Xavier Coste publie À la dérive: « C’était l’album plaisir pour retrouver la curiosité graphique et me salir les mains ».
Xavier Coste n’a que 25 ans, pourtant avec ces trois albums publiés chez Casterman il a déjà prouvé son talent, hors pair pour réinventer des faits réels et leur donner une portée contemporaine. Racontant pour la première fois une histoire autre que celle de la peinture (même si celle-ci est indissociable de l’oeuvre de Xavier peintre né pour dessiner), À la dérive raconte le sursaut d’orgueil d’un couple d’Américains à Paris, naufragé dans les dettes et cherchant à se réinventer une meilleure vie. Pour ce faire, Agatha et Eddie, aidés de trois malfrats, vont mettre sur pied un braquage de l’American Express, pilier bancaire de la capitale française. Ils profiteront des grandes inondations de 1910 pour mettre leur plan à exécution. Pas forcément avec brio puisqu’il mènera Eddie au bagne. Mêlant deux faits réels mais espacés dans le temps, Xavier Coste arrive ainsi à réaliser plus qu’une bande dessinée, une réelle oeuvre dans laquelle chaque page est différente et qui respire l’esthétique du début XXème, tendance feuilleton, publicité et naissance de l’Art Nouveau. Nous avons rencontré l’auteur (dessin comme scénario) de cet improbable et incroyable histoire.
Bonjour Xavier, pourquoi avoir intitulé cette bande dessinée, À la dérive ?
C’est un double-sens évident avec la barque qui dérive, le couple proche de la banqueroute et la situation qui va les transformer.À la dérive 1910
Du coup, comment est né ce nouveau récit qui tranche résolument avec les deux albums précédents ?Au départ, c’était surtout une envie graphique après deux premiers albums réalisés à l’ordinateur. Ici, je voulais revenir au naturel, retrouver les aquarelles, les acryliques. Comme j’habite à Paris, je voulais dessiner ma ville. Ou du moins quelque chose s’en rapprochant. Je cherchais le prétexte pour le faire et je suis tombé sur ces articles racontant Paris sous eaux. Un peu après, je suis tombé sur ce fait divers de casse, qui ne se passe pas au même moment que les inondations, en 1903. Je l’ai transposé à 1910, la période qui m’intéressait.
L’eau c’est important apparemment dans vos ouvrages ?
Je devrais faire une psychanalyse par rapport à ça, ça revient tout le temps, ce sont des images qui m’obsèdent avec des bâtiments sous l’eau. Je ne sais pas trop ce que ça signifie. Mais je veux continuer d’exploiter ça de manière encore plus exagérée avec un scénario d’anticipation, sur mon prochain livre.
On a l’impression qu’il vous faut toujours un départ historique Raimbaud, Egon Schiele, important pour vous d’attester du réel ?
En fait c’est naturel, je pars de l’Histoire parce qu’elle m’intéresse. Mais avant mes premiers albums, j’étais très attiré par la science-fiction et ce sera d’ailleurs dans mon prochain album.
Dans les deux premiers albums, j’étais devenu trop sage au niveau du dessin. Je voulais me salir la main, ici. On ne se salit pas les mains avec un stylet graphique.
Comment avez-vous découvert l’histoire de ce couple qui pris par les dettes, décide de ce braquage ?
Je suis tombé sur une gravure d’époque illustrant un article de journal. Elle montrait Eddie qui s’évadait du bagne sur l’eau avec plein de requins rodant autour de lui. C’était purement illustratif, romanesque mais très intéressant. Je voulais m’intéresser à cet Eddie plus en retrait par rapport à Agatha qui reste présente tout au long de l’album, et qui pèse de tout son poids sur les épaules d’Eddie. Sans oublier que je voulais m’intéresser à leur rapport à l’argent changeant à partir du moment où ils réussissent leur braquage. Agatha voulait rester toute sa vie avec Eddie mais une fois qu’il se retrouve au bagne et qu’elle a tout l’argent, elle réalise qu’elle a peu de chance de le revoir. La fin c’est la question du choix que les gens font quand ils ont des pépites à portée d’eux. Mais c’est vraiment une fiction.
