"-Ça y est ! On a réussi !! On a fait le grand saut ! Finis la ville, la pollution, le stress !! On va bâtir ici une nouvelle vie ! Ne plus dépendre du système… Travailler dur pour être autonomes…
-Heu… L'idée, c'était pas une année sabbatique ??
-Si… Mais on commence par…
-Attends ! J'ai ici la définition : "sabbatique"… "Congé qui permet au salarié de prendre une année de repos"… Alors, déjà, je vois pas les transats…"
Quittant la ville et la pollution pour la saine et isolée campagne, un couple de parisiens décide de remettre sa vie en question. Enfin, surtout Madame. Monsieur ne partage pas franchement l'idée bourgeois-bohème de son épouse. Il va pourtant bien falloir qu'il fasse contre mauvaise fortune bon cœur. Les voilà donc nouveaux propriétaires d'une maison en milieu de forêt au bout d'un chemin sur lequel personne ne passe. Si Madame a bien l'intention de vivre avec le strict nécessaire, n'ayant apporté que deux bagages dans la plus grande sobriété qui soit, Monsieur a tout commandé en double sur Amazon. Ça ne va pas être compatible pour celle qui veut arrêter la course à la consommation. La vie à la campagne, ça va être aussi l'occasion de consommer ses propres produits. Vive les tomates cerises !... pour commencer.
© Tronchet – Fluide glacial
Heureusement, il y a des voisins sympas, comme celui qui apprend à Monsieur à se servir d'une hache pour abattre un arbre. Mais attention, il faut lui parler, à l'arbre, avant de l'achever, à moins que ce ne soit lui qui achève Monsieur. "Connard d'arbre !!" "Abruti". Bref, à la campagne, s'il est plus facile de supporter les voisins qu'en ville parce qu'ils sont plus loin, il faut aussi supporter le silence. Le bruit du klaxon, ça peut manquer à certains. Si, si, n'est-ce pas, Monsieur ? …comme peuvent aussi manquer les discussions au bureau autour de la machine à café, surtout les jours de pluie où à part regarder le déluge par la fenêtre il n'y a pas grand-chose à faire. Bénabar disait pourtant le contraire : "A la campagne, y'a toujours un truc à faire…" Ben, pas pour Monsieur manifestement.
© Tronchet – Fluide glacial
Didier Tronchet dresse le portrait d'un couple de parisiens comme il y en a tant et qui pensent, ou qui ont cru juste après le covid, qu'ils pouvaient démarrer une nouvelle vie à la campagne. Mais n'est pas campagnard qui veut. Il semble que Monsieur l'ait compris avant même de quitter la ville. Alors que Madame tente tout pour passer le cap, Monsieur n'est décidé à faire aucun effort. Dans quel camp vont se ranger leurs enfants qu'ils ont mis en pension quand ils vont venir en week-end ? Comme à son habitude, Tronchet décortique le français moyen avec humour et tendresse. Les personnages n'ont pas de prénom pour que tout le monde puisse s'y reconnaître, ou reconnaître des gens que l'on côtoie, parce que certains ne veulent pas voir en face qu'ils sont eux-mêmes dépeints. La couverture est symptomatique. Madame brandit une carotte qu'elle a réussi à faire pousser elle-même, pendant que Monsieur fait un selfie avec son portable (fabriqué par un petit chinois exploité).
© Tronchet – Fluide glacial
Tous à la campagne ! M'enfin, pas tout le monde en même temps quand même. Comme pour tout, il en faut pour tous les goûts. Tronchet le démontre dans cet album drôle, reflet d'un temps où le retour à la nature partage les opinions.
Laurent Lafourcade
One shot : Tous à la campagne !
Genre : Humour
Scénario, Dessins & Couleurs : Didier Tronchet
Éditeur : Fluide glacial
ISBN : 9791038205765
Nombre de pages : 56
"-Comment voulez-vous donner leur liberté à ces pauvres bougres ? On les a arrachés à leur terre africaine, ils sont encore de vrais sauvages, et on voudrait en faire des citoyens ? C'est absurde.
-Qui voudrait en faire des citoyens, M.Bellier ?
-Grand-Patte, tu n'es au courant de rien ? Il y a eu une révolution en France. Le Roi est parti, c'est la République. Tu sais ce que ça veut dire, la République ?
-Ils vont abolir l'esclavage ?"
