Capitaine Trèfle
Ancien corsaire et bretteur de légende, Trèfle coule des jours heureux dans son manoir... Jusqu'au jour où un lutin blessé et traqué par de belliqueux Peaux-Rouges fait irruption sur ses terres. N'écoutant que sa bravoure, Trèfle met les fâcheux en déroute à la pointe de sa rapière. Voici notre héros encombré d'un petit compagnon plaintif qui le supplie de l'aider à retrouver les siens. Leur voyage les emmènera au bout du monde, affronter les périls les plus insensés. Trèfle le savait déjà, il n'est point de repos pour les héros. Voici donc un album qui nous donne l'occasion de rencontrer monsieur Hausman et de découvrir ou redécouvrir un immense talent de la bande dessinée franco-belge.
Bonjour Monsieur Hausman. Etes-vous un peintre, un illustrateur ou un dessinateur ?
Bonjour. Pour commencer, je ne sais pas très bien comment établir les frontières entre tout cela. Lorsque l'on pense illustration, jusqu'à une époque relativement récente, les peintres ne faisaient rien d'autre que de l'illustration forcément. Après, des mouvements artistiques sont intervenus qui ont permis à la peinture de vivre sa propre vie.
Sinon, qu'elle était la différence entre le Caravage, qui représente Marcus, ou Rembrandt, avec la Ronde de nuit, et une illustration d'un fait soit historique, soit mythologique… Je ne vois pas très bien ou se situe la frontière, je l'avoue.
Alors, en ce qui me concerne, je sais bien que je ne suis pas vraiment un dessinateur de bandes dessinés ; je serais plutôt illustrateur, et peut être un peintre refoulé.
Qui est Capitaine Trèfle ? Comment le définiriez-vous ?
Capitaine Trèfle est un personnage de roman qu'à écrit Pierre Dubois, qui est français d'ailleurs lui, mais presque Belge car il habite dans le Nord, pas loin de Maroilles et de Maubeuge, dans une campagne assez agréable. C'est un ami de longue date que j'ai connu en 1973.
Quant à Capitaine Trèfle, ça a donné lieu à un roman qui est paru une première fois, il y a plus de 30 ans aux éditions Casterman sous forme de livre de poche. J'en avais assuré les illustrations en noir et blanc. C'est un personnage de corsaire. Dubois était très fasciné par les anciens films de pirates style L'aigle des mers, Le Capitaine Blood,… C'est un peu un hommage à tout cela qu'il a voulu rendre. Mais je crois que la richesse de son histoire réside dans la façon dont il écrit, plus que dans la trame du scénario proprement dit. Je me suis efforcé dans l'adaptation de garder la saveur de ce texte qui lui est propre.
Il y a à la fois du Lagardère et du Fracasse en lui. Y a-t-il quelque chose qui lui fasse peur ?
Oui, bien sûr. Mais il y a aussi l'intervention d'un monde féérique par le truchement du petit gnome qu'il recueille. Alors, forcément, c'est une espèce de mélange entre le conte de fée, le conte épique, l'histoire de pirate,… Tout cela se mélange un peu. Ce sont des thèmes qui sont très chers à Pierre Dubois.
Ce récit est-il avant tout une histoire d’amour ou un récit épique ?
Pour moi, c'est un récit épique quand même. Au sein même de cette histoire, c'est sûr qu'il y a une histoire d'amour un peu improbable entre le capitaine et son bateau avec sa figure de proue.
Comment passe-t-on d’un roman que vous avez illustré à un album de BD ? Vos premières illustrations ont-elles été une impulsion ou bien êtes-vous reparti de zéro ?
Ça a quand même eu une influence sur la suite. J'ai toujours gardé en tête ce que j'avais dessiné à l'époque. C'est un peu différent. Dans l'esprit de Pierre, il y a un petit coté sur-réalisant dans son texte. Je ne me suis pas trop attardé à ça. Il m'a dit : "Tu fais ce que tu veux, tu as la bride sur le cou, tu interprètes ça comme tu veux.". Mais dans son esprit, au départ, le Capitaine Trèfle était comme il dit "un petit marquis", un frêle petit marquis, extraordinaire escrimeur, rapide, mais pommadé, avec des perruques à marteau. J’en ai fait plutôt un personnage qui, s’il était porté au cinéma, pourrait être interprété par Vincent Cassel.
