En cette belle période de printemps, les Editions Casterman frappent fort avec la parution simultanée de trois livres publiés dans la collection RIVAGES/CASTERMAN/NOIR. Pour l’occasion, une séance de dédicace était organisée dans la librairie Brüsel, située en plein centre-ville de la capitale européenne.
Christian MISSIA est allé à la rencontre des auteurs présent. Vous découvrirez tout au long de cette première semaine de mai 2011, les interview qui ont été réalisée. Commençons aujourd'hui par Romain Renard pour son album " Un hiver de Glace".
Bonjour Romain Renard. Comment en êtes vous arrivé à adapter ce livre de Daniel Woodrell pour la collection RIVAGES/CASTERMAN/NOIR ?
Romain Renard (RR) : C’est mon éditrice qui m’avait proposé de rejoindre la collection. Cette collection est en fait un magnifique cadeau car on a l’opportunité de choisir dans le catalogue de Rivages l’auteur que l’on a envie d’adapter.
Je n’avais pas envie de faire dans le polar classique car ce qui m’intéressait c’était le côté rural, et avec Daniel Woodrell - que j’ai découvert car je ne connaissais pas du tout cet auteur - j’ai eu un coup de foudre ! A la première lecture, je voyais à chaque page des images s’animer dans ma tête. Je voyais aussi les personnages. J’avais de l’empathie pour eux. Le rapport les uns aux autres, l’ambiance générale, les décors, tout cela me parlait.
Pourriez-vous nous expliquer votre méthode pour l’adaptation ce roman en BD, ainsi que votre technique de dessin ?
RR : J’imagine que chacun à sa méthode pour l’adaptation. Moi, je suis parti du texte. Dans un premier temps, j’ai retenu tout ce qui m’intéressait. Puis, j’ai écrit un scénario, page après page, que j’ai présenté ensuite à l’éditeur pour avoir son accord. Après avoir eu son accord, j’ai fait le story-board. Et seulement après, j’ai commencé le travail des planches.
Au niveau du graphisme, c’est une fausse bichromie. Ce n’est pas tout à fait du noir et blanc. Ce n’est pas non plus du full couleur. Il y a deux gammes de couleurs. Il y a une gamme sépia et il y a une gamme de vert. Le sépia c’est pour tous les extérieurs et le vert pour tous les intérieurs. Les intérieures maisons comme tous les intérieurs « personnels », c'est-à-dire les flashbacks ou des histoires que l’on raconte. J’ai utilisé cette technique pour la simple et bonne raison que le sépia me parlait car j’avais envie de faire un western moderne. L’histoire aurait pu se situer il y a 100 ans. Si on enlève les voitures et le trafic de coke et qu’on les remplace par des chevaux et un trafic de whisky, on a un western ! Mis à part que le personnage principal n’a pas de voiture et qu’il doit tout faire à pieds. C’était cette ambiance là que je voulais retranscrire. Une certaine intemporalité du récit.
Pouvez-vous vous permettre quelques libertés par rapport au scénario d’origine ?
RR : Tout en gardant la trame narrative. Tout en respectant le livre, je crois que l’on est obligé d’apporter sa touche personnelle. Et la touche personnelle c’est son regard de premier lecteur. Vous pouvez faire l’expérience, un ami et vous lisez le même livre. A la fin du livre, chacun aura un ressenti différent.
Moi, j’ai eu un ressenti de tendresse entre les différents protagonistes. L’ainée qui s’occupe de ses deux jeunes frères et de sa mère à moitié cinglée. Ainsi que le rapport un peu conflictuel avec l’oncle, j’y ai décelé une grande tendresse et une énorme pudeur car on ne dit pas qu’on s’aime !
Si on prend le film qui est tiré du même roman, Winter’s Bone, la réalisatrice n’a pas posé son regard sur cette tendresse qu’il pouvait y avoir. Egalement sur ce qui est un peu mystique dans l’environnement. J’ai beaucoup développé l’onirisme presque gothique que l’on avait dans le bouquin, avec ses fantômes, ses légendes, que la réalisatrice n’a pas souhaité développer. Comme elle vient du documentaire, elle est restée sur ce terrain là. Moi, j’ai essayé d’enrobé ça avec un peu de mysticisme folk.