Edmond est esclave sur l'île de la Réunion. C'est un petit génie qui ne connaît pas la liberté. Il est au service de l'homme blanc, l'homme soi-disant civilisé. Edmond est un petit génie parce qu'il a découvert le moyen de féconder la vanille. Il suffit d'ouvrir la fleur pour dégager la corolle, la retrousser pour trouver le pistil, puis appuyer sur la languette qui est sous le pistil avec une aiguille avant de refermer en appuyant bien pour que le pistil et l'étamine se touchent. En six jours, il devrait y avoir une gousse. "Et c'est un petit noir qui a trouvé ça." Nous sommes en 1841, Edmond a douze ans. Il est esclave chez son maître Monsieur Bellier-Beaumont à Sainte-Suzanne.
© Tehem, Appollo - Dargaud
1848. Edmond grandit sans savoir ni lire ni écrire, mais il connaît les noms latins des plantes. Il a sa propre case, est toujours esclave et fait des démonstrations de fécondation de vanille chez de riches propriétaires. La main d'œuvre continue à être importée d'Afrique. Sur les hauteurs de l'île, vivent les marrons, esclaves échappés depuis des années et qui ne voulaient pas vivre ainsi toute leur vie. Le 27 Avril, un décret annonce que l'esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises dans les deux mois. Tout châtiment corporel et toute vente de personnes non libres seront interdits. Le commissaire général de la République Joseph Sarda-Garriga ne va pas tarder à débarquer pour le faire appliquer. Si pour certains c'est la mort de la colonie, pour d'autres, c'est un vent de liberté qui se met à souffler.
© Tehem, Appollo - Dargaud
Avec un dessin trop réaliste, l'histoire aurait pu virer au drame sanglant. Le trait semi-réaliste de Tehem adoucit le propos sans pour autant le dévaloriser. De son côté, Appollo enchaîne les événements concrets sans jamais tomber dans le catalogue chronologique.
En 2020, Tehem et Appollo ont bénéficié d'une résistance d'artistes aux Archives départementales de la Réunion. Ils y ont découvert des détails oubliés de la vie d'Edmond Albius, celui qui voulait se faire appeler Vingt-Décembre lorsqu'on lui proposa un nom. Ils ont aussi déniché des dessins de Martial Potémont, l'un des protagonistes de cette histoire, artiste venu du continent en 1847, et foultitude de fragments de cette époque du beau milieu du XIXème siècle qui, à l'instar du nez de Cléopâtre, changea la face du monde. Les auteurs ont ainsi donné naissance à Vingt Décembre, œuvre de fiction inspirée de cette immersion dans les archives de l'île. Dans un dossier complémentaire, les auteurs présentent quelques extraits de leur journal de résidence. On y découvre entre autres des reproductions de pages de La Lanterne Magique, publication illustrée de l'époque, ainsi qu'une planche décalée dans laquelle Potémon montre des dessins inédits à Antoine Roussin, un jeune professeur de dessin qui se lance dans l'imprimerie.
© Tehem, Appollo - Dargaud
Vingt Décembre est une passionnante aventure historique, à lire en parallèle avec Ile Bourbon 1730 que le même Appollo a écrit pour et avec Lewis Trondheim il y a déjà dix-sept ans. A la fois biopic et témoignage d'un changement de monde, Vingt Décembre est un album marquant.
Laurent Lafourcade
One shot : Vingt Décembre
Genre : Histoire
Scénario : Appollo
Dessins : Tehem
Éditeur : Dargaud
ISBN : 9782205200935
Nombre de pages : 160
Prix : 21,50 €
"-Eh ! C'est toi qui envoies du gravier dans mon délicieux plat de tripes ?
-Oh ! Euh… Désolé, vraiment.
-C'est bon… T'es quoi au juste, p'tit père ?
-Ben… Un ornithomimosaure."
Mimo est un ornithomimosaure. Il est né en brisant sa coquille comme ses six frères et sœurs à une époque où l'homme n'était pas encore sur Terre, en des temps où il n'y avait ni fleurs ni herbe. Dans la famille, il fait figure de vilain petit canard. Alors que ses semblables sont marbrés de différents tons bruns, il arbore un plumage noir et blanc. Alors, il vit plutôt en solitaire. Un beau jour, il fait la connaissance de Hector, un cacharodontosaure, un lézard à dents aiguisés, qui n'a jamais perdu son duvet de bébé. Lui aussi vit en marge de sa famille. Il n'en fallait pas plus pour que les deux larrons deviennent compagnons d'aventure. Tout allait bien jusqu'au jour où, RRRRRRRRRRRRRRôôôôôôôôôôôôôôôôô, la-grande-menace-aux-dents-innombrables s'installa à proximité de leurs clans. Plus moyen de mettre une griffe dans le fleuve sans risquer de se faire croquer. Peut-être que l'oracle a une solution au problème ?
