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Rencontre avec Thierry Gloris pour : Une génération française

Thierry Gloris, scénariste, nous a accordé un entretien téléphonique passionné et passionnant. En voici la première partie consacrée à sa nouvelle série événement : Une generation française.

 

 

 

 

 

 

 

 

Thierry Gloris

 

 

Bonjour Thierry. « Nous vaincrons », premier album de la série « une génération française », raconte le destin de Martin Favre. Qui est-il ?

 

C’est un étudiant ordinaire, qui a une petite vingtaine d’années en 1940 que l’on pourrait situer au centre gauche. Il est issu d’une famille socialiste de la petite classe moyenne, affichant même quelques affinités avec les communistes de l’époque.

 

En 1938, Martin est étudiant en civilisation Allemande. Il côtoie des camarades Allemands sur les bancs de l’université. Il y avait donc déjà dès cette époque des passerelles internationales entre les facultés. Une sorte d’Erasmus avant l’heure ?

 

Non… Dans l’absolu, son camarade d’université, Kurt, comme d’autres jeunes Allemands à cette époque, est destiné à occuper des responsabilités au sein du parti nazi. Dans les années 30, ces futurs cadres étaient envoyés un peu partout en Europe pour étudier, et par la même occasion nouer des contacts et créer des réseaux, souvent dans l’optique de pouvoir servir d’espions ultérieurement. Il y en avait partout, en Russie, en Angleterre, en France. C’est pour cela que par la suite les services de sécurité de ces pays ont bouclé tous les Allemands même s’ils n’étaient pas nazis. La peur d'une cinquième colonne.

 

 

 

 

 

Gloris/Ocana/Garcia/Koehler

 

 

Kurt Dietrich fait entendre à martin les sirènes d’appel au IIIème Reich. Les principaux acteurs de cette politique ont-ils tenté dans les années 30 une invasion pacifique, comme cela pourrait l’être dans une secte avant d’employer la force ?

 

La situation était un peu paradoxale. Droite et extrême-droite avaient des sentiments anti-germanistes dus aux ressentiments liés à la Première Guerre mondiale. Mais il existait une fascination des partis d’extrême-droite français pour l’Allemagne nazie. Le phénomène n’est pas propre à l’époque, il suffit d’ouvrir les yeux sur le FN actuellement. De nos jours encore, il existe un bal annuel en Autriche qui réunit des membres de partis d’extrême-droite issus de plusieurs pays européens. Malgré les rivalités qui peuvent exister entre les partis d'extrême droite de ces différents pays, on constate une sorte de solidarité entre eux (Marine Le Pen y a participé en 2012). Dans l’album, Martin, le héros, de par son amitié avec Kurt, est amené à côtoyer un peu ces milieux, sans toutefois y entrer. Il a plus un rôle de spectateur. Il aime bien son camarade allemand, avec qui il partage la passion des femmes. Il n’en sait pas plus sur lui. D’ailleurs, dans l’album, Kurt n’est encore qu’un étudiant. Il va aller là où il doit aller. Contrairement à un cliché répandu, tous les nazis n'étaient pas que des brutes incultes. Certains étaient des universitaires avec un haut degré d'instruction,

 

Y a-t-il eu de ces étudiants Allemands en France qui ont pu choisir de rejoindre les rangs Français ?

 

Au niveau des étudiants, je ne sais pas. En revanche, il y a eu des soldats durant l’Occupation, qui sont rentrés dans la résistance française en tant que soldats Allemands, donc sous uniforme Allemand, souvent par ferveur communiste. Ce sont des communistes allemands qui ont réussi à « passer sous le radar », car les communistes étaient envoyés en camps ou rééduqués, et sont donc entrés en contact avec la résistance française une fois que l’Allemagne nazie est entrée en guerre contre l’Union Soviétique. Donc il y a eu des soldats Allemands occupants qui ont aidé la résistance française. J’ai recensé au moins deux cas, un qui a écrit un livre, l’autre qui a fait pas mal de témoignages en télévision ou en presse.

 

 

 

 

© Gloris/Ocana/Garcia/Koehler Quadrants

 

 

 

Martin, tout d’abord plus préoccupé par les marivaudages, se rend compte qu’il est obligé de s’impliquer. Il défend ses amis Allemands contre un groupe de l’action Française et c’est Otto Abetz, chargé de promouvoir la politique du IIIème Reich, qui le sort de garde à vue. Pour Martin c’est à en perdre le Nord…

 

Oui. Au milieu des années 30, on trouve beaucoup de similitudes avec la situation actuelle, même si de nos jours il n’y a pas la menace de l’Allemagne nazie aux portes de la France. Les gens étaient complètement déboussolés. Ils ne réagissaient qu’à l’instinct, un peu comme actuellement, les gens réagissent à chaud à telle ou telle information qui sort dans les médias. Il n’y a pas de réflexion sur le long terme, il n’y a souvent pas de raisonnement politique réfléchi et structuré. Martin est dans cette logique-là. Du fait de l’implication politique de sa famille qu'il subit depuis l’enfance, il est dans le rejet de l'engagement, du militantisme. Il est dans la logique du « je ne veux pas m’impliquer », alors que les circonstances l’obligeront à s’engager. Pourtant, il ne réagit qu’à l’instinct, car pour l’instant il est jeune et sa conscience politique n’est même pas éveillée alors que l’Allemagne nazie est là et que déjà retentissent les bruits de bottes. C’est un peu comme actuellement, avec les gens qui ne s’impliquent pas, même pour aller voter. Mais là, l’enjeu est complètement différent. Le parallèle fonctionne du point de vu de l'attentisme psychologique pas vis à vis du contexte historique. Mais le rôle du scénariste n'est-il pas de créer de l'empathie entre un lecteur contemporain et un héros du passé en leur faisant partager un même « état psychologique » ?

 

Martin est incontestablement un pacifiste. Malgré un père socialiste, ayant subi la grande guerre, et souhaitant que tout soit fait pour éviter une nouvelle invasion, Martin espère que la situation va s’apaiser toute seule.

 

Oui, Martin est pacifiste, mais il a une véritable passion pour l’Allemagne. D’un point de vue psychologique des personnages, le père à une telle répugnance pour ce pays qu’il a combattu, que le fils en éprouve une véritable passion. Dans ce sens-là, il arrive à comprendre pourquoi le conflit de 14/18 a eu lieu sans voir arriver celui de 39. C’est cela qui l’intéresse. Finalement, celui de 39 ça ne l’intéresse pas puisque ça le touche directement alors que celui de 14/18 fait partie de l’Histoire. On peut bien reconstruire sur quelque chose qui est ancien, mais voir le futur est complexe. C’est le concept de la paille et de la poutre. On voit la paille dans l’œil du voisin mais on ne voit pas la poutre que l’on a dans le sien. Martin n’arrive pas à se projeter…ou il ne veut pas.

 

Dès 1938, des hommes politiques comme De Gaulle et Reynaud, ministre de la défense, voient en Hitler un réel danger et s’apprêtent à aller au conflit armé, alors que Daladier, président du conseil serait plutôt prêt à collaborer…

 

Non, je ne suis pas tout à fait d’accord. En 1938, nous avons des politiciens au pouvoir. On n’est pas sûr que la guerre va arriver. Ils ne la voient que comme un événement politique et non comme un événement qui pourrait être criminel. Si ça arrive, il va falloir créer une union sacrée de tous les partis politiques français. Si on crée cette union sacrée, il va falloir en exclure les communistes parce que les soviétiques ont une position ambiguë vis à vis de l'Allemagne nazie en 1938. Les politiciens ne réfléchissent qu’en terme politique et non pas en terme militaire ou en terme de guerre totale. Ils ne perçoivent pas le danger mortel pour la République de l'Hitlérisme.

 

 

 

 

© Gloris/Ocana/Garcia/Koehler - Quadrants

 

 

La guerre totale, c’est totalement nouveau. C’est Hitler qui l’invente. Ça n’existait pas avant. Lorsqu’il y avait une guerre, on envoyait le peuple se faire déchirer sous les canons. C’était le cycle normal de l’Histoire. L'un des protagonistes arrachaient des gains, souvent territoriaux, à l'autre. Un traité venait officialiser l'état de fait. Puis on attendait la guerre suivante. Là, sur cette guerre qui va arriver, on est sur quelque chose de complètement différent. L'industrialisation fait que la masse démographique n'est plus la donnée primordiale. Le seul qui a cette vision sur la mécanisation de la guerre pouvant amener à des catastrophes, c’est De Gaulle. C’est un théoricien militaire. En se disant que rien n’arrêtera une armée de chars, ce qui a été une réalité en 40, il arrive à penser que l’état, ou tout du moins une armée, peut complètement s’effondrer. Mais il est le seul parce que les autres sont des politiciens. Ils réfléchissent en terme de carrière, de placement des copains. Quand arrive le régime de Vichy avec le Maréchal Pétain, on a à peu près le même marigot politique qui se reconstitue. Malgré la présence des Allemands, malgré l’armée Française qui est complètement détruite, ils réfléchissent toujours en terme politique. Ils font de petits arrangements, de petites combinaisons. Même si au fur et à mesure la politique de Pétain va exclure de plus en plus pour révéler sa vraie nature : Un pouvoir réactionnaire et raciste à la botte des nazis.

 

Martin va inévitablement se trouver mobilisé. Cet épicurien garde le sourire mais il va se trouver sous les ordres du sergent Lemark, véritable tyran pour ses troupes. Est-ce un cliché ou la majorité des gradés étaient-ils de cette trempe ?

 

Lemark est un sous-officier, pas officier. Il est relativement proche de ses hommes, même si c'est une peau de vache. Il y a une petite différence. Dans son livre L’étrange défaite, l’historien Marc Bloch raconte qu’en 1940 il a été mobilisé en tant qu’officier de réserve. Il a connu la défaite. Cet ouvrage est très intéressant car il a été écrit par un intellectuel, à chaud avec pourtant un recul extraordinaire. Ce recul-là, les historiens l’auront quinze ans après la fin du conflit. Lui l’a quasiment immédiatement. Il explique que les sous-officiers, étant proches de la troupe, étaient d'excellents rouages de la chaîne de commandement. Lemark, par exemple, dans tout ce qu’il a de gueulard, voulant que ses hommes se fassent violence pour aller toujours plus vite, plus loin, est dans une logique de préservation de ses troupes. La sueur épargne le sang. Du côté des sous-officiers il n’y avait pas de problème. Ils étaient là. Ils étaient professionnels. La troupe, c’était comme les conscrits de 14, ils n’avaient pas trop envie de se bouger. Mais avec les sous-officiers qui étaient là pour les encadrer, il n’y a pas eu de réels soucis. Ils ont fait leur « devoir ». En revanche, du côté des officiers, c’était n’importe quoi. Le problème ne venait donc pas des sous-officiers ou de la troupe mais du haut commandement. Il y a plusieurs témoignages de Bloch racontant ne pas avoir de nouvelles de son officier de commandement, disparu pendant trois semaines. D’un autre côté, il disait aussi qu’au niveau du commandement, en fonction des différents corps qui sont censés collaborer ensemble, chacun était jaloux de sa propre autorité. Chacun faisait donc des notes qui devaient remonter plus haut à la hiérarchie. Moralité, ça prenait un temps monstrueux et rien ne se faisait. Cette situation se retrouvait au plus haut du commandement français, le général Gamelin ne supportant pas son principal second, le général Georges. Les deux hommes communiquaient quasi uniquement par notes écrites pour ne pas s’adresser la parole.

 

 

 

©Gloris/Ocana/Garcia/Koehler  - Quadrants

 

 

 

 

Dans le régiment, il y a un soldat juif en la personne de Léon Cohen. On y apprend que même en France les Juifs pouvaient être victimes de racisme.

 

En 1940, l’antisémitisme est partout en Europe. Ce n’est pas l’antisémitisme de maintenant. Aujourd’hui, il y a une espèce de confusion entre juifs et Israéliens qui amène autre chose. A l’époque, c’est un antisémitisme soit raciste, venant d’extrême-droite, parce que « c’est une race sans terre », parce que « c’est une race qui vient corrompre la race blanche », soit traditionnel, chrétien, parce que « c’est le peuple qui a tué le Christ ». Cet antisémitisme ambiant est partout en France, notamment dans l’Eglise et l’armée où il est présent, notamment au niveau des officiers.

 

Les scènes de guerre sont d’une boucherie sans nom. Corps explosés, victimes entassées, on sent même les odeurs de chairs brulées. A côté de cela, les survivants ont le choix entre deux attitudes que tu montres bien : la panique, comme ce soldat voulant fuir devant l’arrivée des panzers, ou la banalisation de l’horreur. Y avait-il une alternative entre ces deux attitudes ?

 

Je ne pense pas. Dans l'album, nous sommes là où a lieu le « schwerpunkt », le centre de gravité allemand, là, où les nazis décident de percer la ligne Française. Là, c’est un combat à forces inégales. Avec l'élite des troupes mécanisées nazis d’un côté et de l’autre des conscrits avec quasiment que des fusils pour les stopper. En fait, sur cet album-là, et encore plus sur le second, ce qui m’intéressait c’était de mettre en avant la guerre de 40. L’image d’Epinal que l’on en a, c’est le film La Septième Compagnie et le saucisson à l’ail. La vérité, c'est que la campagne de 40 n'a pas été une partie de plaisir. Le bilan est là pour l’attester : en 45 jours, 552 900 soldats furent tués ou blessés dans les deux camps,  dont 342 000 Français. Pour la France, 92 000 morts  au champ d’honneur, pour l’Allemagne, 50 000, plus qu’à aucun moment  de la première guerre mondiale.  Les pertes quotidiennes allemandes y furent supérieures à celles de la campagne de Russie  de 1941. Sur les 3000 chars allemands, 1100 furent détruits ou endommagés. Tout cela est très bien remis en perspective dans le bouquin de Dominique Lormier, « Comme des lions - Mai-Juin 1940, le sacrifice héroïque de l’armée française. »  Calmann-Lévy 2006.

 

 

 

 

©Gloris/Ocana/Garcia/Koehler  - Quadrants

 

 

 

Quand L’Etat français est arrivé au pouvoir, ils ont fait en sorte que la campagne de 40 soit vue comme le résultat du ramollissement moral de l’esprit Français. Pour ce gouvernement, la force morale de la France a été sapée par la gauche depuis 1936 et le Front Populaire. La propagande de Vichy a donc induit que la défaite de 40 était due à une dégénérescence de l'esprit guerrier français. C'est de la pure propagande. Elle est restée dans l’imaginaire français. Alors que non, la campagne de 40 est avant tout une défaite militaire. Si nous avions eu des chefs militaires un peu plus prévoyants, clairvoyants, ou tout simplement un tout petit peu plus professionnels, ça n’aurait pas été ce désastre total. Quand on voit le nombre de morts français, on comprend bien que des gens se sont battus, ont résisté. Notre héros Martin est pile poil positionné sur le « schwerpunkt », le point fort allemand, l’axe de progression. Les gars ne pouvaient rien faire, c’était impossible. Nous avions les tirailleurs sénégalais qui chargeaient à la baïonnette sur des chars blindés allemands.

 

C’était de la chair à canons.

 

C’était juste totalement inadapté. Le problème est que là où ont attaqué les Allemands, les Français en face n’avaient que ça. On avait bien des canons, des chars des avions modernes, mais ils avaient été envoyés se promener en Belgique. Les allemands ont été plus malins. Ils nous ont attaqués par la Lorraine, dans la zone de Sedan. En face, il n’y avait rien de consistant. Il y avait des conscrits avec des fusils et leur courage. Leurs seules solutions étaient de se sacrifier ou de courir, ou d’être prisonniers.

Dans cette série, je suis vraiment sur l’idée que la défaite de 40 n’est pas morale, mais militaire avant tout. Un civil ne devient pas un militaire en trois mois. Martin est un civil qui se fiche de l’armée et de la politique. Il se retrouve là et une fois qu’il y est, puisqu’il faut faire la guerre, il la fait comme la majorité des français l’on faite : Avec courage et esprit de sacrifice.

 

Quand on parle d’une guerre quelle qu’elle soit, on n’imagine pas que tous les acteurs impliqués ne savaient pas pour combien de mois, combien d’années, ils en avaient avant d’entrevoir la fin du conflit. Comment prendre en compte cette donnée dans un récit comme une génération Française ?

 

Dans « Une génération française », comme dans mon autre série « Malgré nous », j’ai travaillé sur la base de témoignages. Des anciens m’ont accueilli gentiment et j’ai pu discuter avec eux. C’est émouvant, ils racontent leur vie. Souvent, ceux qui ont fait 39-40 ont fait l’Algérie après. C’est une matière un peu complexe à utiliser mais toujours est-il que c’est très intéressant. Ce qui m’a vraiment frappé c’est que chacun a sa propre vision de la guerre. Parfois, des gens qui sont des héros, qui se sont battus, qui ont fait des choses extraordinaires, vous avez beau leur dire que historiquement il s’est passé tel événement et que ce qu’ils vous racontent ne peut pas avoir eu lieu à ce moment précis, eux sont convaincus de l’avoir fait et sont convaincus d’avoir raison. Je ne dis absolument pas que la personne ment, c’est juste qu’individuellement le témoin a sa vérité et a sa vision sur cette guerre-là. J’ai trouvé ça extrêmement intéressant et c’est pour cela qu’est née « Une génération française ». Chacun fait sa guerre, chacun a son propre point de vue, ce qui peut opposer les gens alors que sur le fond ils sont d’accord. Par exemple, les visions que chacun avaient de Pétain différaient, en fonction du moment où ils s’étaient ralliés avec la France libre. Certains le voyaient uniquement comme un traître, d’autres étaient plus modérés et l'idée que Pétain avait « préservé » la France d’une défaite pire en signant l’armistice n'était pas loin.

 

 

 

© Gloris/Ocana/Garcia/Koehler - Quadrants

 

 

 

La page de garde montre trois personnages : Martin, sa sœur Zoé, et le lieutenant Tanguy. Martin est le personnage principal de cet album alors que Zoé apparaît dans deux courtes scènes et Tanguy à deux planches de la fin.

 

Martin est le frère de Zoé. Tanguy va venir télescoper le destin de Martin. Le concept de la série est de suivre dans trois diptyques les destins de ces trois personnages. D’un point de vue purement scénaristique, c’était complexe et jouissif à faire. Dans la deuxième partie de l’histoire qui sera consacrée à Tanguy, on suivra Martin sous les traits d’un autre dessinateur, pas très longtemps, mais pendant une dizaine de pages.

 

On retrouve également ces trois personnages en 4ème de couverture attablés à la terrasse d’un café parisien. C’est une situation qui va pouvoir se rencontrer ?

 

On est dans l’onirisme. Ça me parait difficile. Il y aurait une possibilité mais on serait très loin dans la série.

 

C’est ta deuxième série concept après Champs d’honneur. Est-ce un phénomène de mode ?

 

Le problème est qu'actuellement les lecteurs ont du mal à attendre un album. A moins d’être un monstre de rapidité ou un très grand auteur comme Marini ou Rosinski, le public ne veut plus attendre un an. On se retrouve donc dans un paradoxe où, alors que pour essayer d’installer une série il faut trois ou quatre albums, les éditeurs ne laissent la possibilité de n’en faire financièrement que deux.

