Comment choisir 10 albums sur une année de lecture de plus de 300 titres ? Forcément, le résultat est subjectif, mais il est là. Choisir, c’est renoncer. Voici donc, sans classement, la sélection des dix albums retenus pour vous et qu’il est encore temps de déposer au pied du sapin.
Comment une jeune fille de 15 ans a modifié l’Histoire de l’Amérique.
Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin
Claudette Colvin a 15 ans. Comme tous les jours, elle a pris le bus pour rentrer chez elle. Il s’est rapidement rempli. Une femme blanche lui a demandé de lui céder son siège. Claudette a refusé. Le chauffeur est alors descendu pour interpeller deux policiers. Ils ont frappé l’adolescente et l’ont évacuée du bus. C’est comme cela que Claudette Colvin s’est retrouvée quelques jours plus tard devant une cour de justice de l’Alabama. Elle plaide non coupable et entame ainsi un combat national aux côtés de Rosa Parks, Jo Ann Gibson Robinson et Martin Luther King.
De sa naissance à l’abolition de la ségrégation, on suivra les pas de Claudette Colvin, encore vivante aujourd’hui, et l’on apprendra pourquoi son nom a quasiment disparu des tablettes.
Alors que tout le monde connaît l’histoire de Rosa Parks, celle de Claudette Colvin est beaucoup plus méconnue. Cette biographie dessinée les fait se croiser et démontre le rôle primordial de la seconde dans l’évolution du changement des mentalités dans une Amérique raciste.
A l’heure où les montées de partis politiques extrémistes progressent comme des armées de démons, la vie de Claudette Colvin donne un coup de pied dans la fourmilière. Ce livre témoignage montre d’où l’on est parti, du gouffre qu’on dû franchir les comportements pour devenir tout simplement « civilisés ». Il invite à ne pas revenir en arrière, avec quelque communauté que ce soit.
Le graphisme d’Emilie Plateau est fin, délicat, minutieux, sensible. Son album n’est pas une bande dessinée classique. Il n’y a justement pas de bandes. Il n’y a pas de cases. Il y a, certes, plusieurs dessins par page. Ils sont effectués dans un minimalisme efficace. Sur fond blanc, une fois le lieu installé, les personnages réagissent dans des situations dépouillées de tout le superflu. Quelques scènes sur fond noir rappellent le désarroi de Claudette dans un monde xénophobe où l’on veut la faire passer du rôle de victime à celui de coupable.
Le trait d’Emilie Plateau, c’est quelques lignes de finesse dans un monde de brutes. L’autrice est admirative du travail de Claire Brétécher. On y retrouve le désir d’aller directement et uniquement à l’essentiel. Pour synthétiser, si on effectue un grand écart, le style graphique de Noire, c’est un peu Agrippine à Persépolis.
Noire est l’adaptation du roman éponyme de Tania de Montaigne. Emilie Plateau se l’approprie pour le transformer en biographie dessinée dans un style inédit, efficace et percutant. Indispensable.
One shot : Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin
Genre : Biographie
Scénario, Dessins & Couleurs : Emilie Plateau
Éditeur : Dargaud
Nombre de pages : 136
Prix : 18 €
ISBN : 9782205079258
Une série qui redéfinit la notion de super-héros.
Irena 4 - Je suis fier de toi
Varsovie, février 1944. Après son évasion, Irena a trouvé refuge chez sa mère. Aujourd’hui, après trois mois d’enfermement, la résistante a hâte de reprendre les affaires. Mais dans la clandestinité, ça va être encore plus compliqué. Le fidèle Antoni est toujours là pour lui donner un coup de main. Ensemble, ils ravitaillent les juifs cachés dans les endroits les plus improbables comme le zoo de Varsovie ou les sous-sols des bars. Irena croisera d’autres héros comme le jeune Martin, qu’elle soigne dans un hôpital de fortune, et qui a bravé tous les dangers, pris tous les risques pour vivre et survivre en se lançant dans un trafic de marché noir pour faire rentrer de la nourriture dans le ghetto.
Parallèlement, en 1983, Irena raconte sa vie au mémorial de la Shoah à Yad Vashem à Jérusalem, dans l’allée des Justes.