Les divisions en chat-clowns viennent du roman original ?
Oui, c'est division en "chat-pitres". C'est un jeu de mot car Pierre Dubois adore les calembours.
Souvent dans une histoire, le lecteur s’identifie au héros. Là, on s’assimile plus facilement au petit lutin roux qu’il recueille. Comment pourrait-on expliquer cet effet ?
Pour moi, le personnage central, c'est ce petit lutin. C'est certainement celui qui m'a tenu le plus à cœur.
Corbus Barbygère semble être un personnage qui fait une passerelle naturelle entre le monde humain et celui des fées. L’avez-vous conçu comme ça ?
Il s’est embrouillé en récitant des formules magiques. Il a gardé la tête de roi des corbeaux, lequel sans doute est parti avec sa tête à lui.
Il fait aussi un peu penser au Corbac aux baskets de Fred, personnage en quête d’identité.
Oui, évidemment, mais le Corbac est venu bien après. C’est vrai qu’il y a de ça.
C’est le premier album dans lequel vous représentez autant la mer. Vous êtes-vous trouvé confrontés à des difficultés particulières ?
Ça c'est vrai. J'aurais préféré dessiner des chevaux plutôt que des bateaux. C'était plutôt un défi. Je ne sais pas si je m'en suis bien tiré. J’ai fait ce que j’ai pu. Moi aussi, j’aime bien les films de pirates, de corsaires, mais je crois que quand j’étais enfant, je préférais quand même les westerns.
Trèfle affronte un grand monstre marin, semblant tout droit sorti de 20000 lieues sous les mers. Quand on dessine un Kraken comme cela, maintes fois représenté, est-ce qu’on se dit « Je veux que le mien soit encore mieux que les autres » ou bien reste-t-on dans une représentation universelle ?
Ma représentation du Kraken est un peu erronée. Le Kraken, en fait, n'est pas une pieuvre mais un calmar géant, qu’on imagine toujours en train de se colter avec les cachalots au fin fond des mers dans l’obscurité des abysses. Là, j'ai préféré dessiner une pieuvre simplement, un poulpe, une tête avec huit tentacules, deux gros yeux et une sale bouche. Après, j’ai vu Pirate des Caraïbes et je me suis rendu compte qu’à la fin d’un des épisodes le pauvre Jack Sparrow est happé par un monstre un peu comme celui là.
Peut-on imaginer une suite à la quête d’amour du Capitaine Trèfle ?
La fin est très ouverte, ça pourrait donner lieu à une suite… mais je ne crois pas. Pierre Dubois s’est engagé sur d’autres chemins.
Comment vous êtes-vous rencontrés avec Pierre Dubois ?
Un an ou deux avant 1973, il m'avait écrit une longue lettre à laquelle je n'avais pas répondu.
Plus tard, il m'a téléphoné. Il travaillait à cette époque pour une radio à Lille dans le Nord. Il est venu me voir et nous avons sympathisé.
Votre première collaboration était la série Laïyna. Pourquoi s’est-elle arrêtée après deux albums ? Volonté éditoriale ou choix d’auteurs ?
C’était un choix de l'éditeur. Ça a un petit peu refroidit Pierre Dubois. Il avait proposé le scénario d’un troisième tome qui n’a pas été retenu.
Au début des années 80, Le grand fabulaire du petit peuple a enluminé les pages de Spirou. Tous ces elfes, fées, korrigans et autres lutins décrits par des textes de Pierre Dubois sont-ils tous des classiques d’une mythologie forestière ou bien en avez-vous inventés ?
Ҫa, c'est à Dubois qu'il faudrait poser la question. A mon avis il en a inventé, mais il y en a d'autres qui sont issu des traditions. Quand il invente un gnome qui s’appelle le Jack, et qui est en réalité Jack l’éventreur dans les rues et les bas-fonds de Londres, je crois qu’il s’est fait plaisir. Et moi aussi en l’illustrant. Par ailleurs, une grande partie des personnages du fabulaire sont issus du folklore. Ça existe…dans les traditions.
Vous avez signé deux albums avec Yann : Les trois cheveux blancs et le prince des écureuils. Ces histoires semblent avoir été écrites sur mesure pour vous.
