"Les évasions perdues" ... à moins que ce ne soit les "illusions perdues" d'un aspi en 1939 !
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1939, a à peine 19 ans, le jeune Marcel Legrand est encore plein d'idéal et de rêves pour la France.

 

"On était une famille traditionnelle, catholique, aisée, stricte, et ma mère était pieuse. J'étais aussi croyant et je m'intéressais à la politique. J'étais proche d'un parti de centre-droit, le Parti démocrate populaire et sa branche jeunesse.

Ma mère aurait voulu que j'intègre le séminaire. Moi, je rêvais plutôt de Saint-Cyr, l'école des officiers de l'armée de terre, ou de Polytechnique. Je planchais en classe préparatoire.

Je ne savais pas encore à quel point les officiers de cette époque allaient faillir. Pour l'heure, les démocraties anglaises et françaises, avec leur Empire, paraissaient puissantes et invincibles.

La guerre semblait inévitable ... Mais à coup sûr, elle serait brève et victorieuse."

 

 

 

Ceci est son histoire ... enfin celle du père de Thomas Legrand qui pour ces besoins va le renommer "Jacques Leboy" !

 

Le 3 septembre, la guerre est déclarée et Marcel ... euh pardon, Jacques tient à s'engager sans tarder ... à devancer l'appel ! C'est ainsi que le 22 septembre, à Saint-Omer, il devient le seconde classe Leboy. Comme aspirant officier, il sera envoyé au front 3 mois plus tard !

 

A la tête de sa section de 40 tirailleurs algériens du 1er Régiment d'infanterie coloniale, il reçoit l'ordre de prendre position à une centaine de km de Paris. Il la tiendra pendant plusieurs semaines, sans voir l'ombre d'un Allemand et sans recevoir de nouveaux ordres ... Et ce sera la même chose lorsque l'ennemi arrivera devant sa position.

La dure réalité saute alors à ses yeux ! Eux, une armée du siècle passé, avec un équipement lourd, épais, rigide, armé d'un fusil Gras datant des années 1874 !

En face, une armée moderne, motorisée, sur-équipée, dans des uniformes confortables et pratiques au combat. Et que dire de leur stratégie ... ? La

Il était l'image d'une armée de 14-18 face à une armée de demain !

Comment encore croire en ses officiers supérieurs et en leur stratégie dans de telles conditions ?

 

© Legrand - Warzala - Rue de Sèvres 2024

 

A premier coup de feu, l'inéluctable lui saute aux yeux. Il ordonne à ses hommes de fuir comme ils le pourront et se rend sans lutter !

Il se retrouve ainsi, pendant plusieurs mois, au Stalag VI-D, près de Dortmund, lieu de "triage" des prisonniers belges et français.

 

Entretemps, la France de Pétain s'est rendue sans condition. Près de 2 millions de soldats français sont prisonniers. Pétain, via son ambassadeur Georges Scapini, obtient des autorités nazies que les aspirants officiers soient regroupés dans un camp "modèle" afin de poursuivre leur formation et devenir plus tard les futurs cadres de l'armée européenne qui naîtra avec la victoire totale du Reich ! Du moins, ils l'espèrent ! Une armée "européenne" nazie sous les ordres du Führer !

Ce sera au Stalag I-A, à Stalblac, en Prusse-Orientale, au-delà de la Pologne, à 1.500 km de la France. Ceci afin de refroidir toutes envies ou tentatives d'évasion de cette future élite !

 

© Legrand - Warzala - Rue de Sèvres 2024

 

Jacques y découvre la vie du Stalag, les dissensions d'opinions entre tous ces aspirants, ces prisonniers. Certains acceptent leur sort et décident de rester fidèles à Pétain, quitte à "collaborer".

D'autres, dont Jacques, refusent cette démission et désirent poursuivre la lutte. Surtout qu'ils apprennent qu'un certain général De Gaulle s'est enfuie à Londres pour regrouper les forces de la France Libre ...

 

Commence une longue et pénible captivité ... Même si certains avantages leur sont accordés pour les "encourager" dans leur "formation", "endoctrinement", l'idée de s'évader mûri lentement dans l'esprit de Jacques et d'un autre camarade, Pierre de Menlourd.