Avec une réelle approche esthétique, aussi ?
Oui, avec cet album, j’ai voulu faire une sorte d’ouvrage bling-bling rappelant cette époque « début du siècle », l’Art Nouveau, les journaux de l’époque. La manière dont ils mettaient en page, en scène.
Puis, dans les deux premiers albums, j’étais devenu trop sage au niveau du dessin. Parce que la pression était là et était grande. Ici, le scénario était écrit à l’avance mais je ne savais pas où j’allais techniquement en commençant la page, je voulais me surprendre. En fonction de ce que j’avais sous la main, pastel ou bien peinture. C’était un jeu, une expérience.
Je voulais que l’album soit kitsch, un peu comme ces feuilletons du début du siècle, tout en y apportant de la modernité par la technique.
Ce qui demande du travail, non ?
J’ai dessiné une première moitié de l’album comme j’avais fait les deux précédents. Puis je me suis ravisé. Je n’étais pas satisfait, j’ai tout refait. J’ai utilisé le geste, sur des grands formats. Je voulais me salir les mains. On ne se salit pas les mains avec un stylet graphique. On garde un dossier sur un disque-dur mais sinon il n’y a pas vraiment de trace.
Puis pour encadrer le tout j’ai utilisé les différents encadrements des journaux de l’époque, j’en ai créé aussi. C’était un jeu de construction. Chaque case étant élaborée séparément sur différents formats, je scanne le tout puis recompose en coupant certains dessins. Par exemple, je prends le buste d’un personnage que j’avais dessiné en entier.
Y’a-t-il eu une double-documentation ? Entre celle pour coller à l’époque et ce style très début XXème ?
C’est venu assez naturellement, en regardant les journaux d’époque sur internet. Je m’intéressais à l’évolution de la crue et aux épiphénomènes comme les braquages etc. Et souvent, il y a plein de petites pubs qui reviennent, avec des encadrements. J’en ai fait une collection pour les réutiliser. Et d’un autre côté, il y avait l’esthétique kitsch des pubs que j’ai réutilisées en les mettant en pages de garde. Je me suis bien amusé à les sélectionner.
Je voulais que l’album soit kitsch, un peu comme ces feuilletons du début du siècle, tout en y apportant de la modernité par la technique. Je me suis inspiré des affiches de Mucha aussi.
À la dérive, Tour Eiffel 1910... Finalement chaque planche est différente ?
Oui j’étais frustré de ça sur mes autres albums. Je les travaillais tout autant mais en les feuilletant, ça ne frappait pas, ça ne sautait pas aux yeux. Ici, on dirait presque un livre d’illustration, en le feuilletant. Les gens sont surpris. J’avais envie de les surprendre. Le dessin a influencé ma façon de réécrire le scène, de modifier le story-board. Ca sonnait faux sinon. Je suis content, j’ai retrouvé la curiosité graphique que j’avais un peu perdue. Jusqu’ici, dessiner était une pression. Je n’avais plus envie de savoir où j’allais, je voulais me bousculer.
En fait, ce qui est important pour moi, c’est de mettre des surprises à chaque paire de page. Qu’il y ait sur chaque double-page une case avec une surprise, sur laquelle l’œil s’arrête.
C’était vraiment "l’album plaisir". L’histoire était le prétexte à faire les images dont j’avais envie. L’image de la barque sous la Tour Eiffel était déjà prête avant. Le jeu, c’était de l’inclure dans une histoire. J’étais plus coincé en dessinant la vie des deux peintres Egon Schiele et Raimbaud. Je sélectionnais les passages dont j’avais envie, mais il y avait aussi des passages obligés. Ici, c’était la liberté.
Avec des contraintes de représentation de Paris quand même, comment vous y êtes-vous pris ?
