Experts, galeristes, commissaires d’exposition, Alain Huberty et Marc Breyne sont les pionniers de la première heure du marché des orignaux de Bande Dessinée. Depuis les années 80, ces deux passionnés ont contribué à la reconnaissance et au rayonnement de cette discipline comme un art à part entière. Au fil du temps, ils ont insufflé une vraie vitalité au marché des planches originales, alors que celui-ci n’en était qu’à ses balbutiements. Longtemps qualifié de mineur et populaire, la bande dessinée a acquis en trois décennies ses lettres de noblesse. Des galeries aux salles de vente en passant par les institutions culturelles, les « Petits Mickey » sont aujourd’hui des stars convoitées.
A l’occasion de l’inauguration de leur nouvel espace Place du Châtelain à Bruxelles, Alain Huberty et Marc Breyne reviennent sur leur parcours et l’évolution du marché dans un entretien croisé :
Alain, Marc comment est née votre association ?
Marc Breyne : J’ai ouvert ma première libraire spécialisée en bande dessinée à Bruxelles en 1983, à l’âge de 22 ans. J’y vendais des albums, des objets et quelques planches. A l’époque il n’y avait pas de galeries où acheter des originaux de bande dessinée. Ce marché n’existait pas. L’intérêt pour cette discipline se limitait à un cercle restreint d’initiés. Un jour Alain Huberty passe la porte de ma boutique, à la recherche de planches de Gaston Lagaffe. Je ne possédais alors pas d’originaux de Gaston.
Alain Huberty : J’étais vraiment décidé à faire l’acquisition d’une planche de Gaston. J’avais rassemblé toutes mes économies soit à l’époque 2 000 Francs belge. Marc n’avait pas de planche de Gaston mais je connaissais quelqu’un qui en vendait deux. Je n’avais pas la somme pour l’ensemble alors j’ai convaincu Marc d’acheter la seconde puis de la revendre. Avec le bénéfice, nous avons investi dans d’autres originaux. C’est comme ça que tout a commencé, un jour de 1988.
D’abord collectionneurs avant de devenir galeristes, comment avez vous fait de votre passion votre profession ?
Alain Huberty : A l’époque j’étais professeur de mathématiques. Je passais tout mon temps libre entre la galerie de Marc et les routes, à la recherche de planches originales. Notre passion nous a conduit à frapper aux portes des plus grands auteurs. A cette époque, tout était disponible et à des prix beaucoup plus accessibles qu’aujourd’hui. On ne cherchait pas à vivre de la revente mais simplement à financer notre collection.
Marc Breyne : J’ai commencé à collectionner des éditions originales quand j’avais 12/13ans puis un peu plus tard les planches. Mon premier dessin était une planche de Felix par TILLEUX vendu 1000 francs belge, soit 25€. A l’époque je n’avais vraiment pas d’argent.
Une fois acheté on m’a proposé de me racheter ce dessin 4 fois son prix. A partir de ce jour, je me suis dit que je pouvais à la fois acheter, vendre et collectionner.
Comment et pourquoi avoir créé votre première galerie ?
Marc Breyne : J’ai organisé ma première exposition en 1987, dans ma boutique, avec des planches d’OUSMAN, HERMANN ou encore TIBET. A l’époque c’était vraiment un marché confidentiel et d’initiés. A peine une petite dizaine de collectionneurs s’y intéressait.
Alain Huberty : La demande tendant à se développer, parallèlement à la librairie de Marc baptisée Petits Papiers, nous avons ouvert une galerie éponyme sur le Boulevard Lemonnier. Un lieu entièrement dédié aux Arts de la bande Dessinée.
Pourquoi avoir choisi d’ouvrir une antenne à Paris?
H&B : L’accueil du public à l’ouverture de notre première galerie à Bruxelles a été un succès ! Ce lieu répondait à une demande qui n’existait pas jusqu’alors que ce soit à Bruxelles ou à Paris.
Aujourd’hui on dénombre beaucoup de galeries d’originaux mais à l’époque c’était une initiative marginale. La bande dessinée n’était absolument par reconnue comme de l’art. Paris étant une place incontournable, il nous paraissait indispensable de pouvoir présenter le travail des artistes avec qui nous collaborions aux collectionneurs parisiens mais également aux étrangers présents à Paris. Nous avons donc décidé d’ouvrir une galerie, rue Saint Honoré en 2009, nous permettant d’exposer à la fois auteurs classiques, jeunes dessinateurs et artistes issus de la Bande dessinée.
En 2012, vous rejoignez le Sablon à Bruxelles, pourquoi ce choix ?
H&B : Face au succès grandissant nous avons fait le pari d’ouvrir un nouvel espace dans le quartier des antiquaires du Sablon pour s’inscrire dans le parcours de galeries et être plus proche des collectionneurs et des amateurs d’art.
Quelles étaient alors vos intentions ?