David Evrad varie les découpages comme jamais. On y trouve un dessin de Varsovie bombardée sur une double page, incrusté de plans rapprochés. Il y a deux planches se faisant face dont l’une est composée uniquement de cases horizontales et l’autre de cases verticales. Leur écho est puissant. On profite même d’images pleines pages. Le tout est mis en scène dans le graphisme rond et enfantin de David Evrard qui, contre toute attente depuis le début de l’aventure, a décuplé l’impact émotionnel d’un scénario comme celui-ci.
Jean-David Morvan et Séverine Tréfouël nous immergent dans la Pologne de 1944, au plus près d’Irena, de son courage, de ses craintes, de ses peurs, de ses doutes. Irena est altruiste et philanthrope. Dans cet épisode, les scénaristes creusent un peu plus ses sentiments. Irena y parle pour la première fois de la dépression, de la culpabilité de survivre jusqu’à l’acceptation d’avoir survécu.
La série redéfinit la notion de super-héros. Ce n’est pas avec des super-pouvoirs que l’on sauve le monde, mais avec une âme.
« Je suis fier de toi. » murmure le fantôme du père à sa fille Irena. « Nous sommes fiers de vous. » pouvons nous murmurer aux auteurs de cette indispensable biographie dessinée à ranger à côté du Maus d’Art Spiegelman.
Série : Irena
Tome : 4 - Je suis fier de toi
Genre : Drame historique
Scénario : Morvan & Tréfouël
Dessins : Evrard
Couleurs : Walter
Éditeur : Glénat
Nombre de pages : 72
Prix : 14,95 €
ISBN : 9782344031117
Le dernier western.
Hollywood Menteur
Mapes Hotel, juillet 1960. Arthur Miller et Marylin Monroe viennent d’arriver à Reno. Le tournage des Misfits, les « paumés », traduit en France par Les désaxés, va débuter. Miller en a signé le scénario, Marilyn en est la star. Ils ne se doutent pas encore que le projet va se transformer en chant du cygne d’un âge d’or. Avec des acteurs encore plus torturés que les personnages qu’ils jouent, la réalisation du film va s’avérer complexe. Le metteur en scène John Huston devra jongler avec les états d’âme de chacun. Il apprendra que les chevaux s’apprivoisent plus facilement que les acteurs. Entre une Marilyn Monroe dépressive, un Clark Gable alcoolique et un Montgomery Clift ayant dû mal à faire accepter son homosexualité, The Misfits rentrera à peine dans ses frais et mettra des années à devenir le film culte qu’il est aujourd’hui.
Clark Gable mourra quelques jours après la fin du tournage. Marilyn Monroe n’achèvera pas son film suivant. Montgomery Clift quittera quelques années plus tard Hollywood pour New-York à cause du regard de l’industrie cinématographique sur ses penchants. Seul Eli Wallach tirera son épingle du jeu, avec à la clef une belle carrière couronnée par un Oscar d’honneur en 2011 et par son rôle du truand dans Le bon, la brute et le truand.
Luz semble enfin sorti du drame Charlie Hebdo pour retrouver son statut d’auteur « libre », si tant est que cela soit possible. Toujours est-il qu’on le sent immergé dans cette histoire de l’histoire d’un film. Projet à la base prépublié dans Les Cahiers du Cinéma, Luz a lié les séquences pour en faire un récit fluide.
Hollywood Menteur fait figure de tragédie antique. Il y a du Racine dans ce drame. Mais Luz n’oublie pas qu’il est humoriste. Paula Strasberg, la dame de compagnie et coach de Marilyn, est finalement la meilleure actrice parmi les stars de l’époque. Elle apporte un comique réaliste et crédible, assénant des vérités et des sentences aussi courtes que transparentes. Elle est finalement la seule à dire la vérité, à être la vérité.
Luz fait des yeux de Marilyn le miroir intime d’une femme perdue, comme si elle était déjà morte. Sa pupille et son iris se transforment en disque microsillon sur lequel se jouent les dialogues du film qu’elle regarde se tourner de l’intérieur comme si quelqu’un d’autre agissait à sa place.
La post-face de Virginie Despentes apporte un éclairage et une justification au récit. Intitulée Sainte Marilyn, vierge des désirs défoncés…, elle montre comment Luz a ouvert le capot de l’usine à rêves. On y assiste à la crucifixion des mythes, à la chute des anges et à l’auto-destruction d’un monde en carton-pâte. Despentes, avec tout son talent littéraire, compare Marilyn à une adolescente d’aujourd’hui, encore plus photographiée qu’une instagrammeuse addict.
