Entretien avec Vincent Delmas (Synchrone)
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Entretien avec Vincent Delmas (Synchrone)

« Je me suis dit qu’on aurait plus d’intérêt à suivre les aventures d’un petit malin ! »

 

Thrillers et polars sont à la mode, et pas seulement en BD. En ce qui concerne notre média favori, la rentrée l'a prouvé avec de très nombreuses nouveautés dans le genre, et avec plus ou moins de réussite(s). Difficile de se détacher d'une faune où foisonnent serial killers, narco-trafiquants, agents secrets, coupeurs de mains et autres joyeux drilles. Une jeune série (2 tomes) a pourtant été pour moi un vrai coup de coeur par son traitement, son écriture, son intelligence et sa sensibilité : Synchrone de Riccardo Crosa et Vincent Delmas (Le Lombard) se détache incontestablement du lot. Une « petite » série qui a tout pour jouer, demain, dans la cour des grandes. Et les réponses du scénariste Vincent Delmas à mes questions n'ont rien fait pour freiner mon enthousiasme !

 

 

-Synchrone est une toute jeune série, pouvez-vous nous la présenter en quelques lignes ?

 

Suite à un attentat, un informaticien de la NSA (National Security Agency) perd sa femme et hérite d'une étrange pathologie, puisqu'il vit désormais ses émotions en différé de quelques heures. Séduits par l'idée d'un agent dénué d'états d'âme, les services secrets réintègrent Ian Mallory de force, tout en lui promettant des informations sur la mort de son épouse.  Ian va donc remplir leurs missions les plus périlleuses, mais à sa façon ! Car en réalité, passé les moments de grand sang froid, de sévères « répliques » émotionnelles le poussent chaque jour un peu plus vers la folie.

Confusion mentale qui ne lui fera jamais perdre de vue son objectif: Venger sa femme!


-Ian Mallory diffère à mon sens des autres héros de thrillers par son humanité, qu'il conserve. Ainsi qu'une forme de fragilité...

 

Disons que pour traiter d’émotions, il me fallait un personnage un peu plus développé et sensible que certains monolithes récurrents dans le genre, certes efficaces, mais inadéquats ici.   

-Dans Le Bloc, on mesure que si lui se pose des questions sur ce qu'il vit, il est aussi une énigme pour ses propres employeurs...

 

Une énigme bien moins grande qu’ils ne le laissent entendre. C’est les services secrets…

-Et au coup de théâtre clôturant sa mission, on se rend compte qu'il a quand même pas mal de ressources...

 

Je me suis dit qu’on aurait plus d’intérêt à suivre les aventures d’un petit malin !

 

 

 

 

- De même, on réalise que plusieurs intrigues s'entremêlent : Il y a l'histoire personnelle de Ian, son état, son "utilisation" par la NSA.. .

 

Je ne dirais pas « plusieurs » intrigues. Car ce qui peut encore être perçu dans le tome 2 comme des ramifications, converge en fait vers l'intrigue principale dans le tome 3. Par exemple on y découvre que le drame qui s'est joué dans la chambre de Naomi est en fait étroitement lié au recrutement de Ian. 


-Malgré une attitude extrêmement dure, l'agent Pendrell peut difficilement laisser indifférent. On peut imaginer qu'elle soit appelée à devenir un personnage majeur de la série.

 

Oui, d’ailleurs j’aurais aimé qu’elle apparaisse dès le tome 1. Mais 46 planches, ça oblige à des choix. Le principal est que dès ce volet, on la sache patriote, très à cheval sur la discipline, mais aussi pas totalement hermétique au point de vue de Ian. Même si ses marges de manœuvres pour l'épauler seront minces. 

-Le Bloc est présenté comme le 2ème volet d'un premier cycle. Imaginez-vous Synchrone comme une série au long cours ?

Elle est conçue comme ça, oui. Et si bien des révélations arrivent dans le tome 3, ce qui est normal pour une fin de cycle, le fil rouge continuera de courir.

 

 

 

 



-Pouvez-vous déjà nous parler de son orientation à venir ?

Comme vous pouvez vous en douter, la colonne vertébrale de la série est l'enquête sur la mort de la femme du héros, le complot à son origine, ainsi que la machination d'ampleur destinée à dissimuler celui-ci. 


-Le dessin de Riccardo Crosa est visiblement celui d'un perfectionniste (décors impressionnants etc...). Connaissiez-vous ce dessinateur ?  Comment s'est établie votre collaboration ?

Riccardo est en effet très minutieux et consciencieux, ce qui est un vrai régal pour l'oeil. Et je trouve que la colorisation d'Oscar Celestini y apporte une ambiance remarquable. Concernant ma collaboration avec Riccardo, nous ne nous sommes malheureusement pas encore rencontrés. Pourtant je serais tenté de vous dire qu’on commence à bien se connaître, du fait des centaines de mails que nous échangeons (ma boîte mail m'indique 1082 en trois ans). J'espère qu'une dédicace nous donnera bientôt cette occasion. Je serais ravi de pouvoir échanger avec lui de vive voix, et aussi serrer la main qui a donné vie aux personnages.


