’en faire une série. Ce devait être un one-shot concentré sur un personnage qu’on a ensuite différencié en deux soeurs.
© Hamon/Sayaphoum chez Dargaud
Léna : Cela nous a permis d’avoir deux personnalités différentes, indissociables – j’aime les deux – mais aussi de nous intéresser à la diversité de danses. J’en ai fait pendant six ou sept ans, du jazz, du contemporain, de l’urban jazz, du ragga mais aussi du classique.
Il vous a du coup été plus facile de mettre ces deux danseuses en scène ?
Léna : Il m’a fallu me replonger dans ce monde. Refaire quelques mouvements, aussi, parfois. Le papier, ça ne bouge pas !
© Hamon/Sayaphoum chez Dargaud
Et cette rencontre avec Léna ?
Jérôme : On s’est rencontré, on s’est entraidé, on a échangé, on s’est surtout poussé l’un et l’autre. Les retours de Léna m’ont ainsi permis d’ajouter plein de choses. Léna, c’est l’oeil du metteur en scène. Au moment où j’étais en quête de collaboration, j’ai vu ses dessins sur Instagram. C’était très personnel, sa gestion de la lumière m’a séduit.
© Hamon/Sayaphoum
Puis, c’est animé ?
Jérôme : Oui, très cinématographique, et ça, c’est aussi ma culture.
Léna : C’est dans ce monde-là que j’ai commencé, dans la modélisation 3D. Je m’occupais de la modélisation des corps, des personnages avant de passer mon travail à d’autres. Je devais attendre la fin de la création pour vraiment voir le résultat du film sur lequel nous avions bossé.
Mais je préférais le dessin qui, à vrai dire, ne m’a jamais lâché. Mais ce passage à la 3D l’a amélioré. J’ai complètement changé ma manière d’éclairer les scènes, par exemple, dans la texture, la manière dont la peau réagit à la luminosité.
© Hamon/Sayaphoum chez Dargaud
Et les regards !
Léna : Les expressions, ce fut aussi du boulot. Parce que finalement, tout leur travail, les sacrifices et les heures d’entraînement, devait passer dans le regard des deux héroïnes, dans les différents sentiments qui vont les accompagner.
© Hamon/Sayaphoum chez Dargaud
Puis il y a les ombres auxquelles vous semblez accorder beaucoup d’importance ?
Léna : L’ombre et la lumière sont les deux faces d’une seule et même chose. L’un met en valeur l’autre, et vice-versa.
Par contre, j’ai beaucoup plus de mal avec les décors. Comme l’Opéra. Nous avons d’ailleurs voulu nous y rendre… Pas de chance, c’était fermé !
© Hamon/Sayaphoum
Cela dit, le cinéma s’est intéressé à la danse, des films vous ont-ils inspirés ?
Jérôme : Je pense inévitablement à Black Swan et Billy Elliot. Puis, il y a le magnifique documentaire sur Benjamin Millepied, La relève : histoire d’une création, et qui s’intéresse au processus de création du ballet “Clear, Loud, Bright, Forward”.
Si on quitte le grand écran, il y a aussi cette série documentaire, Graines d’étoiles, qui suivait une année scolaire à l’école de l’Opéra de Paris. Des professeurs aux élèves, en montrant toute la vie mais aussi la réalité et l’envers du décor, des paillettes.
J’ai l’impression que c’est un monde dans lequel on peut être les meilleurs amis tout en étant ennemis. La concurrence est rude, non ?
Jérôme : La danse, c’est un monde magnifique, j’y ai vu tellement d’enfants heureux. Mais, la concurrence est bel et bien présente et il y a peu d’élus. Je pense que malgré la fraternité qui peut régner, ce constat reste présent dans l’esprit des enfants, quand ils se regardent, qu’ils se comparent. C’est difficile à gérer, sans doute. Rien n’est tout noir ou tout blanc, on peut être amis, certainement, mais il y aura toujours cette dose de chacun pour soi.
© Hamon/Sayaphoum chez Dargaud
Pour revenir à ce que je disais tout à l’heure, je pense qu’il est important que les parents laissent rêver leurs enfants. Et si, à un moment, ce rêve devient plus concret, les parents doivent être là en garde-fou, préserver leurs enfants tout en montrant leur soutien. C’est si dur de réaliser un rêve ! Il faut un équilibre, ne pas y aller à coups de clichés mais apporter de la nuance, de l’enthousiasme. Et que ce soit les personnages qui l’amènent : je m’efforce de ne pas prendre position dans la BD tout en veillant à ce que si un personnage dit quelque chose, un autre puisse lui opposer un avis différent.
© Hamon/Sayaphoum chez Dargaud
Des avis, il y en a pas mal. Votre travail très suivi sur les réseaux sociaux, non ? Tant sur la page d’Emma et Capucine que sur votre page personnelle, Léna.
Léna : C’est vrai. Au départ, j’ai commencé à partager mon travail pour trouver du boulot. Aujourd’hui, ça me permet de tenir au courant ceux qui me suivent, de montrer des bonus.
© Sayaphoum
Sur combien de tomes est prévue cette série ?
Jérôme : Six, sept, huit… le temps qu’il faudra pour faire évoluer les personnages. C’est agréable d’avoir ce luxe, ce confort, de pouvoir compter sur plusieurs tomes pour raconter une histoire. Comme Nils qui sera une trilogie.
Merci à tous les deux ! En attendant le troisième album, on ne peut donc qu’encourager le lecteur à vous suivre sur la page Facebook dédiée à Emma et Capucine.
Propos receuillis par Alexis Seny
Série : Emma et Capucine
Tome : 2 – Premiers doutes
Scénario : Jérôme Hamon
Dessin et couleurs : Léna Sayaphoum (Page Facebook)
Genre : Jeunesse, Sport, Initiatique
Éditeur : Dargaud
Nbre de pages : 56
Prix : 9,99€
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