Dans cette série-là, on n’est pas vraiment dans un concept. On est dans une histoire de destins durant la seconde guerre mondiale. Mes personnages sont là. Ils vivent comme dans toute histoire de bande dessinée, sauf qu’en ayant plusieurs dessinateurs et en travaillant rapidement, nous avons réalisé six albums qui vont sortir en moins de deux ans.

 

As-tu écrit tous les scénarios ?

 

Quand on travaille sur une série de ce genre, tout est déjà balisé. Les trois premiers tomes sont entièrement terminés. Je viens de finir le découpage du quatrième, qui est déjà à moitié dessiné. Pour le cinquième, il ne manque plus que la couleur. Il ne reste que le sixième album à terminer. Je ne l’ai absolument pas commencé mais je sais où je vais.

 

 

 

 

 

© Gloris/Ocana/Garcia/Koehler - Quadrants

 

 

Comment s’est fait le choix des dessinateurs ?

 

Il y a eu plein de tests, et des refus pour différentes raisons. Je pense qu’il y a une espèce de hasard. Edouardo Ocana, je l’ai simplement contacté. Il m’a fait un essai et ça a été validé par tout le monde. Manuel Garcia, le dessinateur des albums sur Tanguy, m’a été présenté par Jaime Calderone en Belgique sur un festival. Nous avons sympathisé, et quand on a eu l’opportunité de travailler ensemble, je l’ai contacté. On a fait un test qui s’est avéré concluant. Anna Luisa dessine les albums consacrés à Zoé. Cela faisait très longtemps que j’avais remarqué son boulot. Elle fait normalement de la bande dessinée en couleurs directes. J’avais trouvé ça très chouette et je m’étais dit qu'elle pourrait peut-être reprendre un jour « Malgré nous » (fantasme). On a fait un test et ça a marché. Il faut une homogénéité mais il ne faut pas que ce soit un produit. Nous n’avons demandé à aucun des dessinateurs de faire comme l’autre. Chacun a travaillé isolément. Le seul à avoir une vue d’ensemble, c’était moi. Cela crée parfois des séquences qui se recoupent où il y a deux points de vue d’un album à l’autre. Graphiquement, ce n’est pas une science exacte. Les dessinateurs ont travaillé uniquement en fonction de mon découpage. Ils ont donné une vision singulière sur chaque séquence. C’est le choix que nous avons fait. Le dessin de l’histoire de Zoé est différent, moins réaliste que les deux autres, mais cela donne un résultat très intéressant.

 

Que ce soit sur cette série ou sur une autre, as-tu été embêté par des puristes, pinailleurs de détails sur les uniformes, les armes,… ?

 

Oui, évidemment. Mais, à la limite, je ne m’adresse pas à eux. Bien sûr, je suis satisfait s’ils sont contents. Mais si tout n’est pas parfait, qu’ils aient au moins l’intelligence de se dire que le sujet a été traité par un auteur. Ce dernier a sa vision subjective. Et c'est humain. Tout simplement humain. S'ils veulent de l'Histoire, je peux leur envoyer ma bibliographie de travail !

J’ai toujours écrit de la bande dessinée par rapport à l’enfant que j’étais. L’Histoire est devenue ma passion grâce à la BD. Ce n’était pourtant pas l’Histoire exacte. Si l’on prend l’exemple d’Astérix et Obélix, les vrais gaulois mangeaient du chien et vénéraient les sangliers. Ce n’est pas vraiment l’image que la BD en donne.

 

Fabrice Le Henanf va-t-il être chargé de toutes les couvertures pour une unité de la collection ?

 

Il va pour l’instant nous faire les trois premières.

 

S’il y avait une saison deux, que raconterait-elle ?

 

Plein de choses. D’autres personnages viendraient se greffer. On ne serait plus dans les mêmes années. Les six albums forment une mini-série première saison. Elle se termine en 41. Le titre veut tout dire : c’est une génération. Tous les albums vont se terminer par des événements historiquement clés.

La seconde guerre mondiale a rebattu les cartes. Nous sommes toujours sous le programme de la résistance. Actuellement, en voulant libéraliser l’économie, les politiciens vont contre ce programme. Ils changent le paradigme. Nous avons connu l’occupation. Nous nous sommes libérés par nous-même, au moins d’un peu de vue idéologique, même si d’un point de vue militaire ce n’est pas tout à fait vrai. Les américains ne nous ont pas amené leur constitution comme dans d’autres pays. On s’est reconstruit par nous-même et la reconstruction s’est faite par le programme de la résistance. S’il y a une autre saison d’ « Une génération française », il y aurait tout cela.

 

La Seconde Guerre Mondiale est un thème qui a été maintes fois traité en BD. Y a-t-il eu une série qui t’a plus particulièrement marqué ?

 

Il était une fois en France, de Nury et Vallée. Mais ce qui est drôle, c’est que pour moi ce n’est pas un album sur la Seconde Guerre Mondiale. C’est un polar sur le destin d’un escroc. Mais c’est actuellement la meilleure série sur la période.

 

Et s’il y avait un film ou une série télévisée à retenir sur le thème ?

 

Le meilleur film est L’armée des ombres de Melville. C’est ce qu’il y a de mieux sur la résistance et cette période-là. En télévision, la série Un village Français est très bien faite.

 

Merci Thierry. A très bientôt pour la suite de cet entretien.

 

Propos recueillis par Laurent Lafourcade

 



Publié le 18/04/2017.


Source : Bd-best


Delphine Le Lay et Alexis Horellou ralentissent la cadence : « Nous n’imaginons pas poser des images qui ne correspondraient pas à la réalité »

À l’aube d’un prometteur printemps, entre la pluie et l’éclaircie, Delphine Le Lay et Alexis Horellou nous sont revenus avec un album qui préface le changement et fruit des temps qui courent alors que tout a toujours tendance à toujours s’accélérer. Et si on ralentissait ? En se servant d’une route vers la belle Bretagne pour croiser les destins de deux héros bien différents. Un ouvrage simple et qui fait pourtant tellement écho à nos aspirations les plus folles même s’il ne tient qu’à nous de forcer le destin. Nous en avons profité pour nous entretenir avec Delphine et Alexis.

 

 

 

 

 

 

 

© Le Lay/Horellou chez Le Lombard

 

Bonjour Delphine, bonjour Alexis. Quand avez-vous eu, pour la dernière fois, envie de ralentir ?

Delphine & Alexis : Tout à l’heure… Nous nous faisons souvent la réflexion que nous devrions ralentir un peu, d’autant plus depuis ce livre, mais nous avons toujours beaucoup de projets et l’irrésistible envie de les voir aboutir.

Avant toute chose, qui êtes-vous, d’où nous venez-vous ?

Delphine & Alexis : Nous venons de Pau (Alexis) et de Douarnenez (Delphine). Nous nous sommes rencontrés à Bruxelles, où nous avons vécu quelques années. À notre retour en France, nous avons choisi un endroit au hasard, au milieu d’un triangle Pau/Douarnenez/Bruxelles. C’est ainsi que nous nous sommes installés en Mayenne, à Niafles.

 

 

 

 

Dessin pour le journal communal de Niafles © Alexis Horellou

 

 

Qu’est-ce qui fait qu’à vous deux, vous faites la paire ?

Delphine & Alexis : À peu près tout. Nous nous complétons bien souvent. Ce que l’un n’aime pas faire, l’autre le fait volontiers. C’est idéal. Pour ce qui est de la BD, nous avons des esthétiques et univers très différents, mais qui s’accordent sans difficulté sur nos projets. Nous partageons la même façon d’envisager la narration. Nous avons aussi des goûts communs, et nous discutons volontiers en cas d’avis contraires. Du coup, chacun apporte à l’autre, sans forcément lui faire changer d’avis.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire ce roman graphique ? Quel a été le déclic ?

Delphine & Alexis : Le déclic a été les retours que nous avons eus sur « Plogoff » et « 100 maisons » (nos précédents albums). Beaucoup de gens nous demandaient si de telles actions seraient encore possibles aujourd’hui. Nous avons donc commencé à réfléchir à ce qui était possible aujourd’hui. Quelles alternatives ? Quels moyens pour se sortir de la crise actuelle et du système qui nous emmènent tous dans le mur.

 

 

 

 

© Le Lay/Horellou chez Le Lombard

 

Ralentir, c’est une étape de transition qui mène vers ailleurs et autre chose, non ?

Delphine & Alexis : Oui, c’est se poser un peu, faire le point, pour pouvoir faire des choix. Ceci dit, dans notre idée, il s’agit plus de parler de cette transition, que de modifier son rythme. Nous ralentissons de fait en préférant le vélo à la voiture, en prenant le temps de bricoler ce dont on a besoin avec des matériaux de récupération plutôt que d’acheter des trucs tout faits, en prenant le temps d’aller chez Emmaüs, qui n’ouvre que deux fois par semaine… Ça offre un autre rapport au temps et aux choses. Mais au-delà du simple fait de ralentir, nous pensons que ça nous prépare au monde de demain.

 

 

 

 

 

© Le Lay/Horellou chez Le Lombard

 

Naturellement, on ne ralentit pas en un coup. Ça doit s’inscrire dans la durée, non ?

Delphine & Alexis : Certains choisissent de tout changer du jour au lendemain. Ils disent que le changement ne peut pas se faire en douceur. Qu’à un moment, il y a un déclic, et on change tout. Nous sommes plutôt (pour l’instant ?) dans un changement progressif, à notre rythme, selon nos moyens d’action.

Travailler en couple, à l’heure où des scénaristes et dessinateurs travaillent à distance, par Skype, parfois sans même se rencontrer, ça change la donne ? Vous laissez-vous penser à votre histoire à n’importe quel moment, ou mettez-vous le holà ?

Delphine & Alexis : Pour nous, c’est un confort. Travailler avec des gens à distance (ça nous arrive), c’est souvent contraignant. Nous remarquons que beaucoup ne répondent pas rapidement aux mails, coupent régulièrement leur téléphone… Il y a une forme de saturation pour certains à être joignable en permanence.

 

 

 

 

© Le Lay/Horellou

 

Le côté positif de se parler en face-à-face c’est aussi de dénouer tout de suite les incompréhensions. Par mail, ça peut vite monter en épingle et pourrir la relation de travail.

Concernant la deuxième partie de la question, nous pensons à nos projets et en discutons à tout moment, lorsque nous sommes à deux. Lorsque nous sommes en famille, nous privilégions les discussions avec les enfants.

David, Emma, deux personnages qui s’opposent entre triste routine et changement perpétuel. Vous vous êtes reconnus dans ces deux personnages ?

Delphine & Alexis : Non, pas vraiment. Emma est vraiment casse-pied. Si on la rencontrait, il est probable qu’elle nous fatiguerait assez vite. Quant à David, nous n’avons jamais rêvé, ni l’un ni l’autre, d’un parcours bien tracé, sans risque, d’être le meilleur, de courir après une reconnaissance sociale.

 

 

 

 

 

Recherches pour le personnage d’Emma © Le Lay/Horellou

 

 

La couverture donne le la, Ralentir fera œuvre de contraste ?

Delphine & Alexis : Nous souhaitions mettre en présence deux façons de vivre très différentes, sans pour autant que l’un ait tort et l’autre raison. Car il n’y a pas de vérité absolue. Il y a des points de vue et des choix.

Preuve en est : la couleur et le rouge, notamment. Parcimonieux au début, il enveloppe de plus en plus l’album. Pourquoi cette couleur ? Le traitement des couleurs est très inspiré, comment vous est-il venu ?

Alexis : La couleur est assez instinctive. Je travaille habituellement avec peu de couleurs. J’ai choisi des ambiances colorées par rapport aux ambiances de l’histoire. Je voulais quelque chose de sobre.

 

 

 

 

© Le Lay/Horellou chez Le Lombard

 

Graphiquement, comment avez-vous envisagé les choses ?

Alexis : J’ai fonctionné de façon différente dans l’album. Il y a des planches entières, et il y a aussi des dessins isolés, que j’ai monté ensuite sur ordinateur pour en faire des pages. J’ai cherché une justesse dans le trait, ce qui m’a amené à refaire plusieurs fois certaines cases.

Vous le dites en postface, Ralentir devait initialement s’appeler « À contre-courant », mais les deux ne sont-ils pas intimement liés, surtout par les temps qui courent ?

Delphine & Alexis : Oui, c’est lié. Ralentir peut être un début pour entamer des changements concrets. Mais ça ne peut pas suffire. On peut vivre autrement avec un rythme soutenu, et on peut vivre plus lentement en consommant à outrance des produits de mauvaise qualité.

 

 

 

 

© Le Lay/Horellou chez Le Lombard

 

Ralentir, au propre comme au figuré. Vous en exploitez les deux sens, si bien que vous en faites un road-movie partagé par deux personnages ayant tous deux une vision des choses très différentes. Il vous a fallu du temps pour décanter vos idées et trouver le fil conducteur ?

Delphine & Alexis : Oui, il nous a fallu du temps, d’autant plus que toutes les réflexions que nous avons menées et toute la documentation que nous avons abordée ont nourri non seulement l’histoire, mais aussi notre propre vie. Nous avons porté un regard critique sur nos propres comportements, et nous avons pris conscience que le mur que nous allons nous prendre tous ensemble se rapproche à toute vitesse. C’est un livre qui nous a bien brassés, mais qui nous a aussi permis de franchir des caps.

Une histoire qui a nourri de nombreux échanges pour dépasser la BD et nourrir votre propre vie. Quelles ont été les rencontres marquantes ? Qu’avez-vous appliqué dans votre BD ? Mais aussi dans votre vie de tous les jours ?

Delphine & Alexis : Nous avons rencontré des gens qui avaient fait le choix de tout changer du jour au lendemain : quatre murs, un toit, produire son électricité et donc réduire sa consommation au maximum, chauffer son eau, ne filtrer que ce qui est nécessaire à filtrer, créer un jardin permaculturel, retaper la maison sans argent, avec de la récupération… Leur autonomie nous a fait rêver, elle nous a rassurés. Comme s’ils étaient la preuve que, le jour où tout se sera effondré, nous aurons encore la possibilité de vivre. Malgré tout, ils mangeaient encore parfois du Nutella. Ça aussi c’était rassurant. Parce que tout bien faire d’un coup, c’est impossible.

 

 

 

 

Recherche de couleurs © Le Lay/Horellou

 

Nous avons aussi rencontré des gens qui étaient plutôt dans un cheminement et c’est sans doute ces gens-là qui nous ont donné la motivation de passer à l’acte. Le discours « changer quelque chose vaut mieux que de ne rien changer ». Ce qui est pris est pris. Et on commence par quelque chose qui ne nous coûte pas trop, voire qui nous fait plaisir.

Nous avons créé, dans notre village, un petit lieu de convivialité. Nous dédions deux pièces de notre maison à un petit café culturel, que nous ouvrons, bénévolement, quatre fois par semaine. Le reste du temps, c’est notre cuisine. Nous avons fabriqué, avec des voisins, un manège à vélo pour les enfants de passage. Nous avons une petite boutique, dans laquelle nous proposons des livres et objets créés par des artistes professionnels qui ne sont pas présents dans les gros réseaux de distribution. Un pourcentage des ventes va à notre association, pour financer ses actions. Nous nous essayons aussi à la permaculture. Nous préférons le vélo à la voiture dès que possible, nous avons changé de système de chauffage, et appris à se couvrir quand il fait un peu frais…

Ces derniers temps, on a vu un engouement pour des œuvres comme En quête de sens ou Demain, ces documentaires ont nourri des vocations. Sont-ils entrés dans votre processus ?

Delphine & Alexis : Nous n’avons pas vu « En quête de sens », et nous avons découvert « Demain » il y a quelques semaines…

Mais n’est-on pas souvent frileux au changement ?

Delphine & Alexis : Nous avons voulu regarder « Demain», car certaines personnes, qui l’avaient vu au cinéma, en étaient sorties démoralisées, avec l’impression que le chantier est trop grand, qu’il faut changer trop de choses. D’autres continuent à se demander si c’est utopique.

Au final, c’est peut-être une façon de se protéger du changement, qui, effectivement, est souvent craint et fini par être subit. Ce qui est certain, c’est qu’un changement aura lieu, inévitablement, d’ici quelques décennies. Nous pensons qu’il vaut mieux s’y préparer tant qu’on en a la possibilité plutôt que de le subir violemment.

 

 

 

 

© Le Lay/Horellou

 

L’époque actuelle semble toujours en demander, exiger même, plus. Le moment est idéal pour ne pas se laisser faire et tenter autre chose ?

Delphine & Alexis : Le moment idéal n’est pas le même pour tous, et ce n’est pas à la société de nous donner le top. Le moment idéal est celui où une personne se sent mouvementée, sans pouvoir retrouver son équilibre. C’est le moment où on prend le temps de s’écouter, de se reconnecter à soi-même et de tenir compte de ce qu’on ressent.

Vous parlez de « retour à la terre », quel sens revêt pour vous cette expression ?

Delphine & Alexis : C’est le retour aux choses simples, aux éléments qui permettent d’être en vie et d’en profiter pleinement et simplement.

 

 

 

 

© Le Lay/Horellou

 

« On perd sa vie parfois à devoir la gagner» chantait Johnny (excusez-moi). Ici, il y a toute cette tension paradoxale dans le dialogue des deux personnages. Le nerf de la guerre, c’est toujours l’argent, qui mène à « gagner sa vie ». Quelles alternatives y voyez-vous ?

Delphine & Alexis : L’argent est incontournable parce qu’il est devenu indispensable de consommer des biens et des services. Consommer moins demande presque plus d’effort que de travailler pour consommer.

Si on veut se passer d’argent, il faut apprendre à consommer autrement. Se déplacer à vélo, manger ce qu’on peut produire, créer des réseaux d’entraide, avec des partages d’outils, de savoir-faire, de temps… Mais pour ça, il faut avoir du temps : pour cultiver, pour apprendre, pour se rencontrer. Il faut travailler moins, car plus on travaille, plus on a besoin d’argent : on n’a pas le temps de produire son alimentation, ni de cuisiner, donc on achète des choses faciles souvent plus chères; on met nos enfants à la garderie ou à l’accueil de loisirs, donc on travaille pour gagner de quoi les faire garder ; on travaille pour gagner de quoi partir en vacances pour décompresser parce qu’on a beaucoup travaillé; on travaille pour acheter une voiture, parce qu’on n’a pas le temps de circuler à vélo, parce qu’entre le travail et les enfants, il faut être aux quatre coins de la ville dans le même quart d’heure…

 

 

 

 

© Le Lay/Horellou

 

Je vous ai connu avec Plogoff, l’une des premières bandes dessinées que j’ai lues en vue de mon mémoire sur le BD-reportage et, plus largement, la BD du réel. À partir de quel moment, avez-vous pris conscience tous les deux que la bande dessinée pouvait jouer un rôle non-négligeable dans la compréhension du monde qui nous entoure ?

