Après que le charleston, ramené de Montréal par Marie, ait déferlé sur Notre-Dame-des-Lacs, les hommes ont finalement repris le chemin de la forêt pour y travailler tout au long de la saison froide. Le calme peut enfin revenir sur le village. Mais rien ne dit que ce soit pour très longtemps… Car Marie, après avoir partagé sa couche avec Ernest et son frère Mathurin, se découvre enceinte, sans trop savoir qui est le père – elle qui s’était toujours pensée stérile ! Pendant ce temps, Réjean, le jeune curé du village, s’est réfugié chez Noël, toujours affairé à la construction de son bateau : il se montre si perturbé par ses interrogations intimes et existentielles qu’il n’est plus en mesure d’assurer son service religieux.
Initialement prévue en 4 tomes, la formidable chronique villageoise de Régis Loisel et Jean-Louis Tripp double aujourd'hui ce cap au large de Notre-Dame-des-Lacs. Pas de violence, pas d'intrigue compliquée tirée par les cheveux, mais les petites choses de la vie et une véritable tendresse pour leurs personnages ont permis aux auteurs de réaliser un sans-faute tout au long de cette remarquable série. L'enchantement se poursuit avec ce tome 8 qui donne encore une fois au lecteur l'envie de se blottir au coin du feu quelque part dans ce petit bout du Québec. Marie se rend compte qu'elle est « en famille » alors que la vocation du curé Réjean vacille, plus attiré qu'il est par la construction du bateau de Noël que par celle du royaume de Dieu sur terre. A nouveau, les grandes lignes de cet épisode semblent tellement simples, et à nouveau, on est scotché par les talents conjugués de Régis Loisel et Jean-Louis Tripp qui nous bâtissent autour de celles-ci un très beau moment de lecture tout en délicatesse et en humanité. Graphiquement, l'association des deux auteurs est à nouveau décrite via une planche en ouverture d'album, et le travail réalisé est une fois de plus splendide, valorisé par les très belles couleurs de François Lapierre. Les dialogues adaptés par Jimmy Beaulieu en « Quebecois pour tous » sont des plus savoureux, mais parfois, en quelques cases muettes ou presque, les auteurs réussissent le petit exploit de faire passer de profondes émotions. Certains silences peuvent, en effet, être très « parlants ». Peut-on évoquer des « personnages secondaires », tellement chaque « rôle » est bien campé et défini ? Et tous les amoureux des animaux observeront aussi, presque de case en case, les jeux d'un petit chien, d'un chaton, d'une oie ou de l'ourson Roger Roger qui constituent quasi une histoire dans l'histoire. Cette fois, pourtant, il semblerait bien que ce tome 8 soit vraiment l'avant-dernier épisode de Magasin général. Nul doute que les amoureux de la série auront alors du mal à refermer le prochain album, mais qu'ils pourront toujours revenir à Notre-Dame-des-Lacs pour un « party charleston »... Un album et une série d'une richesse exceptionnelle que certains n'hésitent pas à qualifier de chef-d'oeuvre et qui méritait assurément de figurer dans nos coups de coeur !
Pierre Burssens
Magasin général T.8 – les Femmes, 88 pages au prix de 14.95 € édité chez Casterman dans la collection Univers d'Auteurs.
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