En ajoutant Hollywood menteur à sa bibliographie, Luz s’installe définitivement comme un futur grand prix potentiel du festival international de la BD d’Angoulême.
« Rouler en décapotable avec la clim à fond, ça, c’est le rêve américain. » Mais de l’autre côté du rêve, la face cachée recèle les tourments.
One shot : Hollywood Menteur
Genre : Drame
Scénario & Dessins : Luz
Éditeur : Futuropolis
Nombre de pages : 112
Prix : 19 €
ISBN : 9782754824224
Le jeu d’une vie qui n’en est pas un.
Le fils de l’Ursari
En combattant contre un ours sur les places des villages, Lazar Zidar pensait affronter le plus grand danger qu’il pouvait rencontrer. Il ne se douter pas que lui et sa famille allaient devoir faire face à des individus beaucoup plus sauvages. Les Roms sont considérés comme des voleurs de poules dans ces pays de l’Est qui tentent de se racheter une conduite. La famille est exfiltrée vers la France. Ciprian, sa grande sœur et son grand-frère, sa mère et son père, vont se retrouver dans un camp de migrants, un bidonville en banlieue parisienne. Forcés à payer des sommes astronomiques à des malfrats profitant de leur situation, ils vont devoir vivre de ferraille, de mendicité et de rapines. C’est en jouant les pickpockets au jardin du Luxembourg que Ciprian va se mettre à observer deux personnes se retrouvant pour des parties d’échecs et se prendra de passion pour ce jeu. Cip, le fils de l’Ursari, l’enfant du montreur d’ours, ne sera plus le même.
Du camp de réfugiés au jardin du Lusquembourg, comme dit Ciprian, le petit Rom navigue de l’enfer au paradis. Du racket des monstres des bas-fonds aux parties de « Lézéchek », l’enfant devra devenir adulte plus vite que prévu. Réussira-t-il à garder son innocence tout en réalisant un « Tchéquématte » ?
En adaptant le roman de Xavier-Laurent Petit, Cyrille Pomès signe l’un des plus beaux albums de l’année. L’histoire est émouvante et passionnante. Les personnages sont redoutables ou attachants. Ça, c’est grâce à Xavier-Laurent Petit. Le découpage est ultra efficace. Les planches sont dynamiques. Le graphisme est original. Ça, c’est grâce à Cyrille Pomès. Les couleurs sont tantôt inquiétantes et angoissantes, tantôt apportent la lumière et l’espoir. Ça, c’est grâce à Isabelle Merlet. On dit souvent que 3 est le chiffre parfait. L’association de ces trois auteurs fait un strike inattendu. Et quand des albums qu’on ouvre parce qu’ils nous tombent sous la main et qu’on ne les avait pas vraiment vu venir procurent cet effet là, on atteint une extase de lecture.
Pomès a un style de dessin qui n’appartient qu’à lui. Il déforme les membres de ses personnages pour mieux accompagner la lecture de chaque action. Leurs grands yeux vecteurs d’émotions nous immergent au cœur de leurs âmes. Entre les planches dites « classiques », le dessinateur propose des compositions jamais vues comme ce dessin où le corps de Ciprian traverse l’image en renversant les pions d’un échiquier à l’effigie de sa famille et de ses ennemis. Une tour Eiffel en toile de fond surplombe la scène soutenue par un ours chapeauté ouvrant les bras. Ma-gni-fique.
L’histoire a également le mérite de mettre sur le devant de la scène les héros du quotidien qui aident les immigrés à s’intégrer dans un monde étranger et hostile. Ainsi, Louise, l’institutrice qui apprend à lire aux enfants, symbolise leur espoir.
Par certains côtés, « Le fils de l’Ursari » adopte la méthode « Irena » en dépeignant des événements dramatiques dans un graphisme plus enfantin que l’ambiance sombre de l’histoire racontée. D’autre part, l’ours emprunte son allure aux superbes représentations animales de René Hausman.
Avec cet album, Cyrille Pomès change inéluctablement de catégorie d’auteurs pour entrer dans celle des grands créateurs de bandes dessinées.
One shot : Le fils de l’Ursari
Genre : Aventure
Scénario : Petit
Dessins : Pomès
Couleurs : Merlet
Éditeur : Rue de Sèvres
Nombre de pages : 130
Prix : 16 €
ISBN : 9782369817802
Hollywood a trouvé sa vedette.