© Dethan, Mazan – Eidola
Dans l'aventure suivante, nos deux compères font un grand voyage. Tout commence par un kidnapping. Boris, un ornithomimosaure comme Mimo, est enlevé par deux cacharodontosaures, comme Hector. Très vite, les secours s'organisent. D'après les indices et les témoignages, il a été embarqué sur un tronc avec ses ravisseurs sur le grand océan Téthys. Mimo prend la tête d'une expédition pour le retrouver. Après un long périple, les sauveteurs débarquent sur une terre dominée par Dark-Venator, grand-maître du clan des prédateurs. Mimo et ses compagnons vont devoir déployer des trésors d'ingéniosité pour tirer Boris des griffes des carnassiers.
© Dethan, Mazan – Eidola
Les éditions Eidola regroupent dans cette intégrale les deux aventures de Mimo scénarisées par Isabelle Dethan et dessinées par Pierre Mazan. Dans des récits mi-BD mi-album illustré, on y suit les aventures de ces dinosaures dans une précision rare dans des livres pour enfants. Les auteurs emploient des noms techniques. Bien sûr, les histoires sont rocambolesques, pour qu'il y ait de l'aventure et qu'on ne soit pas dans un reportage, mais on reste dans des décors réels et des protagonistes d'époque. Dans un petit bestiaire des fouilles, en supplément, Ronan Allain explique comment 20 000 fossiles ont pu être identifiés dans les Charentes dont les restes de Mimo en 2012. Avec des illustrations de Mazan, le paléontologue décrit plusieurs espèces de dinosaures, dont certains que l'on croise dans les aventures de Mimo.
© Dethan, Mazan – Eidola
Cet album enchantera les jeunes passionnés de dinosaures. On connaît l'attrait de Mazan pour le sujet. Alors que les plus jeunes peuvent dévorer à la manière d'un T-Rex les histoires de Mimo, les plus grands pourront se rassasier avec Les dinosaures du paradis, du même Mazan, paru chez Futuropolis.
Laurent Lafourcade
Série : Mimo
Tome : Intégrale - Sur la trace des dinos
Genre : Aventure documentaire
Scénario : Isabelle Dethan
Dessins & Couleurs : Pierre Mazan
Éditeur : Eidola
ISBN : 9791090093492
Nombre de pages : 72
Prix : 18 €
"-"Depuis, il n'y a pas une nuit où je ne rêve pas du massacre des miens. Je sens une rage me brûler les vis… vis…"
-Viscères ! C'est un synonyme de boyaux, Jane. J'suis épaté. Tu as fait de spectaculaires progrès en lecture.
-J'ai de la pitié pour l'enfant de cette histoire. Mais il faudra abattre l'homme qu'il est devenu."
Wild Bill, Calamity Jane et Charlie Utter sont sur les traces du serial killer qui scalpe, découpe et plante une flèche dans l’œil droit de ses victimes. D'après ce qu'ils viennent de découvrir, il aurait assisté à l'assassinat par des indiens de ses parents lors d'une attaque de la diligence dans laquelle ils voyageaient. Ça n'excuse pas l'adulte qu'il est devenu et qu'il faudra certainement abattre. Pendant ce temps, à Mud City, l'homme d'affaires Aristote Graham accueille une compagnie en armes qu'il a fait venir pour sécuriser le camp du chemin de fer face aux intrusions dans le campement et massacres sans vergogne d'innocents travailleurs. Quand le chantier va devoir traverser un cimetière d'indien qu'il va falloir dynamiter, ça ne va pas calmer les esprits.
© Gloris, Lamontagne - Dupuis
"Faire combattre des noirs contre des rouges pour les intérêts d'une minorité de blancs", telle est l'idée de Graham. Les natifs des lieux sont en train d'être dépouillés par des colons avec une main d'œuvre qui, au final, sera elle-même maltraitée à cause d'une couleur de peau. L'Amérique naissante se veut égalitaire, encore faut-il avoir la bonne couleur de peau. Le scénariste Thierry Gloris démontre factuellement que dès le départ le visage pâle ne s'y est pas pris du bon pied, ne cherchant jamais à s'intégrer, ni à intégrer, mais tout simplement à envahir. Il ne fallait alors pas s'étonner de prendre de plein fouet des actes barbares. C'est dans des situations comme celles-ci que des tueurs comme celui que traque notre trio peuvent agir, profitant de la confusion générale, brouillant les pistes sur le camp dans lequel le rechercher.
