« - Monsieur, il y a un homme devant la porte !
- Fais-le entrer, Ginger.
- Un homme « étrange », Monsieur…
- Bonjour, c’est la ville qui m’envoie.
- Voilà enfin le renfort que j’ai demandé il y a une semaine !
- Mes références, Monsieur.
- Parfait, merci. »
L’homme qui vient de se présenter dans cette étude notariale de Wall Street s’appelle Bartleby. Poli, propre sur lui, le jeune homme est recruté pour copier des actes juridiques. Tout se passe très bien jusqu’au moment où le notaire décide de réunir ses employés pour procéder à une relecture des copies afin de s’assurer mot à mot de leur exactitude en les comparant aux orginaux. « Je préférerais ne pas le faire. » répond Bartleby. Va commencer entre le patron et son employé un bras de fer psychologique dans lequel le nouveau venu ne refuse jamais catégoriquement de se plier aux règles, mais préférerait ne pas le faire. Comment le notaire réagira-t-il ?
© Munuera - Dargaud
José-Luis Munuera adapte la nouvelle d’Herman Melville avec talent et émotion. C’est une histoire où il ne se passe rien. C’est une histoire où il ne se dit rien. Et pourtant… Et pourtant… Ce récit fascinant va au-delà de tout ce que l’on peut imaginer. Il est des face-à-face mythiques en littérature comme au cinéma, que ce soit dans les plus grands westerns ou dans des thrillers tendus : Clarice Starling et Hannibal Lecter, Tom Ripley et Dickie Greenleaf. Celui-ci, entre Bartleby et le notaire narrateur, fait partie des plus grandioses. Au-delà du « combat » entre ces deux hommes, c’est toute la société, avec ses codes du travail, ses relations employeurs/employés qui est remise en cause.
© Munuera - Dargaud
Bartleby est un excellent copiste. Il pense, et il a raison, n’avoir rien à se reprocher dans son travail. Alors, que l’on puisse émettre l’idée qu’il ait éventuellement commis une ou autre erreur de copie à corriger, ça, il ne peut pas l’admettre. Pourquoi ? Est-ce un excès de certitude ou bien la crainte de voir son travail remis en question par une correction ? On ne le sait pas et on ne le saura pas. Bartleby est entrée en profession comme on entre en religion. Il est une fourmi qui est dans sa colonne et qui ne peut pas quitter la route sous peine de voir sa vie bouleversée. Au XIXème siècle, dans sa nouvelle, Herman Melville soulève un problème existentiel qui sera transcendé plus tard par des auteurs comme Eugène Ionesco.
© Munuera - Dargaud
On savait Munuera maître de personnages dynamiques et d’un découpage efficace. Ici, il met une claque à tout ce qu’il a produit avant. C’est presque inconcevable, mais graphiquement, Bartleby, le scribe est cent coudées au-dessus. Le travail des expressions, les décors New-Yorkais, les scènes de rue, c’est un Munuera 2.0 qui passe ici du rang de dessinateur à celui d’artiste. Si le pupitre de Bartleby est devant un mur, celui de l’auteur espagnol a devant lui un horizon prometteur.
© Munuera - Dargaud
On parle peu du travail d’éditeur. Saluons ici la maquette de Philippe Ghielmetti et Léa Ellinckhuÿsen qui proposent un bel objet. Une belle jaquette recouvre un livre à la couverture et au dos où seules des briques sont dessinées.
« Je préfèrerais ne pas le faire. » dit Bartleby. Un qui a eu raison de le faire, c’est bien José-Luis. Bartleby, le scribe est de ses histoires puissantes qui sont difficilement adaptables sous peine de trahir une œuvre intouchable. Munuera s’en sort avec brio en signant l’un des meilleurs albums de l’année. Un chef-d’œuvre.
Laurent Lafourcade
One shot : Bartleby, le scribe
Genre : Drame psychologique
Scénario, Dessins & Couleurs : José-Luis Munuera
D’après : Herman Melville
Éditeur : Dargaud
Nombre de pages : 72
Prix : 15,99 €
ISBN : 9782505086185
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