El Chipo
El Chipo est comédien. M. Gottferdom le reçoit en entretien d’embauche. En effet, c’est la panique dans les bureaux californiens de la Subway Indian Meyer TM. L’acteur principal de la nouvelle superproduction en tournage est en garde à vue pour détention, usage et promotion de stupéfiants. Le réalisateur, quant à lui, vient d’être arrêté pour attentat à la pudeur. Et pour le reste de l’équipe de production, ce n’est pas la panacée non plus. Toujours est-il que pour l’instant, il est urgent de trouver l’acteur qui pourra remplacer la vedette. Et pour cela, qui mieux que El Chipo pourrait faire l’affaire ? El Chipo, est une saucisse, c’est une doublure confirmé. A son tour à présent d’être dans la lumière.
Il y a des OVNI qui tournent dans le ciel et il y a les OVNI qui se lisent. El Chipo est de ceux là. Voici un album qui ne ressemble à aucun autre, à rien de ce qu’on avait pu lire jusqu’ici. Voilà une histoire avec un héros formidable, épatant, exceptionnel : une saucisse, autrement dit une chipolata, mais tout le monde l’appelle El Chipo.
Witko signe un album jouissif, l’un des plus drôles de ces dernières années. L’auteur promène sa saucisse tout au long de son aventure. C’est si bien fait qu’on en oublie sa condition… jusqu’au moment où, par un émouvant flash-back, l’auteur raconte comment son héros en est arrivé là. Et l’on y croit ! On le prendrait même au sérieux, le bougre.
Les gags en quatre cases forment un récit qui se déroule et met en boîte non seulement l’industrie cinématographique, mais aussi l’Amérique des soixante dernières années, de la guerre du Vietnam à la moumoute de Donald Trump.
Des tableaux parodiques mettent en scène El Chipo sur des couvertures d’albums ou des affiches de cinéma. L’indien des Village People, c’était lui. Sur le célèbre tableau Nighthawks d’Edward Hopper, c’était aussi lui. Sur le lit de Pulp Fiction et sur le banc de Forrest Gump, encore lui. Et les affiches publicitaires de Monsieur Propre ou de Banania? Toujours lui.
Avec El Chipo, la collection Pataquès des éditions Delcourt propose un barbecue de franche rigolade. Attention à ne pas faire tomber la saucisse entre les grilles.
One shot : El chipo
Genre : Humour déjanté
Scénario, dessins & couleurs : Witko
Éditeur : Delcourt
Collection : Pataquès
Nombre de pages : 104
Prix : 9,95 €
ISBN : 978243012429
Le fils de Captain Biceps et de Shrek.
Raowl 1 - La belle et l’affreux
La petite princesse enfermée dans le donjon ne va pas faire la difficile bien longtemps. Pour la sauver de l’invasion des trolls et des barbares qui assiègent le château, elle n’a pas d’autre choix que de se laisser embarquer par Raowl.
Une fois libérée, le sauveur va la ramener chez son père. Mais la belle est exigeante. La « jeune et belle » veut de la passion et du merveilleux. Elle ordonne à Raowl de lui trouver un prince charmant. Mais des fois on va chercher à des lieux des choses que l’on a sous les yeux.
Raowl n’en restera pas là. Il trouve une deuxième belle princesse sur son chemin et ne compte pas la laisser prisonnière au milieu d’un château en plein océan.
Shrek peut aller se rhabiller. Le nouveau héros des contes de fées détournés moyenâgeux, c’est une sorte de gros matou barbare : Raowl. Prêt à tout pour défendre les princesses esseulées, il ne faut surtout pas l’énerver. Ah, non, surtout pas ! Et quand il éternue, c’est la « métamorphose ».
Le papa de ce matou tout punch, c’est l’homme qui faisait caca dans les cases de l’atelier Mastodonte : le grand, le seul, l’unique, le formidable Tebo.
Tebo apporte un vent de fraîcheur dans la BD moyenâgeuse tout public. Quand Captain Biceps va faire un tour chez Johan et Pirlouit, ça donne quelque chose comme Raowl. Les personnages disproportionnés de Tebo (grosses têtes petit corps) sont les acteurs d’une comédie hilarante dans laquelle l’auteur fait la part belle au dessin. Tebo soigne les décors et s’étale dans de grandes cases, allant jusqu’à des doubles pages comme celle où le héros pourfend un dragon ou un combat contre un monstre marin.
