"-A l’usine ?! Une émeute !?
-Oui. Une bagarre a dégénéré. Toute la production est à l’arrêt.
-Ooooh ! J’espère que ce ne sont pas des robots qui…
-Si. Enfin non… C’est compliqué. Ecoute, je n’ai pas le temps de t’expliquer. Tout ce que je te demande, c’est que Naiad ne sorte pas de la maison !"
Dans une usine, un ouvrier, Pat, dit Le Rouquin, a refusé d’obéir aux ordres d’un robot qui voulait que le rythme de la chaîne de production ne faiblisse pas. Entraîné par la réflexion d’une collègue qui lui reprochait de se laisser commander, il massacre le robot à coups de clef à molette. Le patron de cette usine est dépêché sur les lieux pour gérer la crise. Avant cela, il demande à Marceau, un petit robot domestique, d’empêcher sa fille Naiad, dont il s’occupe, de quitter la maison pour qu’elle reste à l’abri. Échappant à la vigilance de son gardien, Naiad s’infiltre dans l’usine et assiste en cachette à une nouvelle rixe. La cohabitation entre les races semble bien complexe. Là où les choses vont se complexifier, c’est lorsque Naiad va inviter à la maison le robot limier qui a empêché de commettre un nouveau drame. Ce n’est pas tout à fait du goût de son père.
© Munuera, Sedyas, BeKa - Dupuis
Troisième acte de la série d’anthologie des BeKa et de Munuera, Sans penser à demain est le nouvel épisode des Cœurs de ferraille. Naiad, environ dix-sept ans, a jusqu’à présent vécu dans l’opulence et l’ignorance d’un monde d’adultes dont elle n’a jamais eu à se préoccuper. Elle va non seulement prendre conscience de la réalité, mais, oh malheur, tomber amoureuse d’un robot limier, qui ne sont pas les robots d’ordinaire les plus sympathiques. Dans cet univers steampunk à l’époque de la Sécession, bien qu’étant dans le Nord des Etats-Unis, le racisme est latent. Ici, c’est entre humains et robots, ou même entre robots entre eux. Le décor industriel ancre le récit dans une ambiance ouvrière. On pense bien sûr à la Révolution industrielle qui a vu quelques riches patrons s’engraisser pendant que trimaient pour eux des centaines d’ouvriers, s’épuisant à ramener un maigre salaire pour nourrir leurs familles.
© Munuera, Sedyas, BeKa - Dupuis
Dans notre XXIème siècle anxiogène, Les cœurs de ferraille ramènent à la fois aux vraies valeurs et aux sources des soucis technologiques actuels. L’industrialisation est la base de la technologie qui a entraîné vers notre monde présent où chacun est isolé les yeux rivés sur son écran. Si les BeKa analysent la situation jusqu’à son paroxysme dans A-Lan, sur dessins de Thomas Labourot, avec Les cœurs de ferraille, accompagnés au scénario par le dessinateur de l'histoire, ils humanisent les robots pour en faire, non pas des substituts de l’homme, mais une communauté parallèle, presque comme une race à part entière. Dans la série, il est question de rivalités (entre hommes et machines), de tolérance, de racisme. Naiad est une représentation de l’adolescente qui ne rêve que d’harmonie. Sera-t-elle plus tard dans la désillusion et la fatalité ? Elle symbolise en tous cas toute la force de l’adolescence qui croît en un monde meilleur. Et il faut y croire. Sinon, à quoi bon continuer d’avancer ? José-Luis Munuera met tant d’émotion dans les visages sans pupilles des robots que ça semble incroyable. Ce n’est pas parce qu’on est prolifique qu’on ne fait pas partie des meilleurs dessinateurs du monde. Ce n’est pas parce que Les cœurs de ferraille est une série qu’elle n’a pas la puissance des one shot.
© Munuera, Sedyas, BeKa - Dupuis
Hymne à la tolérance, Les cœurs de ferraille est une série exceptionnelle. Dessinée par un auteur remarquable, elle est l’œuvre majeure du couple BeKa qui signent avec ce troisième volume l’un des meilleurs albums de l’année. Ne passez pas à côté.
Laurent Lafourcade
Série : Les cœurs de ferraille
Tome : 3 - Sans penser à demain
Genre : Aventure
Scénario : BeKa & José-Luis Munuera
Dessins : José-Luis Munuera
Couleurs : Sedyas
Éditeur : Dupuis
ISBN : 9782808504966
Nombre de pages : 72
Prix : 14,50 €
"-Qui va me lire la phrase ? Toi, Frédéric ? Frédéric ? On t'écoute !"