© Gloris, Lamontagne - Dupuis
Jacques Lamontagne dessine ce nouvel épisode sans filtre. Comme dans l'épisode précédent, la violence est un personnage à part entière et les scènes atroces sont sans concession. On n'est pas dans un western de la dernière séance. John Wayne ne va pas arriver avec des tuniques bleues pour sauver tout le monde. Tout est dit dans le titre La boue et le sang. Les auteurs ne nous mentent pas sur la marchandise pour décrire quelque chose qui semble plus proche de la réalité que les exploits d'un cow-boy solitaire.
© Gloris, Lamontagne - Dupuis
Le trait de Lamontagne est de plus en plus fin et détaillé. Certaines cases s'étalent comme en cinémascope sur des doubles pages, images parfois gâchées par une impression, ou plutôt une reliure, qui ne tient pas compte de leur présence et les grignote en leur milieu.
L'Ouest est sauvage et pas seulement dans sa nature. Tout ne serait-il pas seulement qu'une guerre de territoires ? Wild West offre une immersion sans pitié dans un monde qui accouche avec douleur.
Laurent Lafourcade
Série : Wild West
Tome : 4 – La boue et le sang
Genre : Western
Scénario : Thierry Gloris
Dessins & Couleurs : Jacques Lamontagne
Éditeur : Dupuis
Nombre de pages : 48
Prix : 15,50 €
ISBN : 979103
"-Ah… Esther et Polly !
-Tu connais ? Pourtant c'est pour les enfants !
-Madame en a sûrement, tu sais.
-Bien sûr, mais ce n'est pas la raison… Je lisais leurs aventures dans "Âmes Vaillantes" quand j'avais ton âge. J'étais fan de la jeune Esther et de son adorable petite marmotte. Et ça m'a beaucoup aidée à penser à autre chose dans des moments… difficiles.
-Qu'est-ce qui t'est arrivé, dis ?
-Ah, ça… C'est une longue histoire…"
Février 1972, Simone Lagrange prend le train pour Paris. Elle se rend à Cognacq-Jay au siège de l'ORTF, l'office de radiodiffusion-télévision française, pour participer à une émission de télévision en direct. La soirée est présentée par Jacques Alexandre. Après un reportage réalisé par une équipe d'Antenne 2 à La Paz en Bolivie dans lequel le journaliste Ladislas de Hoyos s'entretient avec un certain Klaus Altmann, les quatre résistants invités en plateau, dont fait partie Simone, sont invités à se prononcer. Ce Klaus Altmann ne serait-il pas Klaus Barbie le criminel nazi, chef de la Gestapo de Lyon ? Simone a été torturée par Barbie en 1944 avant d'être déportée à Auschwitz. Elle ne peut pas oublier son regard. Même s'il le nie, pour Simone, Altmann et Barbie ne font qu'un. Le bourreau va se trahir. Alors qu'il prétendait ne comprendre que l'allemand, Ladislas de Hoyos le piège avec une question en français à laquelle il répond.
© Evrard, Morvan, BenBK - Glénat
Alternant entre 1944 et 1972, Jean-David Morvan et Davis Evrard poursuivent la biographie de Simone Lagrange. L'album s'ouvre sur une scène d'une intensité incroyable. Simone se serre dans les bras de ses parents. Elle s'imagine au Maroc à Mogador, actuelle Essaouira, en bord de mer. L'océan se déchaîne. Les vagues prennent les apparences de ceux qui les ont dénoncés. Tel un tsunami, Klaus Barbie déferle sur eux. En réalité, la famille est retenue au siège de la Gestapo à Lyon. Le cauchemar ne fait que commencer. Simone et sa mère sont séparés de leur père et époux. A la prison de Montluc, la gamine vit un calvaire pendant quinze jours avant de partir pour Drancy, dernière étape avant le camp de concentration d'Auschwitz-Birkenau.