Au niveau du scenario, Tebo aborde des thèmes contemporains. Il a lu Lisa Mandel et présente une nouvelle approche de thèmes chers à l’autrice. N’est pas prince charmant de qualité supérieure qui veut.
Raowl n’est pas un simple butor. Il est aussi fleur bleue. Il possède un bucolique jardin enchanté et rêve de bisous, fatalement baveux, pour réveiller des princesses.
Avec Raowl, les coups déboulent et l’amour se déroule...
Série : Raowl
Tome : 1– La belle et l’affreux
Genre : Aventures humoristiques moyenâgeuses
Scénario, Dessins & Couleurs : Tebo
Éditeur : Dupuis
Nombre de pages : 72
Prix : 12,50 €
ISBN : 9791034730384
Sensible et émouvant, un album touché par la grâce.
Les fleurs de grand frère
Une famille unie, un père, une mère, deux frères. Un jour, des fleurs ont poussé sur la tête de grand frère. Après avoir voulu les couper, il décide de les appréhender, les toucher, les sentir. Il s’en inquiète, mais comme tout le monde dans sa famille les trouve belles, il s’en accommode. Parfois même, elles lui parlent. Mais il va y avoir une épreuve à passer : celle de la rentrée et du regard des autres.
Gaëlle Geniller livre un récit tout en sensibilité, en délicatesse et en émotion, une belle histoire d’amour comme on n’en avait pas lue depuis longtemps, et surtout d’un genre qu’on n’avait tout simplement jamais lu. Fable sur le passage de l’enfance à l’adolescence, c’est aussi une histoire de deuil, celui du garçon qui doit dire au revoir au petit enfant qu’il était. L’autrice emploie tout son talent à dédramatiser la situation, à mettre en évidence la tolérance, non seulement des autres, mais aussi de soi pour soi.
Aucun personnage n’a une once de méchanceté. Le monde est uni pour aider grand frère à affronter ses fleurs et en filigrane sa puberté, et avec elle les tourments associés. Gaëlle Geniller montre que chacun a les cartes en main pour décider de son destin et qu’il ne faut pas avoir peur ni de ses choix, ni du regard des autres.
Dans un graphisme en couleurs directes, le dessin est aussi émouvant que l’histoire. Quand grand frère cauchemarde, voulant arracher les fleurs qui l’envahissent, on ressent une angoisse oppressante. Quand maman serre grand frère dans ses bras, il y a tellement d’amour qui transparaît du trait que ça fait quelque chose aussi dans le cœur du lecteur.
Signer un tel premier album à 23 ans à peine propulse Gaëlle Geniller au rang de meilleur espoir de l’année pour la bande dessinée.
One shot : Les fleurs de grand frère
Genre : Chronique familiale
Scénario, Dessins & Couleurs : Geniller
Éditeur : Delcourt
Nombre de pages : 64
Prix : 14,95 €
ISBN : 9782413012436
« Les obscurantismes recèlent en eux-mêmes les mécanismes qui les mènent à leur perte. »
La fin du monde en trinquant
1774, à Saint-Petersbourg, l’astronome Nikita Pétrovitch vient de découvrir qu’une météorite va s’écraser sur le territoire soviétique faisant des milliers de morts. À la chancellerie de l’académie et de l’université des sciences, le chancelier Nikolaï Troubeskoy n’a pas l’air de se sentir concerné par la catastrophe annoncé. Pétrovitch a sous son aile, comme assistant, Ivan, le fils de la maîtresse de Troubeskoy. Le jeune chien fou a pour ambition d’embrasser une carrière scientifique, mais en a-t-il seulement les capacités ? Toujours est-il que l’apprenti et son maître vont traverser le territoire de l'impératrice Catherine II de Russie jusqu’aux alentours de Vanavara pour alerter la population locale de la chute de la météorite sur leur tête. Mais tout ne va se passer comme prévu et les deux compères vont être kidnappés et retenus prisonniers dans un village d’autochtones peu civilisés.
Krassinsky a obtenu ses lettres de noblesse dans la bande dessinée avec Les cœurs boudinés, paru en 2005 chez Dargaud. Il est également connu pour sa participation à Fluide Glacial, mais aussi à Spirou avec la série trop vite arrêtée Sale bête.