Donc, au sujet de l’adaptation, on a sa part personnelle et l’on a son regard personnel. On ne s’écarte pas du bouquin, puisque l’on reste dans le livre mais je me suis permis d’ajouter des dialogues, des phrases, des séquences entre les protagonistes pour renforcer, recentrer et rediriger vers cette tendresse pudique entre les personnages.
Quel était votre parcours avant la BD ?
RR : J’ai commencé par faire du story-board dans la publicité et le cinéma. Ce qui m’a amené au jeu vidéo dans lequel j’ai travaillé pendant deux ans.
De là, j’ai rencontré Franco Dragone. Je suis entré chez lui par la petite porte car j’étais story-boardeur et illustrateur de projets de spectacles en Belgique. J’y suis resté deux ans en tant que salarié puis j’ai quitté leur boite pour faire mon premier livre. Mais, mes rapports avec Franco Dragone sont toujours restés amicaux et de temps en temps, je collaborais sur des projets. Je l’ai assisté notamment dans la production de ses projets de spectacles à Macao et à Dubaï.
Parallèlement à ça, j’ai travaillé sur d’autres projets de spectacle ou je suis scénographe. J’ai travaillé avec une personne qui s’appelle Pascal Jacob, qui travail avec le Cirque Phénix à Paris et que j’avais d’ailleurs rencontré chez Franco Dragone et avec qui nous travaillons sur des spectacles au Mans. On a un projet de mise en scène à Angkor au Cambodge. Donc là, c’est plutôt le développement scénographique.
Et puis, j’ai une activité musicale ou je joue sous le nom de Rom Renard. Je fais une musique qui est plutôt folk-rock.
Vous êtes un artiste complet, quoi.
RR : Je ne crois pas qu’il est des artistes complets, je pense qu’il y a avant tout des envies. Qu’importe le médium, pourvu que l’envie soit là.
Justement, dans quelle discipline vous sentez vous le plus à l’aise ?
RR : Et bien, c’est de choisir les meilleurs habits pour le meilleur projet.
En même temps, je ne suis pas maître des mes livres car je ne décide pas du jour au lendemain que tel projet donnera un livre. C’est un travail de longue haleine avec un éditeur. C’est des propositions, c’est tout ça. Ce n’est pas complètement instinctif comme démarche.
La musique est complètement instinctive ! Je peux créer un morceau la nuit je sais que je peux le jouer le lendemain.
Pareil pour la scénographie. Dans ce domaine, je suis au service d’une autre personne, soit un metteur en scène, soit d’un directeur artistique, soit d’un texte existant d’une pièce de théâtre. Je ne suis pas maitre non plus de ça.
Alors maintenant concernant mes préférences, je dirais que d’une manière générale ce que j’essaie de faire c’est de la narration. Je fais de la narration en musique car je raconte une histoire dans mes chansons. Dans mes BD, bien évidement. Et dans la conception des spectacles, outre le fait que l’on raconte une histoire, chaque image, chaque scène doit avoir l’opportunité de pouvoir compter une histoire à chaque spectateur. Une deuxième ou une troisième histoire.
Donc je n’ai pas vraiment de préférences. Les préférences seront plutôt dans le médium : je préfère faire ce type de BD qu’un autre type de BD. Je préfère faire ce type de spectacle plutôt qu’un autre, etc. Chaque médium a sa préférence.
Quels sont vont prochains projets ?
RR : On est en train de discuter avec mon éditeur de la possibilité de faire un Lonely Planet. Casterman s’est associé avec Lonely Planet afin de faire un guide de voyage ou les photos seraient dessinées. Ce serait à Montréal, Quebec.
Et puis, je suis en écriture d’une nouvelle d’un nouveau roman graphique qui me tient particulièrement à cœur et cela parlerait de la filiation paternelle de l’héritage, et comment se positionne-t-on par rapport à son père. C’est un projet à très long terme avec une pagination assez importante et cela fait un bout de temps que je travaille dessus.
Interview © Graphivore-Christian Missia 2011
Images © Casterman 2011
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