Vraiment. Je tiens beaucoup à ces deux albums. On a bien sympathisé avec Yann. C'est un grand professionnel, un des meilleurs scénaristes actuels. Sa série « Dent d’ours » est formidable.
Ces deux récits sont assez cruels. Est-ce qu’un conte doit forcément être empreint de cruauté ?
Oui, je crois qu'ils le sont tous. Très curieusement, le vrai conte du petit chaperon rouge de Perrault dans « Les contes de ma mère l’Oye », au XVIIème siècle est très cruel et se termine mal. A la fin, on dit : « Le loup se jeta sur le petit chaperon rouge et la mangea. ». Tandis que chez Grimm, 200 ans après, la version est plus édulcorée. Un chasseur arrive, ouvre le ventre du loup et en sort la grand-mère et le petit chaperon rouge indemnes.
Barbe-Bleue, c’est cruel, Le petit chaperon rouge aussi, les petites filles de l’ogre, qui sont finalement innocentes et égorgées par mégarde par leur père,…. Tout ça baigne dans la cruauté et, il faut bien le dire, le réalisme, une lucidité la plus froide.
Votre passion pour dessiner les animaux est manifeste. Vous êtes le maître en la matière. Qui ou quoi a déclenché votre vocation ?
Je ne suis pas le maître, mais j’aime bien dessiner les animaux, c’est sûr.
Lorsque j'étais enfant, j'adorais les animaux. Je vivais à la campagne. Je n'avais aucune crainte par exemple des chiens. Un énorme chien agressif, j’avais peut-être 6 ans, ne me faisait pas peur. J'avançais vers lui, je le caressais. Comme il sentait que je n'avais pas peur, il ne m’est jamais rien arrivé de fâcheux.
Par contre, j’avais une petite appréhension devant des animaux plus grands comme les bovins ou les chevaux.
J’aimais aussi beaucoup collectionner des chromos représentant des animaux. C’était une époque heureuse où l’on n’avait ni internet, ni les jeux vidéos. Mais on avait des chromos dans les bâtons de chocolat. On en faisait la collection, on échangeait les doubles, on finissait par les coller dans des albums. J’aimais les collections concernant les animaux et les dessinais. Je rêvais plus tard de dessiner à mon tour une collection de chromos. J’en ai fait.
Quand on pense à votre dessin, deux auteurs très différents viennent en tête. Ce sont Calvo et Macherot.
Calvo, c'est mon maitre absolu C'est extraordinaire tout ce qu'il a fait : le sublime « La bête est morte », « Moustache et Trotinette », « Rosalie »,…
Quant à Macherot, je l'ai rencontré en 1952. Il commençait « Chlorophylle contre les rats noirs ». Il habitait dans mon coin. Je l'ai rencontré grâce à un professeur du collège qui était un ami d'enfance à lui. Ce professeur lui-même faisait de la bande dessinée. C’était Maurice Maréchal qui a écrit "Prudence Petitpas". Il peignait aussi admirablement.
On se connaissait tous les trois. Ce sont d’excellents souvenirs. Malheureusement, ils sont décédés tous les deux en 2008.
Macherot m’avait vraiment aidé, moralement surtout, à continuer le métier.
Dans le domaine de la peinture, Bruegel l’ancien semble aussi être dans vos influences ?
Vous me faites plaisir, évidemment.
On voit ça par exemple dans « Le prince des écureuils » où il y a une grande scène de banquet avec les costumes de l’époque Renaissance.
Avec Les chasseurs de l’aube, vous avez quitté la féérie pour la préhistoire. Il y a quand même le point commun qui est de rester le plus proche de la nature. Comment est né cet album ? Une envie de dessiner les animaux préhistoriques ?
C'est un hommage à « La guerre du feu » de Rosny aîné, qui était mon livre de chevet lorsque j’étais enfant. J'adore le film de Jean-Jacques Annaud, mais lui a voulu en faire une préhistoire plausible. Si vous lisez le roman, c’est quasiment de l’Heroïc-Fantasy. Dans le film, l’espèce de primitif qui va être éduqué par la petite indigène des marais, dans le livre, c’est Tarzan. Ce n’est pas du tout un demi-singe.