© Evrard, Morvan, BenBK - Glénat
La seconde guerre mondiale et ses conséquences sont des thèmes de prédilection du scénariste Jean-David Morvan. Il s'est intéressé à Irena Sendlerowa (déjà avec David Evrard), à Ginette Kolinka, à Madeleine Riffaud,… Avec Simone Lagrange, on suit le parcours d'une miraculée et on l'accompagne dans son combat dans la traque des nazis. On va la voir aux côtés de Serge Klarsfeld face à Barbie, défendu par un cynique Jacques Vergès.
Le graphisme si particulier pour un tel sujet de David Evrard fait la force du témoignage. Dans son trait franco-belge, l'auteur intègre des planches d'Esther et Poly qui font écho à ce que vit Simone, ainsi que des cases dessinées comme si elles étaient dessinées par des enfants, à la manière d'un José Parrondo dans la série "Allez raconte". La séquence des chambres à gaz ainsi racontée ne pouvait avoir plus de puissance. A arracher des larmes.
© Evrard, Morvan, BenBK - Glénat
"Simone" fait partie de ces séries nécessaires œuvres de mémoire. En ces débuts d'années 70, la chasse aux nazis atteint l'un de ses climax. Walter Rizoto et Jean-Loup de la Batellerie, journalistes à Paris-Flash, sont là pour rendre compte de l'événement.
Laurent Lafourcade
Série : Simone
Tome : 2 – Tu entres par la porte mais tu sortiras par la cheminée !
Genre : Drame historique
Scénario : Jean-David Morvan
Dessins : David Evrard
Couleurs : BenBK
Éditeur : Glénat
ISBN : 9782344049518
Nombre de pages : 72
Prix : 15,50 €
"Mon père, de sa voix tonitruante, déclame la bible avec la passion d'un grand acteur. Lavinia pleurniche, Austin ne tient pas en place et moi, je reste béate devant la grandeur des mots. Ils me submergent, embrasent mon imagination."
Parmi les collines, Amherst, dans le Massachusetts, est la ville natale de la jeune Emily Dickinson. Elle y habite avec son frère Austin, sa sœur Lavinia, et leurs parents. Le père lit la Bible. La mère est distante. Emily est comme une intruse dans cette famille austère. Son père lui reproche sa joie de vivre. Elle se tourne alors vers Dieu pour chercher un sens, une reconnaissance. C'est lors d'une escapade en forêt, quelques années plus tard, qu'Emily découvre l'attirance qu'elle a pour ce lieu. Des couleurs qui prennent vie, des arbres qui atteignent les cieux et des feuilles qui luttent contre le vent, des parfums enivrants et des sons mélodieux, la nature séduit la jeune fille. Qu'importent les remontrances de ses parents, Emily va y chercher sa liberté. Ceci n'est que le début de la vie de la poétesse Emily Dickinson qui nous est racontée jusqu’à sa disparition dans cette biographie.
© Gabriele - Des ronds dans l’O
Après celle de Virginia Woolf, la dessinatrice italienne Liuba Gabriele s'attarde sur la vie méconnue de la poétesse américaine Emily Dickinson. Recluse dans son cercle familial puritain en Nouvelle-Angleterre, elle écrivit 1775 poèmes, dont seulement une douzaine seront publiés de son vivant. A la fin de sa vie, elle fut frappée par une série de deuils : son père, sa mère, son neveu, puis son futur époux. Ce n'est que plus tard que sa petite sœur Lavinia retrouvera ses productions. Un recueil posthume sera publié en 1890 quatre ans après sa mort, mais il faudra attendre les années 50 pour une édition complète et respectueuse de l'œuvre.
© Gabriele - Des ronds dans l’O
Dans un trait crayons de couleurs, Liuba Gabriele poétise ses cases et ses planches dans des couleurs pastel. Les intérieurs sont enluminés. Les arbres ont des feuillages inédits, avec des tons bicolores les rendant vivants. Le ciel montre des chemins de liberté pour une fille enfermée dans une culture cloisonnée. Elle le regarde. Il la regarde. L'autrice personnalise la mort dans des scènes poignantes, avec des regards vides ou hagards et une danse funeste, comme si Emily vivait sa fin en poésie. Liuba Gabriele a elle-même publié un recueil de poésies. C'est peut-être pour cela qu'elle a si bien pu et su se mettre dans la peau de celle à qui elle rend un si bel hommage.