 

Néanmoins, dans ce camp où toutes les tendances politiques se retrouvent, comment faire confiance à l'un ou à l'autre ? Entre les pro-Pétains et les pro-De Gaulle, un jeu de sournois - hypocrites se met en place. Il est accentué par l'arrivée du général Didelet, ancien attaché militaire à l'ambassade de France à Berlin (avant la guerre). Il est désigné par Vichy et accepté par Berlin pour encadrer les aspis du camp I-A, bref pour s'assurer que l'Aspilag ne devienne pas un camp disciplinaire mais bien un camp "universitaire" modèle ... tourné vers la "rééducation idéologique" de ces aspis parfois fort turbulents.

 

© Legrand - Warzala - Rue de Sèvres 2024

 

Un récit sans "héros" au sens propre du terme ... Evasions ratées ou annulées, hésitations quant à savoir qui suivre, quelle tendance politique et morale sera la bonne en fonction de ses valeurs, ... Des années de conflits intérieurs qui déchireront Jacques !

Des aspis partagés entre ceux qui s'en foutent, ceux qui trahissent et sont prêts à collaborer, puis les autres, forcés de se méfier de tout et tous, qui décident de "résister" pour sauver l'honneur de la France !

 

 

Un récit poignant sur la détention d'un de ces aspis déçus et honteux de la défaite de la France vécu de l'intérieur lors de sa déportation loin de chez lui ! Réflexions sur ses choix qu'ils soient politiques ou moraux ... le poids et la valeur de sa parole donnée face à sa foi, à sa conscience !

 

Thomas Legrand réussit ainsi à nous présenter son père naturellement, sans le glorifier, ni le juger. Un récit issu d'une "confession" tardive de l'intéressé à la fin de sa vie. Une façon de rendre hommage au courage de son père, comme à celui des milliers de soldats qui refusèrent de baisser les bras après la désertion et l'abandon de la lutte d'une partie de leurs dirigeants.

 

Un titre résumant parfaitement toutes les désillusions qu'a vécues Marcel Legrand lors de sa captivité au fin fond de l'Allemagne.

... Les "illusions" perdues d'une France qui a perdu (dans un premier temps) la guerre avant même d'avoir tiré le premier coup de fusil !

 

© Legrand - Warzala - Rue de Sèvres 2024

 

Sortant clairement des fictions sur le thème des prisonniers de guerre et la Seconde Guerre Mondiale, ici pas d'actions spectaculaires ou autres faisant du personnage central le "héros" qui "gagne" à la fin !

Au contraire, Thomas Legrand traite ici d'un aspect ignoré de la guerre ... la vraie ! Rarement, pour ne pas dire, jamais repris en BD, la vie peu reluisante d'un fils de bonne famille, d'un bourgeois moyen qui face à la défaite de ses supérieurs se retrouve 5 longues années dans un camp où la collaboration montre un visage différent de celui fréquemment présenté au grand public.

 

Entre avantages accordés malgré tout et punitions, brimades, privations, la véritable vie dans ce aspilag "universitaire" de cette "élite" qui devait devenir le "maillon français" de la "nouvelle Europe" imaginée par Hitler !

 

© Legrand - Warzala - Rue de Sèvres 2024

 

Le récit est superbement servi par le dessin par François Warzala. Un trait ligne clair classique, épuré agréable pour les "bons" mais plus dur et anguleux pour les "méchants" ! Une palette de couleurs également sensible à l'atmosphère brunâtre des camps contrastant avec le gris vert des uniformes allemands.

 

 

Un récit touchant de sincérité et d'humilité d'un homme face à une situation qui le dépasse et pour qui il n'est qu'un pion.

Un petit dossier complémentaire clôture l'album avec des documents et photos d'époque de Marcel Legrand. Comme pour authentifier encore plus ce témoignage familial !

 

 

 

Thierry Ligot

 

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Titre : Les évasions perdues - Stablack, l'université de la collaboration

Scénario : Thomas Legrand

Dessin & couleurs : François Warzala

Éditeur : Rue de Sèvres

Tome : One shot

Genre : histoire, 2e guerre mondiale, réflexion morale & sociale

Public : ado - adulte

Parution : 18/9/2024

Page : 138

Format : 28,3 x 21,6 x 2,2 cm

ISBN : 978 2 81020 877 7

Prix : 22 €



Publié le 28/09/2024.


Source : Bd-best

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