Delphine & Alexis : Nous avons pris conscience de cela au moment de la parution de « Plogoff », grâce notamment à un échange avec Nicole et Félix Le Garrec (qui signent la préface de « Plogoff »), qui estimaient que la BD était un bon moyen de transmission auprès des jeunes générations. Depuis, nous avons eu des témoignages de lecteurs qui aiment s’intéresser à des sujets historiques, sociologiques, ou politiques par la BD, moins rébarbative qu’un essai, plus ludique peut-être.

Quels sont les albums qui vous ont conforté en ce sens ? Pourquoi ? Des coups de cœur récent ?

Delphine & Alexis : Paradoxalement peut-être, nous lisons peu de BD dites « documentaires ». Nos coups de coeurs en BD : Blast (Larcenet), Panthère (Brecht Evens), Le roi des mouches (Mezzo), Zaï zaï zaï (Fab Caro), Lartigues & Prévert (Benjamin Adam), Patience (Daniel Clowes).

Vous citez aussi Bouli Lanners dans vos remerciements. Que vous a-t-il apporté ? Vous l’avez rencontré ?

Delphine & Alexis : Nous ne l’avons jamais rencontré, mais ses films nous touchent beaucoup. L’humanité, la sobriété, la mélancolie et parfois l’espoir qui s’en dégage. Nous aimons sa façon de rythmer ses histoires, le temps qu’il accorde aux paysages, aux personnages, aux silences.

 

 

 

 

© Le Lay/Horellou chez Le Lombard

 

En lisant vos remerciements, on constate que vous ne laissez pas grand-chose au hasard, vrai ? Vous vous documentez beaucoup ? Et notamment sur la manière dont les pompiers procèdent pour aller sur un accident. Vous nous expliquez ?

Delphine & Alexis : Ça nous paraît naturel. On ne sait pas comment ça se passe, et pourtant on choisit de le montrer… Et puis c’est une histoire encrée dans le réel, avec un trait assez réaliste… nous n’imaginons pas poser des images qui ne correspondraient pas à la réalité.

Ralentir, c’est un projet qui tient à cœur à Nathalie Van Campenhoudt, aujourd’hui en partance vers Casterman. Quel fut son rôle dans cette aventure ? Elle est venue vous chercher ? Éditorialement, comment cela s’est-il passé ?

Delphine & Alexis : Ce projet a été refusé partout. Seule Nathalie a été intéressée. Nous nous sommes rencontrés pour échanger sur la façon dont nous imaginions traiter cette histoire. Nous sommes tombés d’accord. Elle a senti le projet, a cru en ce propos et l’a défendu. La réalisation ensuite n’a pas été facile, nous sommes passés par d’importantes périodes de doutes et de remise en question. Nathalie (et toute l’équipe qui a travaillé sur cet album) s’est montrée très à l’écoute, bienveillante, motivante, et critique à la fois. Nous avons senti un réel accompagnement de la part d’une équipe soudée à nos côtés. C’est une chance d’avoir pu travailler de cette façon.

 

 

 

 

Recherche de couleurs © Le Lay/Horellou

 

Quelle est la suite, pour vous ? Vos projets ?

Delphine & Alexis : Pas de « BD du réel » pour le moment… un retour à fiction. Une histoire de gens, de couples, et d’engagement les uns envers les autres, quelque part entre « Faux-semblants », « Lune froide » et « Six feet under »… mais nous n’en sommes qu’au projet.

 

Propos receuillis par Alexis Seny



Publié le 12/04/2017.


Source : Bd-best


Alcante et Xavier Besse sur Laowai :  Nous nous sommes imposé de rester réalistes, notre héros ne devait pas inverser le cours de la guerre de l’opium

Une épopée dans une page de l’Histoire et des relations internationales très méconnue. C’est ce que nous propose le fantastique trio que forment Laurent-Frédéric Bollée, Alcante (qui ne s’arrête pas entre Dark Museum et Starfuckers) et Xavier Besse avec Laowai. Ou comment un soldat français va se retrouver en pleine guerre de l’opium entre trois empires qui s’affrontent. Cela valait bien une interview avec Alcante et Xavier Besse sur les terres pacifiques de la Foire du Livre de Bruxelles mais toujours sous l’oeil du dragon.

 

 

 

 

 

 

 

© Bollée/Alcante/Besse chez Glénat

 

Bonjour à tous les deux. Xavier, vous êtes un jeune auteur de BD, finalement. Amour de jeunesse, ça ne fait pas si longtemps que vous y êtes revenu?

Xavier : C’est vrai, il n’y a pas si longtemps, je travaillais au Musée des arts asiatiques Guimet, j’étais spécialiste de la porcelaine et de la céramique. Ce qui est assez troublant, c’est que certaines pièces venaient directement du Palais d’été de Pékin, l’un des hauts-lieux de la guerre de l’Opium. Esthétiquement, j’ai donc retrouvé ce monde tout en renouant avec le Neuvième art dont j’avais pris mes distances, à mon grand regret. En fait, on peut dire que je suis un jeune auteur, j’ai commencé la BD en 2010, à 39 ans. Il faut dire qu’à 25 ans, j’avais l’impression que l’aboutissement de ma vie serait de faire un livre sur la céramique et que je devrais me battra pendant très longtemps pour ce faire. Résultat, à 33 ans, je publiais ce livre. Plus tôt que prévu. Je n’avais plus de but et je trouvais que j’avais fait le tour. Et la bande dessinée m’est revenue en pleine poire alors que je n’avais plus fait ça depuis dix ans. C’est Jean-David Morvan qui m’a remis sur les rails. Il m’a coaché en quelque sorte, il trouvait mon travail nul au début, il me faisait recommencer.  Et, au final, ça a payé.

 

 

 

 

Une des premières recherches d’ambiance © Xavier Besse

 

Lao Wai me permettait de pas mal combler mes envies graphiques : des paysages, la ville mais aussi ces pontons en bois dans tous les sens, en pouvant garder une certaine liberté par rapport au scénario de Didier qui était complet et détaillé mais où rien n’était fixe. Si ça marche, tant mieux.

Quelle est la genèse de cet album, alors?

Alcante : Je nourrissais cette envie de Chine, depuis quelques années, déjà. L’étincelle était venue lors d’un voyage en Chine en 2011, à Pékin, Hong Kong… Si j’étais naturellement attiré par cette culture, c’était la première fois que je m’y rendais, invité avec ma femme par une de ses amies. Une fois qu’on y met les pieds, on sent assez vite son Histoire, la force d’un empire millénaire qui redevient une force économique ultra-moderne et n’a plus vraiment besoin d’aides au développement.

 

 

 

 

© Bollée/Alcante/Besse chez Glénat

 

Mon intérêt pour l’histoire m’a amené dans pas mal de musées qui réservaient souvent une section à la guerre de l’opium. Une guerre que je ne connaissais pas tant elle est restée en travers de la gorge des Européens : les Anglais mais aussi les Français. Ceux-là qui bombarderont Pékin et iront jusqu’à dégrader ce que l’on peut appeler le Versailles chinois. Dans ce récit, il y avait de la tension, de la passion, des guerres totalement méconnues de par les raisons peu glorieuses qui les ont menées. Les Anglais se sont comportés comme des véritables narcotrafiquants.

Une fois de retour, j’en ai parlé à Laurent-Frédéric Bollée qui est incollable sur pas mal de sujet. Même lui n’avait jamais entendu parler de cette période de l’histoire pas si lointaine, dans les années 1860, et prenant pourtant place dans un décor phénoménal. Nous sommes allés vers Glénat, l’éditeur historique par excellence et ils ont commencé à chercher un dessinateur d’origine chinoise.

 

 

 

 

© Xavier Besse

 

Pas vraiment le type de Xavier !

Alcante : C’est vrai, Glénat avait dans l’idée qu’un dessinateur originaire de Chine manierait plus facilement les ambiances et les idéogrammes. Je n’étais pas très chaud parce que cela signifierait qu’il faudrait communiquer via un traducteur et un malentendu est si vite arrivé. Alors, j’ai imposé une condition, que le dessinateur parle un minimum d’anglais…

Xavier : … ce que je fais pas trop mal. (rires). On ne se connaissait pas. Bien sûr j’avais lu le XIII Mistery de Didier et le Deadline de Laurent-Frédéric, mais ça s’arrêtait là. Et c’est Jean-David Morvan, encore lui !, qui a suggéré mon nom. J’ai soumis quelques dessins à l’éditeur et à Didier et l’aventure a pu commencer : j’ai reçu une réponse de Didier dans l’heure, il était dithyrambique. C’était un moment un peu magique. Et dès que j’ai lu le scénario, j’ai eu plein d’images en tête.

 

 

 

 

© Bollée/Alcante/Besse chez Glénat

 

Comment avez-vous travaillé ensemble ?

Xavier : J’ai repris le découpage sur certains points, Didier et Laurent-Frédéric n’étaient pas contre du tout. Je pense que j’ai bien réussi le personnage du sergent Marais, sinon… Je l’avais déjà dessiné quelques fois quand j’ai trouvé le visage qu’il lui fallait. Dans une case, je lui fais faire une grimace, et c’est ce visage que je voulais…


Alcante : Du coup, j’ai envie qu’il apparaisse dans plus de scènes, ce sergent ! De mon côté, je ne m’estime pas être un très bon dialoguiste mais je lui ai mitonné un de ces dialogues. Xavier est très fort et il progresse encore.

Xavier : Les intérieurs, je ne sais pas trop les faire.

Alcante (qui n’en revient pas) : Arrête, tu les fais super bien. Le volet. La scène où le vieux se suicide.

Xavier : C’est le tapis qui donne cet effet.

Alcante : Puis, il y a le lustre…

Xavier : C’est un lustre hollandais, ils en avaient partout, là-bas, à l’époque.

Alcante : Au final, c’est beaucoup de travail, mais ça ne se sent pas. Xavier a un réalisme et un niveau de détails qui nous plonge directement dans l’histoire, dans l’époque qu’il fait revivre. C’est un voyage dans le temps et géographique. Après coup, on peut caler trente minutes sur une case.

 

 

 

 

© Bollée/Alcante/Besse chez Glénat

 

Alors, l’histoire commence doucement, nous ne sommes pas encore en Chine, ce n’est pas encore la guerre.

Alcante : Oui, en général, c’est comme ça. On se prépare doucement, il y a des tractations, c’est l’incertitude. Mais dans le tome 2, ça va vraiment bien éclater. L’idée est de plonger ce jeune Français, François Montagne. Un soldat d’infanterie parti de Toulon (une infanterie qui a réellement existé, on en a retrouvé un carnet de bord) qu’il fallait rendre vivant et de manière à ce que le lecteur s’y attache. C’est un soldat qui n’obéit pas aveuglément aux ordres, un  gars bien quoi, sur un champ de bataille que vont se disputer trois empires. Comment va-t-il s’en sortir ? Comment va-t-il s’arranger avec sa conscience alors que tout le pousse ailleurs ? Son visage sur la couverture, c’est pile-poil ce qu’il fallait. On devine son courage, qu’il est costaud mais aussi indigné et scandalisé.


Xavier : Pour le coup, il y a eu beaucoup d’allers-retours sur l’expression à lui donner.

Alcante : On part d’un brouillon mais tant que le dessin n’est pas finalisé, on ne voit pas comment il va se concrétiser. Il faut rendre l’expression au bout du dessin.

Comment l’avez-vous créé ce personnage. Je me disais qu’il avait un petit quelque chose de Clint Eastwood ?

Alcante : On nous l’a dit aussi mais en écrivant ce scénario, j’ai pensé à un autre acteur. J’ai envoyé sa photo à Xavier au moment de commencer l’histoire. C’était…

Xavier : Alex Pettyfer, le gars dont je m’inspirais pour mon histoire… précédente. Comme quoi !

 

 

 

 

© Bollée/Alcante/Besse chez Glénat



 

Vous avez rencontré des difficultés ?

Xavier : La principale fut de restituer le Shanghai de 1860. Il n’existe aucune photo, aucune documentation le montrant. Pour plus tard, 1890, oui, mais ça n’a plus rien à voir. J’ai eu vraiment du mal à trouver de la documentation.

Puis, dans la partie française, il y a la séquence de montagne, en haut d’un piton rocheux. Les soldats sont à l’entrainement et doivent émerger d’un parcours dangereux, une sorte de via ferrata de tous les dangers. Imaginer ce parcours, ça m’a bien pris quinze jours.

 

 

 

 

© Bollée/Alcante/Besse chez Glénat

 

Alcante : On a souffert de la limite des 46 planches. Il manquait deux planches.

Xavier : On aurait dû les demander ! Du coup, j’ai dû mettre neuf cases en une seule planche. Ça fait beaucoup et c’est un travail de dingue.



Et au niveau des couleurs ?

Xavier : La technique est simple, je fais mes couleurs avec des encres aquarelle. Je les fais sur des pages imprimées en haute définition pour récupérer tous les détails de l’encrage original. De fait c’est de la quasi-couleur directe. Ensuite je scanne, et je nettoie. J’ajuste aussi quelques éclairages et certains contrastes et voilà…

Sur combien de tomes s’étendra cette histoire ?

Alcante : Trois et… demi. (rires). On a pensé à le faire sur quatre mais l’attente aurait été trop longue. Du coup, le troisième sera un gros album et conclura le premier cycle.

 

 

 

 

© Bollée/Alcante/Besse chez Glénat

 

Le deuxième tome ?

Alcante : La pression va augmenter. Le sergent veut faire la peau à François. On voulait le faire déserter, mais on s’est rendu compte que ça n’aurait pas été réaliste. Puis, concernant ces empires qui s’affrontent, on ne voulait pas faire de camps. Ils devaient être ni bons ni méchants. Car les motivations des Anglais ou des Français ne sont pas nobles, mais les Chinois ne sont pas pour autant des victimes. Encore moins sous la gouverne d’un empereur cinglé, obsédé sexuel et opiomane. La guerre va se décider par un empereur planqué.

La première version de l’histoire se rapprochait d’un Danse avec les loups ou d’un Avatar qui se serait passé en Chine. Mais François ne passera pas d’un camp à l’autre. Nous nous sommes imposé de rester réaliste, de voir comment notre héros va se comporter tout en sachant qu’il n’inverserait pas le cours de la guerre.

 

Propos recueillis par Alexis Seny



Publié le 04/04/2017.


Source : Bd-best


Mathieu Sapin :  Gérard Depardieu, il a quelque chose d’un animal, d’instinctif, rien ne lui échappe

La dernière fois que nous avions rencontré Mathieu Sapin, il nous parlait de François Hollande et de son Château, essayant de dépasser le protocole pour mieux saisir le personnage. Chassez le naturel, il revient au galop, et, sans protocole aucun, le dessinateur-reporter s’est glissé dans l’ombre de Gérard Depardieu. Un monstre sacré aux facettes bien plus riches et profondes que l’image que nous renvoient les médias et la presse people. De Lisbonne au Caucase, Mathieu Sapin nous propose un voyage à pas de géant, souvent paradoxal, toujours fascinant.


Bonjour Mathieu. La première fois que vous avez rencontré Gérard Depardieu, il était torse-nu. Forcément, ça marque.

Oui, mais c’est son état naturel, presque. Il est très souvent torse-nu. Même là, en ce moment, il se pourrait bien qu’il soit aussi légèrement vêtu… Enfin, peut-être pas, comme il est au Viêt Nam, je ne sais pas quelle il peut bien être. Mais donc, ce n’était pas un effet, pas une image insolite dont je me servais. Gérard est comme ça.

 

 

 

 

© Mathieu Sapin chez Dargaud

 

Aux prémices de ce projet, il y a un documentaire qu’Arte qui vous faisait intervenir aux-côtés de Gérard Depardieu lors d’un voyage dans le Caucase. Qu’est-ce qui a fait déclic pour que vous prolongiez l’aventure pendant cinq ans?

Je suis arrivé sur ce documentaire d’Arte, par hasard, sur une proposition un peu insolite. Plusieurs collègues, Loustal, Delisle ou encore Blain, avaient décliné. Moi, j’ai sauté sur l’occasion. Mais je ne pensais pas que ce serait aussi passionnant. Participer à ce documentaire fut assez mémorable, je dois dire. Mais quand je lui ai proposé de faire réellement un album sur lui, il n’a pas vraiment compris. « Moi, la Bande dessinée, je la vois sur les murs de la cuisine de mon restaurant. » Il ne pensait pas que la démarche pourrait être intéressante. Mais il me disait : « Je vais me barrer« . Il parlait de la Belgique, bientôt ce serait la Russie. Je ne le prenais pas au sérieux, ce n’étaient que des paroles et, néanmoins, je ne voulais pas le lâcher, pas le laisser partir comme ça.

Puis il y a eu l’emballement médiatique, l’hystérie et Gérard Depardieu qui y répondait toujours un cran au-dessus et je l’ai finalement suivi.

Gérard Depardieu, on le connaît forcément acteur, mais ce n’est pas non plus la première fois qu’il apparaît en BD. Tout récemment, Gess le faisait ainsi apparaître dans « La malédiction de Gustave Babel ».

C’est vrai qu’il est souvent dessiné. Ou, en tout cas, utilisé physiquement, pour sa présence. Sergio Salma en avait fait un album très rigolo chez Bamboo tout en puisant dans sa biographie et en en utilisant des détails. Le dessiner est assez facile, en fait, il est agréable à dessiner, tout en rondeur. On pourrait tout à fait l’intégrer dans un dessin animé comme on l’a fait pour les Jackson Five ou Arnold Schwarzeneger.

Ou Jackie Chan !

Ah oui, tiens, ça m’était sorti de l’esprit. C’est comique. Mais Gérard, en fait, il n’a pas d’équivalent, on le reconnait directement. Il correspond assez bien à une sorte de figure moderne. Même s’il est lui-même, il est dépassé par ce qu’il véhicule.

 

 

 

 

© Mathieu Sapin chez Dargaud

 

Récemment, j’ai d’ailleurs été sollicité pour un documentaire, « Depardieu, mythe moderne » également pour Arte, sur base de témoignages de diverses personnes et qui devrait moins s’attacher à l’acteur qu’à ce qu’il représente dans ses discours, ses rapports à l’argent, à l’état… France 3, a aussi réalisé une émission-rencontre d’une heure avec Gérard Depardieu à propos de la BD.

Ce qui marque le lecteur dans pas mal d’albums, c’est votre sens de l’observation, cette capacité à saisir une quantité invraisemblable de détails. Pourtant, pour le coup, vous étiez tombé sur plus fort que vous : Gérard Depardieu ne rate pas une miette.

Il voit tout. C’est presque un animal, il a quelque chose d’instinctif en lui. Dans l’album, je me compare même à un observateur de grands fauves. Et, s’il ne dit pas tout, rien ne lui échappe.

 

 

 

 

© Mathieu Sapin chez Dargaud

 

Il y a quelques jours je parlais avec Renaud Dillies, pour son album « Loup », du rapport qu’on a aux idoles, des êtres isolés à qui on ne parle jamais qu’en déférence par rapport à leur popularité. Comment avez-vous fait le chemin vers Depardieu ?

C’est totalement ça. Et sachant cela, j’étais obligé de ne pas me dissimuler, d’être le plus naturel possible. J’ai compris assez vitre qu’il me fallait me comporter normalement. En fait, c’est reposant pour lui qu’on lui parle comme à n’importe qui. D’autant plus que je n’avais jamais vu certains de ses grands films comme La Chèvre. Je ne venais pas comme un fan, en mode « je vous ai adoré dans tel film ».