© Gabriele - Des ronds dans l’O
Emily Dickinson est plus que jamais sur le devant de la scène. L'écrivain Dominique Fortier a reçu le prix Renaudot Essai pour son livre Les villes de papier, une vie d'Emily Dickinson. Lou Doillon a lu ses poèmes sur scène. Liuba Gabriele invite à se plonger dans son œuvre. La poétesse américaine est mise à l'honneur dans ce biopic dans lequel on flotte comme sur des vers qu'on lit en rebondissant de ligne en ligne.
Laurent Lafourcade
One shot : Emily Dickinson
Genre : Biopic
Scénario, Dessins & Couleurs : Liuba Gabriele
Éditeur : Des ronds dans l’O
ISBN : 9782374181462
Nombre de pages : 144
Prix : 22 €
"-La Gestapo a cerné le centre du village. Ces ordures ont fouillé toutes les maisons ! Il paraît qu'ils retrouvaient les Juifs cachés en demandant aux commerçants les adresses de leur clientèle ! Ils ont embarqué une vingtaine de familles.
-Une vingtaine de familles ?
-Les hommes ont traversé la ville en marchant les bras levés, et les femmes tenaient leur enfant d'une main et leur baluchon de l'autre…
-Mais Henri, où les ont-ils emmenés ?
-Je ne suis sûr de rien. Très probablement au siège de la Gestapo, ou déjà à Drancy… ?
-Que deviennent tous ces pauvres gens ?"
Janvier 2022, Marion prend un café avec sa tante Lisou, 89 ans. Carnet de notes sur les genoux, Marion l'interroge sur sa vie pendant la Seconde Guerre Mondiale. En juin 1940, la famille juive quitte sa Lorraine pour le sud de la France à cause de l'invasion allemande. Après un passage dans l'Indre, puis à Grenoble, voici Lisou, sa sœur Mylaine et leurs parents réfugiés à Sarcenas, un petit village à douze kilomètres de la préfecture de l'Isère. La chasse aux juifs a commencé, il faut se cacher. Lisou a dix ans et la guerre n'en finit plus de finir. Ils trouvent asile dans un chalet prêté par des amis. Les mois et les saisons se succèdent. Les nazis se déchaînent dans la région. Les rafles font rage. Un jour neigeux de février 1944, alors que les parents sont partis raccompagner des amis jusqu'à l'autocar de Sappey, les deux jeunes filles voient débarquer une automobile noire. Ils recherchent la famille. Mylaine ment sur leur identité et leur indique une maison voisine. Les boches tournent les talons. La grande envoie sa petite sœur prévenir les parents pour qu'ils ne rentrent pas.
© Achard, Galmés - Delcourt
Mylaine sera arrêtée par les nazis, Lisou et ses parents erreront de cachettes en cachettes pour leur échapper. Mylaine et Lisou sont aujourd'hui en vie. Ce sont les tantes de la scénariste Marion Achard. Elle les a longuement interrogées en 2021. A 88 et 98 ans, elles ont apporté leurs témoignages sur cette période barbare d'un siècle faussement civilisé. Elles ont montré à leur nièce les fausses cartes d'identité, les différents courriers conservés, échangés entre eux, ou ceux de dénonciation et de la Gestapo. Marion Achard en a tiré le scénario de ce diptyque inspiré de leurs vies, de leurs destins brisés. La fillette et l'adolescente seront séparées par la tragédie. Cet épisode suit les pas de Lisou. Le second nous emmènera sur les traces de Mylaine et nous fera vivre sa déportation. On sait déjà qu'elles se retrouveront. Ça va légèrement aider à supporter le drame.
© Achard, Galmés - Delcourt
La volonté de Marion, dès le départ, est de s'adresser aux adolescents, parce que l'avenir du monde est dans leurs mains. Il faut se souvenir pour ne pas reproduire les erreurs du passé. C'est tellement bateau, cette phrase, mais c'est tellement vrai, tellement important. Dans un trait tout public arrondi, à la manière d'un Benoît Ers, Toni Galmes dessine l'ensemble avec l'innocence de Lisou toujours en ligne de mire. Ce n'est pas une héroïne, ce n'est pas une observatrice, C'est l'actrice d'une période trouble. Tout au long du récit, on est "elle", au jour le jour.
© Achard, Galmés - Delcourt
A ranger aux côtés des Enfants de la Résistance, Quand la nuit tombe (quel titre efficace !) démontre encore une fois d'une part aux témoins de l'époque que raconter leur histoire est la clef pour que la nuit ne retombe plus, et d'autre part aux lecteurs d'aujourd'hui qu'il est des temps sombres qui ne doivent pas revenir.
