Entretien avec Christian Jasmes à propos de son Hommage à Marcel Remacle
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Entretien avec Christian Jasmes à propos de son Hommage à Marcel Remacle

 

Sur les traces d'un auteur trop discret...

Bulles en Brabant wallon”, c'est un nouvel événement imaginé et réalisé par les bibliothèques locales du Brabant wallon pour mettre en commun leurs ressources et leurs compétences dans le domaine de la bande dessinée. La première bibliothèque à se lancer dans l’aventure était la Bibliothèque de Tubize avec la manifestation « Les Pirates jettent l’ancre à Tubize ». A cette occasion, un bel hommage a été rendu à Marcel Remacle, un auteur un peu (trop) oublié aujourd'hui et qui pourtant, avec le Vieux Nick écrivit quelques belles pages de l'histoire de l'hebdomadaire Spirou. L'exposition de Tubize vient de fermer ses portes, mais l'hommage à Marcel Remacle se prolonge grâce à un sympathique et passionnant petit ouvrage, d'autant plus précieux qu’il n'existe pratiquement rien d'autre consacré au dessinateur. Son auteur, Christian Jasmes, bibliothécaire, fut la cheville ouvrière du défunt festival BD de Charleroi, réalisa le petit exploit, pour l'époque, de faire rentrer BD et manga parmi les collections des bibliothèques publiques carolorégiennes et délivre aujourd'hui une initiation à la BD à de futurs bibliothécaires. Un amoureux du neuvième art qui nous permet de redécouvrir un auteur qui a tout de même signé plus d'une quarantaine d'albums.

-Bonjour Christian, qu'est-ce qui t'a amené à t'intéresser à Marcel Remacle ?

Outre l'occasion qui m'en a été donnée, via la thématique pirate choisie par la bibliothèque de Tubize pour Bulles en Brabant wallon, j'ai été fan, dans une certaine mesure, des BDs de Remacle depuis mon enfance. J'ai bien aimé Bobosse, avec lequel il a véritablement entamé sa carrière d'auteur BD et a fait son entrée dans Spirou en 1956, puis j'ai accroché au Vieux Nick, dont le style dynamique me plaisait...en prenant conscience, à ce moment, de certaines maladresses dans le dessin des animaux de Bobosse qui était pourtant une série animalière ! Le Vieux Nick conjuguait évasion, action et humour et s'inscrivait complètement dans la définition de l' « aventure humoristique » dont on reparle beaucoup cette année à l'occasion des 75 ans de Spirou.

-Fin des années 50', début des années 60', c'est ce que l'on considère souvent comme l'âge d'or du magazine et de Dupuis...

Oui, Spirou était véritablement brillant à l'époque, et Remacle devait se faire un nom à côté des Franquin, Tillieux, Peyo, Morris... Il est clair que même si l'esprit de l'époque était très différent d'aujourd'hui, il fallait arriver à se démarquer à côté de tels confrères. D'autant que jusque-là, le parcours de Marcel Remacle était celui d'un coiffeur pour dames, dessinateur autodidacte qui avait choisi d'abandonner le salon de coiffure pour la table à dessin...

-Dans quel esprit, justement, a-t-il abordé cette “dream team” ?

Remacle est arrivé avec une certaine ambition chez Dupuis, et a bénéficié de la confiance de Charles Dupuis. Mais, au départ lettreur, il a dû déchanter un peu. Il a, plus tard, très mal vécu l'arrêt de Bobosse, heureusement, une seconde chance lui a été laissée par Charles Dupuis et, elle a débouché, sur conseil de Rosy, sur la création du Vieux Nick... Malheureusement, je pense que ce qui a toujours handicapé Remacle, c'est son caractère. Ce n'était pas quelqu'un de commode, il était même d'une sévérité excessive, refusait l'aspect “public” de son métier et, pour utiliser une expression bien actuelle, n'a sans doute pas su se vendre suffisamment....

-De plus, cette équipe n'était pas composée de gens tristes...

Non, c'est clair. Franquin était un extraverti, et quand on lit certaines anecdotes rapportées par Yvan Delporte, par exemple, on comprend plus encore que ce contexte ne devait pas faciliter les choses pour quelqu’un comme Remacle.

 

 

 

Vue sur l'expo

 


-Ces aspects de sa personnalité se sont-ils ressentis dans son oeuvre ?

Je pense que oui. Il est assez difficile de ressentir une véritable empathie pour ses personnages, hormis le Vieux Nick, et progressivement l'humour de ses séries s'est détaché de ce qui caractérisait Dupuis à l'époque, avec, il est vrai, un côté un peu moralisateur. Quelque part, les personnages de Remacle manquent de dimension humaine, et à certains moments on mesure qu'il aime les ridiculiser. Si on suit l'évolution de Barbe-Noire en tant que personnage, comme je l'écris dans le livre, on passe de Joe Dalton à Averell Dalton. Barbe-Noire apparaît au départ comme un “mauvais” hargneux et colérique pour devenir peu à peu un grand dadais (et le dessin évolue en ce sens) puéril. Parallèlement la priorité est donnée aux gags au détriment de l'aventure... Et puis n'oublions pas que Barbe-Noire, un “méchant”, tire la couverture à lui et devient le héros de la série. Un “méchant” comme premier rôle, ça dénote chez Dupuis...