Par contre, lors d’une soirée à Lisbonne, qui ne prend qu’une case dans l’album, l’équipe du documentaire n’en pouvait plus et ils m’avaient demandé de m’en occuper. Nous nous sommes retrouvé dans un restaurant de Lisbonne avec ma belle soeur qui elle est fan et n’a pas arrêté de lui parler de ses films. À un moment, Gérard a explosé : « Parle-moi de ta machine à café, quoi ! »

 

 

 

 

© Mathieu Sapin chez Dargaud

 

Contrairement aux idées reçues, Gérard parcourt ses albums sans (quasiment) une goutte d’alcool. Qu’est-ce qui lui a pris?

Il se connaît et il est bien conscient que s’il commence il va écluser tout, alors il ne commence pas. Il est donc sobre la plupart du temps et non bourré, comme on le croit la plupart du temps.

Aussi, à la sortie d’un avion, on le retrouve en… chaise roulante. Qu’avait-il?

Ce n’est pas récent. Les chutes en moto successives ont laissé ses jambes en mauvais état. Puis il y a son poids qui ne rend pas les longs déplacements aisés. Si bien que dans les kilomètres des aéroports internationaux, il préfère la chaise roulante.

D’ailleurs, un jour, Gérard Depardieu s’est retrouvé dans un aéroport avec Alain Delon qui s’est demandé pourquoi cet acteur qui a près de quinze ans de moins que lui se déplaçait ainsi. Depardieu lui a répondu qu’il n’avait aucun souci avec son image et que c’était bien plus pratique. Mais, en effet, on n’imagine pas un Alain Delon faire pareil.

Pour tout dire, j’ai même voulu ne pas dessiner cette scène. C’est Gérard qui m’a encouragé à le faire, il ne voyait aucun inconvénient à ce que les gens le voient dans ce que certains pourraient considérer comme un aveu de faiblesse. Il m’a dit « vas-y », il ne cherchait pas forcément à ce que cet album le valorise.

 

 

 

 

© Mathieu Sapin chez Dargaud

 

Il est forcément question des médias qui s’agitent dès que Depardieu prononce une phrase un peu provocante. Ça vous est aussi arrivé au moment où vous vous y attendiez le moins, en 2014, quand des journalistes BD de Casemate sont que venus vous suivre chez Gérard et l’interviewer. Le mot d’ordre : pas de questions politiques. Sauf que… Et les mots Gérard Depardieu auront sur François Hollande, « petit bolchévique de l’Élysée », seront vite repris partout, dans la presse people en premier. Sans contextualisation.

C’est clair, à notre époque, le moindre mot exagéré est très vite repris de sites en sites. Cette mésaventure m’a mis en difficulté : dans ces articles, Gérard Depardieu était bien évidemment cité, mais moi aussi. Et j’étais encore à l’Élysée en train de suivre François Hollande. Forcément, j’étais dans mes petits souliers.

De son côté, Gérard Depardieu n’est pas du genre à atténuer les choses, il préfère souffler sur les braises pour qu’elles reprennent de plus belle.

 

 

 

 

© Mathieu Sapin chez Dargaud

 

Outre le nombre incalculable de selfies auxquels Gérard se prête aux quatre coins du monde, il y a aussi quelques paparazzis qui se terrent dans vos planches. Ce qui vous amène à une réflexion : ne suis-je pas, moi aussi, un voleur d’images ?

Oui, je ne peux pas faire l’impasse sur ce raisonnement. Et je crois que je le suis. Ça ne me met pas à l’aise, quand j’y pense, d’autant plus que je me suis imposé, Gérard m’avait dans les pattes, il était tolérant de ma présence.

Avez-vous dû censurer certains passages ?

Je me suis autocensuré. Notamment lorsqu’il était question des petites copines de Gérard ou des histoires de cul avec certaines comédiennes. Il y a prescription mais ces comédiennes sont toujours en activité. C’était de l’ordre de l’intime et ça ne me semblait ni très élégant ni nécessaire à ce que je voulais raconter.

 

 

 

 

© Mathieu Sapin chez Dargaud

 

Néanmoins, vous prêtez l’épilogue de votre album à Gérard pour qu’il puisse désamorcer certaines choses « qu’il n’aurait pas dites ».

J’aime assez bien l’idée de montrer les coulisses. Ici, c’était aussi l’occasion de montrer, si besoin était, à quel point Gérard peut être contradictoire. Dire quelque chose, puis revenir dessus en disant qu’il n’a jamais dit ça. Mais, de manière générale, rares sont les gens qui peuvent être univoques. Et je trouve qu’il y a un avantage à montrer les deux facettes.

D’autant plus que Gérard Depardieu est paradoxal, capable de s’exprimer par clichés puis d’avoir un discours scient, de parler à l’emporte-pièce tout en étant hyper-bien informé, en témoigne la chaîne TV5 qui, où qu’il soit, est quasiment allumée 24h/24 dans sa chambre d’hôtel. C’est dingue.

 

 

 

 

© B-Tween

 

Il est difficile à suivre ! C’est pourquoi je notais tout. De temps en temps, je sortais aussi mon enregistreur. Gérard Depardieu se répète souvent. Puis, classique, il y a des phrases qu’il ne finit même pas.

Finalement, êtes-vous devenu ami avec ce monstre sacré ?

Ami, c’est fort comme terme. Mais disons qu’on a lié une relation très amicale, c’est sûr.

La suite, pour vous, ça se passera encore un peu plus au cinéma.

Exact, en juin, sortira Macadam Popcorn de Jean-Pierre Pozzi. J’y joue mon propre rôle, celui d’un dessinateur qui va faire le tour de France des cinémas et de leurs exploitants, dans ce qu’ils ont de plus varié. Une manière de s’approcher de ce drôle de métier de l’ombre et de l’interroger dans son rapport à la culture et à la société d’aujourd’hui.

Mais ce n’est pas qu’un documentaire, c’est aussi une transposition, une mise en abîme. D’ailleurs, je suis en train de terminer un carnet qui accompagnera le film et lui donnera une histoire supplémentaire. Comment s’arrange-t-on avec la fiction ? Et avec la réalité ? Pour arriver à un docu-fiction. C’est un sous-genre tellement en vogue qu’il y a des choses à en dire, de même que sur le médium. Je veux prendre du recul sur la manière dont on donne l’info. Finalement, je ne sors pas vraiment de ce que je viens de faire avec l’album sur Gérard Depardieu.

Vous nourrissez d’autres rêves de cinéma, aussi, non ?

Oui, et ça va se concrétiser à l’automne. Un film, Le Poulain, avec Alexandra Lamy dans le rôle d’une femme politique retors et avec Finnegan Oldfiel. Une incursion avec un débutant dans une équipe de campagne électorale.

Pas de Gérard à l’horizon ?

Ah, non, pas sur ce coup-ci, je ne pense pas, ce n’est pas facile de l’intégrer à un film, il prend vite de la place. Mais j’ai d’autres projets et, forcément, l’envie de le faire tourner.

À suivre, donc. Merci beaucoup Mathieu.

 

Propos recueuillis par alexis Seny

 

 

 

Titre : Gérard, cinq années dans les pattes de Depardieu

Récit complet

Scénario et dessin : Mathieu Sapin

Couleurs : Clémence Sapin

Genre : Reportage, Biographique

Éditeur : Dargaud

Nbre de pages : 160

Prix : 19,99€



Publié le 03/04/2017.


Source : Bd-best


Renaud Dillies met en musique un loup amnésique : « Mes récits animaliers sont paradoxaux, je n’y parle finalement que de l’…Homme »

Après avoir fréquenté le bayou avec Alvin et Régis Hautière, Renaud Dillies a suivi les notes et la musique qui l’ont amené à errer et aider une autre âme en peine: Loup. Ou comment un amnésique anonyme va trouver sa voie en posant ses mains et sa voix sur une guitare. Mais le succès fait-il oublié qui l’on est et qui l’on est pas ? Interview avec Renaud Dillies qui met de bien belle façon des dessins sur la musique, avec la complicité de Christophe Bouchard aux couleurs.

 

 

 

 

 

© Cécile Gabriel



Bonjour Renaud, vous nous revenez avec Loup, que vous avez, écrit, dessiné, colorisé et, j’allais dire… « composé » tellement la musique y a encore une place primordiale. Seriez-vous aussi musicien ?

Oui, et guitariste, notamment. C’est vrai que la musique tient une place particulière dans mes albums. J’ai du un peu délaissé ma guitare pour m’investir dans le dessin. Elles sont chronophages, ces choses-là.

 

 

 

 

© Dillies/Bouchard chez Dargaud

 

Cela dit, votre album donne l’impression d’avoir été mis en musique. Vous en écoutez durant votre phase de création ?

Énormément. Je me fais des playlists et, pour chaque album, je pense pouvoir dire ce que j’écoutais comme musique. Pour Loup, c’était une bande-son plutôt jazzy, plus ou moins rock. Il y avait énormément de Charlie Haden, ce grand contrebassiste de jazz, mais aussi du Pink Floyd. Comme quoi… Je cultive et écoute de toutes les musiques. Rien que dans les guitaristes, il y en a plein qui m’inspirent. Comme Pat Metheny, encore plus en acoustique, Django Reinhardt ou Eric Clapton. Je n’en cite que trois, c’est déjà pas mal, mais il y en a tellement pour qui l’amour que je porte à leur égard n’a d’égal que mon admiration. Ils me captivent, ils m’envoient tellement d’images.

Quand j’écoute de la musique, j’ai très vite des images qui me viennent en tête. Je pense même pouvoir dire qu’en général, le personnage s’impose à moi.

Votre héros, c’est ce loup musicien, amnésique, dans une posture dont on n’a pas l’habitude pour ce genre d’animal, fragile et perdu. Pourquoi ?

Prendre ce loup, c’était prendre un contrepoint marquant. Un loup solitaire, sans mémoire, qui ne sait plus où il est ni qui il est. C’était aller au-delà des apparences.

 

 

 

 

© Dillies/Bouchard chez Dargaud

 

Quels sont les loups de fiction qui vous ont marqué ?

Il y a celui de Dancette et Calvo dans la Bête est morte qui est sorti en 1944 et qui relatait de manière animalière et satirique la deuxième guerre mondiale. Ce n’est pas vraiment une BD, plus un livre d’illustration.

 

 

 

 

© Dancette/Calvo chez Gallimard

 

Puis, comment ne pas penser au loup de Tex Avery. Celui-là, je l’ai apprivoisé durant mon enfance et il m’a marqué à vie !


Encore un album de BD avec animaux. Vous êtes devenu un spécialiste dans ce domaine !

Disons que j’aime faire intervenir des animaux, c’est très ludique et ça me permet de faire passer pas mal de choses tout en bénéficiant du recul tel qu’on peut en avoir face à un conte ou une fable. Si dans Loup, j’avais choisi de faire évoluer des hommes dans cette histoire, je pense que celle-ci aurait été plus lourdingue et aurait procuré moins de détachement au lecteur. C’est pourtant paradoxal car, finalement, je ne parle que de l’Homme et mon propos essaie d’être sincère et profond, tout en ayant du recul sur les sentiments humains. C’est une sorte mise en abîme sans ôter les sensations ou les ressentis. Les animaux me permettent d’aller plus loin. Puis, leur grand avantage, c’est que physiquement, il symbolise très vite quelque chose. Un renard futé, par exemple.

 

 

 

 

Recherches pour le personnage de Miss Ti ©Renaud Dillies

 

 

Quelle est la genèse de cette histoire, alors ? Un encrage bien humain ?

Oui, un fait divers, il y a quelques années. Je ne sais plus dans quoi je l’avais lu mais il m’avait marqué. L’histoire d’une personne qu’on avait retrouvée totalement amnésique : Andreas Grassl. Sauf qu’en la mettant devant un piano, cette personne sans mémoire apparente avait commencé à jouer de manière virtuose. Tout en ignorant qu’elle avait appris à en jouer.

Cette histoire véridique, je l’ai laissée trotter dans ma tête pendant longtemps. Il fallait que je la sente. Une fois que ce fut le cas, tout le teste est venu rapidement, de manière évidente. Je mets beaucoup de notes de côté et si, une fois le stade de décantation arrivé, il en reste quelque chose, ça peut faire une histoire. C’est très bête mais juste une impression peut nourrir une réflexion menant à une histoire.

Un personnage amnésique, ça alimente l’imagination, non ?

C’est forcément intéressant à exploiter. Comment peut-on bien voir le monde sans souvenir ? Qu’est-ce que ça fait ? Si chaque jour était le premier jour ? Puis, cela questionne l’art aussi. Comment assisteriez-vous à un vernissage de peinture absurde sans aucun bagage concernant l’histoire de l’art ? Comment réfléchiriez-vous ?

 

 

 

 

© Dillies/Bouchard chez Dargaud

 

Puis, vous mettez en valeur l’importance du masque.

Oui, être amnésique a à voir avec l’anonymat. Et ce masque, quand Loup va devenir célèbre et remplir des salles de concerts, ses fans vont lui faire ce qu’ils pensent être une bonne surprise : accueillir Loup en portant tous un… loup. Ce qui va faire office de choc identitaire à notre héros qui va recevoir en pleine figure cette image de ce qu’il est lui, de ce qui l’isole.

Notre rapport à nos idoles est fascinant. Eux qui sont si connus, on pense qu’ils n’ont aucun secret pour nous, alors qu’en réalité ils sont isolés. On les voit de manière tronquée. C’est valable pour les musiciens mais aussi pour les acteurs et les artistes en tous genres. Ils sont si connus qu’on ne peut plus discuter avec eux normalement, alors qu’au final on ne les connaît pas du tout. Ça part de beaucoup d’amour, mais certains n’ont pas tenu la barre, c’est ainsi qu’on en arrive à des destins très rock’n’roll.

 

 

 

 

© Renaud Dillies

 

 

Il y a rupture, en quelque sorte. Et ça tombe bien, entre des cases épurées et d’autres surchargées (de notes de musique, notamment), Loup fait oeuvre de rupture.

En effet, et si le procédé est très simple, je ne pense pas que ce soit si classique que ça. J’adore m’amuser avec les espaces et entre eux, entre la retenue et la surcharge. Mais toujours en gardant en vue que c’est la sensation, la mienne et celle du lecteur, qui prime plus que le dessin. Et par-dessus tout, je veux garder la pleine capacité de ma liberté d’expression. J’essaie de me détacher, de casser le dessin. Plus par souci d’expression que par velléité artistique.

 

 

 

 

© Dillies/Bouchard chez Dargaud

 

Sans oublier, que le silence est aussi important. Et si j’écoute pas mal de musique en travaillant, elle agit comme un réel moteur et me fait parvenir des images, j’ai de temps à autre besoin de la couper pour me concentrer sur ce que je fais. Mais c’est vrai qu’en faisant de la BD en musique, ça donne des envies d’aller plus loin dans la démarche.

Comme certains artistes qui, comme Romain Renard ou The Hyènes avec Au vent mauvais de Thierry Murat, montent sur scène et transpose l’art graphique en art musical ?

C’est un peu ce que j’ai fait en clôture de la Foire du Livre en compagnie de Michel Castillano. Un concert autour de Loup et son univers graphique. On renouvellera certainement ça, en essayant de jumeler les deux, de créer un objet double, sans reprise mais avec une bande originale propre pour un concept total, hors-format.

Quels sont vos projets ?

J’ai écrit la suite de Saveur Coco, le découpage est fini, il me faut trouver le temps de le dessiner. Sinon, j’ai un scénario sous le coude mais je ne le dessinerai pas car il ne s’agira pas de dessin animalier ! Puis, on va remettre le couvert avec Régis Hautière. On s’est tellement amusés avec Abélard et Alvin, puis les retours nous ont tellement touchés. Mais on ne jouera pas les prolongations de cette histoire : on va faire tout autre chose.

Merci beaucoup Renaud et pourvu que ce beau mariage entre les mots, la musique et le dessin soit long.

 

Propos recueillis par Alexis Seny



Publié le 20/03/2017.


Source : Bd-best


Félix Meynet sur la piste du western avec Sauvage : Une véritable expédition aux limites de ce que je pouvais faire !

C’est vrai, c’est fou, il y a quelques années, on n’aurait jamais pensé que, de ses savoyardes et enneigées hauteurs, le redoutable Félix Meynet avait des envies d’aride et de désert, de ces virilités testostéronés qui font les westerns qui soulèvent la poussière et soufflent l’aventure. Sans pour autant oublier une touche féminine sexy mais toujours tempétueuse. Cette aventure-là, sur les bons mots de Yann (qui, décidément, est de tous les bons coups), c’est Sauvage. Le deuxième tome vient de sortir chez Casterman et, même si la saison est aux skis, nous ne pouvions pas ne pas glisser quelques questions à l’attention du papa de Fanfoué. Interview (illustrée par les magnifiques bonus dont Félix n’est pas avare sur sa page Facebook).

 

 

 

 

 

 

© Félix Meynet

 

© Félix Meynet

 

Bonjour Félix, on vous connaissait perché sur vos montagnes enneigées, ça doit vous changer de goûter au désert, non ? Aviez-vous envie de changer d’horizons ?

Exactement. Il y a toujours une envie de western chez un dessinateur de BD. C’est le mythe absolu qui autorise toutes les libertés. Et c’est un moyen de satisfaire l’enfant qui rêvait à la lecture de Blueberry tout en essayant d’en recopier laborieusement les cases. Ceci dit, lorsque je lisais « l’Homme au poing d’acier », j’avais l’impression tenace que mes montagnes étaient peuplées de guerriers Sioux ! C’était très jouissif à douze ans de vivre dans un décor de BD. Il y avait aussi Buddy Longway de Derib qui renforçait cette sensation. Derib m’a avoué qu’il n’avait jamais mis les pieds dans le Wyoming mais qu’il s’était inspiré des paysages de ses alpages, à deux pas des miens, derrière la frontière suisse. Voilà pourquoi je me sentais chez moi dans le western !   

 

 

 

©Yann/Meynet chez Casterman

 

 

©Yann/Meynet chez Casterman

 

Comment êtes-vous arrivé dans cette aventure mexicaine ?

J’avais envie d’épopée en costumes. Aussi, j’ai proposé à Yann de réaliser une aventure épique sous le premier empire, en Espagne. Le décor, la guérilla, les hommes en uniformes fatigués, la violence, etc. Yann, fin renard, m’a proposé de changer de Napoléon en faisant un bond de 50 ans dans le XIXème siècle. Napoléon III avait envoyé un corps expéditionnaire au Mexique pour tenter de créer un empire catholique qui aurait contrebalancé la puissance montante des Etats-Unis alors en pleine guerre civile.

Pour vous, c’est aussi bien plus qu’un changement de paysage, c’est un changement d’époque et de genre. Vous avez réfléchi avant de vous lancer ?

Oui car il a fallu aussi changer de technique de dessin. La couleur directe impose une discipline stricte et des nerfs solides. Mais cette expédition sous les cieux fréquentés par d’illustres dessinateurs qui maîtrisent cette technique a été une vraie aventure épique ! Avec plein pièges remplis de serpents à sonnettes sournois et de vrais découragements tout au long de la réalisation de ces albums. Une véritable expédition aux limites de ce que je pouvais faire !