-Le genre thriller/polar, qui vous est cher, est très en vogue. Ne risque-t-il pas, à terme, de devenir très balisé? Et comment faire sa place parmi les très nombreuses sorties qui relèvent de celui-ci ?

 

Tout genre est codifié, donc balisé finalement. Je ne trouve pas que cela bride la créativité. Bien des contraintes sont salvatrices finalement. Quant à la prolifération, comme pour les secteurs strictement marchands, je trouve la concurrence stimulante. 

-Vous venez de l'audio-visuel, que vous apporte la BD par rapport à la réalisation cinéma ou TV ?

 

Alors, que les choses soient claires: J’ai écrit et co-réalisé des court-métrages, dont l’un a reçu un prix c‘est vrai. Et j’ai aussi écrit des épisodes de séries, des téléfilms, et ce à la demande de productions. Mais jamais aucune d’elle n’est allée jusqu’à tourner/diffuser l’une de mes histoires. Trop noires ! Même s’il s’en est parfois fallu de peu. Je pense notamment à deux fois où le diffuseur (la chaîne) a stoppé net la série dans laquelle j'avais une intrigue de déjà bien engagée dans les tuyaux. Grrrr...Ceci étant, c’est vrai que j’ai découvert la narration BD plutôt récemment. Et j’adore ! Surtout construire les suspens de fin de pages. Et faire tout ce que la télé m’interdisait évidemment: La pluie, trop chère ! La nuit, ça fait refléter la lampe de mamie dans l’écran ! (véridique) Les femmes à poil ! Des mineurs qui s’entretuent ! Et tout faire péter bien sûr ! Là je pense à la scène d’ouverture du Bloc, et au climax à venir de Épreuve de sang, le tome 3. Un feu d'artifice !

Son écriture est-elle très différente ?

 

Oui. Les dialogues doivent être optimisés pour faire la part belle au dessin. Il faut énormément varier les cadrages, car impossible de recourir à l'habituel champ contre champ, qui serait trop lassant. L’histoire sera divisée en tomes, or l’attente entre deux volets n’est pas celle d’entre deux épisodes. Et dans le cas d’un polar/thriller, il faut intégrer que le lecteur peut à tout instant s’attarder sur un détail, ou revenir en arrière. Par conséquent, quand vous cachez quelque chose, il faut trouver d‘autres diversions que celles efficaces au cinéma.

-Fournissez-vous un scénario très poussé à Riccardo (découpage, storyboard...), ou lui laissez-vous plus de liberté ?

 

Votre question soulève un point intéressant de la réalisation d'une BD. Un contrat stipule qui écrit et qui dessine, mais absolument pas qui s'occupe de la mise en scène. C'est donc aux auteurs de se mettre d'accord. Et autant mon découpage est très précis, c'est vrai, autant je ne  touche pas du tout au storyboard. Par conséquent je dirais que la mise en scène est équitablement partagée. D'autant que l'expérience de Riccardo apporte beaucoup à la qualité finale de chaque planche. 

-Musicien, réalisateur, comédien, scénariste...Comment gérez-vous tous ces aspects sans que l'un prenne le pas sur l'autre ?

 

Très facile ! Mon groupe de métal n'existe plus depuis longtemps, ça fait deux ans que je n’ai pas réalisé, et jouer est un hobby qui ne se présente que de temps à autre. Mon quotidien c'est donc l'écriture. Non la vraie question, c’est comment je fais pour être scénariste ET père ! J'ai parfois l'impression d'écrire sur un terreplein de 50 centimètres de large entre deux voies d'autoroute un retour de week-end... 

-Hormis la suite de Synchrone, avez-vous d'autres projets en BD ?

 

Un contrat devrait arriver dans la boîte aux lettres très bientôt, j’en parlerai avec plaisir à ce moment là. Sinon j’ai un polar qui devient vraiment présentable. Il va donc falloir que je me mette en quête d’un dessinateur réaliste, talentueux, dispo, et branché par le sujet…  

 C'est très différent vous allez voir: C'est l'histoire d'une ancienne de la CIA qui, suite à une agression, perd son mari, et vit désormais ses émotions... en accéléré ! Une hystérique, quoi...

Je rigole. Il s'agit d'une enquête policière minutieuse, à mi-chemin entre Le silence des agneaux, et Seven, mais dans un traitement plus proche de 36, Quai des Orfèvres. Encore une comédie !

 

Propos recueillis par Pierre Burssens

Photo : Nicolas Masztaler

Images : Le Lombard

Interview © Graphivore-Burssens 2012



Publié le 19/10/2012.


Source : Graphivore

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