Si pour certains d’entre vous, ayant grandi dans les années 90, le nom de Siegfried évoque uniquement le redoutable guerrier divin qui barre la route des Chevaliers du Zodiaque (Saint Seya) dans l’animé culte du même nom ou encore un des personnages du populaire jeu vidéo SoulCalibur, Alex Alice leur rappelle – ou apprend - que Siegfried est avant tout le héros de l’Anneau du Nibelung, un des plus célèbres opéras de Richard Wagner.
A l’heure ou le dernier chapitre de la saga en trois tomes de Siegfried est paru, notre journaliste Christian Missia a rencontré l’auteur, qui était de passage à Bruxelles, pour une plongée dans la mythologie nordique… et dans le monde de l’animation !
Qu’est ce qui vous a motivé à adapter cet opéra de Wagner en BD ?
Je suis un amateur d’heroic-fantasy. J’ai découvert Tolkien il y a pas mal d’années. J’ai toujours eu envie d’adapter ce genre en BD mais je ne voulais pas construire autour de ce qui avait été fait dans le genre. Je voulais revenir à la base et pour moi, la base ce sont les légendes nordiques et la chanson de Siegfried, que mon père m’avait fait découvrir quand j’étais enfant.
L’histoire de Siegfried est une histoire fascinante et en même temps, c’est l’archétype de l’orphelin qui grandit. Il va fabriquer son épée et combattre le mal sous la forme d’un gigantesque dragon. En faisant cette adaptation, je réalisais un peu mon rêve de faire une BD que j’aurais aimé lire lorsque j’avais 10-12 ans. J’avais envie de rentrer dans ces légendes mais je n’avais pas de porte d’entrée parce que ces légendes sont elles même assez arides et les opéras de Wagner sont assez compliqués.
Siegfried est votre premier projet en tant qu’auteur complet. Avez-vous rencontré des difficultés particulières à vous mettre dans la peau du scénariste?
Non, parce qu’à l’époque où je travaillais sur le Troisième Testament, qui est ma première série, nous écrivions le scénario à deux, même si le projet était basé sur une idée de Xavier (Dorison, ndr). Donc, je n’étais pas complètement en terrain inconnu. Par contre, ce qui m’a manqué de ma collaboration avec Dorison, c’est l’enthousiasme des discussions que nous avions sur telle ou telle idée.
Hormis la geste des Nibelungen, avez-vous eu d’autres sources d’inspirations pour l’écriture de Siegfried ?
Pour le scénario de Siegfried, je me suis basé sur les textes de l’opéra et toutes les sagas islandaises. Je me suis aussi inspiré des interprétations qu’ont pu faire des auteurs tels que Régis Boyer, qui était un professeur de langues, de littérature et civilisation scandinave. J’ai aussi puisé dans la mythologie du Héros aux mille et un visages de Joseph Campbell qui est en fait une étude de mythologie comparée, qui a servie de base à Star Wars.
Je me suis basé de toutes ces sources afin d’extraire l’essence de ces récits qui ont traversé les siècles. Non seulement, il y avait des éléments très attractifs tels que le cheval qui vole mais surtout, un fond symbolique qui fait que le récit est universel car il parle d’un enfant qui devient un homme.
Précisons aussi qu’il y a ce parallèle entre l’ascension de Siegfried et la chute d’Odin, ce qui résume la totalité de l’expérience humaine.
La BD de Siegfried ne représente en fait que le sommet de l’iceberg du projet autour de ce personnage mythologique car nous savons que vous travaillez, depuis longtemps maintenant, sur un film d’animation autour de ce héros. Ou en êtes-vous dans votre travail ?
Effectivement, j’ai commencé le projet Siegfried alors que je terminais le Troisième Testament. J’avais l’idée de pouvoir faire mûrir le projet. C'est-à-dire, prendre le temps d’écrire un bon scénario, rassembler la documentation, etc. Je m’y suis mis fin 2000. J’ai développé le projet pour la BD et le cinéma, en parallèle. J’ai commencé d’abord par la BD et maintenant que je l’ai terminé, je vais attaquer la réalisation proprement dite du film.
J’ai une boite de production afin de contrôler toutes les étapes de la création et de la production. Je voulais faire ce film uniquement si nous trouvions tous les moyens nécessaires pour bien réaliser cette entreprise. Nous avons donc un budget conséquent, qui est totalement justifié par le sujet et la portée universel du sujet.