 

 

 

 

 

©Yann/Meynet chez Casterman

 

En remerciements de ce deuxième tome, vous parlez « d’une mission difficile », quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées ? Cela a-t-il ralenti votre progression ?

J’ai eu un souci à l’épaule qui m’a empêché de dessiner pendant 18 mois avec toutes les remises en question que ça implique. Le changement de technique ainsi que la station debout lors de l’élaboration des planches m’ont permis de retrouver un geste moins douloureux. Avec parfois des rechutes pénibles. Et puis, il y avait le challenge. Je m’étais mis en tête de proposer quelque chose de différent, plus exigeant. Tout cela additionné a retardé la sortie du T.2. Toutefois, je suis très heureux que les lecteurs aient patienté et soient au rendez-vous après 3 ans d’attente.

Comment se passe une collaboration avec Yann ? Est-il directif ou avez-vous votre mot à dire ?

Yann est un saint. Patient et dévoué jusqu’au sacrifice ! Il m’a soutenu à bout de bras durant ces longs mois d’hésitations et de remise en question. Son propos est toujours au service du dessinateur et il a à cœur de lui donner ce qu’il attend, voire même ce qu’il espère secrètement. Ce qui demande, avouez-le, une bonne dose de générosité et de pertinence !

Sur votre page Facebook, les « followers » auront remarqué votre documentation. Des photos mais aussi des objets. Vous avez besoin de toucher ces objets historiques, de les ressentir, pour les dessiner ? Ne laissez-vous rien au hasard dans la reconstitution ?

Le problème des objets du passé, c’est qu’ils sont difficiles à appréhender graphiquement si on n’a pas la documentation suffisante. De plus, ils engendrent des gestes adaptés qui ne font plus partie de notre quotidien. Il faut réinventer des postures, des attitudes de cette époque. Merci les tableaux et les photos d’antan ! Pour ce qui est des armes, hors de question de recopier dans Blueberry ! J’ai effectivement des pistolets (notamment un Lefaucheux d’ordonnance de l’armée française sous le Second Empire), des sabres, des éléments d’uniforme afin de pouvoir les observer sous tous les angles pour en comprendre les volumes et ainsi les dessiner plus aisément.

J’essaie d’être le plus juste possible mais il est vrai que le Second Empire ne bénéficie pas de l’engouement du Premier et il y a encore pas mal de choses sujettes à interprétation, même après dix visites au musée de l’armée. Après, si je m’aperçois d’une erreur en cours de route, je corrige, bien entendu. Et si un lecteur me fait une remarque sur un képi, un galon ou un calibre en dotation, je fais mon mea culpa et j’essaie de le convaincre d’avoir fait de mon mieux pour éviter les erreurs. À titre d’exemple, pour la première page, il s’agissait de montrer Notre Dame au temps de Napoléon III. En juillet 1863, plus précisément. Je ne parvenais pas à savoir si la flèche de la cathédrale avait été érigée par Viollet-Leduc à cette date. Je l’ai donc dessinée en me disant que je l’ôterai avec photoshop au cas où elle aurait été achevée plus tardivement. Avant de livrer les planches, j’ai finalement eu la confirmation qu’elle était bien présente à cette date. Ouf !

D’autant que c’est une fresque que vous nous offrez là, avec beaucoup de détails, non ?

Le diable est peut-être dans les détails en tout cas, je préfère crédibiliser mon récit avec tous ces éléments même si c’est un enfer. Puisque cela me permet de croire au récit que je dessine, j’ose penser que le lecteur y croira lui aussi.
 

En matière de western, quelles sont vos références, vos œuvres (cinéma, bd…) cultes ?

Le western a été la matrice de l’imaginaire des gamins de ma génération. La science-fiction et le fantastique sont arrivés plus tard, au milieu des années 70. Quand j’étais enfant, il y  avait partout du western : à la télé, dans les pockets bon marché, dans les beaux livres illustrés. Même les petits soldats en plastique étaient des cowboys ou des indiens. Sans parler de la panoplie avec colt à amorces et étoile de shériff qui faisait rêver tous les mômes. Quand j’ai découvert « Il était une fois dans l’Ouest » au cours d’une projection dans mon collège de montagne, ce fut pour moi la révélation d’une dimension visuelle, musicale mais aussi mythologique du genre. On passait à autre chose de plus grand, de l’ampleur d’un opéra qui délivrerait des émotions incandescentes. Et puis Blueberry fournissait sur papier la continuité de cet opéra avec tout le baroque, la flamboyance et la sensualité nés du crayon de Giraud et de l’imagination de Charlier.

Ici, j’ai retrouvé une atmosphère très « Le bon, la brute et le truand », une inspiration ?

J’ai découvert plus tard les autres Leone qui m’intriguaient fortement. Je sentais bien qu’il y avait là une source d’inspiration et de grandes sensations à recevoir. Pour l’album, j’ai revu les classiques Major Dundee ou encore Vera Cruz.

Sauvage, c’est le nom du personnage, mais cela caractérise assez bien la violence de cet album et une cruauté qu’on ne vous connaissait peut-être pas. Vous vouliez expérimenter cette veine ?

C’est vrai que j’ai un dessin que l’on qualifie de « gentil » voire sympathique. J’aime les personnages enjoués et débonnaires comme Fanfoué (François en savoyard) que j’anime chaque semaine dans les journaux de ma région. Même les Éternels qui parfois avaient un propos dur, gardaient ce côté plaisant de par le dessin et les couleurs. Là, j’avais envie d’aller vers plus de réalisme. Ça passe donc par plus d’âpreté sans toutefois chercher à devenir antipathique !

 

 

© Yann/Meynet

 

 

©Yann/Meynet chez Casterman

 

« Il faut que les figurants jouent bien… » lisais-je sur Facebook, cela veut-il dire que vous mettez autant d’énergie et d’attention sur les personnages secondaires que sur les principaux ?

J’aime bien me dire qu’à la relecture, le lecteur puisse s’arrêter sur certaines scènes comme lorsque je pouvais moi-même le faire quand je m’attardais sur des vignettes d’Uderzo ou de Giraud. Si la vie frémit dans les recoins de l’image, c’est une bonne vibration pour le lecteur et pour l’histoire aussi.

Et parmi ces personnages, c’est un univers très masculin auquel vous donnez vie et traits. Marre des femmes ? (rire)

Je suis marié et père de trois filles. Donc un univers entièrement féminin au quotidien dans lequel j’ai l’impression d’apprendre en permanence. J’aime bien les trognes mal rasées, contrairement à mes filles qui râlent quand j’essaie de ressembler moi-même à un ours. Alors j’ai choisi de dessiner ces personnages virils pour pouvoir faire tous ces petits traits qui donnent du volume à un visage. C’est très agréable !

 

 

©Yann/Meynet chez Casterman

 

 

© Yann/Meynet

 

Dans Sauvage, les héroïnes se comptent sur les doigts de la main. Mais elles rivalisent de caractère et de charme. Comme la très sexy Agnès. Vous ne pouvez donc pas vous empêcher de faire tomber le lecteur amoureux le lecteur dès le premier coup, hein ?

Ce personnage, comme de nombreux personnages de Yann, a vraiment existé. Une aventurière yankee qui a épousé un prince européen, mi-espionne, mi-courtisane. Un personnage fort qui s’habillait en homme sans que ça ne choque grand monde à la frontière (cf  Calamity Jane et consœurs) mais qui portait la crinoline comme pas deux à la cour de Maximilien. Après, le côté sexy lorgne plus du côté de Chihuahua Pearl que d’Uma des Eternels. Si le lecteur apprécie, je suis comblé.

D’où vous vient cette passion pour les femmes ? Vous y excellez, mais cela ne vous a-t-il jamais enfermé dans cet univers ?

On en a jamais fini avec son enfance et les filles étaient déjà un grand mystère pour le fils unique que j’étais au temps où les écoles n’étaient pas mixtes. Et en famille, comme je vous l’ai dit, je suis toujours certain d’être surpris au quotidien et j’en profite pour combler mes lacunes sur la gent féminine. En dessiner toute la journée puis les soumettre au verdict familial implacable m’aide à progresser. Sur tous les plans !  

 

 

Un dessin du portfolio From Paris with love ©Meynet chez Bruno Graff

 

 

Un dessin du portfolio From Paris with love ©Meynet chez Bruno Graff


Puis, il y a les couleurs, directes, que vous signez seul. C’est nouveau ça non sur un 46 planches ? Ça vous a plu ?

Enormément ! Même si c’est un véritable stress de mettre en couleurs la planche sur laquelle on a déjà sué avec l’appréhension d’avoir à tout recommencer en cas d’erreur… car impossible de corriger sans faire des pâtés désastreux ! C’est un saut dans le vide et un challenge à chaque page. Ça forge le caractère ! Mais c’est très déprimant et épuisant quand ça foire. Et c’est arrivé, hélas ! Heureusement, quand l’album est terminé, ces sensations disparaissent et on a tendance à oublier ces angoisses. Jusqu’à ce qu’on recommence le suivant !


Le troisième tome sortira donc cette année ? Que nous réserve-t-il ?

Ce sera la conclusion de cette histoire de bague de l’Aiglon, le fils de Napoléon1er, mort jeune à la cour de Vienne. Et aussi la vengeance de Sauvage. Un petit air de Monte Christo, exactement ce que j’avais demandé à Yann. Nous sommes en train de discuter de la suite à envisager à ce triptyque.

À côté de cette trilogie, on vous voit signer beaucoup d’hommages et couvertures de réédition d’albums rares ou oubliés ? Comment expliquez-vous que votre trait soit aussi prisé ?

Aucune idée. On peut maîtriser toutes les techniques du monde, il y a dans le dessin une part qui échappe totalement au dessinateur mais que le lecteur reçoit et qui le séduit ou non. Le désir du lecteur dépend donc de quelque chose qu’on ne maîtrise absolument pas mais qui est propre à la sensibilité de chaque auteur. C’est très frustrant car on ne peut en aucun cas susciter ce désir volontairement, même en multipliant les effets et les prouesses graphiques. Impossible de séduire avec ces artifices. C’est beaucoup plus profond.  Donc, je me contente d’essayer de maîtriser le côté technique en espérant que ce que je ne contrôle pas continue à plaire au lecteur.

À l’heure où beaucoup de séries sont relancées et trouvent repreneurs, un exercice du genre vous plairait ? Avec quels héros ?

Je trouve l’exercice brillant quand l’auteur est un vrai aficionado de la série qu’il reprend. Il essaie d’y injecter tout l’amour et toutes les émotions qu’il a éprouvées en tant que lecteur. Voire même, si cette série a été fondatrice de son désir de dessiner, là, je suppose qu’il doit être dans une transe qui le porte à vouloir remercier, honorer cette série pour toutes ces émotions reçues. Ça devient un sacerdoce, une mission exaltante. Je l’espère de tout coeur. Si ça devient étouffant, pesant, ça peut faire très mal ! En ce qui me concerne, ce que je dois à la bande dessinée m’amène en permanence à essayer de créer en puisant dans mes émotions de lecteur. Pas de reprise en vue, donc. Je crains que cela ne m’écrase et me bloque dans ma créativité.  

Jamais lassé de Fanfoué ? Vous trouvez toujours des gags pour ce vieillard hilarant toujours bien accompagné ?

C’est un exercice que j’apprécie d’autant plus qu’il est immédiat. Le mardi, je dessine le strip qui sera publié le jeudi dans les journaux. L’après-midi même, j’ai des retours des gens alentours qui me font part de leur impression et me parlent de Fanfoué comme d’un personnage réel. Ils se fichent bien de savoir si je fais des albums, ce qui compte, c’est ce personnage qu’ils se sont appropriés et qui fait partie du paysage de ma région. C’est une vraie fierté d’avoir touché ces gens qui ne lisent pas de BD mais sont tout contents d’avoir un personnage local !

 

 

©Meynet

 

 

©Meynet

 

On vous voit aussi beaucoup vous charrier avec Enrico Marini. Un complice ? Un pote ? Pourriez-vous collaborer un jour ensemble ?

On en parle parfois. Ça serait super ! Il est très brillant et c’est vrai que j’ai appris beaucoup avec lui. Il a une perception à la fois élégante et hyper efficace de la narration et de la mise en scène. Moi qui ai démarré la bd à la trentaine passée, j’étais fasciné par la maîtrise de ce jeune qui, à 25 ans était capable de faire un western de la trempe de l’Etoile du Désert en bousculant tous les codes du genre. A la fois iconoclaste, surprenant, riche et posant les bases d’un style flamboyant toujours à l’œuvre, vingt ans après. C’est le Scorpion de la BD : virevoltant, drôle, piquant et plein d’une énergie généreuse. La grâce et le talent, quoi !

 

 

Les Aigles de rome très féminins ©Meynet

 

 

Les Aigles de rome très féminins ©Meynet

 

Quels sont vos prochains projets ? On vous a vu à Little Big Horn, de la suite dans les idées et les westerns ?

J’étais allé en repérages dans le Wyoming, le Montana et aussi les réserves indiennes alentours. J’avais envie de relater des faits qui se sont produits dans ces collines : un détachement US avait été anéanti par les Sioux et les Cheyennes, dix ans avant Little Big Horn en plein hiver. J’ai storyboardé les deux albums. Il me faut juste le temps de les dessiner à présent. Le titre : Absaraka. Let’s see !

 

Propos recueillis par alexis Seny



Publié le 13/03/2017.


Source : Bd-best


Kirby&Me part 2 : Mickaël Géreaume et Alain Delaplace :  Évoquer le Dieu Kirby en compagnie d’artistes qui le vénèrent

Sans peur et sans reproche face à une montagne de boulot qui aurait bien nécessité les bras musclés d’un Hulk ou d’une Chose, Mickaël Géreaume et Alain Delaplace n’ont écouté que leur courage et leur passion pour célébrer comme il se doit le centenaire qu’aurait fêté le géant de la bande dessinée américaine : Jack Kirby. Pas seuls, loin de là, dans l’aventure, les deux compères se sont démenés et ont réuni une large communauté : plus de 150 artistes, commentateurs, éditeurs de tous les bords et de tous les coins du globe. Le titre de ce pavé formidable ? Kirby&Me. Il vous reste quelques heures pour le financer et le mettre dans votre bibliothèque quand l’heure sera venue (l’opération finit le 28 février à minuit), courrez-y. Pour vous donner envie, nous avons interviewé les deux initiateurs de ce projet unique et phénoménal.



Avant toute chose, vous êtes à l’origine de Komics Initiative, kézaco ?

Mickaël : En des temps anciens et reculés, une idée folle apparut, celle de se mobiliser autour d’une passion : la bande dessinée et plus particulièrement les comics pour moi et Alain. Je suis, depuis dix ans maintenant, rédacteur en chef « comics » du site PlanèteBD et depuis presque autant animateur d’une émission spécialisée sur Radio Béton à Tours.  C’est lors d’une interview de Jul (pas l’apprenti rappeur hein !) pour la radio que j’ai croisé Alain et depuis, flashforward, il m’a rejoint sur PlaneteBD.

Komics Initiative est le nom de l’association qui doit nous servir à donner un cadre juridique pour sortir le livre Kirby&Me puis, par la suite, organiser d’autres projets. Mais je ne dirais rien ! Sauf contre 500 précommandes de Kirby&Me !

Alain : Et on est capables d’y arriver, à ces 500 ! Kirby&Me, c’est l’occasion de réunir toute la crème des comics et de la BD pour rendre hommage à Jack Kirby et à son œuvre. On a ainsi pu rassembler plus de 150 participants avec de célèbres créateurs comme Klaus Janson ou Olivier Vatine, des personnes clés moins connues en particulier dans nos contrées comme Diana Schutz, ancienne éditrice chez Dark Horse ou des spécialistes de la culture « geek » comme Jean-Pierre Dionnet ou encore des fans anonymes mais pas moins talentueux…

Tous ont contribué à l’ouvrage par le biais d’illustrations inédites, de textes écrits pour l’occasion rendant hommage à Jack, à son œuvre. Il y a des souvenirs d’enfance, des analyses plus techniques… On a aussi rassemblé des témoignages et illustrations surprenants comme des tatouages, un extrait d’une pièce de théâtre, etc. Tout cela a un point commun : un amour et une admiration indéniables pour le King of Comics. Point non négligeable : l’ensemble des bénéfices sera reversé à Hero Initiative, une association américaine venant en aide aux créateurs de comics en difficulté, mais on va y revenir plus tard.

Quelle est la genèse de ce projet ?

Mickaël : L’origine de Kirby&Me remonte à une session d’interview que l’on avait réalisée à Paris Manga & Sci-fi Show, un salon dans lequel nous avons croisé plusieurs artistes dont la plupart était fan de Jack Kirby, dont un certain Mauricet d’ailleurs ! Sur le chemin du retour, on a échangé des idées et les bases de Kirby&Me étaient nées.

Alain : Mauricet avait réalisé un joli dessin de Jack avec ses fameux « Kirby Crackles » autour des poings. Dans la voiture, j’ai dit que ce serait cool d’avoir une sorte de grande vente d’illustrations de Kirby en tant que sujet, d’hommages… Et les choses ont vite dégénéré !

 

 

La vision de Mauricet de la couverture de Thor #251

 

 

La vision de Mauricet de la couverture de Thor #251

 

Un gros pavé, non ? Vous n’avez pas fait les choses à moitié…

Mickaël : Dès le départ, on voulait que l’ouvrage marque les fans par ses dimensions et le nombre de pages. On voulait que les souscripteurs en prennent plein les yeux et ressortent de la lecture de Kirby&Me ravis, un peu comme s’ils avaient passés un super moment à évoquer leur Dieu en compagnie d’artistes qui le vénèrent également. Et très vite, nous avons eu de nombreux artistes qui nous ont dit oui, certains n’ont finalement pas eu le temps mais globalement plus de 150 ont déjà envoyés leurs contributions. Le dernier d’entre eux ? Paul Pope ! Comme nous avons un contenu varié et qui n’est pas composé que de dessins, 300 pages c’était le minimum.

À quel moment, Jack Kirby est-il entré dans votre vie ? Le virus du comics qui ne s’est jamais démenti chez vous, c’est grâce à lui ?

Mickaël : D’une certaine façon, Jack Kirby a conditionné nos esprits de lecteurs de comics et de BD tout court. Si, plus jeune, j’appréciais les histoires ou les personnages, je n’ai vraiment domestiqué l’approche visuelle du King qu’au fil des ans. Tout ça pour qu’il ne sorte jamais de ma vie depuis !

Alain : À mesure que l’on a reçu les témoignages, je me suis rendu compte que nombre d’entre nous n’ont pas immédiatement été séduits par le style de Jack. Pour la bonne et simple raison que lorsque nous étions enfants ou adolescents, ses comics n’étaient déjà plus en kiosques et le style du moment avait carrément changé. Pour tout dire, je trouvais ça assez moche, quand j’étais petit.