Laurent Lafourcade
Série : Quand la nuit tombe
Tome : 1 – Lisou
Genre : Histoire
Scénario : Marion Achard
Dessins & Couleurs : Toni Galmés
Éditeur : Delcourt
Collection : Histoire et histoires
ISBN : 9782413077657
Nombre de pages : 128
Prix : 19,99 €
"-V-vous pouvez me redonner l'adresse ?
-Mama, qu'est-ce qu'il y a ? Mama, où est Licia ?"
Eté 2011, lorsque Joaquim quitta sa petite amie Licia après une dispute, il ne se doutait pas qu'il ne la reverrait jamais. Partie sur un scooter avec une copine, elles seront percutées par un chauffard. Licia laisse ses parents et sa petite sœur Rachel sur leur lieu de vacances, l'endroit des journées ensoleillées, des doucereuses soirées d'été et des premières amours. Dix ans plus tard, la famille organise une réception souvenir en la mémoire de leur fille. Licia aurait eu vingt-six ans. Il est encore difficile d'accepter son absence, mais les siens lui doivent de continuer leurs vies, d'avancer… comme on peut. Rachel y retrouve ses tantes, son cousin Thomas, ainsi que Joaquim. Ils ne s'étaient jamais revus. Ils sont venus sans leurs conjoints. Chacun a fait sa vie. Joaquim est "consultant supply chain", un truc en logistique. Il navigue entre Paris et Rennes. Rachel est consultante en bourgeons, autrement dit fleuriste. Cette commémoration, c'est une volonté des parents de Rachel. Elle, elle aurait préféré penser à sa sœur chez elle, à sa façon, sans tout un tas de pique-assiettes. L'événement aura néanmoins permis aux jeunes adultes de se revoir. Et ça risque bien de bouleverser leurs vies.
© Nfasou, Bibussi - Marabulles
Evidemment, la fleuriste et le consultant ne vont pas en rester là. Leurs quotidiens vont changer de direction. Petit à petit, les fils du passé vont lier leurs destins. Leurs couples respectifs risquent d'en être chamboulés. L'avenir va s'écrire sans précipitation. Les choses qui doivent se faire se feront comme il se doit. Ni l'un ni l'autre ne cherchera à aller plus vite que la musique. On devine que l'amitié devra laisser sa place à de nouveaux sentiments. Y aura-t-il une quelconque concrétisation ? C'est le propos émergent de cette belle histoire d'amours, avec un "s", amour d'adolescence qui ne s'oublie jamais, amour sororal même si l'une des sœurs n'est plus physiquement présente, amour entre adultes, Rachel et Yann, Joaquim et Amélie, … et les conséquences collatérales. Mais si ce propos est émergent, c'est un autre sujet qui donne toute sa force au récit.
© Nfasou, Bibussi - Marabulles
Les autrices Laura Nsafou et Reine Dibussi mettent en scène l'une des histoires les plus poignantes du moment. Bien plus qu'une histoire d'amour, elles abordent le douloureux sujet du deuil et de la place de ceux qui restent. Les parents de Licia ne se sont jamais remis de la tragédie. D'ailleurs, comment pourrait-on s'en relever ? Il n'y a rien de plus douloureux que la perte d'un enfant, de son enfant. Pourtant, c'est Rachel qui va avoir l'héritage le plus lourd à porter, celui du fait que tout le monde veuille qu'elle vive la vie qu'aurait dû vivre sa grande sœur. Sans l'oublier, elle va devoir s'émanciper, apprendre à agir pour elle-même, en tant que Rachel. Joaquim, lui, va-t-il se remettre du jour de la dispute où il a vu Licia pour la dernière fois, quand ils se sont quittés fâchés ?
© Nfasou, Bibussi - Marabulles
Reine Dibussi met en scène le théâtre de la vie avec une délicatesse, une pudeur et une sensibilité émouvantes. Les couleurs vont toujours par deux, selon les chapitres, pastellisées pour mettre en valeur les personnages. Il est juste dommage que le lettrage informatisé donne de la distance. Heureusement, on est si vite emporté par le récit qu'on l'oublie, parce que l'on s'est insinué entre Rachel et Joaquim.
"Personne ne devrait mourir en été…" Et pourtant… Magnifique regard sur le sens de la vie, histoire de reconstruction, "Quand vient l'été" aurait pu s'appeler "Ceux qui restent". L'album restera en tous cas dans toutes les bibliothèques de ceux qui l'ouvriront.