Dans un graphisme enlevé et en couleurs directes, Krassinsky signe un one shot animalier décapant. Les personnages sont tout sauf politiquement corrects. Les grandes affaires se règlent au lit et chacun avance pour sa pomme. Tous pourris. On se croirait presque dans un épisode de Canardo au siècle des Lumières. Le dessinateur, comme dans une pièce de théâtre, insiste sur les personnages et se soucie peu des décors, souvent esquissés, en jouant sur les tons.
Macherot, chantre du récit animalier en bande dessinée, aurait certainement adoré cette version de la fin du monde dans laquelle il est montré que c’est en humanisant les animaux qu’on les rend plus cruels qu’ils ne le sont. À méditer.
One shot : La fin du monde en trinquant
Genre : Tragédie animalière
Scénario, Dessins & Couleurs : Krassinsky
Éditeur : Casterman
Nombre de pages : 232
Prix : 25 €
ISBN : 9782203161610
Comme si Basil Rathbone était de retour.
Dans la tête de Sherlock Holmes 1– L’affaire du ticket scandaleux
Un bobby londonien amène chez Holmes et Watson un quidam qui errait dans la rue. Celui-ci prétend connaître Watson. Le docteur approuve, il s’agit bien d’un confrère à lui. Victime d’une amnésie de quelques heures, il ne sait pas ce qui lui est arrivé. Analysant indice sur indice avec une précision scientifique, Sherlock Holmes remonte le trajet de l’individu. Le ticket de spectacle d’un « Amazing Magician » un certain Wu-Jing, va les entraîner dans une enquête complexe que le fin limier va tenter de démêler avec tout son savoir-faire.
Cyril Liéron signe un scénario méthodique que n’aurait certainement pas renié Sir Arthur Conan Doyle. Loin d’une enquête conventionnelle, les différents rebonds font du mystère une impressionnante toile dont le scénariste se tire avec rigueur. L’ambiance londonienne, brouillard du soir et lune éblouissante, immerge le lecteur dans ce polar fin XIXème. Holmes y est dépeint sans concession, avec les failles qu’on lui connaît concernant la consommation de stupéfiants. Watson, la tête sur les épaules, suit son modèle qu’il idolâtre.
Le graphisme anguleux de Benoît Dahan rappelle l’époque cinématographique dans laquelle le personnage était incarné par le grand Basil Rathbone. L’homme qui endossa onze fois le trench coat du détective, plus une douzième avec la voix de Basil détective privé dans le dessin animé des studios Disney, restera à jamais le meilleur interprète du résident de Baker Street. Sans vouloir copier ses traits, Dahan donne à son personnage l’âme de l’acteur. Les décors minutieux de la capitale anglaise sont aussi fins et précis que l’est l’enquête d’Holmes.
Outre un scénario en béton et un dessin pointilleux, c’est par un remarquable découpage hors du commun que se distingue cette série. Tout est dit dans le titre : Dans la tête de Sherlock Holmes. Ce n’est pas une métaphore. Quand Sherlock réfléchit, le personnage navigue de case en case dans une planche cadrée dans sa tête. La collecte des informations se fait dans son esprit comme s’il était une machine dans laquelle on entre des données qui en ressortent une fois analysées. Quand Sherlock est sous l’effet de la cocaïne, son rêve est une maison déstructurée.
Aucune planche ne ressemble à une autre. Les mises en scène mettent en avant les indices que trouve le détective et à partir desquels est construite toute l’architecture de la double page. Les déplacements dans les différents quartiers s’effectuent sur fond de cartes de la ville.
Cette « affaire du ticket scandaleux » nous laisse en plein suspens dans l’attente d’un tome 2 pour conclure l’enquête. Elle est une des grandes bonnes surprises de l’année. Comme quoi, il est encore possible d’étonner avec un personnage et un thème battus et rebattus, tout cela grâce à un traitement complètement inédit du genre. Elémentaire !
Série : Dans la tête de Sherlock Holmes
Tome : 1– L’affaire du ticket scandaleux
Genre : Polar
Scénario : Liéron
Dessins & Couleurs : Dahan
Couleurs : Cerise
D’après : Conan Doyle
Éditeur : Ankama
Nombre de pages : 48
Prix : 14,90 €
ISBN : 9791033509721
Pour le crépuscule des cow-boys, ne vous attachez à personne.
