Lucas, Lucien, Luigi et Ludwig sont quatre des pensionnaires de l’orphelinat de l’abbaye de Valencourt en Picardie. Tout le monde les surnomme les Lulus. En cet été 1914, lorsque l’instituteur est appelé comme tant d’autres sous les drapeaux, personne n’imagine que c’est pour très longtemps. Et les Lulus ne se figurent évidemment pas une seconde que la guerre va déferler sur le monde finalement rassurant qu’ils connaissent. Bientôt, le fracas de l’artillerie résonne dans le ciel d’été. Il faut partir, vite. Mais lorsque la troupe évacue l’abbaye manu militari, les Lulus, qui ont une fois de plus fait le mur, manquent à l’appel.
C'est suite à une conversation avec la directrice de communication de l'Historial de la Grande guerre de Péronne, dans la Somme, qu'est venue à Régis Hautière l'idée de donner une vision de la première guerre mondiale différente des tranchées, des grandes batailles etc. Et cette vision, c'est celle que l'on perçoit à travers les yeux de ces quatre gamins dont le prénom commence par « Lu », rejoints au cours de cet album et de l'année 1914 par une petite réfugiée belge prénommée Luce. Et qu'est-ce que ça fonctionne bien ! Evitant tout pathos, c'est avec énormément de sensibilité, et autant d'émotions pour le lecteur, que l'on perçoit ce début de guerre au quotidien. Les Lulus ont fait le mur, ils retrouvent un orphelinat désert, mais aussi tout un village qui ressemble d'un coup à un village fantôme dans lequel ils vont devoir (trouver de quoi) survivre. Mais la région n'est pas déserte, les coups de canon se rapprochent, et un jour, c'est un orphelinat occupé par les allemands que regagnent les gamins... Avec ce premier album, c'est d'abord de magnifiques portraits de gosses que l'on découvre, des vrais mômes avec leur langage et leurs (petites) questions qui vont tout-à-coup se retrouver confrontés à des préoccupations d'adultes, des préoccupations vitales, ici. Et puis, on a aussi l'impression de découvrir une véritable déclaration d'amour à une belle région. Breton d'origine, Régis Hautière habite Amiens depuis 20 ans. Hardoc (Vincent Lemaire de son vrai nom) réside lui dans l'est de la Somme. Une bien belle région mais qui, lors de la première guerre mondiale, servit de décor à l'une des plus sanglantes batailles du conflit et...de l'Histoire. Et cette région, Hardoc nous la livre notamment à travers des décors particulièrement soignés. J'ai beaucoup pensé à Loisel en découvrant cette Maison des Enfants Trouvés. A ses gamins qui forment la petite bande de son Peter Pan, et à son très beau Magasin général pour la délicatesse du traitement de cette histoire. L'année prochaine, on commémorera le centenaire du début de la Grande guerre (mais y en a-t-il des « petites » ?) On peut imaginer que livres et albums sur le thème se multiplieront, mais d'ores et déjà, il y a fort à parier que celui-ci sortira du lot. Plus loin que la vision d'un conflit, plus loin que l'histoire de ces gamins, il traite d'un sujet universel : celui des enfants dans la guerre. Les Lulus se débrouillent, parfois non sans humour, mais notre regard d'adulte mesure lui, toute la tragédie qui constitue le fond de leurs aventures. Remarquable !
Pierre Burssens
La Guerre des Lulus T.1 – 1914 la Maison des Enfants trouvés par Hardoc & Régis Hautière , 48 pages, 12.95 €, édité chez Casteman.
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