H&B : En choisissant de nous implanter au Sablon, notre intention était de décloisonner les genres tout en inscrivant la Bande Dessinée comme discipline artistique à part entière, au même titre que la peinture, la sculpture ou encore la photographie. Avec ce nouvel espace de 300 m2 nous souhaitions ouvrir le dialogue entre la Bande Dessinée et la création contemporaine en organisant des expositions croisées Philippe Druillet / Hervé di Rosa – Peter Klasen / Alex Varenne – Ricardo Mosner / Kiloffer – Claude Viallat / François Avril. La même année, nous inaugurions, au couvent des Cordeliers à Paris, l’exposition « Quelques instants plus tard… ». Un projet qui rassemblait des œuvres inédites réalisées à 4 mains par 40 auteurs mythiques de Bande Dessinée et 40 figures majeurs de l’art contemporain.
Quelles ont été les réactions des auteurs de Bande Dessinée lorsque vous avez ouvert au Sablon ?
H&B : Ils étaient très enthousiastes ! Nous étions les premiers à leur proposer un espace d’exposition de 300m2 consacré non pas uniquement à l’exposition de planches originales mais également destiné à accueillir des recherches plus personnelles. Libérés de la contrainte de la case ils pouvaient s’exprimer sur des grands formats, initier des collaborations et envisager des projets artistiques ambitieux en marge de ce qu’offre le monde de l’édition.
Quel fut l’accueil du monde de l’art contemporain ?
H&B : Les artistes d’art contemporains ont également été sensibles à nos propositions. La bande dessinée exerce un pouvoir évocateur qui a nourri l’œuvre de beaucoup d’entre eux. L’univers des collectionneurs quant à lui était plus retissant à cette nouvelle approche. Nous avons observé que les collectionneurs de bande dessinée s’intéressaient à la création contemporaine, là où les collectionneurs d’art contemporain été plus réfractaires. Cependant les lignes sont progressivement en train de bouger.
Pour quelles raisons participez-vous à des foires d’art ?
H&B : En tant que galeristes notre rôle est de soutenir nos artistes en présentant leurs travaux au delà des murs de nos galeries. Des foires comme la Brafa, Art Paris Art Fair ou encore Drawing Now sont pour nous des opportunités de continuer à éveiller de nouvelles sensibilités de collections et d’œuvrer sans relâche à la reconnaissance de la Bande Dessinée comme discipline artistique à part entière.
Vous exercez également en temps qu’experts auprès de maisons de vente aux enchères, comment avez-vous débuté ?
H&B : Nous étions pionniers dans le marché des originaux alors que la spéculation ne s’y intéressait pas encore. Il faut attendre le record en vente publique de la double planche du Sceptre d’Ottokar d’Hergé en 1999 pour voir l’intérêt des maisons de ventes se manifester, booster par hausse des prix de +61% entre 99 et 2001. Dans un tel contexte, les maisons de vente recherchaient des experts, et nous étions très peu à l’époque, capables de répondre à cette nouvelle demande du marché en réalisant des ventes de qualité. Nous avons débuté en 2009 avec la Maison de ventes MILLON. Depuis nous organisons chaque année des ventes courantes et des ventes de prestiges.
Comment analysez-vous ce marché ?
Aujourd’hui, l’engouement pour la bande dessinée est des plus forts, les prix progressent encore mais on sent une régulation du marché. Celui-ci suit la même évolution que la photographie : d’abord une acceptation en tant qu’art ; ensuite une période où tout se vend à des prix déraisonnables et enfin, un marché qui se structure autour des vraies valeurs artistiques. Aujourd’hui les prix les plus élevés concernent les dessinateurs aux réputations bien assises. Les images les plus courues et les plus chères sont celles des grands classiques : HERGÉ, André FRANQUIN, Albert UDERZO, Enki BILAL, MOEBIUS, Milo MANARA, Marcel GOTLIB...
L’ouverture de cet espace, place du Châtelain, marque une nouvelle étape dans votre évolution ? Qu’est ce que cela représente pour vous ?
H&B : L’ouverture de cet espace est l’aboutissement d’une démarche entreprise il y a plus de 30 ans, celle de contribuer au rayonnement de l’art de la Bande Dessinée. Dans cette continuité, il nous semblait important de créer un lieu d’échanges et de rencontres entres les auteurs, les artistes, les collectionneurs, les éditeurs mais aussi les amateurs. Nous avions envie de rejoindre un quartier plus dynamique. Ixelles aujourd’hui est le centre de la vie culturelle de bruxelloise où se pressent étudiants, artistes et intellectuels. Un univers cohérent avec les nouveaux projets que nous souhaitons développer : lancements d’albums, résidence d’artistes, performances ou ventes aux enchères.
Vous conservez néanmoins une présence Place du Sablon?
Oui en effet nous conservons notre « Shop » qui fait face à la galerie Tintin. Cette vitrine sera consacrée aux œuvres sérielles et objets dérivés de bande dessinée.
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