Jusqu’au dernier
Russel conduit de gigantesques troupeaux pendant six mois à travers les états pour les mener aux abattoirs de Chicago. Jusqu’à il y a peu, la survie de tout l’Ouest dépendait de types comme lui. Mais avec l’avènement et le développement à vitesse grand V du chemin de fer, les rails sur la prairie sont en train de causer la disparition de la profession. « Demain, les cow-boys, c’est fini. » Accompagné de Kirby, vacher comme lui, et de Bennett, jeune homme naïf qu’il a recueilli à la mort de ses parents, Russel va devoir se résoudre à se payer un ranch pour se sédentariser. C’est une toute nouvelle vie qui s’annonce pour le trio, jusqu’à ce qu’une halte dans un village voit leurs destins pulvérisés par un événement irréversible.
Jusqu’au dernier rappelle les meilleurs films de John Ford et de Clint Eastwood. Le scénario de Jérôme Félix est impitoyable. Paul Gastine a mis trois ans pour dessiner l’album. L’ensemble est… parfait ! Le découpage, les dialogues, tout et rien semble pesé, réfléchi, pertinent. Tout, parce qu’en creusant un peu on descelle tout le travail qu’il y a derrière. Rien, parce que rien ne peut arrêter la lecture de l’album. On se trouve embarqué dans une histoire que l’on ne peut pas quitter avant de l’avoir terminée. Le scénariste et son dessinateur sont dans une alchimie magique intégrant le lecteur.
Même le titre semble touché par la grâce. « Jusqu’au dernier ». Jusqu’au dernier ? La locution est polysémique et mystérieuse. Jusqu’au dernier cow-boy, la profession vivant ses dernières années ? Jusqu’au dernier survivant ? Jusqu’au dernier train ? Jusqu’au dernier instant ? Au lecteur de le découvrir…
Le dessinateur n’a pas hésité à recommencer des planches jusqu’à trouver la composition idéale des cases. Jamais dans la démonstration mais toujours dans la justesse, ses images sont à la bande dessinée ce que le cinémascope a été au septième art.
Aurait-on pu se douter que Russel a failli croiser Lucky Luke ? Oui, oui, avec son troupeau, ils ont hésité à passer par le guet de P(a)inful Gulch pour couper la route, l’endroit même où le plus célèbre cow-boy de la BD a eu à faire avec des « rivaux ». Fermons ici cette (involontaire ?) parenthèse humoristique.
Félix et Gastine avaient déjà signé ensemble les quatre tomes de L’héritage du diable. Ils ne vont pas s’arrêter là puisqu’ils préparent déjà un deuxième western : A l’ombre des géants.
Laissez-vous surprendre par le déroulé du récit. Juste un conseil : ne vous attachez à personne, vous risqueriez de ne pas vous en remettre…
One shot : Jusqu’au dernier
Genre : Western
Scénario : Félix
Dessins & Couleurs : Gastine
Éditeur : Bamboo
Collection : Grand angle
Nombre de pages : 72
Prix : 17,90 €
ISBN : 9782818967003
Des leçons de vie de femmes réfugiées : Et pourtant elles dansent…, par Djinda aux éditions Des ronds dans l’O.
Deux époques, un passage… On se retrouvera : The Black Holes, par Gonzalez aux éditions Dargaud.
Adorablement fou : Saint-Rose, par Micol aux éditions Futuropolis.
« C'est la mort que vous réclamez. Pas la justice. » : L’abolition, le combat de Robert Badinter, par Kerfriden et Gloris-Bardiaux-Vaïente aux éditions Glénat.
Une « autre » quête : Un putain de salopard 1 – Isabel, par Pont et Loisel aux éditions Rue de Sèvres.
L’humour est une maladie attrapée dès l’enfance : Le roman des Goscinny, par Catel aux éditions Grasset.
« Le crime en local clos est le seul mystère dont la raison accepte avec plaisir le défi. » : Le Detection Club, par Harambat aux éditions Dargaud.
Tout n’est pas perdu quand il reste l’imagination : L’ours est un écrivain comme les autres, par Kokor aux éditions Futuropolis.
Un petit manga auto-édité qui a tout d’un grand : Red Flower Stories, par Loui aux éditions Loui.
Spirou au cœur de l’histoire par un auteur berlinois : Spirou à Berlin, par Flix aux éditions Dupuis.
Laurent Lafourcade
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