Frédéric Bihel revient avec sa mère dans le village de son enfance. Ensemble, ils redécouvrent Château-Chervix dans le Limousin. Après deux bières au Café de la Tour, le bar-supérette-relais postal, ils arpentent les rues du village, appareils photographiques en mains. La Mairie, la première école et sa petite cour, les lieux font émerger les souvenirs. Ça y est. Nous sommes au début des années 70. Frédéric a six ans. C'est sa première année d'école. Ils viennent d'emménager dans le hameau voisin. Un petit fourgon fait le ramassage scolaire. C'est le temps de l'apprentissage de la lecture, les aventures avec Michel, le meilleur copain. Avant de savoir complètement lire, il regarde les albums de Mickey à travers les siècles et les magazines Pif Gadget.
© Bihel - Futuropolis
A l'école, ce ne seront pas que des bons souvenirs avec le bégaiement et les moqueries des camarades. Plus tard, les parents se séparent. Frédéric emménage en ville avec maman dans un appartement. Un jour, au lieu d'aller à l'école, il monte au grenier. Il y retournera plusieurs fois. Il y retrouvera une petite fille, quelques années de moins que lui, à qui il fera des dessins, le bateau d'Ulysse et autres extraits du livre d'Homère qui le passionne. Il va lui offrir une boîte, une boîte de crayons de couleurs.
© Bihel - Futuropolis
Dans un dessin crayonné en niveaux de gris, Bihel choisit quelques éléments à mettre en couleurs comme le bus de ramassage scolaire, la voiture de son père ou le pull de la petite fille, les illustrés, un bateau en plastique, une gomme et les crayons de couleurs. On comprend au fil de l'histoire que c'est tout ce qui a pour lui valeur d'émotion, en rapport avec des blessures ou ce qui a aidé à une certaine résilience. Après le cœur de l'album, deux très courts chapitres et un épilogue concluent l'histoire. L'antépénultième partie est toute en couleurs. Impossible d'expliquer pourquoi sans déflorer le propos, mais c'est là que l'ensemble du traitement graphique de l'album prend tout son sens.
© Bihel - Futuropolis
Après l'excellent A la recherche de l'homme sauvage, hommage appuyé à Tintin au Tibet, Frédéric Bihel poursuit le virage intime de sa biographie. Les crayons est son album le plus personnel et le plus marquant, le plus abouti aussi, celui avec lequel il passe du statut d'auteur de bandes dessinées à celui d'artiste.
"J'ai commencé tôt la nostalgie.", chantait Barbara dans Mendelson, en 1983. Frédéric Bihel nous invite dans la sienne en signant le plus vibrant hommage qu'il pouvait faire à un membre de sa famille. Emouvant.
Laurent Lafourcade
One shot : Les crayons
Genre : Emotion
Scénario, Dessin & Couleurs : Frédéric Bihel
Éditeur : Futuropolis
ISBN : 9782754834711
Nombre de pages : 120
Prix : 23 €
"-Un cercle d'amateurs de cannabis ?
-Ouais, on appelle ça "un fleuriste". C'est là où nous allons. Parle moins fort.
-Des amateurs de cannabis… ?!
-Le chanvre cloné que tu fais pousser va nous permettre de récolter un paquet d'épis qui auront tous la même qualité. C'est "une bonne herbe". Maintenant, reste à savoir ce qu'est "une excellente herbe". C'est ce qu'on va leur demander."
Morio et Kagayama rejoignent un cercle d'amateurs de cannabis, un groupe de testeurs en quelques sortes. Le but est de créer un cannabis haut de gamme en croisant des plants cultivés à partir de certaines graines. Tels de fins gastronomes, ils analysent les effets que procure la drogue. Pour l'un d'entre eux, si le goût est primordial, le plus important est l'extase qui découle de la fumette et la teneur en THC est un point crucial. Les ressentis peuvent varier d'une personne à l'autre en raison de toutes les substances chimiques contenues dans la plante. Pour un autre, pas la peine de se lancer dans des justificatifs scientifiques, pourvu qu'on ait la cervelle défoncée, qu'on soit complétement déchiré et propulsé dans la stratosphère en moins de deux. Morio va ainsi développer des plants d'une qualité exceptionnelle qui vont susciter la convoitise de toute la mafia du coin.
© 2022 by Yuto Inai / Coamix
© Inai – Kana 2024
Dès ce deuxième tome, la série passe à la vitesse supérieure. En voulant financer les conséquences de l'accident de circulation de sa femme, le fleuriste à la main verte, si verte qu'elle en serait presque dorée, a mis les mains dans un engrenage bien dangereux. A la proposition d'un sacré lascar, il s'est vu invité à produire des plants de cannabis pour de grosses sommes d'argent. Aujourd'hui, ce fameux lascar, Kagayama, se voit rattrapé par une autre bande de mafieux à qui il a voulu la mettre à l'envers, comme on dit. Morio va-t-il échapper à la vengeance et la revanche de la concurrence ? Va-t-il pouvoir continuer ses activités illicites ? En tous cas, en face, ils ont l'air très très énervés.