Pour réaliser mon album, je m’étais mis en contact avec tous les paléontologues de l’université de Liège en Belgique. Ces doctes personnages scientifiques ont écrit après une étude sur la préhistoire dans la bande dessinée, l’illustration et le cinéma. Pour eux, il y a toujours une masse d’affabulations et d’images d’Epinal. Ils ont dit de ma bande dessinée le plus beau compliment qu’on pouvait me faire : « C’est la moins mauvaise qu’on ait faite. ». Ça m’a fait plaisir.
Les quelques mots d’introduction du Camp Volant contiennent la phrase : « Tout ce qui suivra s’est passé. Ou aurait pu se passer. » Vous semblez aimer essayer de gommer les frontières entre imaginaire et réalité si bien que l’on se dit : « Et si c’était vrai. » Est-ce un de vos objectifs de conteur ?
C'est juste une formule, mais, oui, des choses sont réelles. La noce particulière au début du récit, ça s’est passé, c’est sûr. Ma grand-mère racontait ça, et d’autres choses encore. L’enlèvement de la petite fille par le hulan, cavalier allemand, c’est arrivé à ma propre mère. Ma pauvre grand-mère, à califourchon derrière un officier allemand, est partie à sa recherche, exactement comme dans la BD.
J’ai adoré réaliser cet album, fait à partir de narrations de ma grand-mère ardennaise et qui relatait des faits divers, des superstitions, toutes sortes de choses comme ça, qu’elle me racontait lorsque j’étais enfant.
Avec « Le chat qui courait sur les toits », Rodrigue, comme l’avait fait Yann, intègre votre univers. Comment est né ce projet ?
Michel Rodrigue est un grand ami. C’est le parrain de mon fils. Il m'a proposé un scénario à illustrer, l’histoire plus ou moins du chat botté.
C’est avec cet album que je suis passé de Dupuis au Lombard car Rodrigue y était.
Là encore, on peut classer ce conte au milieu de grands classiques : La Belle et la Bête, Frankenstein, voire même Elephant man. Vos références vont-elles aussi loin ?
Oui, bien sûr.
Depuis septembre 2012, l'école Fondamentale autonome de la communauté française de Heusy porte votre nom. Comment avez-vous vécu cet honneur ?
Ça fait plaisir, c'est un honneur. Notre fils était dans cette école primaire. Ça m’a bien honoré. On ne peut pas refuser une chose pareille.
Quels sont vos ressentis et vos relations par rapport à la jeunesse d’aujourd’hui ?
Oui, ça m'embête un peu qu'elle soit fort accro à tous ses jeux vidéo.
Quelles leçons leur donnent les contes et la féérie pour avancer dans le monde du XXIème siècle ?
Il y a une moralité, une leçon de vie évidemment. Et malgré tous les artifices de la société actuelle, une chose qui marche extraordinairement bien chez tout ce public d'ados, ce sont tous ses films qui touchent à l'Héroïc-Fantasy ou au merveilleux : Pirates des caraïbes, Le seigneur des anneaux, Harry Potter, Le monde de Narnia,... Je pense que c'est encore très important pour le public jeune.
Avez-vous envie de vous offrir de nouvelles récréations du type « Allez couché, sales bêtes ! » ou bien avec « Zunie » ?
Non, non. Ça a été un moment.
En 77, pour le Trombone Illustré, supplément à Spirou, on avait rencontré Gotlib, Loup et Alexis. Gotlib ayant vu que j’aimais bien les animaux m’a proposé de faire un truc pour Fluide Glacial. C’est comme ça que c’est parti. Finalement, ça a été repris chez Dupuis. Entre temps, pour compléter l’album, Yann a réalisé quelques scenarii sur un phénomène qui est arrivé dans les relations amoureuses et sexuelles : le sida.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’album que vous êtes en train de préparer ?
Je suis en train de réaliser un album à propos de Chlorophylle, le personnage de Macherot, mais à ma façon, avec des animaux beaucoup plus réalistes, plus naturels, plus proches de la nature. C'est un album de 46 planches qui sera terminé pour le mois d’octobre, peut-être avant…
Après, je ferai certainement un album seul dans la veine du Camp Volant.
Merci beaucoup Monsieur Hausman.
Propos recueillis pas Laurent Lafourcade
Images © René Hausman
Photo en médaillon © René Hausman site officiel
Photographie d'expo © Jean Jacques Procureur
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