Puis, au fur et à mesure, comme pour tout, d’ailleurs, on s’est fait une culture et on a commencé à trouver des défauts à ce qu’on lisait et de plus en plus de qualités à ce que faisait Jack. Donc non, Jack Kirby ne m’a pas amené à aimer les comics mais c’est plutôt le fait d’aimer les comics qui m’a graduellement amené à admirer Jack Kirby.

Plus précisément, avez-vous le souvenir d’une planche, d’une case qui vous a fait comprendre que Jack était bien le « King » ?

Alain : Oui, deux à vrai dire. La première, c’était la confrontation entre Thor et Hercule. Comme pour l’autre exemple, c’était grâce aux Strange Spécial Origines des éditions Lug (ça ne nous rajeunit pas !). Les types avaient vraiment l’air d’en baver, on sentait la force qui débordait de chaque case.

 

 

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L’autre exemple, c’était Iron Man vs Namor. Un combat d’anthologie. Le pauvre Tony en a pris plein la tête, dans celui-là. Namor était alors pour moi une sorte de pauvre type qui passait son temps à essayer d’emballer Sue Storm mais là, avec cette histoire, il avait gagné en galons !

 

 

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Mickaël : Impossible de répondre pour moi car cela dépend du moment où l’on me pose la question. En ce moment, je pourrais te citer du Fantastic Four et demain te redire que Captain Victory c’est génial ! Peut-être le moment où Galactus apparaît pour la première fois… ça me fait toujours autant vibrer.

 

 

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Ainsi, il a participé à la renommée du  comics tel qu’on le connaît actuellement ? Il a imposé des codes ?

Mickaël : Sans lui, plus de 90% des super-héros n’existeraient pas. Donc oui, il a participé à la renommée du comics mainstream mais n’a jamais eu le succès populaire d’un Stan Lee, un parfait communiquant et éditeur visionnaire…  mais pas un pur créatif selon moi.  La narration de Kirby a influencé des générations entières, ses découpages étaient d’une efficacité redoutable. On retrouve son influence chez des artistes majeurs comme Frank Miller, Mike Mignola etc. De nombreux auteurs français de bande dessinée ont grandi en lisant les revues des éditions Lug dont ont bénéficié eux aussi des bienfaits du génie de Kirby.

Alain : Il a su insuffler les codes de la mythologie classique dans les comics. Les super-héros sont devenus des dieux hyper puissants et tourmentés alors qu’ils n’étaient que des justiciers gadgetisés. On est passé de l’ère de Zorro (que j’adore) à celle du surhomme.

Verra-t-on encore un jour l’émergence d’un monstre comme Kirby ? Ou est-il justement arrivé au bon moment, quand tout (ou quasi) restait à faire ? Comment expliquez-vous qu’il soit passé de main en main, de génération en génération ?

Mickaël : Non, il n’y aura probablement jamais de génie comme lui. Déjà, il était capable de tomber 80 pages par mois et l’a fait durant quasiment toute sa carrière. Qui le peut aujourd’hui ? Je pense que la force de Kirby  venait de sa personnalité et de son parcours. Il a grandi dans un quartier difficile, a participé à la seconde guerre mondiale… Il y a forcément une part de chance mais c’était surtout un travailleur acharné et un vrai passionné du dessin en général.  Ses nombreux personnages ont toujours des comics en cours de parution et sont même devenus des héros de films. Cela permet à la jeune génération et au grand public de voir un nom « Jack Kirby » et s’interroger sur qui est ce type…

Alain : Pour ça, il faudra que cette personne invente ou réinvente un genre et se l’approprie entièrement. Est-ce que ce sera possible sur le plan des super-héros ? Je ne sais pas. Une bonne part de l’admiration des fans pour Jack vient du fait qu’il était à la fois auteur et illustrateur de ses histoires. Aujourd’hui, l’industrie est tellement compartimentée qu’un tel exploit paraît difficile. La majeure partie des lecteurs sont très très exigeants sur les deux plans et les rythmes de production sont tels que le prochain Kirby devra certainement être une intelligence artificielle. Brrr…

Quel est votre personnage emblématique créé par Jack Kirby ? Pourquoi ?

Mickaël : En ce moment, je dirais Ben Grimm alias la Chose. C’est celui qui symbolise le plus Jack Kirby et sa propre personnalité. Une apparence rude mais une générosité immense.

 

 

© Laurent Lefeuvre

 

 

© Laurent Lefeuvre

 

Alain : Captain America. Pas de compromis possible avec Cap’. Même des géants comme Brubaker, s’ils ont complexifié le personnage et l’ont inscrit dans la modernité, n’ont pas fondamentalement changé ce qu’il était, ce qui le définissait. C’est quasiment le deuxième drapeau américain.

 

 

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En demandant à des dizaines d’auteurs de s’approprier l’univers de Jack le temps d’un hommage, avez-vous été étonné des choix de certains ? De voir des personnages plus prisés que d’autres ?

Mickaël : Oui, évidemment. Le Silver Surfer et Galactus sont largement plus présents que les X-Men par exemple. Il y a eu de vraies surprises et, la majeure partie du temps, des excellentes !

Alain : J’avoue avoir été surpris par la popularité du Surfer qui ne m’a jamais vraiment branché, comme personnage. Je l’ai toujours vu comme une sorte de chouineur intergalactique avec la poisse collée aux baskets ! Galactus, par contre, rien à dire. Imaginez voir Galactus pointer le bout de son casque à travers les nuages alors que vous regardez par la fenêtre. Wow.

On ne compte plus les noms qui s’ajoutent à ce projet. Comment avez-vous fait pour convaincre tout ce petit monde ? D’autant plus qu’il ne se limite pas à la francophonie, on croise des Sienkiewicz, des Victor Santos et, en dernière minute, Paul Pope… Certains sont venus d’eux-mêmes ?

Mickaël : Nous non plus, on ne sait plus combien il y a d’artistes d’ailleurs ! Il y en a du monde entier, en effet. Pour convaincre, je pense surtout qu’il faut un bon projet et montrer que nous sommes sérieux. Je pense le faire au quotidien sur Planète BD, cela m’a permis de rentrer en contact avec plein d’auteurs. Du coup, j’ai pu rapidement inviter plus d’une centaine d’auteurs à nous rejoindre, pour peu que Kirby leur parlait. D’autres sont venus parce qu’un participant l’avait averti ou grâce à l’aide de personnes bien intentionnées. C’est néanmoins plus d’un an et demi de travail, de relance et de fatigue cumulée, de joie, etc.

Alain : On a procédé graduellement en commençant par les auteurs que l’on connaissait personnellement et ensuite on a remonté la pelote, graduellement. Le fait est qu’on serait presque près à se donner une année supplémentaire pour en décrocher encore plus mais je crois qu’on peut être fiers de ce qu’on a réussi à accomplir. Depuis quelques mois, oui, on a des participants et pas des moindres qui nous ont contactés directement et ça, ça fait sacrément plaisir.

Avec des anecdotes de certains auteurs ayant eu la chance de côtoyé Kirby?

Mickaël : Oui mais là, on va laisser les lecteurs les découvrir dans le livre.

Votre activité de chroniqueurs en toute objectivité n’a pas été un frein auprès d’auteurs peut-être froissés ? (rires)

Mickaël : Franchement, on ne me l’a jamais reproché. En même temps, comme je suis quelqu’un de courageux, j’ai contacté uniquement les artistes que j’aime (rires). À ce jour, je n’ai jamais froissé personne, en tout cas pas volontairement et ce n’est pas le but lorsque l’on écrit une critique. C’est juste un avis indiquant si l’on conseille ou non la lecture, si l’on a trouvé du plaisir à lire l’ouvrage etc.

Alain : J’ai tout fait avec un pseudo. Non, c’est pas vrai ! On n’a jamais eu en tous cas de quelconque remarque vis-à-vis d’une de nos critiques.

Puis, j’imagine que, comme lorsqu’on doit faire un discours de remerciements, on passe toujours à côté de certaines personnes… qu’on regrette, par après, de ne pas avoir contacté ?

Mickaël : Evidemment ! Mais globalement, il faut dire que je n’ai pas fait de mails groupés pour proposer le projet. Je l’ai fait un par un et à chaque fois avec un message personnalisé. Parfois j’ai eu des refus, d’autres ont voulus réfléchir et souvent j’ai eu un « oui ». Et puis, il faut dire la vérité, je n’ai pas les contacts de tout le monde. Tout comme, il y a des baleines blanches, des artistes que l’on a essayé d’avoir mais c’était peine perdue d’avance.

Alain : On a toujours essayé, en tous cas. On a frappé à quasiment toutes les portes mais on n’en n’a jamais voulu à ceux qui nous répondaient non parce que pas intéressés ou par manque de temps. Il faut savoir respecter l’agenda professionnel des gens. D’autant plus que, parmi ceux ayant refusé, la quasi-totalité se démène aussi, le reste du temps, pour Hero Initiative. Mais, clairement, on va faire super attention à n’oublier personne car certains se sont démenés pour Kirby&Me alors qu’on n’avait rien demandé de plus.

Au-delà des contributions de ces auteurs, il y aura aussi du texte, la traduction de la toute dernière interview de Jack et des dessins du maîtres… dont certains rares. Comment deux Frenchies comme vous se les sont-ils procurés ?

Mickaël : Oui il va y avoir des textes. La dernière interview de Jack Kirby n’y figurera pas car elle est déjà disponible ici. Il va y avoir des témoignages des dessinateurs eux-mêmes, des moments de passion racontés, des interviews, une pièce de théâtre reproduite partiellement et oui, il y aura aussi du Kirby dedans. La majeure partie émane de nous et de nos échanges avec auteurs mais pour se procurer certains éléments comme les illustrations de Lord of Light, notre gentillesse et notre sincérité ont suffit. Nous ne sommes pas là pour paraître, on s’en fiche, on veut juste faire un livre que les fans et nous seront fiers d’avoir.

 

 

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Alain : Il n’y a pas que des dessins, en effet. On a en premier lieu les témoignages des artistes qui prennent quelques lignes pour expliquer en quoi Kirby les a marqués et aussi pourquoi et/ou comment ils ont réalisé leur contribution. Mais ce n’est pas tout, des auteurs livrent des témoignages plus longs, on a des analyses de points techniques ou sur des personnages particuliers, des photos, des tableaux… C’est un peu dingue mais hormis ajouter des pop-ups pour les enfants, je ne sais pas ce qu’on aurait pu mettre de plus.

C’est vrai que c’est incroyable mais il y a eu un effet boule de neige. Au fur et à mesure que des gens nous ont fait confiance, plus le reste c’est fait facilement. La bonne approche a été de procéder graduellement et de ne pas tenter immédiatement d’approcher les plus grands auteurs, au risque de passer pour des profiteurs. On s’est construit un socle de relations et on a aussi appris à présenter les choses, ce qui était le plus apprécié.

Vous avez eu des contacts avec la famille de Kirby ?

Mickaël : Oui avec Neal, le fils de Jack. On lui a évoqué notre projet, ce que l’on voulait faire et s’il avait dit que cela ne lui plaisait pas, on aurait arrêté aussitôt.

Alain : À quoi bon rendre un hommage si c’est pour faire grincer des dents ? C’eut été malhonnête, non seulement vis-à-vis de la famille mais aussi des participants au projet. Il fallait que chacun sache exactement dans quel cadre et à quelles fins on allait employer leur travail. Et pour graver ça dans le marbre, oui, on a établi une sorte de contrat moral avec Neal Kirby. Et on n’a pas bougé d’un iota depuis.

Aussi, vous donnez à ce projet, une dimension caritative ?

Mickaël : Dès le départ, nous aurions été malhabile de réclamer gagner de l’argent sur le dos des auteurs et in fine de Jack Kirby lui-même. Nous ne sommes pas une structure mercantile mais à but non lucratif. Notre objectif est de reverser l’ensemble des bénéfices à Hero initiative.

 

 

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Alain : Il faut savoir que, en particulier aux USA, la patrie des comics, la vie d’un créateur n’est pas simple. Payés à la planche, pas ou peu de couverture sociale, etc. Ils sont fréquemment à la merci du moindre accident de la vie : maladie, catastrophe naturelle dévastant leur maison et/ou leur studio… Hero Initiative intervient alors pour aider à payer les soins médicaux ou les réparations.  Que faire quand on est dessinateur et qu’on se met à avoir de l’arthrite dans les mains ? En France, le coût moyen d’une opération pour une appendicite est entièrement pris en charge par la sécurité sociale et, éventuellement, des mutuelles coûtant 50 euros par mois. Aux Etats-Unis, c’est 10 à 60 000$, pas de sécurité sociale et une assurance santé privée (les artistes sont freelance) coûte 250$ par mois.

Ce livre a-t-il un équivalent outre-Atlantique ? Est-il du coup plus ou moins évident de séduire le public étranger ?

Mickaël : Je pense que Kirby&Me n’a pas d’équivalent dans le monde. Dit comme cela, on pourrait croire que l’on a la grosse tête mais, en fait, l’ouvrage est un hybride entre tout ce qui existe. On a mis tellement de choses dedans et trouver le moyen d’y trouver une cohésion que l’on espère l’avoir rendu suffisamment séduisant. Le public étranger est intéressé oui et pas forcément qu’aux USA d’ailleurs.

Alain : Des ouvrages collectifs du même genre, ça existe, mais avec un contenu aussi divers, des profils aussi distingués et une vocation caritative, je n’en n’ai pas vu. Il fallait surtout trouver deux malades capables de mettre autant de temps et d’énergie là-dedans, bénévolement. C’est chose faite.

 

 

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Quel est votre regard sur le monde actuel du comics ? Ne se développe-t-il pas de plus en plus en France avec une volonté d’être sous influence mais aussi, désormais, de faire influence (je pense aux créations originales de Glénat) ?

Mickaël : Je vais commencer par la fin… Des créations originales ont déjà été tentées par d’autres éditeurs par le passé. Delcourt ou Panini s’y sont essayés avec plus ou moins de succès, on espère juste que la qualité soit là avec les titres Glénat Comics, c’est l’essentiel pour un lecteur (et un chroniqueur comme moi) !

Concernant l’univers des comics, il y a malheureusement un effet de loupe et certains personnages ou titres vampirisent l’ensemble de l’attention de la masse des lecteurs et ce, au détriment d’une véritable qualité. Bien sûr, plus il y a de lecteurs, mieux c’est, mais cela signifie aussi une offre plus large de comics en magasin et plus de choix à faire, donc des séries qui, si elles ne se vendent pas assez, ne seront pas publiées jusqu’au bout. C’est le cas chez tous les éditeurs, aucun n’échappe à cette règle. Faites preuve d’ouverture d’esprit et creusez, il y a du bon chez tout le monde !

Alain : Je trouve que le climat est un peu pesant. Tout le monde y va de son avis et souhaite décortiquer ce qu’il lit. C’est bien d’être exigeant mais il faut parfois lâcher prise et, par exemple, apprécier un Batman parce qu’on aime bien Batman et que l’histoire est efficace sans chercher à tout prix à trouver un double-sens métaphysique dedans.

Il y a peut-être une sorte de mouvement hipster qui s’est formé au détriment d’une approche bon enfant qui, elle-même, a été la source de comics plus complexes. Aujourd’hui, j’ai parfois l’impression d’avoir à choisir entre Deadpool qui fait des blagues scatos, Superman qui arrache des bras et de l’indé qui croule sous le poids de ses propres références. Il faut oser les choses aussi bien en tant que créateur que comme lecteur.

Un grand merci à tous les deux et vive Jack Kirby ! Rappelons que Kirby&Me sera un ouvrage exclusivement disponible pour ceux qui le financeront sur Ulule. Plus d’informations sur la page Facebook du projet et sur son site officiel. Preview disponible ici.

Rajoutons aussi que quelques libraires tout aussi passionnés se sont joints au projet. En Belgique, à Andenne même, Atomik Strip promet d’ores et déjà que « Kirby&Me » sera l’un des événements de la prochaine Fête de la BD, les 11 et 12 novembre prochains.

 

Propos recueillis par Alexis Seny



Publié le 03/03/2017.


Source : Bd-best


Kirby & Me part 1:  Les regards croisés de Pierre Alary et Joe Skull : L’oeuvre de Jack Kirby, elle ne vous lâche jamais

Alors que nous vous parlions, il y a quelques jours, d’une nouvelle étape franchie dans le monde des comics made in France par Glénat Comics, voilà qu’un projet français voit le jour pour rendre hommage comme il se doit (et même plus) au fantastique Jack Kirby. Car si le cinéma a son Big Jim, le monde de la BD a son Big Jack. Raison de plus pour fédérer le monde de la BD, en France, en Espagne, aux États-Unis et par-delà le Monde… dans un livre collectif. Son nom? Kirby&Me. Vous pouvez encore le financer durant quelques heures (l’opération finit le 28 février), courrez-y. Nous, nous prenons le train un peu en marche mais nous ne pouvions pas passer à côté de l’initiative de Mickaël Géreaume  et Alain Delaplace. Nous avons lancé l’invitation à quelques auteurs participant à cet ouvrage qui promet. Premiers regards croisés en compagnie de Joe Skull (Les aventures de Joe Skull) et Pierre Alary (Silas Corey, Sinbad, Belladone). D’autres interviews suivront.

 

 

 

 

La couverture de Kirby&Me par Laurent lefeuvre

 

 


La couverture de Kirby&Me par Laurent lefeuvre

 

Bonjours à tous les deux. Quel est votre rapport à Jack Kirby ?

Joe Skull : Étant donné que je lis les aventures des héros Marvel depuis le début des années 80, j’ai forcément été influencé par Jack Kirby. On peut dire qu’il est à la base de pratiquement tous les plus grands super-héros Marvel et DC et son style révolutionnaire a marqué beaucoup de dessinateurs jusqu’à aujourd’hui. Par contre, son influence n’était pas si évidente pour moi, dans ces années-là, car je n’étais pas à même d’apprécier la force colossale son œuvre. Je ne comprenais pas la brutalité de ses encrages et les formes étranges de ses machines futuristes mais tout cela a germé en moi pendant des années et ce n’est que bien plus tard que j’ai compris son influence capitale pour moi.

Pierre Alary : Disons que Kirby fait partie de la « bande visuelle »  de ma vie , comme des groupes de musique font partie de la « bande-son » de ma vie. J’ai grandi en le lisant. Au début sans savoir ce qu’il représentait , enfant, dans Strange puis, l’artiste a eu un nom , et ce nom a eu un sens pour moi… Comme pas mal d’autres, il est devenu une sorte d’étape imparable, de jalon, dans mon apprentissage de l’art graphique… alors, sans être mon préféré, il reste, je doit l’avouer, une énigme. Quant a son style, sa façon de travailler, son univers… tout en ayant une moyenne de cinq à six pages par jour !

Vous souvenez-vous de la première fois que vous l’avez lu ? Vous rendiez vous compte qu’il pourrait vous suivre tout au long de votre vie ?

Pierre Alary : Je pense que , comme dit plus haut , ce devait être dans un Strange Special origines, sur les Fantastic Four. Puis assez vite, les grands formats Lug avec Captain America et Thor. Que l’on devienne dessinateur ou non plus tard, je pense qu’à partir du jour où vous connaissez le nom et l’oeuvre de Kirby, elle ne vous lâchera plus.