© 2022 by Yuto Inai / Coamix
© Inai – Kana 2024
Le moins que l'on puisse dire, c'est que le mangaka Yûto Inai ne perd pas de temps. A la manière de Naoki Yamakawa et Masashi Asaki dans My home hero, il place son héros dans un engrenage d'où il semble impossible de sortir. Alors que Tetsuo Tosu a tué un yakuza pour sauver sa fille dans My home hero, et se retrouve avec la bande de la victime à ses trousses, Morio Chitô, dans Tokyo Cannabis, se trouve dans une situation financière qui l'oblige à continuer ses activités illicites sans être repéré par ses adversaires. Dans les deux situations, ces héros, qui n'étaient en aucun cas destinés à l'être, défient l'impossible, à savoir des organisations criminelles impitoyables. Pour en rester sur Tokyo Cannabis, Yûto Inai montre la violence sans émotion des barons de la drogue, tant et si bien qu'on aurait presque pitié pour les bandits qui sont eux-mêmes martyrisés. Le cliffhanger final sonne comme un défi. Pas question d'en dire plus pour maintenir un suspens qui monte crescendo.
© 2022 by Yuto Inai / Coamix
© Inai – Kana 2024
Rares sont les séries qui démarrent ainsi sur les chapeaux de roues. Tokyo Cannabis est un exemple de construction narrative addictive. Planant.
Laurent Lafourcade
Série : Tokyo Cannabis
Tome : 2
Genre : Shonen
Scénario & Dessins : Yûto Inai
Éditeur : Kana
ISBN : 9782505122760
Nombre de pages : 160
Prix : 7,70 €
"-Maman, qu'est-ce qu'on a fait de mal ?...
-Tu n'as rien fait de mal, Chaïm… Tiens-moi fort la main. Je suis là.
-Adieu Salomea…
-Adieu Szymon. S'il vous plaît, commencez par mon fils… Je ne veux pas qu'il me voie…
-Comme tu veux."
1942, près de Lublin, en Pologne, des soldats allemands ayant envahi le pays raflent la population juive. Les hommes sont déportés dans des camps de travail. Les femmes, les enfants et les vieux sont priés de se déshabiller et de descendre dans une tranchée creusée en pleine forêt par les nazis. Ils y sont abattus comme du bétail avant d'être recouverts de terre. Une horreur innommable. Aujourd'hui, des témoins racontent les massacres qu'ils ont vus, comme Maria, quatre-vingts ans, dix ans à l'époque, qui a vu tant de personnes abattues sous ses yeux. Passé sous silence dans les programmes scolaires, c'est l'histoire de la Shoah par balles. Ce livre en est le témoignage.
© Saint-Dizier, Girard – Editions du Rocher
En 2022 et 2023, des étudiants d'Albi et leurs professeurs sont partis en Pologne. Grâce à l'association Yahad-In Unum, ils ont rencontré des témoins de la Shoah par balles et des historiens. C'est de ces rencontres que découlent les faits relatés dans cet album. Les étudiants travaillent sur l'héritage historique européen et la réflexion citoyenne à travers l'étude de cet événement tragique à l'Est de l'Europe. La Shoah par balles est beaucoup moins connue que les chambres à gaz et les fours crématoires. Elle a pourtant fait deux millions de victimes. Malgré le temps qui a passé et le poids des années, les derniers témoins racontent l'indicible.
© Saint-Dizier, Girard – Editions du Rocher
Pierre-Roland Saint-Dizier et Christophe Girard apportent un livre-témoignage choc, indispensable œuvre de mémoire. La nature ayant repris ses droits, il ne reste plus que les récits des survivants pour raconter ce qu'ils ont vu. Il n'y a pas d'archives. Il était urgent de recueillir les témoignages avec la question cruciale : Quelle valeur donner au témoignage d'un enfant 80 ans après les faits ? Pour être le plus objectif possible, le journaliste raconteur remonte aux origines de l'invasion de la Pologne par le troisième Reich. Les 10 % de la population juive polonaise se sont trouvés au cœur de la politique exterminatrice nazie. En fin d'album, un cahier pédagogique concrétise encore plus le drame. Les travaux de l'association Yahad-In Unum, organisme de recherche et d'enseignement des génocides et des crimes de masse, et ceux des étudiants chercheurs sont illustrés par les photos de vestiges et des témoins âgés dont les rides sont creusées par le cauchemar.
© Saint-Dizier, Girard – Editions du Rocher
"Il a vu les nazis, le massacre des juifs, les balles dans la nuque à bout portant, les enfants traînés comme des chiens, la fosse commune se remplir, la terre bouger au-dessus des cadavres." Cette phrase glaçante résume le propos. "Je n'ai pas oublié…" Histoires de la Shoah par balles est à ranger à côté d'œuvres majeures comme Maus ou Visages-Ceux que nous sommes.