-Justement, tu prends l'exemple des Dalton, et on découvre dans ton livre qu'avec Morris, le courant passait peut-être mieux...

Effectivement, et il y a eu dans le style de dessin de Remacle une grosse influence de Morris, notamment dans sa manière de traiter les décors et de “silhouetter” ses personnages. Je me souviens avoir rencontré Morris lors de l'inauguration de la statue de Lucky Luke à Charleroi, on avait discuté un peu (Morris n'était pas un grand bavard) et il m'avait dit qu'il appréciait Remacle et que celui-ci avait beaucoup de talent. Morris constituait pour Remacle une relation privilégiée, ils s'entendaient bien. Le dessinateur de Lucky Luke ne détestait pas non plus une forme d'humour ironique, et il est très probable qu'à l'époque où Charles Dupuis refusait Bobosse, Marcel Remacle recevait de véritables leçons de dessin chez Morris.

Comment as-tu procédé pour écrire cet hommage à Marcel Remacle ?

Ça n'a pas été évident du tout ! Vu sa discrétion, il n'existe quasi rien le concernant, et je disposais tout juste de 3 articles de presse ! Il ne tenait pas à être un personnage médiatique, refusait les interviews, donc on ne parlait de lui nulle part. Et même certains “témoins potentiels” qui auraient pu le côtoyer n'ont fait que le croiser une fois ou deux. Raoul Cauvin, par exemple, l'a seulement croisé une fois à l'occasion d'une fête pour les auteurs de Dupuis, il ne le connaissait pas et c'est Willy Lambil qui lui a indiqué qui c'était. Je me suis donc tourné vers la famille de Remacle, et son épouse, Raymonde m'a vraiment beaucoup aidé pour la réalisation du livre. Je tiens d’ailleurs à préciser qu’une édition française de cet ouvrage existe, il s’agit du premier numéro des "Archives BD Trésor" ( Editions De Varly : http://www.bdtresor.net/index.php/module/souscription/resid/22/les-archives-de-bdtresor-special-remacle.html ) qui est diffusé partout en France et vendu par correspondance au prix de 10 €,Le texte est identique, mais les illustrations sont sensiblement différentes (le libre choix a été laissé à l'éditeur), et elles sont en couleur. Cette version comporte également un inventaire chronologique complet de toutes les bandes dessinées de Marcel Remacle, avec les références précises de parution et mention du nombre de planches pour chaque histoire.

 

 

 

 

Madame Raymonde Remacle


 

Personnellement, tu ne l'avais jamais rencontré ?

Non, j'ai eu un contact téléphonique, très bref, pour le remercier après une exposition consacrée à Marcel Denis (avec qui Remacle travailla pour Hultrasson le Viking et une improbable reprise de Tif et Tondu après le départ de Will pour Tintin) que j'avais conçue pour le festival de Charleroi, mais là encore, il m'a paru très froid... Mais à travers les témoignages que j'ai recueillis, je mesure que c'était vraiment une personnalité difficile à cerner. Certains parlent de misanthropie, d'autres de modestie ou de timidité excessive...et ça lui a certainement joué des tours...

Alors que Dupuis édite de belles intégrales de son Patrimoine, il n'a jamais été question de remettre en valeur ses créations ?

C'est à l'éditeur qu'il faudrait poser la question. Des petites maisons d'édition ont réédité certains albums mais de manière quasi-confidentielle. Remacle avait également souffert du changement de cap entrepreneurial opéré dans les années 80 chez Dupuis. Les albums du vieux Nick et de Barbe-Noire ont été mis au pilon et ceux qui restent sont aujourd'hui des “collectors” recherchés.

Au-delà d’une personnalité difficile, n’oublions pas l’essentiel pour les bédéphiles. Marcel Remacle a signé 26 albums de barbe-Noire et le Vieux Nick, 3 d’Hultrasson le Viking, 4 albums en Gags de Poche et 9 dans la mini-bibliothèque Spirou, tout ça chez Dupuis. Deux albums de Bobosse ont été édités par le Coffre à BD en 2005 et 2007 et « Ne tirez pas sur l’Hippocampe », l’épisode de Tif et Tondu réalisé avec Marcel Denis a enfin eu les honneurs d’un album en 2007 chez la Vache qui Médite. En outre, hors des éditions Dupuis, ses albums ont été adaptés en Allemagne, Espagne, Italie, Angleterre, en Yougoslavie, dans les pays scandinaves et en Argentine. Marcel Remacle nous a quittés le 16 décembre 1999. « Il restera dans l’histoire de la BD comme l’un des ténors de la BD classique, celle qui a fait rire des générations d’impertinents gamins » écrivait Thierry Tinlot dans Spirou en février 2000



Propos recueillis par Pierre Burssens

Photos : Jean-Jacques Procureur

On peut se procurer l'ouvrage “Hommage à Marcel Remacle” de Christian Jasmes auprès de : La Bibliothèque publique centrale du Brabant wallon (Fédération Wallonie-Bruxelles)
Place Albert Ier n°1
1400 Nivelles
Tél. : 067/89.35.89 (central)
Fax : 067/21.35.03

http://www.escapages.cfwb.be/

 

Interview © Graphivore-Burssens 2013

Photos © J J Procureur



Publié le 30/04/2013.


Source : Graphivore

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