Une gifle, une monumentale baffe narrative et graphique, voilà ce que vous propose l'adaptation BD de la nouvelle d'Emmanuel Delporte par Llyod Chéry (scénario), Amaury Bündgen (dessin) et Elvire De Cock (couleurs).
L'histoire semble un machiavélique mélange de "Transperceneige" et "Elysium" en version "Tour de Babel" social inversée !
"Un jour tout s'est éteint. L'ère du Grand Nuage Noir a commencé. Les villes furent détruites. La planète devint notre ennemie. L'humanité disparut et des bêtes immenses apparurent, dévorant ceux qui n'avaient pas été emportés.
Des hommes et des femmes se réunirent et les premiers ingénieurs désignèrent une zone sur le sol carbonisé.
Ils décrétèrent que c'était le point de départ de la tour numéro un.
Vertigéo est le phare des survivants. Et les ouvriers bâtissent, année après année, des étages dans le ciel pour nous sauver."
Ugo est contre-maître sur le chantier d'une des 13 gigantesques tours, la 9, devant toujours grandir, grandir afin de dépasser les nuages et permettre à ses occupants d'enfin retrouver le soleil !
Le monde a en effet connu une apocalypse nucléaire, ravageant villes et campagnes. Impossible désormais de vivre au niveau du sol et une couche sans fin de nuages toxique entoure désormais la planète ! Dès lors, il s'agira de construire plus haut qu'eux ! Pour cela, chaque individu a une tâche bien précise dans ce chantier qui semble ne pas avoir de fin.
Mais pour Ugo, tout bascule lorsqu'il croise furtivement une ingénieure en fuite lui hurlant que tout est faux !
Une société hyper hiérarchisée, obéissant aveuglément à ses dirigeants, ne supportant aucun retard ou manquements sous peine de mort ... être jeté du haut de la tour !
Et si ce stress constant de ne pas "décevoir" ne suffisait pas, des dangers supplémentaires menacent jour après jour les ouvriers : des tempêtes magnétiques accompagnées de vents effroyables ou encore ces monstres volants, dignes descendants des ptérodactyles préhistoriques qui attaquent les ouvriers trop malchanceux, ...
© Delporte - Chéry - Bündgen - Casterman 2024
Dans ce monde déshumanisé où l’espérance de vie ne dépasse pas la quarantaine, réussir à tenir le rythme et le planning de construction imposé par le Grand Chambellan est un miracle à chaque fois.
Il s'agira de terminer les 5 prochains niveaux de la Tour en un temps record si Ugo et son équipe ne veulent pas connaître de punition "mortelle" pour les éléments les plus faibles ou ralentissant l'ouvrage. Par contre, si le planning est respecté, la fête sera à la hauteur ... avec notamment festin et plaisirs charnels, servant essentiellement à la reproduction afin de fournir des générations futures d'ouvriers !
Pourtant, tout ne semble pas si "clair" et Ugo se retrouve mêler à une sorte de complot visant à percer quelques mystères sur les fondements mêmes de cette société tyrannique et sur les véritables buts de ces constructions.
© Delporte - Chéry - Bündgen - Casterman 2024
Une réflexion sur la lutte des classes dans un récit d'anticipation extrême. Quel est le prix (inconscient) à payer par les classes laborieuses, la grande majorité de l'espèce humaine pour permettre à quelques (centaines, milliers ?) privilégiés de vivre dans l'abondance, le confort, l'insouciance matérielle ?
Ugo réussira-t-il à transgresser les règles qui depuis sa naissance lui dictent sa conduite, sa soumission "volontaire" à un ordre ne laissant aucune place à l'auto-détermination et au libre-arbitre de l'homme ? Il devra pour cela vaincre le crédo qui guide son existence et oser remettre en question les croyances nées des siècles auparavant du cataclysme initial.
"Seul compte le rendement"
Ce récit divisé intelligemment en chapitres nous plonge dans une parabole futuriste noire de l'aberration de la vie : vivre pour travailler ou travailler pour vivre ? Une version apocalyptique du "métro-boulot-dodo" n'offrant aucun espoir de réelles améliorations aux masses populaires !
Une quête de vérité, une recherche du Paradis caché, une métaphore dystopique de toute beauté sur notre futur où l'homme sera définitivement et entièrement soumis par le travail à un espoir inatteignable dans une société totalitaire masquée.
Centré clairement sur cette course à la hauteur, sur l'étude de cette organisation sociétale dictatoriale, on fait fi des questions "bassement" matérialistes comme : d'où viennent les matériaux, la nourriture, ...
La chute quant à elle, est aussi vertigineuse que surprenante ... Même si les fans de récit du genre peuvent s'y attendre ou du moins l'envisager !
Pour sa première adaptation, son premier scénario BD, Llyod Chéry transpose ainsi à merveille cette nouvelle d'Emmanuel Delporte en réussissant à la transposer en un story board fidèle à l'ambiance angoissante du texte d'origine. Une réelle réussite pour ce spécialiste de la S-F !
© Delporte - Chéry - Bündgen - Casterman 2024
Bref une nouvelle haletante, rythmée, sans véritables temps morts superbement mis en planches par un Amaury Bündgen qui nous avait déjà scotché avec son trait réaliste dans "Le Rite" ! Un "noir et blanc" des plus contrastés et vertigineux dans ses cases de perspectives et d'actions.
© Delporte - Chéry - Bündgen - Casterman 2024
Sans aucun doute, un de nos best-sellers 2024 !
Thierry Ligot
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Titre : Vertigéo
Scénario : Emmanuel Delporte, Llyod Chéry
Dessin : Amaury Bündgen
Couleurs : Elvire De Cock
Éditeur : Casterman
Genre : Science-fiction, anticipation
Parution : 15/5/2024
Pages : 136
Format : 24,1 x 32,1
ISBN : 9782203257313
Prix : 22 €
©BD-Best v3.5 / 2024 |