Laurent Lafourcade
One shot : "Je n'ai pas oublié…" Histoires de la Shoah par balles
Genre : Histoire
Scénario : Pierre-Roland Saint-Dizier
Dessins & Couleurs : Christophe Girard
Éditeur : Editions du Rocher
ISBN : 9782268109558
Nombre de pages : 150
Prix : 19,90 €
"-Je vois que Monsieur n'est pas un grand bavard. Tu veux bien me donner ton nom, au moins ? Notre rencontre est sans doute un signe du destin. Je te ferai l'honneur de le retenir.
-Akira.
-Enchantée. Moi, c'est Nelia. Je me souviendrai de ton nom jusqu'à la fin de tes jours. Profites-en, ça ne devrait pas durer plus d'une trentaine de secondes."
Est-ce le dernier combat pour Akira ? Face à Nelia, guerrière aguerrie aux lames composées de métal liquide, le chasseur de reliques semble en bien mauvaise posture. Sa combinaison a perdu une partie de ses fonctions. Alpha, son ange gardien, tente de la piloter malgré tout, mais pour pouvoir y arriver, il va falloir gagner du temps, chose que Nelia n'est pas du tout disposée à laisser. Sans spoiler le récit, Akira va se sortir de ce mauvais pas, Nelia aussi, mais pas dans le même état. Si Akira, pris pour un pilleur de reliques, va être arrêté par les forces de défense de la cité de Kugamayama, Nelia est interrogée par un certain Yanagisawa qui cherche à en savoir plus sur le fameux Caïn, qui serait à la tête d'un groupuscule nationaliste de voleurs de reliques.
© Kirihito Ayamura 2022 © Nahuse 2022
© 2024, Editions Dupuis, pour l’édition française
Episode de transition pour Akira qui va se trouver proposer une nouvelle mission alors qu'il sort juste d'une passe bien complexe à gérer. Si les combats sont bien mis en scène, l'intrigue avance à petits pas. Comme on l'a dit dans la chronique du tome précédent, on aimerait à présent que l'intrigue se recentre sur les reliques, pour que les lecteurs en aient une vision plus concrète.
© Kirihito Ayamura 2022 © Nahuse 2022
© 2024, Editions Dupuis, pour l’édition française
C'est avec une certaine virtuosité que Kirihito Ayamura met en scène le face-à-face ouvrant le volume. Il serait presque musical, chorégraphié par un metteur en scène de spectacle. Plus loin, le mangaka montre qu'il est capable de passer d'une tendresse presque érotique à un massacre virtuel, mais massacre quand même.
Une adaptation anime a été annoncée. Rappelons qu'à l'origine Rebuild World est un web novel écrit par Nafuse en 2017. Le roman a après été adapté en light-novel, illustré par Gin. Il est prépublié dans le Dengeki Bunko de ASCII Media Works. 11 tomes sont déjà parus au Japon.
© Kirihito Ayamura 2022 © Nahuse 2022
© 2024, Editions Dupuis, pour l’édition française
Sans révolutionner le genre, Rebuild the world est une valeur sûre du paysage shonen du moment. Divertissant.
Laurent Lafourcade
Série : Rebuild the world
Tome : 8
Genre : Shonen Survival
Roman d’origine : Nahuse
Dessins : Kirihito Ayamura
Design des personnages : Gin
Design de l’univers : Yish
Design des machines : Cell
Éditeur : Vega Dupuis
ISBN : 9782379503665
Nombre de pages : 178
Prix : 8,35 €
"-S… Sam ?!!
-Bula, mon pote ! Ça veut dire bonjour en fidjien !
-Mais… Mais qu'est-ce que tu fous là ?
-Je voulais te voir avant Biarritz !
-Merde, j'arrive pas à le croire !
-Direct les câlins ? T'as pas baisé depuis longtemps, toi ! Moi aussi j'suis content de te voir, petit frère."
Vincent, la trentaine, a tout pour être heureux. Il s'apprête à acheter un appartement en plein Paris avec sa compagne. Il bosse dans une start-up dans la billetterie avec son beau-père qui est prêt à leur prêter de l'argent. Bref, l'avenir s'annonce radieux. Pourtant, l'homme est empreint de mélancolie. Il aurait préféré s'installer à Biarritz, où il a grandi avec son frère Samuel, parti aux îles Fidji. Vincent est nerveux, impulsif. Il va même passer une nuit en garde à vue après avoir balancé une bouteille sur une voiture de flics. Il est sous anti-dépresseur. Il a changé, mais sa chérie n'a pas l'intention de le laisser tomber. Ce ne sera pas réciproque, parce qu'au retour de Sam, il va tout plaquer pour faire avec lui un road trip jusqu'à Biarritz.