Vu que j’habite Paris, je passe chaque jour dans certaines rues, forcément. Mais j’ai utilisé pas mal de cartes postales d’époque aussi. Mais ce fut étrange pour moi au niveau des perspectives. En dessinant, une partie des immeubles sous l’eau, j’avais l’impression que la perspective était ratée.
Puis il y a aussi ce sentiment que l’humain est écrasé par ces bâtiments.
Pour moi, la ville englobe. À partir du moment où je dessine un bel immeuble parisien, j’ai l’impression que les personnages n’existent plus. Je ne réfléchis pas à ces choses-là, elles viennent comme ça.
Sinon, j’ai toujours du mal à dessiner des personnages d’aujourd’hui. Un magazine allemand m’a demandé de le faire avec l’histoire d’un jeune étudiant. Ca ne marche pas, je m’ennuie. J’ai besoin d’être en décalage, dans un univers.
Pourquoi avoir arrêté l’histoire à ce moment-là ?
La fin de l’album devait être assez triste mais j’ai eu envie de légèreté et je me suis arrêté avant. Avec une fin ouverte. J’ai remarqué que les lecteurs n’avaient pas saisi la toute dernière case avec le bateau d’Eddie. À partir d’elle, on peut tout s’imaginer. C’est frustrant, mais j’aime la frustration. J’ai cette conception qu’il faut arrêter les choses avant d’en être lassé. Après, peut-être me suis-je arrêté un peu trop tôt ? C’est cruel mais j’aime ça. Je me suis dit que si je racontais l’après-évasion, cela serait plus long que toute cette première partie. Je ne voulais pas me perdre dans plusieurs histoires.
Volonté d’en garder sous le pied ?
C’est frustrant aussi pour moi. Même si l’histoire n’est pas amusante.
Pas amusante, mais il y a quand même ce trio de gangsters un peu « bras cassés » qui tranchent avec le couple d’Eddie et Agatha. Presque caricaturaux, non ?
C’était un hommage aux feuilletons de l’époque. J’avais envie aussi de mettre des petites choses anecdotiques comme les balbutiements de la médecine légale avec lesÀ la dérive bandits mesures des crânes pour dire si oui ou non les gens sont des voyoux (ndlr. théories de Gall et Lombroso).
J’aimerais bien continuer à travailler Paris mais il me faut une nouvelle idée. Dans mon histoire de science-fiction, j’ai quand même réussi à y introduire quelques éléments.
L’éditeur Reynold Leclercq sort du silence qu’il avait gardé jusque là pour nous donner son point de vue:
Moi j’aime bien que Xavier continue à nous surprendre, qu’il ne s’installe pas dans une routine. Qu’il se fasse plaisir. Cet album, il fallait le faire comme ça. Il ne faut pas qu’il soit catalogué. Autant qu’il multiplie les projets différents: un récit historique à sa façon puis un récit d’anticipation encore les pieds dans l’eau. Puis après encore quelque chose de très différent.
Xavier Coste: J’ai des envies de changement. Je ne peux pas dessiner une scène de 3-4 pages dans une même pièce. Une fois l’endroit où les personnages se trouvent dessiné, j’ai envie d’autre chose. J’ai envie de savoir la suite et d’accélérer les choses pour savoir la fin. J’ai besoin de savoir où je vais, mais après ça peut changer.
Ce qui explique cette volonté de faire des one shot plutôt que quelque chose sur le long cours ?
Xavier Coste: Même à partir du story-board, je veux passer à autre chose. Je ne me vois pas m’enfermer deux-trois-quatre ans avec les mêmes personnages.
Reynold Leclercq : Il est jeune, c’est quand on est jeune qu’il faut faire ses expériences.
Xavier Coste: J’ai l’impression que beaucoup de jeunes dessinateurs s’enferment assez vite pour garder le même dessin sur 2-3 albums.