 

 

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jack-kirby-double-planche-fantastic-four

 

Joe Skull : La première fois que j’ai lu une histoire dessinée par Jack Kirby, je pense que c’était dans une aventure des Quatre Fantastiques qui paraissaient régulièrement dans Spidey, édité en France par les éditions LUG. Je ne me rendais compte de rien, j’étais littéralement happé par ces histoires !

Aujourd’hui, je n’ai plus ces BD mais lorsque que je les revois sur internet, la couverture suffit à me replonger dans cet état de transe.

Qu’est-ce qui en fait un indémodable, toujours bien présent dans l’imaginaire populaire et des auteurs de tous les âges, 20 ans après sa mort et alors qu’il aurait eu cent ans ?

Joe Skull : Je pense que c’est la force à nulle autre pareille que Kirby mettait dans son dessin qui nous plongeait immédiatement dans ses univers d’une richesse sans limites. Cette force est comme une montagne indestructible !

Pierre Alary : Déjà, ce style complètement « avant-gardiste » (et pourtant tellement rétro) et, surtout, cette espèce de folie assumée, ce coté complètement foutraque dans ces histoires : quand on y regarde de près, c’est quand même du grand nawak …mais c’est ce qui en fait tout le sel .

Kirby a cette force dans la ligne qui pourrait en faire aujourd’hui un vrai artiste contemporain, je suis sûr que de voir des reproductions immenses de ses dessins sur des façades de musées serait du plus bel effet. Quelque part, Kirby est un peu comme Hergé : sa ligne se prête merveilleusement au coté « arty » et « contemporainement vintage » apprécié aujourd’hui. Regardez son musée a Louvain-la-Neuve, c’est un modèle d’art moderne, une ligne claire, un profil de Tintin sur la façade et c’est superbe.

Quelle est la case qui, pour vous, prouve que c’est un vrai génie, un « King » ?

Joe Skull : Je pense à ses illustrations sur deux pages que l’on retrouve, par exemple dans New Gods pour représenter des batailles mythiques ou l’immensité d’une créature face au héros qui la découvre dans un coin reculé de l’espace…

 

 

Les New Gods par Jack Kirby

 

 

Les New Gods par Jack Kirby

 

Pierre Alary : Il n’y a pas une case en particulier, mais il y a cette idée qu’il est capable de nous éblouir avec une image de dingue, pleine de fureur, de mouvement et en même temps l’ont voit qu’il a pris un plaisir fou à travailler chaque personnage, chaque détail d’armure, avec des idées et des références qui lui viennent de je ne sais où. Et d’un autre coté, il est capable de nous sortir cette sublime double page dans Street code, une scène de rue géniallissime avec le marché, les gamins qui se balancent des légumes etc.

 

 

Jack Kirby dans Street Code

 

 

Jack Kirby dans Street Code

 

Votre héros préféré de Kirby, pourquoi ?

 

Joe Skull : L’un de mes préférés est Flèche Noire ! Chef des Inhumains. Le fait qu’il ne parle pas (ses compagnons s’expriment pour lui) le rend mystérieux mais sa force n’en est pas moins prodigieuse.

Pierre Alary : Alors que je suis très sensible au graphisme pur, je veux dire par là que je marche au dessin avant tout , je crois que c’est quand même Omac que je préfère. Peut-être parce que, à mon goût, son histoire qui se tient le mieux et possède vraiment un fond, une structure, une vraie critique sociale aussi (comme dans Kamandi aussi mais ça part très vite… en sucette) sans pour autant, et loin s’en faut, être la plus jolie graphiquement. Cette histoire donne l’impression que, pour une fois, Kirby s’est vraiment intéressé a son écriture plus qu’à son dessin .

 

 

Omac par Jack Kirby

 

 

Omac par Jack Kirby

 

En quoi, Jack Kirby vous influencerait-il aujourd’hui ?

Joe Skull : Pour moi, le secret de Kirby est dans ses personnages mais plus visible encore dans ses machines. Ce sont elles qui m’influencent le plus dans mon approche de la science-fiction. Il s’agirait pour moi de donner du volume à des formes abstraites et improbables qui pourraient représenter des bâtiments ou des appareils extra-terrestres.

Pierre Alary : Pour toutes les raisons évoquées plus haut.

Une anecdote sur votre rapport à Kirby ?

Pierre Alary : Le jour où j’ai appris à quel rythme il travaillait… je ne m’en remets toujours pas !

Que pensez-vous de l’ouvrage Kirby&Me ? Comment avez-vous intégré ce projet ?

Joe Skull : Je pense que ça peut être un très beau livre et j’espère qu’il se fera. Je suis fier de faire partie de ce projet et félicite ses créateurs pour leur initiative et leur choix d’auteurs très varié. Quand je les ai contactés, ils ont su me transmettre leur enthousiasme et leur passion pour Kirby.

Pierre Alary : J’ai réclamé. Ce sont des potes contactés (eux ! (rires)) qui m’en ont parlé. Je ne voulais pas rater le coche.

Vous nous parlez de votre hommage ? Qu’y avez-vous mis ?

Joe Skull : Mon hommage représente justement une machine qui servirait à Kirby pour fabriquer des super héros. L’idée m’a amusé et j’ai pris du plaisir à la dessiner avec Kirby aux commandes. Par contre, j’ai voulu cette machine réaliste. Une machine d’usine pour aborder les choses sous un angle plus réaliste.

 

 

L'hommage de Joe Skull à Jack Kirby pour Kirby&Me

 

 

L’hommage de Joe Skull à Jack Kirby pour Kirby&Me

 

Pierre Alary : Je reviens à ma fascination du dessin pur. Et, pour cela, le personnage de Black Panther reste l’un de mes favoris . De par son épure et cette quasi-obligation d’en faire un objet purement graphique. J’adore. J’ai rajouté par derrière, ce qui, à mon goût, fait le sel de Kirby, à savoir des myriades (moins ici) de personnages semblant venus d’un million d’époques différentes, dont certaines complètement inconnues des humains.

 

Propos recueuillis par Alexis Seny



Publié le 03/03/2017.


Source : Bd-best


Sentience, la BD de Volpi et Tyef qui se dresse contre la maltraitance animalière : « La cause animale s’inscrit dans une évolution et une élévation de l’Homme »

Billy se transforme en « cat », Dracula en chauve-souris et voilà qu’au tour de Lucas, celui-ci se transforme en… chien. Lucas, c’est le héros de Sentience, une trilogie audacieuse dont les deux premiers tomes sont sortis sous l’égide du jeune premier David Volpi, de Tyef et des Éditions Y.I.L. Une bande dessinée qui sous des allures aventureuses et science-fictionnelle, traite de ce qui est et sera sans nul doute l’une des grandes thématiques de ce siècle : notre rapport aux animaux et à leurs souffrances que ce soit pour les mener dans nos assiettes ou dans d’autres domaines. Nous en avons profité pour rencontrer ces deux auteurs pour une discussion passionnante et raisonnée, pas moralisatrice. Avec, en plus, une exclusivité, en fin d’article : les crayonnés des trois premières planches de l’ultime tome.

 

 

 

 

Tome 1 © Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

Tome 1 © Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions
© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

Bonjour David, bonjour Tyef, vous vous révélez un peu plus (et votre talent avec) avec Sentience. Quel a été votre chemin jusqu’ici ?

David : Bonjour, pour ma part, ce tome 2 est plus abouti dans le sens où j’ai su tirer parti des « erreurs » du 1er tome. J’ai pris en compte les remarques des lecteurs et j’ai tenté de réaliser un tome plus en adéquation avec l’idée que je souhaite défendre à savoir la cause animale. A vrai dire, le succès du 1er tome a été très motivant et je ne voulais pas décevoir les lecteurs. Les premiers retours sur ce tome 2 sont positifs et me motivent d’autant plus pour l’écriture du 3ème et dernier tome.

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

Tyef : Bonjour. Du point de vue purement graphique, le chemin a été celui du juste milieu : cela faisait déjà quelques années que je publiais des bandes dessinées, au dessin humoristique (La recherche d’emploi, Elysez-moi, Les clodos…) ou plus réaliste (Nô, La mémoire des siècles, etc…). Pour Sentience, il a fallu trouver le bon dosage entre ces deux tendances.

 

 

tyef-elysez-moi

 

 

tyef-elysez-moi

 

D’où vient votre passion pour la BD ? Et l’envie d’en faire ?

David : Tout jeune, mes parents avaient l’habitude de me déposer au rayon BD des grandes surfaces, sans doute pour faire leurs courses tranquillement !

Tyef : Moi aussi, encore un point commun qu’on se découvre !

David : C’est comme ça que j’ai pu découvrir les classiques de la BD Franco-Belges avec les aventures de Tintin, Blake et Mortimer, le journal de Mickey, Spirou… Depuis, cette passion ne m’a plus jamais quitté et j’ai élargi mes lectures à d’autres univers comme les mangas, les comics…

Je n’aurai jamais pensé faire de la bande-dessinée jusqu’il y a 2 ans, quand je cherchais un moyen de sensibiliser à la cause animale. Et l’idée de faire ma 1ère BD m’est apparu comme une évidence !

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

Tyef : Je suis amoureux de la bande dessinée comme moyen de création. J’en ai toujours lu, et dessiné depuis l’âge de dix ans… Par la suite, j’ai découvert que c’était un très bon moyen d’apprendre des choses, de réfléchir, d’évoluer… à condition de ne pas devenir barbant ! Encore une question de compromis, mais cette fois entre le divertissement et la réflexion, compromis assez bien trouvé dans les scénarii de David…

Des auteurs qui vous ont influencé/suscité votre vocation ?

David : Alors les inspirations sont nombreuses et souvent inconscientes. On retrouve ainsi un univers « comics », un lecteur a même comparé le héros de Sentience, Lucas, à Spiderman ! Après c’est le fruit d’un mélange de plus de 20 ans de lecture !

Mais je suis également passionné de cinéma, j’ai sans aucun doute été largement inspiré par l’univers de Spielberg, Zemeckis, Cameron… En termes de dessin, ma volonté était d’obtenir un trait proche de celui de Bruno Gazzotti, dessinateur de la série à succès Seuls ou encore SODA.

 

 

© Tome/Gazzotti chez Dupuis

 

 

© Tome/Gazzotti chez Dupuis

 

Tyef : Ah, pour le lecteur qui a comparé Lucas à Spiderman, c’est peut-être aussi de ma faute, Spidey est juste mon héros de comics préféré. Vers la fin du tome 2, Lucas est dans une situation qui m’a fait immédiatement penser aux comics, et il en prend un peu les poses, fatalement…

Je pourrais citer des tas d’auteurs (et je ne serais pas bien original), mais restons sur le cas Gazzotti, dont j’admire vraiment le travail, ce fameux compromis réalisme/humour qui sied si bien à Sentience. Je m’en étais déjà inspiré pour « Elysez-moi » (publié par Bac@BD) au point que j’ai dessiné « un Soda » dans une foule (DAvid SOlomon, hein, pas l’autre de la télé…). Ça reste une inspiration, bien entendu, l’ambiance de « Sentience » est au final assez différente de celle de « Seuls »… Et une inspiration parmi d’autres.

Au niveau des couleurs, que nous voulions bien tranchées, nettes et flashy, participant bien à la narration, j’ai pas mal fouillé dans mes vieux « Lucky Luke ». Morris allait vraiment à l’essentiel, et les couleurs y participaient d’une belle manière !

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

Avant de collaborer sur cette série, vous connaissiez-vous ?

David : Pas du tout ! J’ai passé une annonce sur un site spécialisé à la recherche d’un dessinateur professionnel et après plusieurs retours, le dessin de Tyef s’est largement démarqué des autres ! Et l’aventure commença…

Tyef : Et au fur et à mesure de notre collaboration, on se trouve plein de points communs !

David, si je ne m’abuse, c’est votre premier scénario. Il vous a fallu apprendre sur le tas ou aviez-vous un background suffisant que pur vous y attaquer ? Le sujet fort et éminemment contemporain soulevé par Sentience ne vous a-t-il pas laissé le choix de vous lancer ?

David : C’est en effet mon 1er scénario. J’ai appris sur le tas mais ma culture du 7eme et 9eme art ont été de véritables atouts. Il fallait que je me lance car je voulais à tout prix m’engager dans cette cause. Beaucoup de personnes cherchent à se sentir « utiles » et faire quelque chose de « bien » dans leur vie. J’ai mis le temps mais, pour moi, la cause animale en vaut largement la peine et s’inscrit dans une évolution et une élévation de l’Homme qui ne peut se faire selon moi qu’avec l’acceptation et la reconnaissance de la condition animale.

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

Comment en avez-vous pris connaissance ? Quel fut le déclic ? Et vous, Tyef ?

David : J’ai toujours été révolté par ce que l’Homme peut infliger aux animaux comme le braconnage par exemple, mais je n’avais jamais pris conscience que cela me concernait directement le morceau de viande dans mon assiette. Je n’avais jamais vraiment fait le lien entre l’animal vivant et mon steak. Disons que les campagnes de communication et de marketing ont eu raison de moi pendant toutes ces années.

Le déclic fut une vidéo diffusée sur la toile qui m’a poussé à me renseigner sur mon alimentation à et m’informer sur la « fabrication » …

Tyef : Ma mère végétarienne m’a appris à respecter les animaux, directement quand on les voit et indirectement quand on mange… Ma grand-mère beaucoup plus traditionnelle dans sa cuisine m’a appris qu’on ne changeait pas aussi facilement les habitudes de millions de consommateurs…

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

Cette révélation a-t-elle changé votre quotidien ? Quel était votre rapport aux animaux, avant ? Et après ?

David : J’ai totalement changé mon mode de consommation. Je contrôle tout dans la mesure du possible, je vérifie les étiquettes, j’essaie de privilégier les produits français, sans produit animaux, non-testés sur des animaux et qui respectent une certaine forme d’éthique. Vous l’avez compris, mon rapport aux animaux a totalement changé.

Tyef : J’ai toujours été coincé entre les deux tendances. Plutôt que de me fâcher avec tout le monde, je suis devenu assez tolérant. Mais, de mon côté, je ne cuisine plus de viande depuis belle lurette… Et je trouve très intéressant de montrer par la bande dessinée les dérives de notre mode d’alimentation trop carné… Merci David!

 

© Volpi/Tyef

 

 

© Volpi/Tyef

 

Récemment, les vidéos de L214 ont bénéficié d’une « nouvelle notoriété », Aymeric Caron a sorti son «Antispéciste », Gilles Lartigot son « Eat », Pamela Anderson continue son combat, Rémi Gaillard a également réalisé un gros coup en sensibilisant à la cause des chiens des refuges. On avance ? Le sujet a-t-il été tabou pendant un long moment ? Quels sont vos « héros » dans ce combat ?

David : Je dois vous avouer que le sens de la répartie d’Aymeric Caron m’impressionne à chaque débat. J’aimerais en avoir autant ! À proprement parler, toute personne, association, blogueur… engagé dans cette cause est un héro du quotidien. Le travail des associations comme L214 est extrêmement important et donne une visibilité médiatique à cette cause qui touche d’office un plus grand nombre d’individus. Il arrivera un moment où l’excuse « je ne savais pas » ne sera plus recevable…

J’ai le sentiment qu’on avance, doucement certes, mais depuis plus de deux ans où je me suis engagé, il n’y a pas une semaine où le sujet n’est pas mentionné dans les médias (documentaire, JT, magazine…).

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

Tyef : Moi aussi, j’ai l’impression d’être moins seul ces derniers temps. La technologie y est peut-être pour beaucoup. Si le fait que les abattoirs soient transférés dans des lieux confinés (cachés) a pu participer d’une plus grande consommation de viande, des caméras de plus en plus discrètes et des plateformes d’échange de vidéos montrent à nouveau au grand nombre ce qu’il en coûte de se nourrir d’animaux. Restent ceux qui, engoncés dans leurs traditions, ne veulent pas voir…

Avec le revers de la médaille, la cause animale n’est-elle parfois pas devenue un moyen de com’ ? (Je lisais cet article)

David : C’est sûr que les politiques s’empareraient de n’importe quoi pour gagner en notoriété. Mais globalement, je trouve cela positif, cela signifie que c’est un sujet prit en considération, qui revient sur le devant de la scène de manière récurrente et donne de la visibilité et de la légitimité à cette cause.

Tyef : Comme beaucoup de sujets en politique, il y a la com’ et les actes (les lois votées, appliquées, etc…). Pour faire la différence entre les deux, pas d’autre choix que s’en remettre (là encore) à l’intelligence des citoyens…

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

Des lectures, des films à conseiller ?

David : La liste est trèèès longue ! Mais je vais vous conseiller mes coups de coeur.

En romans, il y a Dogsland de Tim Willock; Jonathan Livingston, le goéland de Richard Bach; Le sang des dauphins noirs d’Elena Sender et Abysses de Frank Schatzing.

En BD, Shangri-La de Matthieu Bablet; Sweet Tooth de Jeff Lemire; Des animaux et des bêtes de Bebb et Tatanka de Joël Callède, Gaël Séjourné et Jean Verney.

 

© Mathieu Bablet chez Ankama

 

 

© Mathieu Bablet chez Ankama

 

Enfin, au cinéma, Powder de Victor Salva, White God de Kornél Mundruczó, White Dog de Samuel Fuller et The Plague dogs de Martin Rosen

Peut-on dire que ce sujet vous a « bouffé », que vous n’avez pas arrêté de vouloir en savoir plus ?

David : On peut le dire oui ! J’en ai passé des nuits blanches…parfois cauchemardesques suite au visionnage de certaines vidéos, parfois de réflexion quant au scénario…

Tyef : Je me souviens d’un cauchemar dans lequel on me demandait d’égorger des bébés chats pour les manger… Brrr !

D’ailleurs, ces deux tomes, sans faire trop sérieux, sont bien informés, non ? Tout est vérifié ? Aussi, vous n’hésitez pas à renvoyer vers certains sites et blogs, y compris au cœur de l’album. Avec notamment, ce moteur de recherche, Ecosia, que votre héros utilise et qui n’est pas anodin ?

David : En effet, je m’inspire de faits réels. C’est la base du récit à savoir l’expérimentation animale, le trafic d’animaux, l’élevage intensif… je me suis informé et sans vouloir être trop moralisateur, j’ai inséré des éléments de réflexion dans ces albums. L’idée étant de faire vivre une incroyable aventure au lecteur tout en l’informant et en amenant une réflexion. À la fin de chaque album, une note « en savoir plus » vient confirmer et compléter les thèmes abordés dans la BD avec mes sources et les liens vers des sites spécialisés.

 

ecosia

 

 

ecosia

 

L’idée du moteur de recherche est de Tyef et je dois dire qu’il a eu une très bonne idée qui s’inscrit dans l’esprit de notre projet.

Tyef : Lucas est déjà un gamin qui chemine à vélo, a des posters écolos dans sa chambre, et respecte les animaux… Montrer qu’il utilise un moteur de recherche qui plante des arbres n’était qu’une manière de plus d’affirmer le personnage. Un personnage qui veut aller au-delà des habitudes de tout le monde (utiliser un des GAFA, « Google, Apple, Facebook, Amazon » sans y penser), qui sait que chacun de ses gestes implique des conséquences… Et puis c’est l’occasion de faire de la pub pour d’autres moteurs de recherche !