© Cano, Goux, Pinchuk – Delcourt
Si vous voulez lire une histoire qui ne ressemble en rien à tout ce que vous avez pu ingurgiter jusqu'à présent, cet album est fait pour vous. Fidji est avant tout une histoire de fraternité. Deux frères se retrouvent après un an de séparation où tous leurs codes ont été déstructurés. On ne peut pas dire que leur route sera semée d'embûches, puisque ce sont eux qui les mettront. Entre intrusion illicite, rapine de commerce et rencontres opportunes, Sam et Vincent vont se retrouver, se chercher,… Iront-ils jusqu'à se perdre ? Les auteurs, en tous cas, n'aident pas les lecteurs à s'y retrouver. Mais tout ça est parfaitement conscient.
© Cano, Goux, Pinchuk – Delcourt
Jean-Luc Cano prend le prétexte d'un road trip pour un récit d'introspection au plus profond des âmes tourmentées de deux frères. Le scénariste malin n'indique jamais au lecteur vers où l'intrigue va les mener. On s'attend à un récit psychologique. On attend la problématique. On cherche le thriller. Il ne vient vraiment jamais. A quoi bon les Fidji ? A quoi bon Biarritz ? Simplement parce que l'un est de l'autre côté de l'océan de l'autre ? Cano, lui, sait très bien ce qu'il fait. Bien futé celui qui le devinera avant la fin, poignante à arracher des larmes. C'est dans la dernière scène que le lecteur peut ajouter la pièce qui tient l'ensemble du récit et comprendre tout ce qu'il s'est passé jusque-là. Une mise en scène incroyable.
Bien loin des Nains des Guerres d'Arran, Pierre-Denis Goux s'empare de ces destins singuliers, cachant dans les regards les secrets, les angoisses, les joies et les doutes de la fratrie et des personnages qui gravitent autour, comme des dommages ou des sauvetages collatéraux. Le découpage, avec de nombreuses grandes cases, des planches muettes, donne un rythme singulier. L'album doit également beaucoup aux couleurs de Julia Pinchuk qui ouvre et clôt le récit avec un coucher de soleil qui en dit très long. Chaque scène est habillée d'un ton qui marque le moment. C'est dans les livres comme celui-ci que ceux qui douteraient encore peuvent s'assurer qu'une ou un coloriste est un auteur au même titre que les autres.
© Cano, Goux, Pinchuk – Delcourt
Fidji est de ces albums où l'on n'est plus tout à fait le même après les avoir lus. Il démontre que la fraternité est plus importante que toute liberté et toute égalité. Encore plus poignant qu'on ne s'attend pas du tout au final.
Laurent Lafourcade
"Puisqu’on ne sera toujours
Que la moitié d'un tout
Puisqu'on ne sera jamais
Que la moitié de nous
Mon frère....
Bien sûr que rien ne pourra jamais nous l'enlever
Bien plus que tout ce que la vie peut nous accorder
L'amour sera toujours cette moitié de nous qui reste à faire
Mon frère ..."
(extrait de la chanson Mon frère, dans Les 10 commandements)
One shot : Fidji
Genre : Emotion
Scénario : Jean-Luc Cano
Dessins : Pierre-Denis Goux
Couleurs : Julia Pinchuk
Éditeur : Delcourt
Collection : Mirages
ISBN : 9782413085409
Nombre de pages : 160
Prix : 22,95 €
"-Nous vous prions de bien vouloir nous excuser mais ces délibérations ont duré plus longtemps que prévu. Comme tous ces duos étaient très bons, les membres du jury ont débordé d'enthousiasme ! Bref, passons sans plus attendre à l'annonce des résultats !
-Merci ! Voici donc le bulletin avec le nom du vainqueur. Le duo qui remporte ces éliminatoires du 2ème groupe de la région du Kantô pour participer à la phase finale de l'édition 2022 du Kôshien du rire est…"
Azemichi Shijima et Taiyô Higashikata attendent impatiemment les résultats du concours d'humour lycéen auquel ils viennent de participer. Taiyo a réussi à rebondir sur le trou de mémoire de son complice. Mais cela suffira-t-il à passer les éliminatoires du Kôshien du rire ?
A part ça, Taiyo est déchiré entre son père et sa mère qui sont séparés. Malgré tout le temps que ses parents lui ont consacré, il a décidé d'arrêter ses cours d'expression scénique et ses passages à la télévision. Mais ça, c'était avant. Aujourd'hui, la phase finale du concours va être diffusé sur le petit écran. Il décide donc de faire face à sa mère et de lui présenter l’alter ego de leur duo "Aller simple pour les cieux". Alors qu'il craignait sa réaction, elle va être tout autre que ce qu'il imaginait.
