Quartier un rien miteux, dans une ville enneigée marquée par les traces de bombardements récents.
Il fait froid, brumeux en ce petit matin. La vitrine du bar Timo illumine tristement la rue.
L'atmosphère y est enfumée et lourde. Plus grand monde ... quelques clients, 4 - 5 femmes de mœurs légères et Frank. Ado de 17 ans, mais déjà adulte dans sa tête et son vécu, il est l'enfant unique chéri de Lotte. Celle-ci tient la maison close du quartier, visitée par les forces d'occupation et autres notables de cette ville moyenne qui pourrait se situer n'importe où en Europe. Cela lui donne les moyens de continuer à vivre "plus que correctement" et de ne pas connaître les pénuries frappant l'habitant.
Fringuant, légèrement dandy, Frank n'a plus grand chose à apprendre des femmes ... "profitant" à son gré des "pensionnaires" de sa "maquerelle" de mère. Blasé ou perdu, ne sachant qui il est et ce qu'il veut, Frank traîne avec lui une sorte de spleen malsain, une drôle d'étoile rosée, marquée "SWING" cousue sur le revers de son manteau !
D'ailleurs, son nom de famille expliquerait-il cela ? Frank Friedmaier !
Ah oui, j'oublie, également présent chez Timo, Fred Kromer ! Petit caïd mafieux du quartier. Tous les trafics et mauvais coups passent par lui. Ses mains sont déjà rouges du sang de certaines de ses victimes.
© Fromental - Yslaire - Dargaud 2024
Mais ce soir-là, Frank sent qu'il va connaître une sorte de dépucelage ! L'idée lui est venue d'un coup, sans préméditation ... juste une pulsion ... criminelle dont la victime sera un sergent des forces d'occupation, un vicieux qui offre des bonbons aux petites filles. Surnommé "L'Eunuque", Frank décide de l'attendre dans une ruelle sombre et de l'égorger avec le nouveau couteau de Kromer !
Il y a bien Holst, le conducteur de tram, qui l'a croisé mais parlera-t-il ? Nous sommes en guerre et un ennemi reste un ennemi.
Holst, le père de la jolie Sissy. Perle de pureté naïve, Frank n'a aucune difficulté à la séduire et à la manipuler. A moins que ...
© Fromental - Yslaire - Dargaud 2024
Une lente descente de la petite délinquance à un banditisme plus brutal, sans âme, l'entraîne vers un enfer qui est loin d'être pavé de bonnes intentions. Une déchéance insondable dans ce monde en totale perdition.
Pourtant dans ce décor de plus en plus sombre, ne serait-ce pas en touchant le fond du fond que l'on pourrait rebondir, trouver une lumière, une rédemption ?
Et cette neige omniprésente, si blanche, si immaculée tout au long du roman se teintera-t-elle petit à petit de noir, de rouge ... de misère, de sang ?
© Fromental - Yslaire - Dargaud 2024
Lorsque Simenon écrit ce roman, nous sommes en 1948, soit 3 ans seulement après la fin de la guerre. Ces blessures sont loin d'être effacées, guéries ! La noirceur de l'époque doit ressortir ... Et Simenon va nous en offrir un véritable chef-d'œuvre du genre. Tout y est ! Une qualité d'écriture assurée, un thème centré sur toute la noirceur de son personnage principal.
Intrigue, drame humain, violence pure, gratuite, trahison, perte de repères, un monde en perdition noyauté par un occupant (nazi ?), des collabos (Frank reçoit une "carte verte"), police d'Etat qui n'a pas de nom (Gestapo), une croix comme symbole (à la place d'un swastika), torture et exécutions de terroristes, ...
Bref tous les ingrédients également pour un excellent scénario BD ...
Chose que Jean-Luc Fromental se charge de réaliser intelligemment.
© Fromental - Yslaire - Dargaud 2024
Pour l'adaptation graphique ... un nom ! Bernard Yslaire ! Son style s'accommode parfaitement à l'atmosphère des romans noirs de Georges Simenon, et à celui-ci tout particulièrement. Utilisant essentiellement un cadrage serré, Yslaire fixe l'attention du lecteur sur les expressions des protagonistes. Leur état d'âme transparaît à chaque case.
Jouant avec ses crayonnés, ses nuances de gris-noir parfois légèrement rosées, son découpage impose une lecture rythmée et prenante.
Et pour renforcer son trait unique, teintes sombres, rougeâtres ici, jaunâtres là, bleuâtres ou grisâtres en fonction des ambiances, un splendide travail de mise en lumière.
Ne laissant aucun moment de repos dans sa narration graphique, Yslaire plonge le récit dans cette atmosphère si particulière aux romans noirs, et tout particulièrement à ceux de Simenon !
Une adaptation plus que réussie d'un roman noir ... ou simplement d'un roman signé "Simenon". Fidèle au roman initial et traduisant la force de cette écriture, Fromental et Yslaire nous offre clairement un "indispensable" et déjà un "best 2024" !
Pour s'en rendre compte encore plus, quelle meilleure occasion que de pouvoir admirer de plus près les croquis préparatoires et planches de Bernard Yslaire ?
Une remarquable exposition nous l'offre à la galerie Champaka et ce jusqu'au 23 mars !
Thierry Ligot
Adresse de la galerie Champaka : Rue Ernest Allard, 27 à 1000 Bruxelles
Site : https://www.galeriechampaka.com/
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Titre : La Neige était sale
Auteur : Georges Simenon
Adaptation scénario : Jean-Luc Fromental
Dessin et couleurs : Bernard Yslaire
Editeur : Dargaud
Collection : Simenon
Genre : roman noir - drame - guerre
Public : ado - adulte
Parution : 26/01/2024
Page : 104
Format : 22 x 28,8 cm
ISBN : 9782505115809
Prix : 23,5 €
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