Vous envisagez chaque tome comme porteur d’un sujet ? Le premier, l’enlèvement de chiens ? Le deuxième, la condition des cochons ? Que nous réserve la suite ?

David : Exactement ! Et à chaque tome son association. Je reverse pour chacun 50% de mes droits d’auteur. L’Association Pro Anima pour le 1er, L214 pour le second et l’association végétarienne de France pour le dernier. Je viens d’ailleurs de reverser 500€ à Pro Anima 1 an après la sortie du 1er tome et je suis très fier d’aller au bout de mon engagement. J’espère en faire autant pour les prochains. Chaque asso est définie en fonction du thème abordé. Je précise que ce sont des thèmes de « fond » dans lequel se joue l’histoire principale. L’histoire se déroule en 3 tomes qui ne peuvent se lire indépendamment.

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

Pour ce 3eme tome, j’ai peaufiné le scénario pendant pas mal de temps et il vous réserve de belles surprises et surtout toutes les réponses à vos questions : Qui est Doc ? Comment connait-il le père de Lucas ? D’où vient ce virus qui empêche toute reproduction chez les bovins ? Pourquoi Doc a-t-il incendié l’entreprise Sentience ? Qu’est-ce que l’Animal Project ? …

Tyef : J’ai l’impression que le troisième tome, en plus de donner une conclusion aux aventures des personnages, prend de la hauteur et montre des futurs possibles qui se décident aujourd’hui… Entre dérives de l’agro-alimentaire et questionnements animaux…

Au-delà des citations présentes en début d’albums, vous ne cachez ni ne gâchez les références. Une rue Moreau qui évoque Wells et l’ïle de son docteur, un tandem qui lorgne vers Marty McFly et le « Doc », n’est-ce pas ?

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

David : Je ne peux rien vous cacher ! J’aime bien placer quelques petites références et je rends également hommages au cinéma des années 80 consciemment (comme avec Doc) ou inconsciemment. Je m’en rends compte après coups avec le héros qui se déplace à vélo, les vilains au lycée… on retrouve pas mal de codes spécifiques au cinéma de Spielberg et Zemeckis qui se sont inconsciemment glissés dans  l’univers de Sentience.

Après, c’est aussi une histoire de super-héros ? Avec, comme dans toute bonne histoire fantastique, un vacillement qui va métamorphoser le héros. Sauf qu’ici, les effets ne sont pas permanents… Un pied de nez aux comics ?

David : Les effets ne sont pas permanents car la formule est bien dosée…peut-être qu’ils pourraient l’être… À suivre dans le T3…

Aussi, la série s’apparente plus à de la science-fiction qu’à du fantastique. Et oui comme dis plus haut, les comics m’ont aussi largement inspiré.

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

Tyef, ce n’est d’ailleurs pas la première fois que vous mettez en scène un « super-héros », avant Lucas, il y avait Hyper-Man et, plus récemment, Nô ? Vous êtes naturellement attiré par les comics et leurs héros ? Vous ne pouviez pas refuser l’histoire de David ?

Tyef : Mes premières BD montraient en effet des super héros. Je ne qualifierais pas « Nô » de super héros, il est une sorte de fusion entre l’esprit comics et l’esprit franco-belge, il a un pouvoir spécial, mais pour le reste se trouve assez démuni, incomplet, et au coeur d’une enquête policière qui met en scène un personnage féminin bien plus fort…

 

Nô © Nicolas Lebra/Tyef chez Atypiques Éditions

 

 

Nô © Nicolas Lebra/Tyef chez Atypiques Éditions

 

Pour Lucas, c’est aussi une histoire de mélange des genres… J’ai bien l’impression que je  suis, mine de rien, en train de participer à une sorte de volonté de crédibilisation accrue des super héros en les incluant dans un monde plus crédible, plus réaliste…

Ils m’attirent, c’est évident : qui n’a jamais rêvé de super-pouvoirs ? Ils posent aussi malgré eux beaucoup de questions philosophiques sur notre monde (pour qui veut y réfléchir). Non seulement je ne pouvais pas refuser l’histoire de David, mais j’ai lutté pour participer à  cette aventure !

Y’a-t-il eu des défis graphiques sur cet album ? Les animaux par exemple ? Et ce tigre féroce ?

Tyef : Effectivement, je dessine rarement des animaux de moi-même. Mais le plus difficile, je pense, c’est de faire le lien entre l’homme et l’animal. Dans le premier tome, Lucas vit plusieurs pages sous l’apparence d’un chien, le but était de montrer d’une manière crédible que Lucas est à la fois le garçon et le chien. Quand le chien marche, court, est surpris, paniqué, etc. le lecteur devait voir Lucas dans le chien, se souvenir qu’il s’agit du même garçon aperçu quinze pages plus tôt…

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

À propos du tigre, dans le deuxième tome, ce fut plus facile, car il n’y avait plus de surprise. Le lecteur a été préparé à la transformation plusieurs pages en amont, et grâce au tome 1 a accepté le phénomène. J’ai donc pu « lâcher mon dessin » et aller davantage vers le tigre, pour accentuer « l’effet féroce ». C’est l’avantage de travailler sur une série !

Aussi, vous suggérez souvent l’idée de vitesse. Une envie de ne pas considérer le dessin comme immobile ?

Tyef : … comme figé, même. Je me trouve souvent trop descriptif, trop appliqué. Je veux être lisible, certes, pour que le lecteur comprenne bien ce qu’il se passe, mais pas au détriment de l’émotion, qui peut parfois exiger de ne pas tout comprendre. Suggérer plutôt que montrer.

Au-delà de son engagement, cette BD a, dans ses prémisses, fait le pari de réunir une communauté. Ne fut-ce que dans son financement. Comment cela s’est-il passé ?

David : La partie la plus compliquée ! Réunir des fonds pour la financer. Je ne vous cache pas que « réclamer » de l’argent n’est pas chose aisée. C’est toujours délicat et il faut bien évidemment justifier et légitimer ce besoin.

Bien qu’éditée chez YIL EDITION, l’impression et la diffusion sont pris en charge par l’éditeur mais ce dernier ne propose pas encore d’avance sur droits. Autrement dit, les auteurs ne sont pas rémunérés pendant le processus de création. J’ai fait l’impasse sur ma propre rémunération mais il fallait bien rémunérer Tyef dont c’est le métier. Rappelons que la BD représente une année de travail…

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

J’ai donc puisé dans mes économies personnelles et lancé une campagne de financement participatif via la plateforme Ulule. Pendant plusieurs mois, il a fallu communiquer sur les réseaux, démarcher des associations…

J’ai procédé de même pour le 2ème tome et je vais retenter l’aventure, dès ce mois de février, avec le dernier …

Tyef : La démarche du « financement participatif » est bien différente de « l’édition traditionnelle ». Plutôt que se balader dans un rayon BD et voir ce que le monde de l’édition a préparé pour lui, le lecteur fait l’effort d’acheter un album un an avant de l’avoir entre les mains. En contrepartie, le choix des albums est beaucoup plus large, et des cadeaux spéciaux sont disponibles (dédicaces spéciales, cartes et tableaux, personnages secondaires inspirés de photos des contributeurs, etc…).

C’est une démarche différente pour le dessinateur aussi dans le sens où l’éditeur n’est pas le seul à attendre que les 46 pages soient dessinées. Savoir que des dizaines de lecteurs ont déjà acheté l’album et attendent impatiemment de le lire rajoute beaucoup de pression, mine de rien…

Une bonne solution le financement participatif ? Mais n’y en a-t-il pas de trop, actuellement ?

David : Je ne peux pas vous dire s’il y en a trop mais le principe du crowdfunding ouvre la porte à tous les porteurs de projets. Dès lors qu’un projet est bien développé, bien défendu et s’adresse aux « bonnes personnes », il a toutes les chances de se voir aboutir. Je trouve ça génial, une communauté qui se mobilise autour d’un projet auquel elle croit.

Pour Sentience, le crowdfunding s’inscrit dans l’esprit de notre projet. En effet, c’est un projet qui défend des valeurs fortes avec une dimension collaborative ET associative.

Tyef : « Un Blake et Mortimer acheté est un Tintin que je ne vendrai pas ! » Hergé.

Dès le début de la BD il y a eu cette impression qu’il ne fallait pas trop produire. Le nombre d’albums publiés chaque année a énormément augmenté depuis, et beaucoup d’auteurs parlent de surproduction (mais sont-ils prêts à ne pas publier eux-mêmes ?). Là-dessus, se rajoutent les BD gratuites sur internet (blog, publications numériques gratuites) et le financement participatif…

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

Évidemment, plus y a de projets, moins chaque projet a individuellement de chances d’être financé (les budgets des lecteurs n’étant pas extensible à l’infini). Du coup, certains porteurs de projets, comme ces auteurs de BD, comme Hergé au départ, voudraient limiter l’offre…

Ça se passe dans d’autres professions (les chauffeurs de taxi avec les licences (avant Uber), les médecins avec le numerus clausus, etc…). C’est frustrant pour ceux qui voudraient faire ces métiers et restent en dehors, mais ça donne une sécurité à ceux qui l’exercent… C’est un choix de société qui en plus fait intervenir un élément de taille : la précarité des auteurs. Vaste sujet.

Un mot sur YIL ?

David : Plusieurs même ! YIL est la maison d’édition idéale pour notre projet dont le   fonctionnement et la philosophie sont en parfaite adéquation avec notre concept. Elle représente une forme de BD libre et a permis à notre projet d’exister. C’est une maison d’édition « à compte d’éditeur » fédératif. Elle assure l’édition, l’impression et la distribution des livres papier et numérique. La diffusion étant partagée avec le réseau d’auteurs édités, c’est le pourquoi du mot fédératif et ce qui fait la particularité de YIL.

Elle a été créée pour contourner les difficultés que peut rencontrer aujourd’hui un projet professionnel, semi professionnel, ou amateur à exister sous la forme d’un livre papier ou numérique. La principale difficulté que rencontre un éditeur est la prise de risque financier lorsqu’il veut éditer un projet. Les quantités imprimées donc les coûts d’impressions dictés par des nécessités de diffusion/distributions classiques sont assez importants et la moindre erreur (surtout au début) ne pardonne pas…

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

C’est pourquoi YIL a choisi d’internaliser l’outil d’impression. Imprimer ses albums soi-même est en partie une solution à ce problème : les livres peuvent être produits en toute petites séries et, donc, permettre à un projet d’exister en livre quel que soit sa notoriété présumée et sans risque financier majeur. La contrepartie de ce beau procédé est bien sûr une rentabilité à court terme beaucoup moins bonne que dans l’industrie. Mais YIL croit plus en la vertu, et la rentabilité n’est pas forcement ce qui est le plus important dans un monde en plein crash économique.

Tyef : D’un point de vue graphique, c’est la première fois que je considère mes albums comme devant être imprimés en numérique… ça change un peu de l’impression BD traditionnelle (encore que j’ai l’impression que le lecteur moyen soit assez insensible à ces différences).

À moyen terme, les petits tirages répétés en cas de succès (ce qui nous arrive avec Sentience) pourraient poser la question de faire évoluer les albums entre chaque tirage. Un peu comme Hergé (encore lui) qui nous a offert différentes versions de chaque album de Tintin. Ce qui était réservé au maître du 9ème art est désormais accessible au plus modeste des auteurs, c’est un peu vertigineux…

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

 

© Volpi/Tyef chez Y.I.L. Éditions

 

Sentience est prévu comme une trilogie. Dans un premier temps ? Ou un deuxième cycle est-il possible ?

David : Ce sera une trilogie ! L’imagination des lecteurs fera le reste.

Quelle a été la réaction du public ? Quel est-il ? Des lecteurs de BD, des défenseurs de la cause animale, un public tout horizon ? Des réfractaires, aussi ?

David : La campagne de crowdfunding nous a permis dans un premier temps de « prendre la température » du projet. Suite à son succès, nous avons vite compris le réel engouement suscité et l’attente du public pour ce projet.

Pour le 1er tome, les réactions ont été très bonnes, la principale critique étant le format trop court de l’album… Toutefois, Tyef et moi avons redoublé d’effort pour le 2eme opus pour répondre aux exigences des lecteurs. Un dessin plus travaillé, un scénario plus abouti…ce 2ème tome suscite encore plus d’enthousiasme.  Je dois avouer que cela me procure beaucoup de fierté mais également énormément de pression pour le dernier tome…

 

Recherches de personnages pour le tome 3 © Tyef

 

 

Recherches de personnages pour le tome 3 © Tyef

 

Concernant le public, je ne vous cache pas que les défenseurs de la cause animale représentent la majorité de nos lecteurs. Toutefois, des amateurs de BDs rencontrés lors de salons/festivals, par exemple, se laissent volontiers emporter par l’histoire, et par la cause qu’elle défend. Aucun réfractaire pour le moment ne s’est manifesté !

Tyef : C’est l’album le plus « grand public » que j’ai dessiné ! Des jeunes attirés par l’histoire et le dessin accessible, les ambiances colorées et l’histoire attrayante… C’est aussi un album que les parents achètent avec plaisir pour eux ou pour l’offrir à leurs enfants, ou faire un acte militant ! Mon plaisir personnel, c’est voir ceux qui m’avouaient « ne pas être trop  BD » le lire avec plaisir.

Au-delà de Sentience, quelle est la suite pour vous ? D’autres projets ?

David : Maintenant que j’ai mis un pied dans le milieu de la bande-dessinée, difficile d’en sortir ! J’ai un autre projet en effet autour de la corrida cette fois-ci et toujours dans l’esprit associatif. Tyef s’est montré très enthousiaste au vu des prémices du scénario …

Tyef : J’aurai toujours trop de projets pour les réaliser en une seule vie ! Donc je retourne bosser !

 

Propos recueuillis par Alexis Seny



Publié le 17/02/2017.


Source : Bd-best


Interview flash de Thierry Bouüaert et François De Smet, Les droits de l’homme aux édition du Lombard

En 1948, dans la foulée de la guerre et de la découverte de la Shoah, un comité de rédaction exceptionnel dirigé par Eleanor Roosevelt et René Cassin tentait de rédiger la toute première déclaration des droits de l'homme à vocation universelle. Cet évènement s'avérera être une confrontation constante entre plusieurs visions du monde : Orientaux et Occidentaux, Américains et Européens, Nord et Sud... Cette bande dessinée revient sur l'histoire de cette équipe qui a couché sur papier un rêve commun : un monde dans lequel l'homme ne serait plus une proie pour l'homme.

 


Qui a eu l’idée de la création de ce livre ?

 
C’est David Vandermeulen, le directeur de la collection qui définit avec Nathalie Van Campenhoudt, l’éditrice, la stratégie de la collection. C’est lui qui a songé à traiter ce thème. Très vite, le nom de François De Smet a été proposé par un autre auteur de la collection. David et Nathalie sachant que j’essayais de développer péniblement et sans succès un sujet traitant de la notion individuelle de la démocratie ont pensé à moi pour illustrer le texte de François sur l’histoire des droits de l’homme.

 

 

 

 

 


Qu’avez-vous appris lors de l’élaboration de ce livre ? 

 
C’est une excellente question que l’on m’a déjà posée mais j’avoue que je ne sais pas vraiment répondre car j’ai travaillé pendant dix-sept mois dans les textes et la recherche de documentation et j’admets que je ne sais plus très bien ce que je savais avant de débuter le livre par rapport à maintenant. Par contre ce que je sais, c’est qu’il y a eu des moments lumineux comme des moments extrêmement émouvants lorsqu’il s’est agi de glaner de l’information sur la période Hitlérienne et sur le génocide. C’était vraiment éprouvant pour moi de coopter les photos et de choisir laquelle dessiner, émotionnellement il faut digérer cela quand on dessine un amas de lunettes, un amas de cheveux voire des centaines de touffes de cheveux, c’est extrêmement éprouvant pour quelqu’un de sensible comme moi. Disons que l’un dans l’autre, je suis très fier d’avoir pu faire ce livre. Cela m’a permis de rafraichir ma mémoire personnelle sur la façon et les contextes dans lesquels les droits de l’homme ont été pensés et écrits, le contexte dans lequel cette charte a été négociée entre les différents pays car il y a quand même des notions différentes entre les notions occidentales et orientales. Par exemple, la place de la religion n’est pas du tout la même en Occident qu’en Orient, ce qui est très bien signalé dans le livre. C’est un vrai travail de diplomate et de philosophe que de travailler sur un aménagement pertinent de toutes ces données et de rassembler quelque chose de clairement fondateur de manière universelle afin de créer un texte qui puisse couvrir l’ensemble du monde pour qu’il soit une recommandation applicable partout dans le monde, c’est quand même une véritable avancée.

 

 

 

 

Photographie d'une planche à l'exposition (photo par Alain Haubruge).

 


Comment peut-on aborder ce livre ?

 
Je pense que cette bande dessinée est une piqure de rappel pour tout le monde. Un de nos objectifs est de trouver un moyen de fonctionner avec les écoles. Moi j’ai très envie d’aller parler de ce livre et je pense que François De Smet également. C’est important d’entretenir la conscience et l’exercice au quotidien des droits de l’homme, que les gens se rendent compte de ce que cela implique et veut dire l’exercice de la compréhension des droits, de leur respect pour chacun d’entre nous. Lorsque certains politiques aux vues étroites et simplistes cherchant surtout à gagner de l’électorat plutôt que de veiller au bien-être du plus grand nombre, la tentation est souvent très grande de raconter n’importe quoi sur l’immigration et sur ses dangers alors qu’en fait, nous ne sommes pas dans une période en Occident où l’immigration est la plus forte si on compare avec les années quatre-vingt-dix lors de l’immigration due au conflit en ex Yougoslavie ou elle était beaucoup plus importante. Cela n’a posé de problèmes à personne et je pense que l’on raconte souvent n’importe quoi par rapport à l’immigration dans des buts électoralistes discutables et il est bon que l’on rappelle avec les moyens mis à notre disposition quels sont les droits, pourquoi cela a été créé, à quoi cela sert. Finalement, c’est une notion vivante qui est un exercice permanent. Le socle est peut être gravé dans la pierre et le marbre mais à partir de celui-ci, on peut faire évoluer et développer ce texte de génération en génération. C’est un texte que l’on peut développer afin d’en faire quelque chose de plus complet pour permettre de faire face aux problèmes de notre temps. En 1948, on ne parlait pas tellement du droit des homosexuels ni d’autres grands thèmes de notre époque. Justement dans cette dynamique, je ne serais pas surpris de voir plusieurs livres sur ce thème apparaitre dans les prochaines années car c’est un besoin réel.

 

 

 

Thierry Bouüaert et François De Smet

 

 


Quelles sont vos attentes concernant cet ouvrage?

 
Mon plus grand souhait est que toute personne intéressée par ce thème puisse s’approprier ce livre.


Propos recueillis par Haubruge Alain.


« Les Droits de l’Homme » de Thierry Bouüaert et François De Smet.
Exposition au Musée de la BD à Bruxelles espace Gallery jusqu’au 05 mars 2017.

 

 

 

 



Publié le 03/02/2017.


Source : Bd-best


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