Show-Ha Shoten ! © 2021 by Akinari Asakura, Takeshi Obata
© Akinari, Takeshi – Kana 2023
Le cœur de ce quatrième tome de Show-Ha shoten ! est un flashback sur les années de Taiyo qui ont précédé sa rencontre avec Azemichi. On va découvrir les relations qu'il avait avec Kunugi, son ancien partenaire malheureusement décédé. On l'accompagne dans ses derniers jours avec une émotion intense. Ce sont des instants qui ont fatalement forgé Taiyo. C'est avant tout pour lui qu'il cherche à devenir une star de l'humour.
Akinari Asakura etTakeshi Obata passent en phase introspection. Ce n'est pas que le rire fasse place aux larmes. D'ailleurs, bien que la série ayant pour thème le rire, elle n'est pas foncièrement drôle. Et ce n'est pas cela qu'on lui demande. Les parents de Taiyo d'un côté, son premier camarade de scène de l'autre, sont les deux fléaux de la balance qui ont fait du jeune homme ce qu'il est à présent.
Show-Ha Shoten ! © 2021 by Akinari Asakura, Takeshi Obata
© Akinari, Takeshi – Kana 2023
Entre les chapitres, le scénariste raconte son expérience dans le domaine des concours d'humour lycéens. Il explique comment il apprenait le texte et la gestuelle des humoristes professionnels. Il témoigne du fait que dans ses passages, seuls 20 % de ses sketchs ont fait rire le public aux éclats et 10 % étaient des gros flops. Il montre enfin pourquoi il n'est pas devenu un humoriste professionnel. Il remet ainsi les pieds sur terre aux lecteurs qui pourraient penser la tâche aisée.
Show-Ha Shoten ! © 2021 by Akinari Asakura, Takeshi Obata
© Akinari, Takeshi – Kana 2023
Une des forces de ce manga est qu'il reste dans la réalité. Il ne prétend pas dépeindre un milieu facile d'accès où tout le monde peut réussir. Comme dans la vie, il faut se battre, se dépasser, comme dans une compétition sportive. Et on le fait avec les armes qui nous ont forgés dans notre passé. The Show(-ha shoten !) must go on.
Laurent Lafourcade
Série : Show-Ha Shoten !
Tome : 4
Genre : Shonen
Scénario : Akinari Asakura
Dessins : Takeshi Obata
Éditeur : Kana
ISBN : 9782505126478
Nombre de pages : 212
Prix : 7,70 €
"-Ivan ! Regarde ce que j'ai trouvé ! Il ne me manque plus que Aigle Doré et j'aurai tous les justiciers ailés…
-Super ! Alors tu peux les envoyer se battre contre l'homme en noir !
-L'homme en noir n'existe pas…
-Ça va, c'est bon… Je plaisante…"
Mattéo est un petit garçon tout ce qui semble de plus équilibré. Il vit avec ses parents et son chien dans un pavillon de quartier résidentiel de banlieue. Mais ses nuits sont peuplées de noir. C'est toujours le même cauchemar. Il habite dans un immeuble, une de ces tours aux milliers d'habitants anonymes, et un homme en noir s'approche de lui. Ça le perturbe. Quand il se réveille, en règle générale, il a fait pipi au lit. Sa chambre est un sanctuaire. Les figurines de ses super-héros préférés le protègent. Il vient d'en avoir une nouvelle, Super Faucon, dans l'œuf-surprise que lui a offert son père, comme tous les dimanches ou tous les jours où l'on a envie d'offrir un cadeau à son fils préféré. Après l'école, c'est le temps des retrouvailles avec le chien Tommy, l'heure des devoirs, le dîner en famille, quelques dessins animés, le brossage des dents, puis le moment de retourner dans sa chambre pour la nuit… une nouvelle nuit d'angoisse.
© Panaccione, Di Gregorio – Delcourt
L'homme en noir est une histoire qui traite d'un sujet complexe à aborder : l'inceste. Dans les discrets remerciements des auteurs en préface, le scénariste Giovanni Di Gregorio l'annonce : "Cette histoire est librement inspirée de mon expérience personnelle, même si je ne m'en sui rendu compte qu'à la fin." Avec le récit de Mattéo, loin des Sœurs Grémillet, il exorcise un cauchemar de la réalité dont on ne se remet jamais. Il faut une résilience incroyable. Di Gregorio brouille les pistes en nous envoyant dans des directions qui ne mènent pas droit au bourreau. On est même parfois perdus entre la maison pavillon des jours et l'immeuble des nuits, tant et si bien qu'on se demande parfois où vit réellement la famille de Mattéo. A la fin, comme lui, on assemble toutes les pièces du puzzle pour comprendre la métaphore.