Peut-être une question à l’éditeur maintenant. Comment avez-vous rencontré Xavier ?
Reynold Leclercq: Par la poste, tout ce qu’il y a de plus classique. Il m’avait envoyé un dossier avec 3-4 planches d’approche sur Egon Schiele et une approche de scénario de Maximilien Leroy. Je me suis très vite emballé, j’étais impressionné. D’ailleurs j’ai répondu vite.
Xavier Coste (réactif): Ça ne m’a pas semblé être rapide, ça a pris un mois et demi, oui! (rire)
Mais ça en dit long justement sur la perception du temps entre un auteur qui attend une réponse et un éditeur qui doit prendre un peu plus de temps. À la dérive horloges
Reynold Leclercq : C’est vrai qu’on a besoin de laisser murir. Il faut se poser des questions, gratter pour voir si le projet tient encore la route. Le risque était maximum. Mais c’est le métier d’éditeur. Comment représenter un peintre, ses œuvres? Nous, nous avons joué sur la réinterprétation par le dessin pour éviter l’historique qui n’intéresse personne.
Xavier Coste: J’avais envoyé mon manuscrit aussi chez d’autres éditeurs qui m’ont envoyé leur réponse très vite. Mais j’étais persuadé que Casterman n’était pas intéressé. Il y avait bien eu ce mail, 15 jours après où on me disait vouloir en voir un peu plus, mais c’était tout. Peut-être que Reynald était, derrière les mots, emballé mais ça ne paraissait pas. Puis un mois après, je recevais le contrat, je n’en revenais pas.
Les autres éditeurs hésitaient et j’ai eu une réponse d’un éditeur le jour où je signais le contrat. Ils m’ont alors dit qu’ils ne voulaient pas s’engager sur le projet de quelqu’un qui n’avait encore rien fait mais qu’après mon premier album je pouvais faire un projet chez eux ! Je l’ai un peu mal pris. J’étais frustré: on me disait que c’était super mais qu’il n’y avait aucune chance que ça marche. Que je devais changer de métier, même!
« Plus un peintre frustré qu’un auteur de BD. »
Quel défi quand même pour un dessinateur de raconter la vie d’un peintre.
Xavier Coste: C’est vrai, une fois le contrat signé et renvoyé, je me suis dit yes! Puis c’est retombé et je me suis demandé comment j’allais faire illusion. Ils allaient bien voir que le scénario ne tenait pas la route. Je n’avais que 3-4 pages et un résumé pour 64 pages. Je voulais contacter Olivier Pâques comme scribe-docteur, je ne pensais pas y arriver. Je n’avais fait jusque-là que des récits long de… deux pages!
Qu’est-ce qui vous a donné l’envie d’être un artiste encore plus qu’un auteur de BD, de choisir entre peinture et dessin ?
En fait, je suis plus un peintre frustré qu’un auteur de BD, j’ai fait pas mal de peinture. Mais j’aime aussi le côté pictural. Et là, dans À la dérive, j’ai pris la même technique que pour mes peintures.
À quel âge ça a commencé ?
J’ai toujours dessiné même avant d’en avoir conscience.
On fait souvent la distinction entre passion et métier, comment avez-vous su que ça serait un métier ?
Je ne pouvais pas m’en passer, j’étais obligé d’en gagner ma vie. Je ne supporte pas de ne pas travailler, je dois toujours travailler des histoires, faire des illustrations.
Peut-on dire que la curiosité graphique a été satisfaite avec cet ouvrage?
Oui sur le moment… mais là, sur le suivant, j’aimerais encore aller plus loin, mais je n’y arrive pas, je coince. On verra…
Propos recueillis par Alexis Seny.
www.branchesculture.wordpress.com
Xavier Coste, À la dérive, Casterman, 64p. (+ un dossier de recherche de 6p. « Paris sous eaux »), 18€.
Photos © Jean-Jacques Procureur
Images © Casterman
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Mardi 1er avril 2025 - 4:46:44
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