Justement, la production de film d’animation demande des moyens importants et des partenariats avec de grands studios et ou des chaînes de télévision nationales. Avez-vous pu nouer des partenariats stratégiques ?
Dargaud est très impliqué dans l’affaire. Nous avons travaillez avec Universal Music pour le développement du pilote. Là, il nous reste encore à signer avec une société importante pour financer le reste du film.
Certaines personnes, même parmi des animateurs européens, pensent que les producteurs européens n’ont pas encore tout le savoir-faire pour réaliser des films d’animation de qualité. Que pensez-vous de cet avis ?
Je ne vois pas tellement ce que l’on aurait à envier aux Américains car même si ils ont des artistes de premiers plans, leurs studios se sont concentrés sur des recettes à formule. Donc, des comédies en 3D. Certes, Disney à relancé dernièrement l’animation en 2D mais toujours sur des formules très stéréotypés. Même Pixar, qui fait pourtant des films formidables, voit sa créativité menacée par les formules qui a fait son succès, je pense. Donc, je ne pense pas que l’on a des choses à leur envier. Surtout qu’en Europe, on est susceptible d’aller toucher des sujets que les Américains n’aborderaient à priori pas.
Ce constat pourrait effectivement se vérifier pour l’animation US mais maintiendriez vous cet avis vis-à-vis de l’animation japonaise ? Le cinéma d’animation japonais est très dynamique et diversifié depuis fort longtemps. Il suffit, pour s’en convaincre de regarder un film tel que le Tombeau des Lucioles ou les œuvres des réalisateurs Mamoru Oshii ou Satoshi Kon.
C’est vrai mais je ne pense pas qu’ils ont le monopole de la créativité et je pense qu’en Europe, on a vraiment des artistes de qualité ! Siegfried est quand même bien avancé. Je travaille avec des gens formidables et qui sont tous prêts à partir sur ce genre de sujets. Je reçois des mails sans arrêt de gens qui sont dans l’animation et qui ont vu le pilote de Siegfried. Ceux-ci sont ébahis et me demandent régulièrement ou nous en sommes dans l’évolution du film. Ce n’est pas du fait des artistes, c’est dû à la production et les sources de financement !
On peut quand même être content en Europe de produire des films comme les Triplettes de Belleville, l’Illusionniste ou Persépolis, qui sont inimaginables aux USA ! C’est vrai qu’au Japon, même si ce pays traverse une crise en ce moment, la situation de son cinéma d’animation est enviable dans la maturité des thèmes traités et le talent incroyable de certains réalisateurs, dont le regretté Satoshi Kon. Sa mort a été une très mauvaise nouvelle pour tous les amateurs de cinéma !
Avec Siegfried, on a un matériel de travail formidable, à cause de l’approche Disney et l’univers du conte ! Et aussi grâce à l’aspect graphique et scénaristique qui a une approche plus mythologique, qui fait envie aux artistes et au public avec qui j’ai pu parler et qui ont soif de retrouver ce souffle mythologique et épique que l’on a pu retrouver dans les films sur le Seigneur des Anneaux, par exemple.
Pour conclure, quels sont vos autres projets BD ?
Actuellement, je suis sur le scénario de la suite du Troisième Testament. Nous avions réactivé la série en 2010 et là, nous travaillons sur le tome 2 de ce second cycle avec un nouveau dessinateur du nom de Timothée Montaigne.
Vous comptez changer de dessinateur à chaque nouvel album ?
Non, il se trouve que le dessinateur du tome 1 a passé la main à un nouveau dessinateur mais pour ma part, je suis ravi ! Timothée a fait un travail remarquable qui rend hommage à ce qui a été fait dans le tome 1 tout en renvoyant à ce que j’ai pu faire dans la première série.
Sinon, je prépare un autre sujet pour lequel j’aurai la double casquette de dessinateur-scénariste et qui sera, comme Siegfried, transmédia. Je prépare se projet avec une petite équipe au Japon. Mais comme j’en suis encore au début, je n’en dirai pas plus.
Interview © Graphivore-Missia 2012
Photo © Missia 2012
Images © Dargaud 2012
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