© Panaccione, Di Gregorio – Delcourt
Qui aurait pu se douter que le graphisme de Grégory Panaccione pouvait dégager autant d'émotion ? Avec un dessinateur réaliste, il aurait été facile de tomber dans le pathos et le larmoyant, mais sans forcément du recul. Avec le semi-réalisme de Panaccione, on atteint une autre dimension, faussement rassurante pour les jours, étonnamment terrorisante pour les nuits. Les double-planches posent des scènes suspendues. La porte qui se referme sur la chambre vide de Mattéo le matin ou la chute virtuelle au milieu des tours sont des images infiniment puissantes, comme celle, glaçante, de Mattéo, dont on voit les yeux écarquillés dans le reflet de la vitre, apercevant par la fenêtre l'homme en noir debout sur le toit de la maison voisine, tel un croque-mitaine, cigarette à la main, qui lui fait coucou. La couverture synthétise à elle seule le concept d'emprise : le bourreau écrase l'enfant de tout son poids en éteignant son mégot.
© Panaccione, Di Gregorio – Delcourt
L'homme en noir est un album témoignage qui peut aider à délier des langues. L'inceste est un crime qui a tendance à culpabiliser les victimes. Si l'album peut aider, même des années après, ne serait-ce qu'une seule personne à dénoncer, il aura atteint son but. Au-delà du message, le livre est scénaristiquement et graphiquement remarquable. Indispensable.
Laurent Lafourcade
One shot : L'homme en noir
Genre : Emotion
Scénario : Giovanni di Gregorio
Dessins & Couleurs : Grégory Panaccione
Éditeur : Delcourt
Collection : Mirages
ISBN : 9782413082729
Nombre de pages : 128
Prix : 19,99 €
"-Tu as gagné au loto ?
-Beaucoup mieux que cela !... J'ai une grande nouvelle à t'annoncer. Têtaclic, la boîte qui m'emploie vient de prendre la décision qu'on attendait tous…"
Paris, quatorzième arrondissement. Mais quelle est donc cette nouvelle que Gorka vient annoncer à sa compagne Manon, bouteille de champagne en mains ? Non, non, non, il ne vient pas la demander en mariage. Non, non, non, il n'a pas gagné au loto. Son patron s'étant rendu compte que le télétravail marchait très bien, il a vendu les locaux du siège social. Comme Manon est traductrice et peut donc travailler de n'importe où, Gorka a décidé qu'ils allaient déménager définitivement à Bayonne dans son Pays Basque natal. Le moins que l'on puisse dire, c'est que sa blonde n'est pas enchantée. Réussira-t-elle à s'y faire ? Gorka va tout faire pour qu'elle s'y sente bien. Entre le marché des halles et le stade Jean Dauger, le mal de la capitale ne va pas tarder à rattraper Manon. Elle, supportera-t-elle le retour à Paris sans son chéri ? Lui, vivra-t-il sa vie de rêve de bayonnais ?
© George, Viollier – Atlantica
Bien évidemment et pour notre plus grand plaisir, non. Les amoureux ne vont pas pouvoir se passer l'un de l'autre. Manon revient. Gorka organise une visite culturelle du vieux Bayonne. C'est en lisant un livre consacré à l'histoire de la ville acheté dans une vieille librairie que le couple découvre, collé entre la couverture et les pages de garde, une lettre d'époque signé Antoine VII, duc de Gramont, pour sa bien aimée Marie-Henriette. Commence alors pour Manon et Gorka une enquête historique. Qui était-il ? En quoi était-il lié à l'histoire de Bayonne ? C'est parti pour un voyage de plus de deux-cent cinquante ans dans le temps.
© George, Viollier – Atlantica
Jean-Yves Viollier et Pierre George délaissent momentanément les forces de l'ordre représentées par Manzana et Patxaran pour un voyage empreint d'émotion à Bayonne. L'album se divise en deux parties distinctes : celle de l'arrivée au Pays Basque, avec ses traditions et sa culture, sa multiculture même, puis celle sur l'histoire de la ville au XVIIIème siècle. Connaissant les auteurs, ne vous attendez pas à une histoire trop didactique. L'humour n'est pas oublié. Le basque est libéré et décomplexé. N'est-ce pas Gorka ? Et quel plaisir tout au long de l'histoire de retrouver les lieux familiers. Le marché de Noël et la grande roue, le petit Bayonne, le Musée basque, le trinquet Saint-André, la rue Pannecau, jadis célèbre pour un certain commerce, la librairie de la Rue en pente et ses critiques acerbes pas forcément nécessaires, le Château-Neuf et le cabaret de la Luna Negra : l'immersion est totale. On apprend même des choses. Saviez-vous que Saint-Esprit était à l'origine une ville à part ?