Laurent Lafourcade
One shot : Quand vient l'été
Genre : Emotion
Scénario : Laura Nsafou
Dessins & Couleurs : Reine Dibussi
Éditeur : Marabulles
ISBN : 9782501163293
Nombre de pages : 224
Prix : 25,90 €
"-On m'a cambriolé ! Hé là ! Au voleur ! Arrêtez-le ! Le voleur est là ! Juste en bas ! Allez, les gars !
-Arrêtez-vous !!... Quoi ?!
-Dépêchez-vous de descendre à cette corde et de le rattraper !!!
-Mais Sire, c'est trop haut.
-Bon ! Je vais y aller moi-même ! Je n'ai plus vingt ans mais j'ai encore du cran, moi !"
De retour au château après une soirée à la taverne d'Anne, le Roi regagne ses appartements. Stupeur ! Il a été cambriolé ! Le voleur est en train de s'échapper avec le fruit de son larcin. Il réussit à fuir. Quelques jours plus tard, un client paye Anne avec un bijou. Diantre ! C'est la bague du Roi. La tavernière fait mine de rien et s'empresse de demander conseil au Père Albert pour savoir comment confondre le brigand. Ceci est la première histoire de ce recueil du Royaume composé de récits courts et de gags.
© Feroumont, Mazaurette, Cuadrado - Dupuis
Dans "Le mal du siècle", le Roi s'avère être plutôt entreprenant avec Louise, une masseuse venue lui soulager son mal de dos. Il fait des allusions. Louise est dans la mouise. Elle doit se tirer de cette situation avant que ça ne dégénère. Heureusement, elle a des copines sur qui compter. Sauront-elles lui donner les bons conseils ? Ce récit datant de 2014 parle déjà d'abus de pouvoir et de consentement. On est dans une série humoristique, alors ça reste léger, mais il n'empêche que les choses sont posées. On revient à la comédie pure avec "L'écu d'or", histoire d'une pièce qui va de mains en mains, sans pouvoir être saisie et qui finit dans un endroit inattendu. François le forgeron est la vedette du dernier grand chapitre dans "A vos ordres, Capitaine !". Il y est devenu Capitaine de la garde royale dans laquelle est embauchée Sophie Bellesec. Une femme dans la garde royale ! Ça va secouer le cocotier.
© Feroumont, Mazaurette, Cuadrado - Dupuis
Près de dix ans séparent les différentes histoires de cet album, et pourtant, elles restent d'une incroyable unité. Deux co-scénaristes viennent épauler Benoît Féroumont. Si Maïa Mazaurette n'intervient que sur un seul gag, Clara Cuadrado s'installe en tant que co-autrice. Elle donne à Anne un côté encore plus fort et indépendant. Le personnage est féministe avant l'heure. Sachant ce qu'elle veut, et ce qu'elle ne veut pas, elle impressionne dans une époque et un monde machos. Même s'ils sont plus discrets, les oiseaux bavards sont toujours là avec leurs commentaires et leurs réflexions toujours bonnes à dire, même si ça ne fait pas toujours plaisir à tout le monde.
© Feroumont, Mazaurette, Cuadrado - Dupuis
Le Royaume est devenu une série incontournable. C'est drôle, c'est frais, c'est moderne. Féroumont et Cuadrado sont déjà au travail sur le prochain tome qui sera une grande histoire. Espérons que le dessinateur ne soit pas trop accaparé par son autre vie dans le domaine du dessin animé. Tiens ? Cette série ferait justement un merveilleux dessin animé, aussi bien en série qu'en long métrage.
Laurent Lafourcade
Série : Le Royaume
Tome : 8 – La Reine du balai
Genre : Humour médiéval
Scénario : Benoît Feroumont, Maïa Mazaurette & Clara Cuadrado
Dessins : Benoît Feroumont
Couleurs : Christelle Coopman & Sarah Marchand
Éditeur : Dupuis
Nombre de pages : 56
© Duhamel, Sivan - Bamboo
© Duhamel, Sivan - Bamboo
© Duhamel, Sivan - Bamboo
Laurent Lafourcade
One shot : Deux soeurs
Genre : Chronique de la vie
Scénario : Isabelle Sivan
Dessins & Couleurs : Bruno Duhamel
Éditeur : Bamboo
Collection : Grand Angle
Nombre de pages : 72
Prix : 16,90 €
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