© George, Viollier – Atlantica
La prochaine fois que vous arpenterez les rues de Bayonne, ou même si vous le faites pour la première fois, allez-y avec cette BD en mains. Ça vaut mieux que n'importe quel guide touristique. Et si pour un prochain album les auteurs proposaient le pendant pour Biarritz, dont on apprend dans ce livre la différence avec Bayonne ? Maïder Arosteguy, la mairesse, ne serait certainement pas contre. Le vrai trésor, ce sont les albums de Jean-Yves Viollier et Pierre George.
Laurent Lafourcade
One shot : Le vrai trésor, c'est Bayonne
Genre : Visite historique
Dessins & couleurs : Pierre George
Scénario : Jean-Yves Viollier
Éditeur : Atlantica
ISBN : 9782758805809
Nombre de pages : 52
Prix : 18 €
"-Il y a quelques jours encore, ma fille était une virtuose, une petite Paganini… Et son violon est un Stradivarius, le plus cher au monde. A présent, quand elle tente un simple menuet de Mozart, on croirait entendre, excusez-moi, un chat qu'on étripe.
-Comment expliquez-vous ça ?
-On lui a volé son talent.
-Qui ? Comment ?
-Vous êtes là pour le découvrir. C'est vous la spécialiste des cas difficiles."
Une Rolls-Royce est venue chercher Miss Chat. L'automobile la conduit 100 Lac Toze pour une affaire de la plus haute importance. Elle arrive à Elonmüx, le nouveau parc à riches au nord-ouest de la ville, chez Knut Klikenbom, le Pharaon de la Tech. Elle est reçue par son épouse qui lui expose le problème. Leur fille Klorina était une virtuose du violon. Depuis quelques jours, elle joue comme une casserole. C'est inaudible. On lui aurait volé son talent. Quel qu'en soit le prix, Miss Chat est engagée pour démêler l'intrigue. Y aurait-il un rapport avec la disparition de Bolex, le chat de Klorina ? Pour 50 krotz par jour plus les frais, voilà Miss Chat embarquée dans une enquête bien mystérieuse.
© Jolivet, Fromental - Hélium
Jean-Luc Fromental et Joëlle Jolivet ne pensaient certainement pas écrire un best-seller lorsqu'ils ont créé Miss Chat dont voici le quatrième volume. 22 000 exemplaires vendus en trois tomes. Incroyable pour une bande dessinée jeunesse petit format s'adressant aux lecteurs débutants… mais pas qu'eux. Voilà peut-être le secret de fabrication si secret il y a. La dessinatrice Joëlle Jolivet, dans un graphisme dynamique et jeté, est dans l'esprit Lisa Mandel. Fromental s'adresse aussi aux parents. Il parsème son scénario de clins d'œil à plusieurs degrés. Cet épisode raille la high-tech. Knut Klikenbom, le père de Klorina, est le créateur du réseau social Klik Klik qui l'a rendu milliardaire. Il pense que tout s'achète mais ce n'est pas si simple que ça. Dans un autre ordre d'idées, les jumeaux Dum et Dee, ces forbans, rappelleront aux plus anciens Tweedeldum et Tweedledee, popularisés par leur apparition dans Alice au pays des merveilles.
© Jolivet, Fromental - Hélium
Miss Chat n'a pas de portable. Les félins sont sensibles aux ondes électromagnétiques. Pour la joindre, il suffit de laisser un message au Polp'z Milk-Bar. Son ami barman Ole les lui transmet. C'est un poulpe. Il lui fait les meilleurs lait-fraise. Dans ses recherches, elle se fait aider par Griselda, sa copine archiviste du Dag Tablet, le plus grand quotidien de la ville. Elle est en fauteuil roulant. Les auteurs démontrent ainsi que quelle que soit sa condition, on a tous quelque chose à apporter aux autres. Au-delà de cette enquête de double disparition, celle d'un talent et celle d'un chat, le sujet majeur de l'album est l'intelligence artificielle. A quoi sert-elle ? Comment s'en servir ? Quelles sont ses limites ? Sans dévoiler le final, avec leur héroïne non connectée, on peut dire que les auteurs ont réussi le challenge de démontrer que l'essentiel est ailleurs.
© Jolivet, Fromental - Hélium
Miss Chat n'a pas fini d'enquêter à pas feutrés, ou plutôt à pattes de velours. Après l'IA qui en prend une claque dans cet épisode, quelle sera sa prochaine énigme à dénouer ?
Laurent Lafourcade
Série : Miss Chat
Tome : 4 – Le chat rebooté
Genre : Enquête
Scénario : Jean-Luc Fromental
Dessins & Couleurs : Joëlle Jolivet
Éditeur : Hélium
ISBN : 9782330190774
Nombre de pages : 64
Prix : 13,90 €
©BD-Best v3.5 / 2024 |